Actualités :: Burkina : « S’il y a un régime qui a eu maille à partir avec les syndicats, (...)

Directeur général de la Radiodiffusion-Télévision du Burkina (RTB) ; directeur de cabinet du Premier ministre ; secrétaire général du gouvernement et du conseil des ministres ; ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation ; ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale ; ministre de la Sécurité, puis coordonnateur national du Programme de renforcement de la gouvernance du Programme des Nations-unies pour le développement, Pengwendé Clément Sawadogo (c’est de lui qu’il s’agit) est sans doute l’une des mémoires vivantes de l’administration publique burkinabè. Conseiller spécial à la présidence du Faso depuis juillet 2019, l’ancien élève du Lycée Philippe-Zinda-Kaboré est aussi l’actuel président du Conseil d’administration de la compagnie aérienne nationale Air Burkina.

Sur le plan politique, l’homme a aussi du vécu. Ancien secrétaire à l’organisation du CDP (pour ne retenir que la période récente), il est le secrétaire général du MPP (Mouvement du peuple pour le progrès) à sa création en janvier 2014, avant de passer 2e vice-président chargé des relations avec les partis politiques à l’issue du deuxième congrès en mars 2017. Depuis le dernier congrès le 8 mars 2020, Clément Sawadogo est passé numéro 2 du parti au pouvoir, et par ailleurs coordonnateur de l’Alliance des partis et formations politiques de la majorité présidentielle (APMP). C’est sur cette figure politique que Lefaso.net a décidé de braquer ses projecteurs.

Lefaso.net : Conseiller spécial du président du Faso, président du Conseil d’administration d’Air Burkina, vice-président du MPP... Avec toutes ces casquettes, comment arrivez-vous à vous aménager pour répondre à tous ces fronts ; quel est le secret ?

Pengwendé Clément Sawadogo : Effectivement, j’ai plusieurs casquettes. J’ai la casquette de conseiller spécial du président du Faso pour les questions d’économie et de développement ; parce que je suis économiste de formation. A ce niveau, je traite tout dossier qu’il veut bien me confier, ou encore sur mon initiative. S’il y a des analyses, des propositions, recommandations à faire, je peux également en prendre l’initiative. Par exemple, quand il y a des dossiers qui doivent passer au Conseil des ministres, et qui portent sur des questions de mon ressort, le président me consulte (comme il consulte ses autres conseillers) ; il y a même une séance de travail pour échanger autour de tout cela avant que ça ne passe. Indépendamment des dossiers du Conseil des ministres, toute initiative, pour tout dossier important de l’Etat, le président consulte.

Sur un deuxième registre, il y a le fait que je sois premier vice-président du MPP, depuis le congrès de mars dernier (j’étais le deuxième vice-président avant, mais comme vous le savez, le président du parti étant décédé, Simon Compaoré assurait son intérim et moi, de fait, j’étais maintenant premier vice-président, mais il fallait que cela soit officialisé par un congrès). Maintenant que je suis premier vice-président, je suis en contact très rapproché avec le président du parti et nous avisons de toutes les questions qui concernent le fonctionnement du parti et aussi son rayonnement sur la scène politique nationale et même internationale. C’est une tâche qui est très énorme, qui nécessite beaucoup de rencontres ; chaque jour des réunions, des audiences, des déplacements auprès de la base, etc.

Sur un tout autre registre, il y a le fait que j’occupe la fonction de président du Conseil d’administration d’Air Burkina ; c’est une fonction que j’assume depuis le début de l’année 2020 (parce que j’ai été nommé le 27 décembre 2019). C’est une fonction que je ne considère pas comme subsidiaire ; parce que, comme nous le savons tous, Air Burkina, c’est quand même un porte-drapeau de notre pays vers le monde extérieur, c’est donc une société très stratégique pour nous, qu’elle soit gérée par l’Etat ou par un privé.

C’est donc aussi une mission sensible, délicate ; parce qu’il faut que là aussi, nous puissions réussir la relance de cette compagnie. Aujourd’hui, c’est le maître-mot : « relance », parce que c’est une compagnie qui fait quand même des déficits depuis un certain temps (il faut donc trouver les moyens pour capitaliser la compagnie, acquérir de nouveaux avions, renforcer son potentiel, etc.). Là aussi, les enjeux sont importants et c’est pour illustrer ce que vous appelez multiples casquettes.

Effectivement, à chacun de ces postes, il faut du temps pour travailler. Mais je pense qu’il n’y a pas de secret, il faut juste travailler. Il faut se lever tôt et rentrer tard, c’est le vrai secret. Je pourrais ajouter que j’ai quand même une expérience un peu de ces responsabilités-là, qui n’est plus une petite expérience parce qu’ayant assumé beaucoup de responsabilités de haut niveau. Donc, cette expérience accumulée tout au long de ma carrière politique et administrative m’aide aussi à faire face à ces responsabilités.

Justement, avec tout cela, comment s’organise une journée de Clément Sawadogo ?

Quand il y a des dossiers, je commence par la présidence du Faso, en début de matinée. Une fois ces dossiers réglés, je rapplique au siège du parti (et là, vous savez aussi qu’on a plusieurs sièges : le siège national situé au quartier Petit-Paris, le siège de la campagne sis au quartier Nonsin, le siège de Ouidi). Donc, je commence par le siège national, puis je continue au siège de la campagne, souvent pour rencontrer le président du parti ou pour des réunions. Après cette étape, je marque une pause d’environ une heure, le temps de reprendre des forces. Je reprends dans l’après-midi souvent avec les réunions (la plupart des réunions, c’est dans l’après-midi) à partir de 14h, 15h, 16h et même parfois à 18h ou des audiences.

Maintenant, quand il y a des dossiers d’Air Burkina, à partir de la présidence du Faso ou du siège, je traite lesdits dossiers ; ici, ce n’est pas une fonction qui me prend beaucoup de temps, parce que le Conseil d’administration ne se réunit pas à tout moment (c’est peut-être une fois par semestre ou en conseil extraordinaire, quand c’est nécessaire). Donc, de ce côté, ce n’est pas si prenant que ça ; c’est une responsabilité forte, mais ce n’est pas très prenant. Voici un peu comment se présente ma journée. Maintenant, il se peut que l’ordre des priorités change et qu’on se concentre sur l’autre pôle que celui-là.

Pour ouvrir une parenthèse sur votre mission à la présidence du Faso, être conseiller spécial du président en ces temps qui courent, on présume que ce n’est pas chose aisée, quand on sait que les Burkinabè sont, depuis un moment, plus regardants et plus alertes !

Oui, c’est vrai, ce n’est pas toujours aisé ; parce que le président du Faso, qui est le principal élu de la nation, est obligé d’être sur tous les fronts qui se posent à lui comme des contraintes (front sécuritaire, sanitaire, social…), à commencer par la mise en œuvre de son programme, ce pour quoi il a été élu. Comme vous le dites, ce n’est pas vraiment une période de sinécure ; parce que chaque jour, il y a pratiquement un dossier, une question brûlante qui se pose et il faut être sur la brèche.

Parlant de « questions brûlantes », qu’est-ce que ça vous fait d’entendre certains Burkinabè se poser la question de savoir, si le président du Faso tient compte de l’avis de ses conseillers ?

Les conseillers conseillent et le président décide. Comme l’intitulé même l’indique, vous êtes conseiller ; vous conseillez quelqu’un, il peut prendre ou ne pas prendre. Mais en général, il y a quand même un échange pour aboutir à une vision partagée sur les questions. Maintenant, le sentiment que l’opinion publique peut avoir (que le président n’a pas écouté ses conseillers, qu’il est passé à côté de la bonne décision, etc.), ce sentiment existera toujours, et quel que soit le pays ; tout simplement parce que le chef d’Etat, il a une somme d’informations et décide en fonction de l’information qu’il a. Il se peut donc que sur certaines décisions, il soit en avance sur le reste de la société.

Je me rappelle que Thomas Sankara avait dit que le président du Faso était le plus informé ; ce qu’il a qualifié d’avantage de position. Paradoxalement, il peut arriver que le chef d’Etat n’ait pas certaines informations ; des choses qui se passent dans des quartiers, des provinces, des régions, si on ne lui a pas rendu compte avec célérité, il peut même être le dernier à être informé. Donc, sa réaction peut être soit en avance, soit en retard, soit tout à fait en phase avec l’opinion du moment.

Mais en général, il y a des mécanismes qui permettent de rattraper ; si par exemple, le président est trop en avance sur le reste de la société, à un moment donné, il se rend compte que sa décision est judicieuse, mais les gens ne le comprennent pas. Il ralentit un peu et prend le temps de mettre la société en ordre avec lui, en expliquant davantage ce qu’il a comme intention, ce qu’il veut faire. Ce qui permet à la société de se rapprocher de sa position. S’il est en retard (c’est l’hypothèse qu’il ne faut pas souhaiter) par rapport à l’opinion (parce qu’il lui a manqué certaines informations, et il n’y a pas de honte à le reconnaître et à se corriger), la décision risque de venir un peu en retard et à un moment donné, ses concitoyens ont le sentiment qu’il ne réagit pas vite.

Donc, réagir très vite au risque d’être en déphasage avec la société, mais réagir avec un peu de retard dans le souci d’être en phase avec tout le monde et dans le souci aussi d’éviter des erreurs. Mais, vous savez, tous les jours, un dirigeant est en train de jauger. Il n’y a pas de démagogie à faire dans ça ; ceux qui croient qu’à la place du président, ils auraient fait ci ou ça, c’est comme le joueur qui est hors du terrain, il voit toutes les failles, mais c’est celui qui est sur le terrain qui sait comment se passe un match de football.

Au regard des fonctions que vous avez occupées, et donc de vos connaissances de l’administration burkinabè, on imagine que vous souffrez de voir certaines pratiques de légèreté et d’indiscrétion qui rythment aujourd’hui les services de l’Etat !

Oui, c’est vrai. Je suis un énarque, j’ai même été au centre de fonctions très sensibles, comme ministre de l’Administration territoriale où vous avez à faire à tout le système de la gouvernance administrative du territoire. C’est le poumon même de l’autorité de l’Etat. Evidemment, quand on se rend compte que ça commence à aller dans tous les sens, c’est un peu comme au hasard, ça vous chagrine.

Mais, il faut avoir tout de même une lecture évolutive des choses ; parce qu’avec le développement à outrance de la société de l’information, avec les technologies de l’information et de la communication qui se sont développées à outrance, le risque est grand que toute la vie administrative se retrouve dehors.

Il faut admettre que c’est dans l’ère du temps et que si l’administration doit continuer à travailler en préservant le côté confidentiel de certaines informations, elle doit aussi se mettre à jour par rapport au développement de ces technologies-là. C’est-à-dire qu’au lieu d’incriminer l’évolution technologique, il faut plutôt voir quelles opportunités elles nous offrent pour améliorer notre travail, pouvoir travailler avec efficacité, efficience et aussi en sauvegardant ce qui doit être sauvegardé comme informations à ne pas divulguer ; parce que dans une bonne maîtrise de ces technologies, on peut justement sécuriser certaines informations. Mais si on n’a pas cette maîtrise, rien ne peut être secret. Ce n’est pas propre au Burkina, vous verrez que même dans les grandes puissances, des notes confidentielles, extrêmement stratégiques, sortent et se retrouvent sur les réseaux sociaux, dans la société.

Donc, je pense qu’il faut finalement se convaincre que nous sommes dans une société où on ne peut pas avoir la garantie qu’on peut vraiment cacher des informations. On peut développer des applications qui verrouillent un peu…, mais le monde étant devenu un village planétaire, il faut avouer que la transparence est partout. Ce n’est pas forcément négatif ; parce que, ce que les gens font pour l’administration et pour le compte de la société doit être connu aussi par la société. Ça devient négatif quand dans un secteur très sensible comme la sécurité, des informations stratégiques fuitent, jusqu’à aller même se retrouver dans les mains de vos ennemis, évidemment, ça pose problème. Donc, je pense qu’il faut tenir compte, de façon générale, de cette évolution pour avancer et ne pas chercher à l’affronter ou répartir en arrière, on ne peut même pas.

Le Burkina s’apprête à passer au cycle III de son processus de décentralisation. Quelles peuvent être les insuffisances à prendre en compte, quand on sait par exemple que les autorités s’achoppent parfois sur le même espace territorial, et même lors des cérémonies, on a des incidents dans l’ordre protocolaire entre maires et préfets par exemple ?

Je peux dire que les prérogatives sont bien définies. Mais, sur le terrain protocolaire, oui, ce n’est jamais clairement tranché chez nous. En effet, comment on arrime les autorités qui représentent l’Etat central par rapport à celles qui sont des élus ? Ça n’a jamais été effectivement, et définitivement tranché. Même au niveau national, vous allez voir des cérémonies où il y a des élus nationaux (députés), des ministres et d’autres catégories d’autorités, ce sont toujours des flottements et des plaintes. Je me rappelle que quand j’étais député, l’une des plaintes qu’on avait vis-à-vis de l’exécutif, c’était justement la question du protocole ; les députés estimaient justement qu’ils étaient massacrés lors des cérémonies, alors que ce sont quand même eux les élus de la nation. Du côté de l’administration, on estime que le premier pouvoir reste l’exécutif (et les gouverneurs, les hauts-commissaires et les préfets sont ceux qui détiennent ce pouvoir de l’Etat central). Sur ce terrain, je concède effectivement qu’il y a beaucoup de travail à faire.

Il y a aussi cet aspect du Code général des collectivités territoriales qui donne plus de pouvoirs aux maires des communes à statut particulier (Ouaga et Bobo), par rapport aux maires d’arrondissement ! Cela pose tout de même un problème de pragmatisme au regard des réalités de terrain !

Effectivement, dans les communes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, il y a des difficultés d’agencement entre l’action du maire central (qu’on appelle le maire de la commune) et l’action des maires d’arrondissement. Même la gestion budgétaire est toujours sujette à des controverses (répartition des budgets, des compétences, la subsidiarité entre un niveau et un autre ; tout cela pose effectivement un problème).

Je pense qu’il faut effectivement retravailler le schéma, le rendre encore plus net par rapport à celui actuel qui fait du maire de la commune un tout puissant par rapport aux maires d’arrondissement (ce qui est compréhensible, parce que c’est quand même le maire de toute l’entité). Et budgétairement parlant, quand le maire de la commune peut aller jusqu’à décider de la répartition des budgets aux arrondissements, sans que ceux-ci n’aient mot à dire, je pense que ces derniers sont un peu écrasés. Mais ça, c’est un problème qu’on avait perçu en son temps, mais je constate que jusqu’à aujourd’hui, on ne l’a pas encore résolu. On aurait dû, avec les révisions successives, faire un meilleur réglage de cette articulation entre la commune et les arrondissements.

En matière de textes, faut-il se satisfaire de l’administration burkinabè ?

Je pense que nous sommes un pays qui prend de beaux textes, il est même connu des autres pays qui viennent souvent s’inspirer de notre expérience et de notre capital juridico-administratif. Maintenant, ce qui est souvent en cause, c’est l’exécution ; parce que nous sommes un pays où l’autorité de l’Etat a beaucoup de difficultés à s’affirmer, si fait que beaucoup de textes que nous prenons, on n’arrive pas à les appliquer. Les textes sont donc bons, mais on n’arrive pas à les appliquer ; soit on ne les applique pas entièrement, soit on les applique mal, etc.

C’est vraiment une difficulté que notre pays connaît, et que d’autres de la sous-région connaissent moins que nous. Ça, c’est lié à l’histoire même de notre pays. Si on plonge dans l’histoire politique des institutions de la République, on va se rendre compte que nous sommes un pays qui a quand même connu beaucoup de turbulences, qui ont fini quelque part par rendre faibles l’Etat, les régimes politiques. Donc, le problème de l’autorité de l’Etat n’est pas simple comme le posent certains. Depuis le régime de Maurice Yaméogo, qui a été renversé par une insurrection, il y a une partie de l’opinion qui pense qu’à tous les coups, la moindre chose, il faut faire une insurrection contre les dirigeants.

Le moindre acte, les gens-là (dirigeants, ndlr), il faut les renverser. On a aussi connu plusieurs coups d’Etat (je pense qu’on a connu au total onze régimes avant celui de Roch Kaboré). Dieu merci, je pense que l’Armée aujourd’hui est dans sa mission originelle, à la faveur aussi des derniers évènements qu’a connus notre pays et qui ont fait qu’on a mis fin à une certaine tendance politique de l’Armée. J’ose croire qu’on a quand même évolué sur cette question-là. Mais en général, quand l’autorité de l’Etat ne peut pas s’affirmer de manière forte et suffisante, il y a toujours une difficulté à faire appliquer les textes.

Vous faites, sans doute, partie de ceux-là qui possèdent l’intelligence des faits politiques de ces quatre dernières décennies au Burkina. Comment Clément Sawadogo est-il arrivé en politique ?

J’ai eu la chance de sortir, dès la fin de mes études universitaires et de ma formation professionnelle, en plein milieu de la Révolution démocratique et populaire. C’est-à-dire du régime Thomas Sankara. Je suis donc de cette génération de la Révolution. Evidemment, c’était une époque où la jeunesse était très politisée, mais dans un sens idéologique ; c’est-à-dire dans la vision que les jeunes devraient travailler à bouleverser l’ordre social (ou créer un ordre social véritablement nouveau de justice, de démocratie et de progrès social). C’était vraiment les années où les thèses révolutionnaires se développaient à profusion. Les idéologies étaient développées dans les universités (qui ont, comme vous le savez, une tendance contestataire). Mais, en son temps, c’était sur des bases d’idées. Aujourd’hui, les campus universitaires sont certes toujours contestataires, mais c’est sur d’autres considérations alimentaires qu’idéologiques, malheureusement. Ce n’est donc pas une évolution positive.

C’est dans ce contexte de base que j’ai évolué et qui fait que, naturellement, on s’est engagé dans la politique, à la recherche de schéma pour changer la société. Je dirais que, en plus d’être de cette génération révolutionnaire, je suis également de formation chrétienne à travers laquelle, j’ai évolué dans un mouvement d’action catholique, qu’on appelle le mouvement JEC au sein duquel aussi, nous avons eu une formation qui nous prédisposait à chercher à nous engager dans la société, à être la lumière du monde (si je ne mentionne pas cela, j’aurais menti, ceux qui sont dans mon environnement savent que ma formation de ‘‘jéciste’’ est pour quelque chose dans mon engagement). Bien-sûr, du côté des idéologies, on prend ce qui est aussi compatible, on ne boit pas tout. A partir de là, j’ai été un animateur politique sous la Révolution et je m’occupais des CDR (Comités de la défense de la Révolution) dans les services. A la fin du régime de Thomas Sankara, qui est intervenue dans des conditions dramatiques…, il s’est posé la grande question de ‘‘qu’est-ce qu’on fait ?’’

Est-ce qu’on laisse tout tomber ou bien on essaie de s’incruster un peu dans la porte qui reste un peu ouverte pour continuer le combat ? Beaucoup ont répondu par l’affirmative, comme moi. Il y en a qui ont dit non, la ligne originelle ayant été trahie, on n’a plus d’autres choix que de combattre la rectification. Je n’insiste pas sur cette période (parce que ça risque de prendre tout votre temps, c’est une période très compliquée). Mais si vous faites le point, vous allez voir que le mouvement révolutionnaire a été fracturé en deux groupes : ceux qui ont soutenu le Front populaire avec Blaise Compaoré et ceux qui ont dit non, jamais, on ne va pas suivre une ligne qui est considérée comme de l’imposture avec l’assassinat de Thomas Sankara.

De tous les deux côtés, il y a une grille d’analyses que chacun peut apprécier comme il l’entend. Moi, j’ai donc continué avec l’aile qui a estimé qu’il fallait sauver encore ce qui pouvait l’être. Cela m’a amené à exercer beaucoup de responsabilités ; j’ai eu beaucoup de chances aussi (je rends grâce à Dieu pour cela), je n’ai pas grenouillé pour avoir des postes nominatifs (ça ne me ressemble pas) ; mais souvent, il se passe qu’on m’appelle pour m’informer qu’on me demande d’être à telle responsabilité. J’ai essayé d’assumer en toute responsabilité, les charges qu’on m’a confiées.

Donc, c’est un peu toute cette longue histoire, jusqu’à la séquence où la question de l’article 37 [de la Constitution] s’est posée et nous, nous pensions qu’il fallait se saisir de la fin normale du règne de Blaise Compaoré pour renouveler un peu l’activité politique au sein du parti à l’époque (CDP, ndlr), ce qui n’a pas été du goût de Blaise Compaoré lui-même. Donc, nous avons claqué la porte et avons créé avec les principaux leaders (Roch, Salif et Simon), le MPP. Je pense que c’est aussi un profil politique qui est linéaire, qui est constant dans la recherche de la ligne la plus juste, même si on n’est jamais parfait et nos choix sont aussi critiquables et critiqués par les autres.

Vous entrez en politique à un moment où la vie politique était très dynamique (si on peut le dire ainsi), mais n’empêche aussi que vous auriez pu opter pour le syndicalisme (qui était également un front de lutte engagé) !

J’ai un problème avec la lutte syndicale chez nous au Burkina Faso. Bien-sûr, c’est une lutte qui est noble dans son principe, mais la lutte syndicale au Burkina Faso a toujours eu du mal à s’articuler avec les intérêts réels du peuple. Ça, c’est mon opinion ! Vous vous organisez au sein d’une corporation, vous remuez ciel et terre pour avoir des avantages, mais quid de la vie des autres catégories de la société ? Donc, si vous êtes un groupe tout puissant, vous menacez même de faire tomber les régimes, pourvu que vos intérêts à vous soient satisfaits… Qu’est-ce qu’on fait des autres ?

Il ne faut pas oublier que dans un pays comme le Burkina Faso, le monde des travailleurs (et là, je parle du secteur public) ne représente qu’une infime partie de la société. C’est 1%, pas plus ! 1% de la société a dans ses mains tous les rouages, la capacité de frappe et de nuisance possible, pour s’arroger 50 à 60% du budget de la nation. Ça pose un problème.

Quand j’étais ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale, je recevais des corporations dans le cadre du dialogue avec les partenaires sociaux, parmi eux des gens qui se mettaient en bandeaux rouges (autour de la tête, au bras) pour dire qu’eux, ils sont « des rouges ». Ils se présentent devant vous et osent exiger qu’après avoir collecté toutes les recettes de l’Etat, on coupe un pourcentage pour leur distribuer à eux d’abord parce qu’ils gardent ou perçoivent les recettes. Mais qui produit les richesses alors ? Comment peut-on comprendre de telles revendications ? A un certain moment, ça ressemble à de la dilapidation : parce que je suis fort, j’oblige les gouvernants à prélever sur la cagnotte de tout le monde pour moi ; ça pose un problème ! Et on veut appeler cela de la lutte des classes (?). Si lutte de classes il y a, ça ne peut être qu’une lutte de classe petite bourgeoise « réactionnaire » !

Il y a des luttes qui sont justes et quand c’est le cas, il n’y a pas de souci. Tenez ! Si le souci de justice était de mise au sein des syndicats, tous devaient applaudir à tout rompre quand le gouvernement préconisait de réunir tout le monde pour remettre à plat les rémunérations des agents de l’Etat afin de rétablir la justice et l’équité ! C’était l’occasion de réaliser la justice sociale. Mais vous avez vu, des gens ont boudé ça ; parce qu’ils sont assis sur des avantages et ils ne veulent pas qu’on en discute... C’est vraiment de l’égoïsme. Donc, par rapport à la lutte syndicale chez nous, assez souvent quand elle n’est pas putschiste, elle est égoïste ! Des syndicalistes pensent que ce sont eux qui doivent faire et défaire les régimes.

Le motif souvent avancé par ceux-ci, c’est la mal gouvernance des dirigeants. Mais si on prend l’exemple de la Révolution, s’il y a un régime qui a eu maille à partir avec les syndicats, c’est bel et bien le régime de Thomas Sankara. Jusqu’à ce que le président comprenne que s’il ne tape pas sur ces gens-là, il ne peut pas avancer, d’où le licenciement des enseignants grévistes en son temps (ils étaient environ 1 600, je crois). Il n’y avait pourtant pas la corruption sous le régime de Sankara.

Mais, pourquoi s’était-on levé contre ce régime ? Je me rappelle qu’en son temps, c’était très dur avec le mouvement syndical jusqu’à ce que Sankara comprenne que ces gens-là cherchaient autre chose et qu’il fallait régler leur compte pour pouvoir travailler. Donc, et pour revenir à votre question précise, je ne vais pas entrer dans un mouvement dont je ne maîtrise pas bien les objectifs réels. Je préfère être là où je sais clairement qu’on travaille pour le bien de la société. Si c’est pour mes intérêts égoïstes, ça ne me préoccupe pas. Mon salaire que je mérite, qu’on me le paie ; c’est tout ! Je dois vivre avec.

Fermer les yeux sur les conditions de la majorité du peuple et dire que c’est nous les privilégiés et qu’il faut qu’on nous ajoute tout le temps, ce n’est pas compréhensible. Jusqu’à demain, je le dirai, les fonds communs du ministère des Finances qui gonflaient démesurément, il n’y a pas une personne raisonnable, dans toute la vision progressiste de la société, qui peut soutenir cette affaire-là. Je me rappelle qu’il y a des syndicats de la France qui étaient venus ici à un moment où ils menaient cette fameuse lutte et qui ont dit clairement, devant les micros, que chez eux, ce type de lutte, ils ne les mènent pas parce qu’elle n’est pas conforme à leur vision syndicale. Personne n’a diffusé cette interview, les gens se sont arrangés pour ne pas faire cas de ça. Mais, il faut accepter souvent que la vérité soit dite !

Par contre, quand les syndicats dénoncent la mal gouvernance manifeste, cela est tout à fait normal. Toutes les forces progressistes de la société doivent travailler pour qu’il y ait plus de justice, de gestion transparente, etc. Mais, souvent, je suis navré de constater qu’on utilise tout cela comme des prétextes pour avoir des avantages pour soi. C’est la ligne de démarcation entre ma vision des choses et cette pratique-là.

Quel est le moment qui vous a le plus marqué dans tout ce parcours politique ?

Vraiment, sans hésitation, je dirais que ça a été la création du MPP. La création du MPP a été vraiment un moment palpitant. Soit dit en passant, c’est par ma voix que le nom du mouvement a été dévoilé à la face du monde, c’était le 25 janvier 2014 à la Maison du peuple. Raison d’en être fier !

Mais quand on regarde la somme des luttes que nous avons menées, en étant même d’abord dans le CDP post-cinquième congrès de 2012 (parce que ça a commencé à l’intérieur, ensuite on a travaillé à rallier d’autres camarades et on est sorti ensemble, les 75 démissionnaires), on est parti en janvier 2014 et on a travaillé ensemble à faire grandir le bébé (le MPP, ndlr). On a ensuite travaillé au coup d’essai, qui a été un coup de maître, en réussissant le coup K.O. à seulement un an et quelques mois après la création du parti.

Je pense que pour l’histoire, il faut avouer quand même que c’était une prouesse. C’est le moment le plus significatif et le plus palpitant pour moi, parce que, là, j’ai joué un rôle de premier plan. Les autres fois, c’est vrai, il y a eu des moments importants comme mener une carrière gouvernementale pour la première fois, c’est important mais ce n’était pas à la même hauteur, parce que l’enjeu n’était pas le même et ma position par rapport à l’événement n’était pas du même degré.

Cette détermination dans la création du MPP et la hargne de vaincre sont-elles aujourd’hui portées par les militants ?

Le MPP lui-même a été au départ un parti de la diversité ; unité politique certes, mais diversité idéologique. Ce qui veut dire que parmi ceux qui sont venus, beaucoup étaient contre la révision de l’article 37 et ils ont apprécié le courage de Roch Kaboré et ses compagnons face à cette question. Du coup, tous ceux qui avaient problème avec l’ancien régime préféraient inaugurer un engagement dans la politique ; certains n’avaient jamais fait la politique. C’est quelque chose qui est né et qui a pris appui sur la dignité et le sens de l’honneur. Donc, c’était suffisamment mobilisateur pour tous les hommes de bonne volonté.

Cela étant, quand on regroupe tous les hommes de bonne volonté, dedans, les visions sont multiples. Les jeunes ont leur vision de la politique et ils étaient nombreux, les moins jeunes ont aussi, et il y a ceux qui sont venus sur la base de leurs propres ambitions personnelles. Donc, c’était un peu divers. Rien d’étonnant qu’avec cette diversité, on ait, à un moment donné, des problèmes pour avancer. Par exemple, celui qui est venu pour ses propres désidératas, si à un moment donné il n’a pas trouvé son compte, il met le mal. Normalement, on s’engage en politique pour défendre des idées, un programme. Mais vous savez, sous nos tropiques, ça ne se passe pas souvent comme cela.

Donc, à un moment donné, forcément, il y a un clash qui se produit entre les ambitions et les visions, et c’est ce à quoi on a assisté et qu’on assiste toujours. Il y a un effort pour réaliser l’unité, la cohésion, mais c’est un effort qui n’est pas toujours facile. Vous avez vu comment la question s’est manifestée par rapport aux compositions des gouvernements ! Donc, ce sont des visions contradictoires qui se manifestent de temps à autre mais qu’on est quand même arrivé à contenir parce que, dans l’ensemble, le parti est resté uni.

Je m’en voudrais de ne pas terminer avec ce qui s’est toujours susurré au sujet de la création de votre parti. Il semble que vous, Clément Sawadogo, ferait partie des géniteurs des textes fondateurs du MPP. C’est bien cela, n’est-ce pas ?

(Rires). Vous savez, ce n’était qu’une simple répartition du travail. Ce n’est pas parce que nous étions plus clairvoyants que les autres, mais l’histoire a fait qu’à un moment donné, on avait besoin de mettre en place un noyau pour travailler. Et effectivement, je fais partie du noyau qui a travaillé sur le manifeste, le programme, les statuts et règlement intérieur du parti avant sa création, avec d’autres camarades comme Lassané Savadogo, Seydou Zagré, Bêbrigda Mathieu Ouédraogo.

Je me rappelle d’ailleurs qu’on se cachait un peu pour ne pas se faire prendre ; ce n’était pas simple à l’époque. Nous faisions le travail technique et rendions compte à Roch, Salif et Simon. Donc, si vous voulez, l’équipe qui a été vraiment le cerveau (si on peut le dire), vous prenez ces trois leaders-là auxquels s’ajoute notre noyau. C’est juste de le dire, mais il y a d’autres camarades qui n’étaient pas forcément dans le noyau (parce qu’on n’avait pas besoin de tout le monde à ce niveau), mais qui ont eu des contributions tout aussi grandes que la nôtre.

On le rappelle juste comme un fait de l’histoire !

Tout à fait !

On peut affirmer que votre génération, qui constitue aujourd’hui la classe politique aux affaires (majorité comme opposition), a eu une formation politique bien remplie. Mais n’avez-vous pas peur qu’après vous, la vie politique burkinabè chute et bascule dans une situation qui n’est pas la bonne direction ?

Je pense que de nombreux jeunes qui ont travaillé avec nous qui animons la classe politique actuelle, majorité comme opposition, sont assez bien préparés à prendre le relais pour continuer. Ce qui est vrai, la rupture générationnelle n’est pas toujours très facile à opérer. Si vous faites le point, nous qui sommes actuellement au pouvoir, c’est la génération de la Révolution de 1983 qui s’est maintenue, bien qu’elle ait connu des mutations avec des circonvolutions au fil de l’histoire.

C’est-à-dire que le 4 août 1983, les choses avaient démarré avec un certain nombre de groupes politiques, puis est intervenue la fin du régime de Sankara et l’avènement du Front populaire. C’était en quelque sorte le même groupe de départ qui a continué mais diminué d’une partie des acteurs. Du CDP au MPP, c’est encore une partie du même groupe. Donc, si on veut voir, c’est la même génération qui a tenu le pays sur près de 40 ans. La fin de cette génération est programmée, c’est évident, parce que je pense que l’élection qui arrive en novembre 2020 va certainement se jouer encore au sein de cette génération, mais après, à mon avis, ça va être la fin. Le MPP continuera, mais avec des leaders qui sont d’une autre génération. Idem pour l’UPC, le CDP, etc.

Cette transition générationnelle va-t-elle être facile à opérer ? Je pense qu’il faut tout simplement que nous mettions dans nos objectifs politiques et stratégiques la préparation de cette jeune génération. Mais, il faudrait en contrepartie que celle-ci accepte apprendre dans la modestie, sans quoi, ce serait pour elle la meilleure manière de se casser la figure. De la même manière, la génération finissante ne doit pas se donner de nouvelles ambitions qui font d’elle une génération indispensable. Ce serait une erreur grave à ne pas commettre, il faut savoir à un moment arrêter. C’est vraiment une question importante que vous soulevez.

A vous de conclure notre interview !

Vous m’avez permis de revisiter tout mon parcours politique, qui a été un parcours de défis et de responsabilités. Bien-sûr, il a connu ses hauts et ses bas. Je réitère que je reste parmi les Burkinabè qui se sont engagés dans la vie politique et qui sont prêts à céder tout ce qu’ils ont appris de la politique et de l’administration à leurs jeunes frères. Je fais partie de ceux qui sont prêts, au moment venu, à dire : prenez votre place ; et ce moment n’est plus loin. Donc, l’un des plus grands défis qui se posent à notre génération, c’est de réussir cette transition avec la jeunesse, lui passer un pays qui est viable, un pays où on aura toujours l’ambition de bien et de mieux faire.

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
(oumarpro226@gmail.com)

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