Actualités :: Décret d’extradition de François Compaoré : « Le juge a aujourd’hui tous les (...)

Au lendemain (6 mars 2020) de la publication du décret du gouvernement français portant extradition de François Compaoré dans l’affaire du journaliste Norbert Zongo, nous sommes allés à la rencontre d’un des membres du Collectif des avocats, Me Bénéwendé Stanislas Sankara. L’homme de droit et leader politique a bien voulu donner sa lecture sur cette étape du dossier.

Lefaso.net : Quelle est votre analyse sur le décret du gouvernement français qui donne quitus pour l’extradition de François Compaoré pour répondre aux chefs d’accusation dans l’affaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et compagnons.

Me Bénéwendé Stanislas Sankara : Il faut souligner avec force qu’il s’agit d’un procès pénal, qui suppose avant tout, une procédure particulière, qui respecte les normes internationales ; parce que le procès doit être équitable, garantir les droits de la défense, notamment la présomption d’innocence et également en respectant le principe du contradictoire.

Rappelez-vous que quand monsieur François Compaoré a été arrêté à Paris, en France, c’est suite à un mandat d’arrêt international lancé par le juge burkinabè contre lui. Quand on lance un mandat d’arrêt contre quelqu’un, il faut l’amener devant le juge qui a été l’auteur du mandat. Il se trouve que le juge-là, c’est le juge d’instruction burkinabè, qui a ouvert à nouveau le dossier du journaliste Norbert Zongo et ses compagnons assassinés en 1998.

Quand on regarde déjà le temps qui s’est écoulé, on peut, sans doute de se tromper, dire qu’il y a eu d’abord au plan interne du Burkina Faso, beaucoup d’obstacles à l’avancée de ce dossier. L’opinion se rappelle de cette fameuse ordonnance de « non-lieu », très ridicule, mais qui avait été prise par des juges acquis. Si fait que, quand il y a eu l’insurrection populaire, des éléments nouveaux ont permis à la justice burkinabè de relancer cette procédure.

C’est dans la réouverture du dossier que le juge d’instruction a certainement trouvé des charges qui pèsent désormais sur le citoyen, le justiciable, monsieur François Compaoré. Je dis cela en rappel parce que monsieur François Compaoré s’est constitué beaucoup d’avocats de renom, comme le bâtonnier Olivier Sur (Pierre-Olivier Sur) qui le défend, et bien d’autres. Vous avez remarqué qu’il a intenté au niveau des juridictions parisiennes de remettre en cause ce mandat. Donc, cette procédure est une procédure incidente sur le fond qui est pendant au Burkina Faso.

Quand on parle d’extradition, il s’agit purement et simplement d’une procédure administrative ; parce qu’entre le Burkina Faso et la France, il y a des accords de coopération en matière d’extradition et en matière judiciaire, qui voudraient que François Compaoré qui est actuellement entre les mains de la justice française, soit amené dans les règles de l’art devant le juge burkinabè.

La première étape a été une étape juridictionnelle, que nous avons épuisée. D’abord, il fallait que les juridictions françaises se prononcent sur la demande d’extradition du Burkina Faso. Cette demande a été accueillie favorablement par la justice. Mais, dès que la justice, dans les principes de son indépendance, s’est vidée de sa saisine, il revient à l’exécutif d’y procéder.

Donc, il y a un dédoublement de procédure parce que l’acte qui vient d’être pris (le décret d’extradition) est un acte administratif qui dit désormais que l’engagement qui a été pris par le Chef de l’Etat français, Emmanuel Macron sera respecté, à savoir que la France ne fait pas un obstacle à l’extradition de François Compaoré et l’Etat français est prêt à amener François Compaoré entre les mains de la justice burkinabè.

Grosso modo, c’est en français simple, le décret qui a été signé, qui est un acte administratif et comme tout autre acte administratif, cette décision (je dirais malheureusement) peut être déférée devant le Conseil d’Etat. Sinon, si François Compaoré veut, à partir de cette décision, il peut, lui-même, sans contrainte, déférer à cette décision et se présenter à l’autorité judiciaire burkinabè. S’il veut user de voie de droit, il peut effectivement attaquer le décret et on avisera.

Mais pour le moment, nous saluons vivement la prise de ce décret, que nous attendions depuis fort longtemps, nous félicitons le gouvernement français pour avoir respecté son engagement sur ce point et espérons que, in fine, François Compaoré, quel que soit le dilatoire qu’il voudrait utiliser, mais on ira, d’une manière ou d’une autre, indubitablement vers le procès. C’est-à-dire que le juge a aujourd’hui tous les éléments, tous les ingrédients pour juger, avec ou sans la présence de François Compaoré ; étant entendu que tous les moyens lui ont été donnés pour se défendre.

Le juge a la possibilité de juger avec ou sans François, retient-on. Mais, à votre avis, qu’est-ce qui bloque aujourd’hui pour que l’on veuille sa présence effective au Burkina ?

Tout simplement parce qu’un mandat a été émis et l’exécution du mandat était en cours. C’est pourquoi le juge, certainement, attendait de voir la bonne ou mauvaise foi de celui qui est poursuivi. L’essentiel étant qu’aujourd’hui, aux yeux de l’opinion, François Compaoré a eu toute la latitude de se présenter devant le juge. Mais, il peut choisir effectivement de ne pas se présenter, auquel cas, le juge peut aller par la voie de la contumace.

Quelles peuvent être les retombées sur le plan de la liberté d’expression, indépendance de la justice…et son incidence sur l’opinion publique nationale ?

Je dois dire que votre question est un peu transversale, en ce sens que le Burkina Faso, notre peuple, est extrêmement attaché à un certain nombre de dossiers, notamment de crimes de sang et de crimes économiques.

C’est une aspiration fondamentale à la vérité et à la justice qui caractérise notre peuple. Ce d’autant que le journaliste Norbert Zongo est resté comme une icône pour tous les Burkinabè de tous bords. Il est évident que la recherche de la vérité et de la lumière dans ce que nous appelons le crime odieux de Sapouy reste une quête permanente.

De ce point de vue-là, il y a eu, au moment des faits, beaucoup de supputations, beaucoup de déclarations, souvent l’opinion a indiqué ses coupables, sans que la justice ne dise mot. Mais chaque fois je dis le temps de la justice n’est pas le temps des hommes, et savoir qu’on va vers le bout du tunnel ; parce que la manifestation de la vérité aussi dépendra de comment ceux-là qui ont été indexés, soupçonnés, vont s’exprimer et se défendre.

Donc, quand l’opinion burkinabè a appris que monsieur François Compaoré a été arrêté et qu’entre autre, c’était monsieur le petit président, l’intouchable, qui, un beau matin se retrouve entre les mains de la police, eh bien, vous avez compris que c’était un grand soulagement pour les Burkinabè, qui ont applaudi son arrestation.

Autre chose, c’est ce que je dis tout à l’heure, le procès équitable, on lui donne la possibilité de dire que : ce n’est pas moi, ou c’est moi, et l’opinion fera son jugement. Donc, je pense que, ce décret, une fois de plus, vient, après son arrestation, attester, de façon péremptoire, que nul n’est aussi de la loi, et que tous les grands de jour et de nuit, si vous avez affaire de la justice, courrez, courez, la justice vous rattrapera. Tôt ou tard. Mieux vaut faire face, de façon intrépide, de façon courageuse, à sa justice que de chercher à la fuir. Elle vous rattrapera.

Au cas où François Compaoré viendra à interjeter Appel devant le Conseil d’Etat, la décision à ce niveau sera-t-elle susceptible d’un autre recours ou c’est en dernier ressort ?

Il y plusieurs types de recours, j’ai parlé tout à l’heure de dilatoire ; les procédures dilatoires, vous pouvez les multiplier à souhait. Mais cela ne va pas affecter le fond du dossier, ça retarde la procédure, ça retarde le dossier, et à la limite, vous courrez aussi à votre perte parce qu’on aurait compris votre mauvaise foi ! Sinon, il a la possibilité effectivement d’aller devant le Conseil d’Etat, mais aussi la Cour européenne des droits de l’Homme, il peut aussi multiplier des procédures que moi, personnellement, j’ignore, mais c’est pour cette raison qu’il paie aujourd’hui de fortes sommes d’argent à des avocats pour se protéger et essayer de se soustraire de la justice.

Mais, je pense que nul n’est ici, dupe, et encore moins, myope, pour comprendre que ce jeu-là, c’est un jeu qui n’en vaut pas vraiment la chandelle. En tout cas, pour quelqu’un qui a aimé son pays, le Burkina Faso, qui pense avoir, en tant que petit président, servi son pays, il y a des Burkinabè qui sont restés-là pour répondre à la justice, pourquoi pas lui, à moins d’être dans la logique de l’apatridie, je pense que c’est dans son intérêt d’y répondre.

Le plus vite possible, tout le monde y gagnerait. Mais comme je l’ai dit, le juge aura en tout cas prouvé, que c’est dans la recherche d’un procès véritablement équitable, dans le respect des droits de la défense, qu’il s’est donné tout ce temps-là, pour lui permettre de se défendre.

En que leader politique, quel commentaire faites-vous de cette opinion qui pense que cette extradition, vu le contexte national, laisse à penser que c’est un geste de la France pour décrisper la situation qui prévaut au Burkina (ébullition de la sociale surtout) ?

Non, ça n’a rien à avoir. Je suis très formel, ça n’a rien à avoir avec la situation socio-politique au Burkina Faso. Je rappelle que cette procédure d’il y a 22 ans (depuis 1998) ; elle est pendante, il y a des bas et des hauts. Quand Emmanuel Macron est venu ici, je pense qu’il n’évoquait pas la fronde sociale, les attaques terroristes dont on est l’objet, ça remonte pratiquement depuis 2016 ; alors que la procédure est recouverte depuis 2015.

Il peut avoir des coïncidences troublantes, c’est vrai, mais si vous vous rappelez, il y a longtemps de cela, que nous avons même essayé de demander à la France de tout faire pour qu’il y ait le décret d’extradition, quand la Cour de cassation avait définitivement tranché. Donc, c’est une procédure normale qui a suivi son cours et qui a donné lieu à ce décret, dans un contexte que nous vivons, mais ceci n’explique pas cela.

Interview réalisée par
Oumar L. Ouédraogo
Edouard K. Samboé
Lefaso.net

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