Actualités :: Racket sur l’axe Niamey-Ouagadougou : L’argent d’abord, la sécurité on verra (...)

La libre circulation des personnes et des biens au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) est une équation à deux variables. Entre quatre murs, des sommets internationaux saluent les acquis ; et sur le terrain, les hommes de tenue imposent leur loi. Peu importe les pièces légales dont dispose un passager, 1000 ou 2000 F CFA sont soutirés aux postes de contrôle. Une expérience vécue le lundi 13 janvier 2020 sur l’axe Niamey-Ouagadougou via la ville de Dori (dans le Nord du Burkina).

Une occasion matinale manquée. Aux premières lueurs du jour, ce 13 janvier 2020, nous ratons le bus Niamey-Ouaga qui devrait passer par la région de l’Est du Burkina Faso. Il était 3h à Niamey (GMT+1) et la capitale du pays du Ténéré est encore enveloppée dans un profond sommeil. « A quelque chose, malheur est bon », dit-on. Un plan B s’impose. Nous sommes obligés de prendre le véhicule de Niamey-Bamako via Ouagadougou. Contrairement à la première occasion, celle-ci doit passer par le Nord burkinabè, précisément par la ville de Dori.

Après quatre heures de trajet, le bus arrive au poste de contrôle de Pételkolé, la frontière Niger-Burkina. Deux policiers sont postés à la descente du véhicule pour récupérer les pièces d’identité des passagers. Cet intermède est mis à profit par les voyageurs musulmans pour prier dans la mosquée située au bord de la voie. Pendant ce temps, le visa de sortie est en train d’être apposé sur certains documents de voyage.

Une dizaine de minutes plus tard, une policière, un lot de pièces d’identités en main, procède à l’appel. Elle somme toute personne qui retire son document de rentrer dans une maisonnette derrière elle. Là, un agent est assis dans son bureau, une arme à côté. L’homme jette un coup d’œil sur chaque pièce et fixe le prix à payer. Un scénario mécanique pour lui, preuve que la pratique est presque normale. 1000 FCFA pour les Nigériens et 2000 FCFA pour les autres nationalités (Afrique centrale et occidentale). Scandaleux, me direz-vous ? Mais jusqu’ici, tout est ‘’normal’’.

Dans ce poste de contrôle de Baanga, les gendarmes prennent 1000 francs avec chaque voyageur

Sur le territoire burkinabè, le premier arrêt s’effectue au poste de la gendarmerie nationale de Seytenga. C’est la même procédure qu’en territoire nigérien, sauf qu’ici, les Burkinabè paient 1000 et les autres 2000 FCFA. C’est à croire que les forces de l’ordre de part et d’autre ont signé une entente conjointe de racket. Les passagers embarquent pour la suite du trajet mais à 300 mètres à peine, ils redescendent.

Cette fois-ci, c’est un poste de contrôle de la police. A l’intérieur de leur maisonnette, deux policiers soutirent 2000 FCFA à chaque passager. Et lorsqu’on leur tend un billet de 5000 ou de 10.000 FCFA, un ‘’flic’’ à coté est chargé de faire rapidement la monnaie. L’organisation est bien cadencée. Dans ce poste, les deux agents n’ont pas le temps de vérifier les identités, le document présenté leur permet de faire la différence entre une Carte nationale identité burkinabè (CNIB) et une autre pièce d’identité.

Avant de remonter à bord, la tension monte d’un cran. Certains passagers semblent en avoir déjà marre. Nouridine Souleymane, un Nigérien qui n’est pas à son premier trajet sur cet axe Niamey-Ouaga, ne supporte plus cette pratique. « Ils nous emmerdent avec leur histoire de 1000 et 2000 F CFA là », vocifère-t-il.

Mais ce n’est pas la fin du calvaire. Un peu plus loin, les passagers devront encore ‘’faire un geste’’. Au poste de contrôle de Baanga dans la province du Seno, région du Sahel, des gendarmes, depuis leur hangar, prennent encore 1000 FCFA avec les passagers.

« Ce sont des gens qui sont censés nous protéger… »

Au cours des activités commémoratives de la Journée de l’Afrique et du 44e anniversaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) tenues en mai 2019 à l’Ouagadougou, un panel a porté sur la libre circulation des personnes et des biens. Si la suppression du visa est brandie comme un acquis, les rackets sur les frontières demeurent la tache noire sur la carte blanche de la CEDEAO. Les réalités du terrain contrastent avec les discours politiquement corrects tenus dans les salons feutrés.

« On a trop de problèmes sur nos routes. On parle de la libre circulation entre les pays de la CEDEAO mais on ne la voit pas. Lorsqu’on voyage, à chaque poste, il faut payer 1000 ou 2000 FCFA », déplore Bibich, une Togolaise.

Pour nombre d’entre eux, les hommes de tenue hors des frontières doivent miser sur la sécurité des personnes et des biens. « Ce sont des gens qui sont censés nous protéger, ils ne doivent pas être là pour nous faire du mal. Si on a mal, c’est à eux de nous venir en aide et non à nous de leur remettre des 1000 et 2000 F CFA », s’insurge Nouridine Souleymane.

Contrairement au Burkina, le Niger délivre un reçu d’amende forfaitaire lorsqu’un passager n’a pas de document

« La présence de nos autorités n’a pas de sens »

Durant le trajet, les forces de l’ordre taxent tout citoyen qui n’a pas un document de voyage sur lui. Arrivé au poste de police de Dori, un passager qui n’avait pas de carnet de vaccination est contraint de payer 3 000 F CFA avant d’embarquer, sans un document justificatif de la pénalité. Pour les éventuels risques de maladies contagieuses, on reviendra !

Pour certains cas, malgré les pièces d’identité, il faut donner de l’argent afin de poursuivre le voyage. C’est la situation d’Ali, un Malien résidant au Burkina Faso, qui est étudiant et enseignant vacataire dans un camp de réfugiés de son pays hôte. Muni de sa carte d’identité malienne et consulaire, Ali a dû payer à chaque descente. Poussé à bout, il ne retient plus sa colère : « Si au Burkina Faso, on ne reconnaît pas les documents que notre ambassade nous délivre, ça veut dire que la présence de nos autorités chez eux n’a pas de sens ».

Son voisin, un habitué de cet axe lui conseille de ne pas livrer de résistance aux agents, de peur de voir grimper la somme qu’on lui impose. « Si tu es un étranger et que tu essaies de leur poser des questions ou résister, ils vont te faire savoir que tu n’es pas chez toi. Alors que moi, j’ai des parents qui sont d’ici, ma mère est Burkinabè ; c’est mon père qui est Nigérien. Je leur ai expliqué tout cela en précisant que j’étudie ici au Burkina Faso, mais ils ne m’ont pas écouté. Il faut que ça cesse ! Je n’ai aucune dent contre eux ; il faut que les passagers soient heureux sur la route », rempile Nouridine Souleymane.

Au pire des cas, les agents de sécurité chassent les voyageurs de leurs boxes avec un ton agressif. « Si tu oses demander des motifs de ces sommes qu’ils nous réclament, ils te disent « Dégage, fous le camp ! », nous a confié Fatima Mbaye, une Sénégalaise en provenance du Nigeria pour Dakar.

Que faire ?

Cette pratique qui a la peau dure doit être éradiquée. Mais pour y arriver, que faut-il faire ? Bibich du Togo propose un boycott des voyageurs : « Je pense qu’on doit faire quelque chose. Si nous les passagers sommes unanimes en décidant de ne pas payer tous ensemble, je pense qu’ils vont nous laisser partir. On ne va pas attendre les autorités pour faire ça, car je pense que quelque part, elles [les autorités] sont complices aussi ».

« Nos dirigeants sont-ils de mèche avec eux ? Ou, ne sont-ils pas du tout informés de ces agissements pan démoniaque ? Telles sont les questions que nous nous posons toujours à l’occasion d’un voyage par voie terrestre, sans parler du contrôle douanier intempestif et parfois excessivement abusif et irrespectueux que nous imposent ces autorités de contrôle ! », lâche la citoyenne de la CEDEAO.

Si Bibich fait une telle proposition, c’est parce qu’elle n’est pas à sa première mésaventure. Le hic, c’est que le racket de ce présent voyage lui a coûté plus que les autres. « J’ai quitté Gao pour Ouagadougou via Niamey. J’ai payé plus de 14.000 F CFA. Je trouve que ce n’est pas normal. C’est parce qu’on n’a pas les moyens de prendre l’avion qu’on passe par la route. Et si on doit nous arnaquer de cette façon, je trouve que c’est vraiment grave. Il faut qu’on trouve une solution ! », a-t-elle poursuivi, l’air excédé.

A cause de son timbre fiscal collé à sa photo, il est dû payer 1000 francs au poste de contrôle à la sortie de Dori

« Ils ne font pas du tout attention à nos cartes… »

La recrudescence des attaques terroristes dans le Sahel a permis le renforcement de certains postes de contrôle, ce qui devrait être synonyme d’accentuation de la vigilance sur les routes, surtout aux différentes frontières. Or, force est de constater que le racket a pris le dessus sur le contrôle renforcé. « Ils ne font pas du tout attention à nos cartes et à ce qui se trouve dans nos sacs. Ce qui les intéresse, c’est l’argent qu’on doit payer », regrette Bibich.

Pour nous qui avons effectué ce voyage, ce sont nos 5.000 FCFA qui sont restés entre les mains de ces racketteurs. Pourtant, le trajet Niamey-Ouaga nous a coûté 13.000 F CFA. Quant à Fatima Mbaye, elle dit avoir déboursé 9.000 F sur cet axe, alors qu’elle doit continuer le trajet. « Même l’argent qu’on a prévu pour manger durant le trajet finit, à force de dépenser aux postes de contrôle », se résigne-t-elle tout en priant que les prochains racketteurs soient plus cléments.

A 14h, notre bus est enfin arrivé à la gare de l’agence de Ouagadougou. Une pause d’une vingtaine de minutes a permis à ceux de Ouaga de descendre. Chaudes poignées de mains, échanges de contacts, nous étions obligés de nous séparer de nos ‘’amis de galère d’un voyage’’. Tout en insistant pour que leurs images ne paraissent pas dans notre article, ceux qui se sont confiés à nous ont souhaité que l’écrit ait un écho favorable pour les voyageurs, car le mal ne fait que perdurer.

Le contrôle aux frontières prôné par l’autorité depuis la crise sécuritaire ne semble pas concerner certaines forces de sécurité. Les malfaiteurs les plus patentés peuvent allègrement passer, pour peu qu’ils remplissent les poches des agents postés.

Au Burkina Faso, l’année 2019 a été un véritable annus horribilis en termes de bilan sécuritaire. Ces attaques doivent obliger les forces de l’ordre à disposer d’une base de données permettant d’identifier les entrées et sorties des citoyens (qu’ils soient Burkinabè ou pas). Si le racket doit primer sur un contrôle minutieux, une personne recherchée peut trouver un stratagème afin de traverser une frontière. Qui peut mettre sa main au feu que cela n’est jamais arrivé ? Sûrement pas les agents racketteurs de voyageurs !

Cryspin Masneang Laoundiki
LeFaso.net

Tapoa/Insécurité : Le Conseil provincial des organisations de
Burkina : Des acteurs du secteur privé renforcent leurs (...)
Burkina/Affaire “escroquerie de commerçants” : Roch (...)
Burkina/Arrestation de Me Guy Hervé Kam : Le délibéré de (...)
Burkina Faso : Acquisition de 75 véhicules militaires (...)
Burkina : La 53e promotion de l’École nationale de police (...)
Burkina : La douane rend hommage à une soixantaine de (...)
Burkina : Le Programme de développement d’urgence a (...)
Mise en œuvre du projet "Développement circulaire de bio (...)
Burkina/Police nationale : La question du management (...)
Burkina/Région du Centre-sud : L’UNFPA veut réduire le (...)
Lycée mixte de Gounghin : Les promotions 1998 à 2007 (...)
Burkina : Le syndicat des inspecteurs de l’enseignement (...)
Burkina : « Il serait bon que tous ceux qui sont (...)
Koudougou / Conduite de taxi-moto : Plusieurs jeunes en (...)
Burkina/Enseignement : Le gouvernement s’active pour (...)
Burkina / Santé communautaire : La stratégie nationale (...)
Burkina/ Gestion des risques agricoles : L’AP/SFD-BF (...)
Ouagadougou : La Coordination Nationale de Lutte contre (...)
Burkina : Le tableau de bord du commerce et des marchés (...)
Ouagadougou : Des voleurs appréhendés au quartier (...)

Pages : 0 | 21 | 42 | 63 | 84 | 105 | 126 | 147 | 168 | ... | 36435



LeFaso.net
LeFaso.net © 2003-2023 LeFaso.net ne saurait être tenu responsable des contenus "articles" provenant des sites externes partenaires.
Droits de reproduction et de diffusion réservés