Actualités :: Burkina : Yacouba Isaac Zida, « c’est la personne qui pourrait rassembler (...)

A l’occasion de l’an V de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, nous avons reçu l’un des acteurs de la lutte, qui a mené le combat par la plume. Bien que résidant en France, Christophe Dabiré a entamé ses analyses en 2013. Il a contribué à l’éveil des consciences sur les enjeux politiques nationaux, notamment la révision de l’article 37. Il a fait le bilan de la lutte et donné sa lecture sur la situation sociopolitique actuelle du Burkina Faso.

Lefaso.net : Cinq années après, que retenez-vous de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ?

Christophe Dabiré : Que le temps passe vite ! J’ai l’impression et en même temps, je n’ai pas cette impression que le temps politique se soit accéléré depuis 5 ans. On est à 5 ans de l’insurrection, ce que j’appelle révolution. Mais politiquement, on n’a pas l’impression d’être aussi avancé. Je ne vais pas critiquer, sauf sur des points précis. Tout le monde le sait, ce que j’ai dit n’est pas nouveau. On a l’impression qu’on ne soit pas avancé, dans le sens d’une révolution, c’est-à-dire le changement.

Avez-vous imaginé un instant que le président Blaise Compaoré allait quitter le pouvoir ?

Evidement ! Je ne vais pas jouer au voyant. Disons que c’était souhaité mais pas prévisible. Juste avant l’insurrection, c’était inévitable, je l’ai senti.

Cinq ans après, que retenir de fondamental dans cette lutte ?

Quoique l’on dise, la lutte a été abandonnée. Il me semble que la lutte a été abandonnée très rapidement après l’insurrection sinon on n’allait pas en être déçu. La lutte a été abandonnée pour des raisons farfelues : trahison, récupération.
Si vous tenez à quelque chose, si vous luttez pour quelque chose et qu’on vous la récupère ou on la vole, vous vous battrez pour la récupérer, pour revenir dans le bon sens. Mais ça n’a jamais été le cas.

Au regard de la situation sociopolitique du Burkina aujourd’hui, pensez-vous que les aspirations du peuple sont comblées ?

Eh bien non !

Pourquoi ?

Il ne faut pas mettre les échecs au compte uniquement du pouvoir en place. C’est un problème qui concerne toute la classe politique burkinabè en particulier, j’allais dire africaine voire la politique dans le monde. Si échec il y a, c’est que ses racines existaient depuis la préparation de la révolution.

J’étais à Dissine (c’est chez moi). Il y a une grève des médecins. Dans le petit dispensaire de Dissine, la semaine dernière, pour se soigner, il n’y avait pas d’ambulance. De Dissine au premier poste de soins qui est situé entre Dano et Djikoleogo, tenu par des sœurs religieuses, qu’est-ce que les paysans font pour aller se soigner ? Ils y vont à pied ou à vélo.

En ce qui concerne la question de l’éducation, c’est pareil. Il y a une école qui est construite chez moi, depuis deux ans. Les tables-bancs ont été livrés mais il n’y a pas cours parce que les infrastructures ne sont pas là. Voilà ! Ce sont les problèmes concrets que je connais.

Est-ce qu’il y a encore des choses que les dirigeants actuels peuvent rectifier ?

Ce qu’il y a, c’est la fonction publique qui embauche majoritairement, or il n’y a pas assez de postes notamment pour les jeunes. Et là encore, pour passer un concours, il y a le système de fraude, si j’en crois à ce que je lis ça et là. Donc on n’avance pas, notamment avec ces fraudes- là qui sont un handicap à l’égalité de chance. Si on propose des concours pour des jeunes diplômés, il faudrait arrêter cette fraude. C’est une affaire d’intérêt national, d’intérêt collectif.

A Ouagadougou, le maire de la ville a interdit deux marches pacifiques. Des voix se sont élevées pour condamner cela. Est-il difficile de concilier les aspirations démocratiques et les défis sécuritaires, de nos jours ?

Il faut toujours jouer l’équilibre et le bon sens. Si on est citoyen, si la question sécuritaire s’impose en priorité, on laisse tomber tout le reste. La liberté d’expression doit se cadrer avec la priorité de la sécurité de tous. Cela dit, il ne faut pas aussi que la question de la priorité de la sécurité soit un prétexte pour brimer la liberté d’expression.

Je ne peux pas répondre de façon plus précise parce que je n’étais pas sur le terrain. J’ai lu comme tout le monde, ce qui s’est passé. Je pense que ce sont des choses sur lesquelles il ne faudrait pas trop s’y attarder. Plus on est pragmatique, plus la démocratie s’installe, plus ça permet aux gens de s’exprimer. C’est ça le problème au Burkina Faso, je pense. Les gens ne s’expriment pas assez parce qu’on ne va pas vers eux non plus. La grande majorité des Burkinabè vivent en campagne, je le rappelle. Je l’ai dit dans mes deux précédents articles. Qu’est-ce qu’on fait d’eux ? Leur expression se réduit aux élections. C’est ridicule, c’est insultant. Si des citoyens face à leurs préoccupations ne peuvent s’exprimer qu’à travers uniquement des votes, lesquels sont par ailleurs influencés, alors cette forme de démocratie me fait sourire. Ça me fait rire.

Il faut que les gens s’expriment, il faut parler avec eux, il faut pouvoir leur dire ce qu’on ne peut pas faire, expliquer le contexte, d’autant plus que ce sont des paysans ; même aux citadins il faudrait leur dire cela. Je suis sûr que beaucoup de nos concitoyens ne connaissent pas la réalité du terrorisme, celle de la question sécuritaire et de l’avancée de la démocratie. Qu’est-ce qu’on attend pour aller vers eux ? Ils constituent la majorité de nos citoyens.

La réconciliation est au cœur de tous les discours : comment y parvenir, selon vous ?

J’ai toujours été partisan d’une certaine réconciliation ; justement la réconciliation qu’on chante tous les jours, là encore, c’est prendre prétexte sur de bons sentiments. « Réconcilions-nous, aimons-nous les uns et les autres », c’est en quelque sorte cela. C’est de l’amour gratuit. Cet œcuménisme de bon sentiment pour moi, il est plus nocif que tout. Ça contribue à ne rien faire. On a commencé à parler de la réconciliation au tout début après la Transition, parce qu’il y avait du terrorisme, à Yirgou.

Le discours sur la réconciliation s’est installé tout de suite. Et on voyait le retour de Blaise Compaoré. Alors est-ce qu’avec le retour d’un seul individu on peut appeler cela réconciliation nationale. Où est-ce qu’il y a le caractère national dans cette réconciliation ? Il me semble que la réconciliation nationale doit s’adresser à la nation, aux populations, entre les élites et les populations.

A vous suivre, il y a plusieurs types de réconciliation ?

Exactement !

Lesquels ?

Je préfère parler de cohésion sociale plutôt que de réconciliation. Pour moi, enfin si on parle français, la réconciliation suppose quand même des heurts, des violences intercommunautaires voire des guerres civiles comme on a connu dans d’autres pays. Dieu merci, ça n’a pas été le cas au Burkina Faso. La cohésion sociale, c’est une autre chose. Tout Etat recherche la cohésion sociale. Qu’on soit sous le coup du terrorisme ou pas, on doit travailler à la cohésion sociale. C’est la raison d’être même du politique. S’il n’y a pas la paix, on ne peut rien faire.
Mais il ne faut pas que le discours sur la fausse réconciliation empêche de travailler à la cohésion sociale.

Le Burkina est en pleine préparation des élections de 2020. Selon vous, quelles garanties faut-il pour des scrutins apaisés, réguliers et consensuels ?

Quelles garanties ? Eh bien les garanties légales. Il faut que la démocratie fonctionne. C’est l’occasion pour notre jeune démocratie de se montrer à la hauteur, comme c’est la deuxième élection présidentielle post insurrectionnelle. Je pense que cette fois-ci, c’est le vrai test. A part le défi sécuritaire, il n’y a pas d’obstacle à l’organisation. Il faut que les candidats aussi soient à la hauteur.

Vous vous affichez comme un défenseur de l’ancien Premier ministre Yacouba Isaac Zida ; pourquoi une telle posture ?

Merci pour la question. La situation politique nationale actuelle, vous savez qu’elle est nettement du côté du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, ancien parti au pouvoir). On assiste à ce tiraillement interne au sein du CDP. Vous savez d’où ça vient ? Pour moi, ce sont certainement les répliques lointaines de ce qui s’est passé les 30 et 31 octobre, et 1er novembre 2014 instigué par celui dont vous parlez, Yacouba Isaac Zida. Cela est dû à cette double révolution s’il vous plait. Révolution dans la rue et révolution de Yacouba Isaac Zida dans l’armée. Depuis là, on a eu le départ de Blaise Compaoré, la Transition, le coup d’Etat, et aujourd’hui, à mon avis, la dernière réplique, c’est ce qui se passe au CDP. Pour moi, tout ça, c’est lié.

Pour vous, Yacouba Isaac Zida est l’homme de la situation ?

Il n’y a pas d’homme de la situation ! Je suis cohérent dans ma défense, il s’agit de défendre Yacouba Isaac Zida depuis le début. C’est parce qu’il y a des arguments, des faits, -pour moi qui ai suivi la révolution- qui le démontrent assez clairement.

Concrètement, qu’est-ce que l’homme a fait pour vous marquer jusqu’à ce point ?

C’est ce que je viens de dire. Le tremblement de terre qu’il a provoqué, parallèlement à celui de la rue (c’est pour ça que je parle de double révolution). Sans lui, on n’en serait pas là aujourd’hui. C’est-à-dire qu’on en serait à un règne du RSP (Régiment de sécurité présidentielle, ancien corps de Zida).

Pourquoi Yacouba Isaac Zida a changé de camp ? Pourquoi lui qui était du RSP s’est retourné contre le RSP ? C’est parce que c’est un homme… Vous parlez de réconciliation et moi, je préfère parler de cohésion. Je le pensais avant de lire son livre où j’ai confirmé que c’est un homme de consensus. Lui aussi parle beaucoup de réconciliation dans son livre. Mais à mon avis, il entend par cette réconciliation, la cohésion sociale. A mon avis, c’est la personne la plus rassembleuse ; qui pourrait rassembler tous les bords. Il a été militaire donc il connaît la chose militaire ; il a gouverné (président quelque temps avant d’être Premier ministre). Donc ce n’est pas un novice. Et personnellement, sur sa personnalité et ses convictions, permettez-moi l’expression « c’est quelqu’un qui ne ferait pas du mal à une mouche ».

Pour vous dire, mon soutien pour Zida, c’est aussi pour battre en brèche ceux qui disent que « ceux qui soutiennent Zida, ce sont des misérables ». Non, il y a des arguments. Je suis content de pouvoir relever ce défi que Yacouba Isaac Zida soit candidat aujourd’hui, de défendre un projet politique qui semble avoir du sens.

Yacouba Isaac Zida est le président d’honneur du Mouvement patriotique pour le salut (MPS). Doit-on s’attendre à voir Christophe Dabiré au MPS un jour ?

Christophe Dabiré est un philosophe. Je ne fais pas de la politique. J’analyse la situation politique de mon pays. Je ne prendrai pas le risque de prendre une carte de parti. Yacouba Isaac Zida, je ne le connais pas personnellement. On n’a jamais eu de contact. Ce n’est pas parce que je cherche à manger ou à avoir un portefeuille un jour. Je laisse ça aux courtisans de toujours. Moi, je reste un intellectuel et modestement, je fais ce que j’ai à faire.

Justement. Parlez-nous de votre parcours ?

Rires. Je n’aime pas parler de moi. Je reste un homme de l’ombre. Pas parce que j’ai des choses à cacher mais tout simplement parce que je n’aime pas.

En plus de vos écrits, avez-vous d’autres initiatives pour la mère patrie ?

J’ai fondé une association pour aider à construire l’école primaire de chez moi [village]. Ça, c’est quelque chose de concret. A ce jour, il y a deux classes qui sont construites.

D’autres ambitions en perspective ?

Si vous soupçonnez des ambitions politiques, politiciennes, je n’en ai pas ; je viens de vous le dire. Je n’ai pas de projet de faire la politique au sens que vous l’entendez. Parce que ça, ça m’interdirait de penser, d’analyser. Des intellectuels burkinabè en politique, il y en a et vous le savez. Qu’est-ce que ça a donné ? Si j’ai une colère saine contre ces « intellectuels », c’est parce que c’est eux : les cadres du CDP, des intellectuels y compris des philosophes du CDP qui ont conduit au désastre de ce parti, enfin si je peux le dire. Vous voyez ? Parce qu’ils ont refusé de jouer leur rôle d’intellectuels et d’analystes. Ou alors ils en ont été incapables certainement.

Mais vous pouvez vous engager politiquement et faire de la philosophie.
Non ! Parce que si vous vous engagez, vous ne pourrez pas. J’en ai la preuve. J’ai des camarades à Strasbourg qui se sont engagés politiquement. A travers nos discussions, je sais comment c’est difficile des fois. La vérité, ce que nous les philosophes considérons comme vérité, c’est ce que tout le monde doit accepter, mais que le politique ou l’opinion publique considère comme abstrait. J’aime bien rester libre. Car on ne peut pas penser ou analyser objectivement si on n’est pas libre.

Je vous rappelle que dans l’un de mes derniers écrits, j’ai fait mention des incohérences de nos hommes politiques. Il y a un paragraphe sur le MPS où je ne suis pas d’accord avec l’attitude ou un propos de Augustin Loada. Je sais très bien que Yacouba Isaac Zida est président d’honneur du MPS, pourtant, je ne suis pas d’accord. Même l’appellation du MPS, ça me déçoit.

On pouvait avoir mieux que ça ?

Oui ! La question du salut, quoiqu’on dise, cela a une connotation essentiellement religieuse. Le salut est un état définitif qu’on atteint. Une fois qu’on l’atteint, il n’y a plus de problème. C’est en quelque sorte le paradis. Mais nous, on fait de la politique. Alors la question c’est de savoir : est-ce qu’on utilise le religieux pour faire de la politique ou est-ce qu’on fait la politique pour le religieux.

Propos recueillis par Cryspin Laoundiki
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