Actualités :: Politique : « Un vrai militant doit savoir que se battre ne veut pas dire (...)

Il est considéré comme l’un des vieux crocodiles de la mare politique burkinabè, un mérite qui l’érige aujourd’hui aux postes de conseiller du président de son parti politique (le Mouvement du peuple pour le progrès, MPP, parti au pouvoir) et du président de l’Assemblée nationale. Visiblement aussi discret qu’efficace, Moussa Boly, puisque c’est de lui qu’il s’agit, s’ouvre sur son parcours politique et donne son analyse sur des questions politiques de l’heure au Burkina. Interview !

Lefaso.net : Vous êtes de ces hommes politiques qui se caractérisent également par leur présence moins marquée dans les médias. Qu’est-ce qui explique cela ?

Moussa Boly : Je me porte bien. Effectivement, par rapport à ma présence dans la presse, je ne suis pas porté à me faire remarquer partout où je suis. Je suis un homme politique, parce que c’est une activité qui m’a toujours intéressé, par le fait que je me suis toujours engagé, depuis mon jeune âge, dans des activités associatives. C’est par là qu’à l’Université, je me suis intéressé à la politique ; puisque nous sommes des étudiants des années 69-70.

A l’époque, vous ne pouviez pas être à l’Université et ne pas vous intéresser à la politique, c’était quand même assez rare. Voilà pourquoi, je ne suis pas trop présent à la presse. Mais aussi, les journalistes n’ont jamais voulu savoir exactement pourquoi quelqu’un, qui a toujours été à toutes les étapes de la vie politique, on ne l’entend pas.

Vous avez été, entre autres, et au plan politique, député, questeur, vice-président de l’Assemblée nationale et aujourd’hui, conseiller du président de l’Assemblée nationale. Quel est le regard que vous faites, vous-mêmes, de votre parcours ?

C’est vrai qu’il y a très longtemps que je fais la politique, et ce n’est qu’après notre fusion CNPB-ODP, pour créer le CDP (en février 1996, ndlr) que j’ai été élu député. J’ai passé dix ans à l’Assemblée nationale ; cinq ans comme vice-président et cinq ans comme questeur. Je crois que j’ai rempli correctement ma tâche dans les dix ans que j’ai passés à l’Assemblée nationale. Et comme je le dis souvent, pendant ces dix années, il y avait de nombreux Burkinabè qui auraient pu être à ma place, mais qui ne l’ont pas été. Aujourd’hui, j’ai laissé la place à d’autres Burkinabè et il a plu au président du parti, de me confier une mission, qui est d’être Conseiller pour pouvoir faire un certain nombre de missions au titre du parti et au titre de l’Assemblée nationale. Je crois donc que c’est un parcours normal, je n’ai pas à me plaindre. C’est une position que j’accepte volontiers, parce que tout le monde ne peut pas être en même temps dans les mêmes postes, et en tant que militant, il faut accepter cela.

Des proches vous trouvent un peu extraordinaire par rapport à votre âge ; vous serez toujours resté cet homme politique de terrain. Quel est le petit secret qui vous maintient à cet âge sur le terrain et avec le « même » tonus ?

Il n’y a pas de petit secret. Ce que les gens ne savent pas, c’est que j’ai été un très grand sportif au Lycée et à l’Université (j’étais capitaine d’équipe) de l’équipe nationale de handball. En plus de cela, de par mon métier, j’ai toujours fait du terrain, j’ai beaucoup marché. Il y a aussi un autre aspect qu’il ne faut pas négliger : c’est la vie au quotidien. Il faut savoir se ménager et ménager sa santé. Je ne suis pas un homme de débits de boissons, je ne prends pas d’alcool, je mesure tout ce que je fais. Et, comme la politique aussi, je la fais par conviction (quand vous faites quelque chose par conviction et que vous avez la chance aussi d’être en bonne santé), ça ne gêne pas du tout d’être opérationnel.

Comme quoi, en politique, l’hygiène de vie est très capitale !

Ah oui, elle est très capitale. Je dois seulement ajouter que ce que je ne respecte pas, jusque-là, c’est le repos total. Ça, je ne l’ai jamais fait. Par contre, il y a des choses que j’évite aussi de faire et qui me fatiguent. Mais, si c’est sur le travail sur le terrain, je peux dire que peut-être que c’est parce que c’est le métier. Même le week-end passé, je l’ai passé sur un chantier à aider à implanter et creuser les fondations d’une construction. C’est cela, sinon il n’y a pas d’autres secrets : c’est de respecter quand même des règles de la vie et je pense que si vous vous obligez à cela, Dieu vous aidera à avoir une certaine santé.

Mais si vous deviez jeter un coup d’œil dans votre rétroviseur politique, quels sont les moments et faits qui vous ont marqué ?

Je dirais que mon parcours politique n’a pas du tout été facile. J’ai toujours appartenu, dans la grande partie de ma vie politique, à l’opposition. J’ai adhéré, en 1977, au RDA (Rassemblement démocratique africain) qui, apparemment, n’aurait pas dû être mon milieu ; il faut le rappeler le RDA, à une époque donnée, a été un parti progressiste qui a même fait une alliance avec le Parti communiste français. J’ai donc, à mon retour en Haute-Volta, lu les documents sur le RDA, j’ai vu sur le terrain tous les partis qui existaient et j’ai préféré adhérer au RDA. Mais, on n’a pas fait long feu, parce que ce dont on avait discuté avec les ténors ne tenait pas (ils pensaient toujours qu’ils doivent imposer).

Or, nous, c’était la discussion contradictoire pour pouvoir trouver une solution aux problèmes. La divergence est née quand ils ont voulu soutenir encore Lamizana (Sangoulé), alors qu’on avait décidé en congrès, que nous devons soutenir un candidat RDA. Nous avons dit qu’on s’en tient à cette décision du congrès et c’est ce point qui nous fait quitter le RDA (je ne pense pas qu’on ait fait plus d’un an ensemble). Le regretté Pr Ouininga a appelé à la création du Front de refus RDA pour protester contre la décision (ce n’est pas Jo Ouéder qui a créé le Front du refus, mais il est devenu notre leader). Donc, depuis ce temps, j’ai vraiment appartenu à l’opposition. Nous ne faisions pas la politique parce que nous tenons à occuper des postes politiques.

Le FPV (Front progressiste voltaïque) était la fusion du Front de refus RDA avec le parti de Joseph Ki-Zerbo (UPV, ndlr), mais nous n’avons pas pu aller aux élections, parce qu’il y a eu un coup d’Etat. Après cela, nous avons créé la CNPP au temps du redressement de Blaise Compaoré (avec laquelle s’est faite la fusion avec l’ODP/MT pour donner le CDP, ndlr). Je vais vous raconter une anecdote : on a écrit une lettre au Front populaire et on a désigné trois personnes pour aller la déposer au Conseil de l’entente (connu sous l’appellation populaire : Conseil, ndlr).

Le jour de la remise, le rendez-vous était chez le vieux, le regretté Oumar Songoti, qui était à Koulouba. J’ai attendu pendant plus d’une heure, les deux autres ne sont pas venus. Songoti m’a dit : mon fils, vas remettre la lettre, rien ne t’arrivera. Je suis allé ce jour au Conseil, tout seul. Mais avant de rentrer, j’ai laissé ma voiture à côté de la station au carrefour et j’ai écrit en gras (que j’ai déposé sur le siège du véhicule) : si vous ne me retrouvez pas, sachez que je suis entré au Conseil. Je suis donc entré pour remettre la lettre du groupe (la lettre disait en substance qu’on veut répondre favorablement à l’appel du 19 octobre de Blaise Compaoré et, nous, nous sommes des jeunes qui voulons constituer notre parti). J’ai passé près d’une heure de temps avant qu’on ne prenne la lettre. C’est pour dire qu’à la création du CNPP, j’ai quand même joué un rôle primordial.

Ce qui m’a ensuite marqué, c’est dans notre province (Gourma), lorsqu’on on a voulu constituer les listes pour la députation. On a avancé des choses qui m’ont beaucoup vexé ; parce que les gens qui étaient là ont dit que j’étais dans un milieu Gurmatché et qu’un Peulh ne pouvait pas être tête de liste. On m’a donc placé comme deuxième sur la liste. J’ai été très vexé et déçu par le comportement des camarades et j’avais décidé de retirer ma candidature. Mais par la suite, par des conseils, je me suis finalement ravisé en me disant que je ne pouvais pas créer un parti et être également à la base de la chute de ce parti.

J’ai donc accepté le poste de deuxième sur la liste et je pense que si vous demandez dans la localité, on dira que si je n’étais pas là, le CNPP n’allait pas avoir un député. Ça m’a beaucoup déçu. J’ai vécu d’autres situations dues à mon ethnie, mais je me suis dit que ce sont des gens qui mettent ça en avant pour cacher leur médiocrité. Bref, pour moi, la vie est un combat et je me suis toujours battu, comme je peux, jusqu‘aujourd’hui.

Sans forcément partager votre démarche politique, certaines de vos connaissances pensent que vous avez été victime de vos prises de position très audacieuses, dans des contextes hostiles. Partagez-vous cette observation ?

Si on prend les gens de notre génération, la plupart ont quand même eu une formation politique. Ensuite, je suis enfant d’un instituteur à la base. Or, vous savez que les instituteurs, ce sont certes des enseignants, mais aussi des éducateurs. J’ai été forgé pour respecter certaines valeurs : être courageux, honnête et travailleur. Partout où je suis passé, j’ai toujours été honnête envers ceux avec lesquels je travaille. J’ai toujours dit mon point de vue, même si ça ne va pas faire plaisir aux gens (je pense que c’est toujours mieux de le faire quand on est convaincu, au lieu d’attendre pour qu’après on dise pourquoi vous ne l’avez pas fait de par le passé).

C’est la même position que je garde ; je respecte tout un chacun et je me dis aussi qu’il faut que les gens respectent mes points de vue. Il y a le secrétaire général de la section provinciale du parti à l’époque, qui était une dame, qui m’a demandé si je savais pourquoi j’ai des problèmes au niveau du parti dans ma province. Je dis non. Et elle me dit : parce que tu fais trop d’ombre aux gens ; ce que tu fais, beaucoup de gens veulent le faire, mais ne le peuvent pas et ils pensent que tu leur fais de l’ombre. J’estime que faire la politique, c’est mener le combat pour le développement. J’ai fait mes études en Allemagne, j’y ai eu de très bons contacts et c’est comme cela que je suis arrivé à aider ma région (avec des écoles, des dispensaires, des retenues d’eau, des forages, des équipements divers).

Tout projet que j’entreprenais dans ce sens, des gens me mettaient des bâtons dans les roues. Pourtant, ma conception est que dans la vie, l’homme doit toujours être utile. Par contre, si je mène des activités (ou pose un acte) qui ne sont pas bien et que quelqu’un vient me convaincre que ce n’est pas bien, j’arrête. Mais, ce n’est pas le fait de critiquer qui va me faire arrêter. Ce que je souhaite, c’est de ne pas faire du tort à quelqu’un sciemment. Je ne le souhaite pas de toute ma vie.

C’est dans cet esprit que vous aurez claqué la porte du CDP. Et à l’époque, parmi ceux qui ne vous gobaient pas, il y a certains leaders actuels du MPP, que vous retrouvez moins d’une décennie après. Qu’est-ce que cela vous a fait de savoir que des détracteurs d’hier ont fini par vous rejoindre ?

Je vais vous confier une chose, avant de répondre. A l’époque, on a expliqué au RDA qu’ils (dirigeants, ndlr) faisaient fausse route. Ils n’ont pas voulu nous écouter, nous sommes partis et ils sont tombés. Nous avons expliqué à l’époque également au CNR (Conseil national de la révolution) : vous êtes plus forts que nous, ça on n’en disconvient pas ; mais vous faites fausse route. Ils ne nous ont pas écoutés, ils se sont cognés et ils se sont rentrés dedans. On a dit à Blaise (Compaoré) : les gens ne peuvent pas accepter le troisième mandat et aussi, il faut savoir respecter les décisions prises.

Ils ne nous ont pas écoutés. Et je peux vous dire une chose : quand nous avons quitté le CDP, le regretté Salifou Diallo (parce qu’il ne vit plus que je le dis), il est venu chez moi et m’a dit : « grand-frère, votre position-là est juste, mais on ne peut pas vous suivre aujourd’hui dans cette voix-là. Mais, je te donne trois ans, nous allons nous retrouver ». Roch Kaboré, lui, m’a dit seulement : c’est une erreur, vous êtes trop pressés, il faut attendre encore. Je lui ai dit que nous n’avons pas ce cœur-là comme toi à encaisser et qu’on va s’en aller. Nous avons pris cette décision parce qu’on a senti que notre position ne plaisait pas à Blaise (Compaoré) et vous avez vu qu’aux élections, on avait placé Marc Yao en quatrième position sur la liste nationale, moi j’étais deuxième suppléant et Pierre Tapsoba était huitième (pour nous deux, il n’y avait pas de problème, mais pour Pierre Tapsoba, c’était difficile). Et moi, on m’a dit que dans tous les cas, j’allais siéger parce qu’il y a des gens sur la liste nationale qui allaient être appelés ailleurs.

Je dis mais pourquoi ne pas placer ces gens-là comme suppléants et c’est moi que vous placez suppléant ? Donc, il y avait des difficultés, parce que des décisions se prenaient sans concertation alors qu’au départ, on s’était entendu sur des principes pour former le CDP. Nous avons estimé que tout ce classement sur les listes électorales étaient lié au fait que nous avions des positions qui ne plaisaient pas aux gens. Et surtout avec le Premier ministre Yonli (Paramanga) qui trouvait que je cherchais à lui faire de l’ombre et par tous les moyens, il cherchait à m’évincer. On a donc préféré leur dire au revoir.

Quand nous avons démissionné, on pensait vraiment arrêter de faire la politique. Or, comme vous le savez, la politique, quand vous y êtes engagé, ce n’est pas facile de faire machine arrière. Donc, nous avons créé notre parti (la CNPB, crée le 29 août 2009, ndlr) et nous n’avons pas regretté d’avoir quitté le CDP ; la preuve en est que quelques années après, les gens ont claqué la porte, et pour les mêmes raisons. Pour dire qu’on avait raison, mais on a eu raison très tôt. Il faut dire que j’ai toujours gardé de bons rapports avec la plupart de ceux qui sont restés au CDP. La politique n’est pas une question de bagarre.

Le CDP, que vous connaissez bien, fait aujourd’hui l’actualité de par la crise qui la secoue. Quelle est votre analyse sur ce qui s’y passe ?

Je dirais de prime abord que ça ne me regarde pas. Mais dans le fond, vous savez aussi souvent que dans la vie, quand vous menez une activité, vous devez savoir qu’il y a des gens qui l’ont commencée et quand ces gens-là pensent qu’on est en train de les bousculer pour mettre de nouvelles têtes, c’est quelques fois froissant. Je crois, personnellement, qu’au CDP, c’est ce qui est arrivé. Je crois aussi qu’il y a de l’immaturité politique, parce que la politique est une chose qui n’est pas facile.

Quelques fois, il n’y a même pas de logique (dans la politique). Mais, il faut savoir, quand il y a un problème, accepter d’écouter celui qui est en face de vous. J’ai eu l’impression qu’il a manqué à un moment donné de dialogue (comme je le dis, je ne suis pas du CDP, j’analyse). Je connais des gens comme Kouanda (Mahamadi). C’est quelqu’un qui crache comme cela les choses, il veut se faire respecter (c’est sa nature) et j’ai l’impression qu’il croit qu’il y a des gens qui ne le respectent pas, donc il dit cruellement la vérité. Dans les derniers évènements, je dois dire que c’est du mauvais coton que le CDP est en train de filer ; parce que quand il y a un grand saignement comme cela et quand des gens d’un certain poids partent, pour rattraper, ce n’est pas facile.

Vous avez vu le saignement de 2014, quand les trois (Roch, Salifou, Simon) sont partis du CDP, ce que ça a donné. C’est pourquoi, il faut vraiment faire attention, il ne faut pas que certains croient qu’ils sont vraiment indispensables. Et le grand problème que je note aussi, c’est que de nombreuses personnes croient que l’argent peut tout résoudre. C’est faux. Donc, il faut savoir rester humble, écouter et respecter les gens et ne jamais croire qu’on est fort. Mais comme je le dis, je ne connais pas dans les détails ce qui s’y passent, je regarde de loin, et en tant que vieil de la politique. C’est à eux de savoir comment se réconcilier.

Vous avez été un maillon important dans le renforcement de la coopération germano-burkinabè et à ce titre, vous avez même reçu la plus grande distinction de la République fédérale d’Allemagne, jamais décernée à un Burkinabè. Qu’est-ce que vous en retenez aujourd’hui comme leçons ?

Où est-ce que vous avez vu ça (rires). Voyez-vous, j’ai bénéficié d’une bourse allemande et j’ai étudié en Allemagne. J’ai eu de très bonnes relations en Allemagne (il y a des villes, lorsque j’y repars, c’est comme si j’étais chez moi). J’y étais un sportif (j’évoluais dans une équipe) et j’avais de très bons rapports avec les professeurs (bien que je n’étais pas assez tendre, en tant que jeune). Je ne refusais pas les discussions et je disais toujours ce que je pense (et les gens aimaient bien cela). Donc, quand je suis rentré, j’ai trouvé normal de garder les relations avec l’Allemagne.

Quand je vais en Allemagne, je n’ai pas besoin de me payer un logement, j’ai toujours un véhicule pour mes déplacements, etc. C’est ainsi que quand les Allemands envoyaient les jeunes volontaires au Burkina, comme ils ne parlaient pas bien le français, l’ambassadeur me demandait si je peux les aider à prendre des contacts et c’est ce que je faisais. Et quand ils apprenaient que j’ai un diplôme d’ingénieur de Darmstadt, on se dit quand même que c’est une référence. Des Allemands ont eu des difficultés ici et ils ont eu référence à moi pour que je puisse les aider à résoudre. C’est comme cela que j’ai toujours travaillé avec les Allemands.

Et puis, des amis allemands m’ont élégamment fait confiance en m’aidant à réaliser de petits projets chez moi. Une petite anecdote : à la fin de mes études, on me dit qu’à Born, il y a un expert des questions africaines qui donne une conférence publique et que de venir assister. Le ministre de la Coopération (allemand) était là. J’arrive, je prends place et dans son intervention, il (expert) prend comme exemple un projet que l’Allemagne finançait au Burkina (j’oublie le nom du projet, mais il était implanté là où se trouve la DGTTM).

Il dit voilà, les Africains aiment ce genre d’aides-là, mais que voilà, ce projet-là ne marche pas bien parce que les Voltaïques ne savent pas ce qu’ils veulent. Ils ne savaient pas qu’il y avait dans la salle un Voltaïque. Alors, quand il a fini, j’ai demandé la parole et lui ai demandé combien de temps il avait passé au Burkina (Haute-Volta à l’époque). Il a fait deux missions de quinze jours. Je lui ai donc dit que l’erreur est qu’ils se disent souvent experts, mais ils ne savent rien des réalités des pays. Je lui ai fait savoir que je connais bien le projet, et j’ai même dit le nom d’une dame, la femme d’un ami, Mme Ouandaogo, qui y travaillait. J’ai expliqué les difficultés que le projet rencontrait.

Donc, lors de la pause, le ministre m’a fait appeler et il m’a posé des questions sur ma personne, mes études, etc. Je lui ai répondu que je venais de soutenir et étais sur le point de retourner au pays. Il m’a donc demandé s’il y a un projet sur lequel je voudrais être accompagné. J’ai élaboré un projet et il s’est trouvé qu’un ministre voltaïque venait à Born. Donc, le ministre m’a fait appeler pour me dire qu’il y a un ministre de mon pays qui venait et qu’il va falloir qu’on introduise mon projet. Et le projet c’était quoi : faire des forages et de petites retenues d’eau au Burkina. Au jour venu, le ministre allemand a pris la parole et a dit qu’il a entre les mains un projet, qu’il a appelé « projet Boly ».

Le ministre voltaïque a demandé : projet Boly veut dire quoi, nous on ne connaît pas de projet Boly et qu’il n’est pas venu pour discuter de ça. La discussion s’est arrêtée à là, puisqu’il a dit qu’il ne discute pas. Le ministre allemand m’a donc dit qu’il peut m’aider, de voir ce qu’on peut faire (j’ai jusque-là les correspondances). Dans mon esprit, je me suis dit que nous étions les rares à avoir eu la chance d’aller étudier avec une bourse étrangère, nous devons un service au pays, parce que c’est lui qui nous a donné cette chance.

Quand je suis entré au CP1, nous étions 48. Nous sommes deux à être arrivés au BAC. C’est donc une chance et c’est la Haute-Volta qui m’a permis cela et je lui suis redevable. Quand j’ai fini mes études, j’ai eu beaucoup de propositions de travailler en Allemagne. J’ai participé à l’étude du Transgabonais, le chemin de fer. C’est également nous qui avons fait l’étude de la route Man-Odienné, et l’entreprise Philip Holsmann de Frankfort où j’étais ne voulait pas me laisser repartir, mais j’ai fait trois mois à Touba (RCI) et je suis rentré.

Le directeur général à l’époque m’a demandé ce que je vais gagner en repartant au Burkina et je lui ai dit que j’allais travailler au ministère (à l’époque on gagnait 78 000 francs/mois) alors que mon salaire de base là-bas faisait plus de 140 mille, plus les indemnités de chantiers, alors que durant tout le temps que j’y ai passé, j’avais une villa, une voiture, un chauffeur et un majordome (je n’ai jamais touché à un copeck de mon salaire, mes indemnités suffisaient). C’est à partir de tout ce que j’aidais à faire, qu’un ambassadeur (de l’Allemagne au Burkina) a dit qu’il allait me proposer pour une décoration.

A l’époque, je lui ai dit que je ne voulais pas, parce que je n’avais jamais été décoré par mon pays et que si j’acceptais la décoration qu’il me proposait, on allait croire qu’il y avait quelque chose en dessous. Ensuite, un deuxième ambassadeur est revenu sur la question. Puis, le troisième ambassadeur a, lui, fait un rapport au ministère et il s’est référé aux rapports des autres ambassadeurs. Quand c’est venu ici, c’était la croix et la bannière ; on a fait une enquête de moralité sur moi pour savoir pourquoi l’Allemagne me décore. Les gens ignoraient ce que j’ai fait. Or, à l’époque, j’ai trouvé des bourses d’études pour des Voltaïques pour aller en Allemagne.

C’est au temps de la Révolution que j’ai arrêté cela, parce que l’ambassadeur avait écrit pour dire que j’engage la souveraineté de l’Etat et on avait dit au temps de Vokouma, qui était ministre des Affaires étrangères, de trouver une sanction révolutionnaire contre moi. Depuis ce temps, je me suis désengagé. J’ai aidé certains ministères à avoir du matériel, notamment du matériel topographique. Pour revenir à la décoration, quand l’ambassadeur a écrit au ministère des Affaires étrangères, ça a traîné pendant trois mois.

L’ambassadeur m’a dit que ce n’est pas l’avis du Burkina qui est demandé, que c’est plutôt une information au Burkina qu’il y a un citoyen burkinabè que l’Allemagne veut décorer. C’est comme cela que j’ai été décoré par l’Allemagne. Et c’est quand l’actuel président (SEM Roch Kaboré) a été élu qu’il m’a donné le même type de décoration que la RFA ; l’essentiel pour moi étant de contribuer à faire quelque chose pour mon pays. Je ne connais pas de plan B, quand je pose des actes, je les pose sincèrement en me disant qu’en tant que citoyen burkinabè, je dois contribuer à la construction de mon pays. C’est cela qui m’a toujours guidé, depuis tout le temps.

A cause du sport, j’étais connu en Allemagne (j’ai joué dans des clubs d’Handball, à l’université dans l’équipe de football comme gardien de but…). C’est par ces initiatives que je me suis fait connaître, mais je n’ai pas interdit à l’époque à un Voltaïque de se faire connaître ! Et j’ai été le premier à créer l’association des étudiants et stagiaires voltaïques en Allemagne ; parce que quand je suis arrivé, on n’avait aucun contact entre nous. J’ai été responsable de cité universitaire et j’ai logé un jour 32 Voltaïques dans ma cité ; parce qu’on avait un dortoir pour les passants. On organisait également la soirée des Voltaïques et je faisais venir des mets du Burkina, on préparait et on invitait des Allemands.

Bref, tout cela m’a permis d’avoir une assise en Allemagne. J’ai donc passé de très bonnes années en Allemagne. Mon séjour là-bas également a permis, dans la ville où je vivais, de faire changer un peu la vision sur les Noirs ; parce qu’on pensait que le Noir, c’était un sauvage, il ne comprend rien, il faut tout lui expliquer, il ne connaît que la guerre, etc.

En rapport avec votre décoration…, faut-il comprendre avec une certaine opinion qu’au Burkina, il y a un véritable problème de reconnaissance des valeurs de travail ?

Ça, c’est vrai, on a un problème au Burkina. J’ai l’impression qu’on ne veut pas reconnaître le mérite de certaines personnes. On se dit : pourquoi lui et pas moi. En ce qui concerne la décoration, je crois que celle accordée par le Burkina est simplement due au président SEM Roch Kaboré ; parce qu’il a suivi beaucoup de choses. Il ne m’a même pas parlé de la décoration ; j’étais-là et on m’a informé qu’il m’a proposé pour décoration. Donc, effectivement, il y a des gens comme cela, qui n’aiment pas voir d’autres évoluer, se démarquer et voir leur mérite reconnu. Souvent, c’est cela notre problème au Burkina.

Du reste, c’est un état d’esprit dans un certain milieu, mais dans d’autres milieux, ce n’est pas le cas. Et c’est vraiment dommage pour notre pays et il faut que ça change. J’ai toujours dit aux jeunes qui causent avec moi que la génération passée (c’est-à-dire notre génération et celle d’avant), et parlant de notre région, n’a jamais su se mettre ensemble pour travailler et qu’il ne faut pas qu’ils nous imitent. Il faut éviter cela. Et la seule chose pour éviter cela, c’est de se mettre souvent ensemble pour discuter et échanger beaucoup. Sur n’importe quel thème. C’est pour apprendre à se connaître. J’ai essayé d’organiser ce genre de cadres à travers le sport, mais j’ai été souvent combattu.

J’ai commencé au niveau commune. Je prenais les élèves de toutes les écoles, ils viennent et font une semaine ensemble. Ils sont logés dans une école, mais c’est moi qui les nourris, les soigne, mais je ne donnais pas l’argent. Mais il mangeait équilibré (je veillais aussi à cela). L’objectif, c’était de créer un cadre d’échanges et qu’ils apprennent à se connaître. Ensuite, j’ai étendu l’initiative à l’échelle de la province en élargissant également les disciplines. Ce n’est que de par ce genre d’initiatives qu’on peut se connaître. La preuve en est que nos meilleurs amis aujourd’hui sont ceux qui ont fait l’internat avec nous. Mais j’ai été découragé et j’ai laissé tomber.

Votre génération a très tôt bénéficié de formation politique (et même techniquement) ; ce qui n’est du tout pas le cas avec la génération actuelle, pourtant appelée à assurer la relève dans la conduite des affaires du pays. Ne faut-il pas avoir des craintes à ce niveau ?

Vraiment, ça me fait très mal. Je trouve cela dommage ; parce que l’avenir d’un pays, c’est la jeunesse. Si elle n’est pas bien formée, si elle n’est pas consciente du rôle réel qu’elle doit jouer (pas en termes de postes). C’est pourquoi, j’ai souhaité aujourd’hui à apporter ma contribution au niveau de la formation politique des jeunes. Mais tout de suite, j’ai également été déçu, parce que si vous faites une formation et il n’y a pas de per diems, certains ne sont pas intéressés.

J’ai toujours prôné qu’on forme les jeunes pour en faire des militants de base et non des sympathisants. Pour cela, il faut les former ; les regrouper, les loger au même endroit, leur donner à manger (ne pas laisser chacun sortir pour chercher à manger). Mais, plusieurs fois, j’ai fait l’objet d’attaques. Honnêtement, il faut que les jeunes-là comprennent cela et arrivent à changer pour être formés. On ne peut pas demander aux jeunes qui n’ont rien de payer pour se faire former et c’est pourquoi les partis politiques doivent travailler de sorte à leur offrir la formation. Mais vraiment, que les jeunes acceptent la formation.

Pourtant, des partis politiques burkinabè ont des écoles et centres de formation politiques, mais les critiques sont les mêmes : les jeunes attendent d’être payés pour se former…

Oui, c’est malheureusement le cas. Je dois vous dire qu’au niveau du MPP, nous en avons déjà. Pour vous dire que ce n’est pas facile. Or, un parti politique, si tu n’as pas de vrais militants (politiquement formés), il est difficile qu’ils fassent des sacrifices pour le parti, ils pensent plutôt qu’on doit leur donner de l’argent.

Mais est-ce que les partis politiques également n’ont pas prêté le flanc, en faisant des jeunes, des militants pour les grands rendez-vous politiques et à attaquer des adversaires sur les réseaux sociaux, dans les médias et à exécuter les ordres … ?

On a prêté vraiment le flanc. Et je m’excuse également…, la Révolution en est pour quelque chose dans cette situation. J’ai milité au RDA, mais il ne m’a jamais donné de l’argent pour aller dans ma zone pour distribuer pour battre campagnes. J’ai eu deux motos au temps du Front de refus de Jo Ouéder. Il m’a dit qu’il m’a observé pour ce que je fais et que si on a de grands électeurs, il me donnait deux motos. Il me les a données et ces motos sont allées où les militants se sont vraiment battu.

Les gens oublient que si le travail se fait correctement, on n’a pas besoin de débourser de l’argent pendant la campagne (si vous vous êtes fréquemment avec les populations à la campagne vous n’avez pas besoin de plus d’efforts).

Malheureusement, ils ne sont pas prêts à aller dans ce sens et c’est vraiment dommage. Vous savez, un militant de parti, c’est celui qui est prêt à défendre les idéaux du parti ; à tout moment et en tous lieux. C’est celui qui connaît les valeurs du parti. C’est pourquoi, il se bat pour les défendre. Un vrai militant doit aussi savoir que se battre ne veut pas dire bander ses muscles. C’est dans la tête que ça se passe.

Parlant de jeunes, vous jouissez d’un bon regard au sein de jeunes que nous avons rencontrés, de la majorité comme de l’opposition, qui semblent apprécier vos conseils. Pouvez-vous partager avec ces nombreux jeunes qui n’ont pas l’opportunité de vous approcher, ce que vous dites à ces jeunes en politique qui viennent s’abreuver auprès de vous ?

D’abord, je ne refuse pas les discussions avec eux ; quel que soit leur bord. C’est pour dire que les hommes ont la bouche pour se parler, et non pour se cogner comme le font les animaux. Ensuite, je leur fais savoir que la vie-là n’est pas facile, c’est un combat qu’il faut mener. La troisième chose que je leur dis, c’est qu’il faut privilégier le dialogue. Il faut parler entre vous. Les problèmes que vous avez dans la vie, il faut que vous, jeunes, en parlez entre vous. Il faut aussi avoir le courage et l’honnêteté dans ce que l’on fait.

Si moi, par exemple, je vous dis quelque chose et que vous constatez que mon comportement ne colle pas avec ce que je vous ai dit, ayez le courage de venir me dire : doyen, vous avez dit ceci ou cela, mais on voit que vous avez plutôt fait telle chose, on ne sait pas, on veut comprendre. Je suis tenu de vous répondre. Et si vous faites ça deux ou trois fois, que je vous rejette, en ce moment, vous coupez le contact avec moi. Mais, il ne faut jamais, sans avoir discuté avec quelqu’un, le condamner. C’est ce que j’ai toujours dit aux jeunes. Il faut toujours se parler, sinon comment vous pouvez construire ? Même quand on est de partis opposés là aussi, vous n’êtes pas des ennemis, ce sont seulement des idées qui diffèrent. Mais, normalement, tout concourt à construire le pays !

Alors, pourquoi ne pas échanger entre vous ? Moi, j’ai des amis à l’opposition. Même quand je suis parti du CDP, je n’ai jamais rompu avec ceux avec lesquels, j’avais des rapports. On cause. Quand on se voit, on parle. Je peux me lever aller chez quelqu’un (si c’est un aîné), ça ne me gêne pas. J’ai toujours des relations avec tous ceux avec lesquels j’ai fait un parcours politique, je ne coupe pas les relations. Maintenant, si la personne décide de ne pas me parler, ça c’est autre chose.

A vous de conclure cette interview !

Je voudrais m’excuser, si toutefois mes propos venaient à heurter quelqu’un. J’ai dit simplement ce que je pense sur des sujets sur lesquels j’ai été sollicité à travers cette interview. Je suis un des doyens sur la scène politique (je traîne ma bosse depuis pratiquement 1976-1977). J’estime que j’ai des analyses à partager avec les jeunes, qu’ils se servent de ce que j’ai comme atouts, mais aussi d’insuffisances (l’homme est neuf). C’est par ce partage qu’on peut construire solidement notre chère patrie.

Mon problème aujourd’hui, ce sont les archives, qui ont été décimées. Sinon dans tous les partis où j’ai été, j’ai toujours occupé l’organisation ou les relations extérieures et j’avais les notes de toutes les réunions. Malheureusement, tous ces documents sont partis. Sans quoi, quand je reprenais les notes, regardes ce que les gens disaient et ce qu’ils font actuellement, c’est grave. C’est vraiment très grave. Les gens sont trop changeants. Vous savez, le G7 dans le temps, on était très bien organisé. Mais pour une histoire de postes, on s’est éparpillé. Ce sont des situations qui ne sont pas bonnes. Je suis de ceux qui pensent qu’il est toujours bon d’affûter ses armes politiquement avant d’occuper des postes ministériels. Mais aujourd’hui, les gens courent après les postes. Ce qui n’est, à mon avis, pas bien.
Merci à Faso.net de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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