Actualités :: Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

"Il faut souvent changer d’opinion pour rester dans son parti" écrivait, visionnaire, le Cardinal de Retz (1613-1679), trois siècles avant la naissance des partis politiques modernes. Cette affirmation n’en demeure pas moins intelligible dans l’architecture actuelle du système partisan, omniprésent dans les Etats démocratiques. Elle interroge sur la raison d’être de ces outils que constituent les partis politiques, considérés à leur naissance dans les années 1850 en Allemagne comme des avancées majeures pour la vie démocratique, mais aujourd’hui de plus en plus contestés quant à leur fonctionnement interne notamment.

Un parti, c’est une structure qui rassemble des citoyens, électeurs ou élus, qui partagent une communauté de valeurs et d’opinions politiques. Cela nous conduit à nous demander si les bienfaits du système partisan en matière de pluralisme politique ne sont pas éclipsés par ses caractéristiques fonctionnelles lorsqu’il est confronté à la réalité du système démocratique, jusqu’à le dénaturer.

Il convient tout d’abord de montrer en quoi le système partisan est un vecteur contesté de la légitimité démocratique, avant de voir qu’ils demeurent un moyen d’expression démocratique incontournable, et enfin de passer en revue les possibilités de refondation du système partisan qui pourraient la condition de sa survie sur le long terme.

Les partis politiques font face à des critiques de plus en plus vives de la part de la société civile ainsi que des experts. Le système partisan apparait aujourd’hui comme un levier obsolète de la légitimité démocratique.

Tout d’abord, les partis politiques sont régulièrement accusés de monopoliser la vie politique au détriment des citoyens. Les primaires, s’il y en a, c’est à dire les élections qui se tiennent au sein des partis pour choisir le candidat de telle ou telle formation aux élections présidentielles, ne sont en règle générale ouvertes qu’aux seuls adhérents ou sympathisants de la formation en question, ce qui constitue une restriction majeure des leviers par lesquels les citoyens peuvent participer in fine au choix de leur président.

Quant aux élections législatives, le choix des candidats dans les différentes circonscriptions relève souvent de la décision arbitraire des partis en lice, quitte à proposer dans certains cas un candidat vu comme déconnecté de ses électeurs et des enjeux territoriaux qu’il est supposé défendre. Passé le temps des élections, l’exercice du pouvoir repose aussi étroitement sur les partis politiques, car ils sont les seuls à pouvoir, via les groupes parlementaires, déposer une motion de censure pour faire tomber un gouvernement en place.

Par ailleurs, en agrégeant les opinions de larges pans du corps électoral, les partis sont également sujets à ce que Tocqueville appelle la "tyrannie de la majorité", qui pousse les électeurs ayant des opinions minoritaires au sein de leur parti à accepter des compromis. Ainsi, la volonté de conquérir le pouvoir et d’accéder aux responsabilités pousse les partis à se détourner fréquemment des citoyens qui forment pourtant leur terreau sur le plan électoral.

Au-delà de leur caractère monopolistique, une autre forme de contestation est apparue plus récemment, en l’occurrence le manque de transparence. En Europe, des scandales particulièrement médiatisés comme l’affaire Bygmalion ou l’affaire Karachi sur fond de soupçons de financement illégal de campagnes ont fait éclater au grand jour cette accusation récurrente qui pèse sur les formations politiques.

L’Europe n’est d’ailleurs pas le seul continent touché, puisque des partis américains, africains ou encore océaniens ont également été exposés à de telles critiques, parfois dans le cadre de campagnes d’instrumentalisation à des fins politiques, mais le plus souvent par les citoyens eux-mêmes se sentant trahis par leurs représentants. La transparence quant à l’utilisation des ressources financières par les partis politiques, une large part de ces ressources étant issue des adhérents eux-mêmes, est désormais au cœur des débats.

En dépit de ces fragilités, le système partisan conserve des avantages qui concourent à en faire un moyen d’expression démocratique incontournable.
Acteurs centraux du pluralisme politique, les partis opèrent un agrégat des opinions qui permet à des citoyens de faire entendre leur voix dans les instances représentatives jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, ce qu’ils ne pourraient pas faire s’ils agissaient seuls.

A l’instar des syndicats, les partis agissent comme un remède à l’éclatement, à l’atomisation de la société en matière d’opinions politiques. Bien sûr, l’offre partisane n’est pas uniforme dans les Etats démocratiques : certains systèmes sont bipartisans, comme le système américain ; tandis que d’autres reposent sur une fragmentation plus ou moins poussée du paysage politique, à l’image du pouvoir législatif israélien.

A cet égard, le mode de scrutin, selon qu’il soit majoritaire ou proportionnel, influence considérablement la composition partisane du parlement. En effet, plus le mode de scrutin est proportionnel, plus les petits partis ou de chances d’être représentés. Le corollaire de cette affirmation est que les citoyens ont plus de chance de s’identifier pleinement aux idées défendues par un parti politique lorsque l’offre partisane est nombreuse, alors qu’à l’inverse un système bipartisan ne correspond que grossièrement à la réalité sociale puisque les opinions politiques - et même les systèmes de valeurs - sont rarement binaires.

Les formations politiques permettent également à l’opposition de jouer un véritable rôle de contrepoids et de contrepouvoir. Au Burkina, plusieurs leviers constitutionnels et législatifs permettent aux partis d’opposition de faire entendre la voix de la minorité face à la majorité parlementaire, notamment à l’article 13 de la Constitution : " Les partis et formations politiques se créent librement. Ils concourent à l’animation de la vie politique, à l’information et à l’éducation du peuple ainsi qu’à l’expression du suffrage. Ils mènent librement leurs activités dans le respect des lois. Tous les partis ou formations politiques sont égaux en droits et en devoirs…" et les prérogatives des groupes d’opposition dans les règlements de l’assemblée.

Logiquement, la commission des finances de l’Assemblée nationale doit être présidée par un parlementaire issu d’un parti d’opposition, et de nouvelles règles de pluralisme devront été instituées au sein des commissions d’enquête et des missions d’information. Enfin, les partis politiques jouent également un rôle de contrepouvoir, puisqu’ils contrôlent l’action du gouvernement et en pointent les éventuels dysfonctionnements à l’extérieur de la sphère parlementaire.

Dès lors, il convient de s’interroger sur les outils qui permettraient de mettre fin à ce paradoxe et de redonner de l’oxygène au système partisan, afin qu’il soit plus proche d’un équilibre entre représentativité et efficacité.

De nouvelles modalités d’expression partisanes peuvent être envisagées. Le sociologue Ostrogorsky, dans son ouvrage de 1902 intitulé La démocratie et les partis politiques, affirme par exemple que le parti est une machine qui n’a plus pour rôle de rendre réels les objectifs affichés à ses électeurs, mais de perpétuer l’organisation en tant que telle, et que la seule solution pour éviter cet écueil serait de créer des "partis ad hoc", c’est-à-dire temporaires et qui regrouperaient plusieurs citoyens autour d’un enjeu spécifique et non pas autour d’une communauté d’idées.

Cette logique d’opportunité est aujourd’hui plébiscitée dans les démocraties modernes, qui connaissent une crise du parti traditionnel. En revanche, un tel fonctionnement nuirait à la stabilité politique qui est une condition sine qua non de l’efficacité d’un gouvernement.

Toutefois, ce sont les concepts de démocratie participative et de démocratie délibérative qui se démarquent particulièrement dans le contexte actuel. La démocratie participative repose sur le postulat que le citoyen ordinaire doit avoir un rôle actif dans la prise de décision, tandis que les tenants de la démocratie délibérative estiment que ce processus doit s’effectuer dans le cadre d’une délibération libre, juste, et si possible informée et publique. Les budgets participatifs, imaginés dans plusieurs villes brésiliennes dans les années 1960, sont emblématiques de la démocratie participative.

On peut également citer l’exemple des jurys citoyens, apparus dans les années 1970 en Allemagne et au Danemark, similaires aux jurys d’assises dans la mesure où un groupe de citoyens tirés au sort est invité à débattre de manière informée sur une question controversée et à émettre un avis à l’issue du processus. A l’heure du numérique, les licences libres Creative Commons offrent une autre illustration de ce modèle.

Quant aux procédés délibératifs, la création en 2004 dans la province canadienne de Colombie-Britannique d’une Assemblée citoyenne formulant des propositions soumises au référendum en est emblématique. Notons cependant que ces deux modes de fonctionnement, participation et délibération, ne sont pas tant envisagés comme un substitut au système partisan mais davantage comme un complément qui introduirait davantage de représentativité, de pluralisme, de souplesse et de créativité à ce dernier, permettant ainsi aux partis de survivre à la crise qu’ils traversent actuellement.

Fondée sur des motifs tant philosophiques que politiques et moraux, la contestation du modèle traditionnel du parti mérite néanmoins d’être relativisée à l’aune des différents leviers qui permettent aux formations politiques d’opposition de jouer un rôle de contrepoids et de contrepouvoir vis-à-vis du gouvernement.

Solution extrême, l’interdiction des partis politiques apparait peu pertinente comparativement aux nombreuses possibilités d’équilibrage, de médiation et de revivification démocratique offertes par exemple par les modèles participatifs et délibératifs, qui offrent une alternative au vote agrégateur d’opinions, ou encore l’instauration de nouvelles règles instaurant davantage de proximité entre les partis des citoyens tout en conservant l’architecture globale du système partisan.

Banakourou BK
*(S. Weil)

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