Actualités :: Candidature de Blaise Compaoré : 1 + 1 = combien ?

La candidature de Blaise Compaoré à l’élection présidentielle
du 13 novembre, continue de susciter des commentaires.
Mathieu N’Do, membre du bureau politique de l’Union nationale
pour la démocratie et le développement (UNDD) est formel : "ce
candidat-là ne doit pas briguer un troisième mandat".

"J’ai été au nombre des lecteurs qui ont apprécié les écrits de
Mahama Sawadogo et de Moumini Boly sur l’article 37. Mais
enfermés dans leur tête-à-tête, le débat peut devenir oiseux et
induire que seul le professeur Loada, dont on ne sait pas
encore s’il va répondre ou non, détient la clé du mystère. Il n’est
pas le juge suprême de la légalité constitutionnelle et il n’est
pas le seul à s’être prononcé sur la question. D’autres l’ont fait
en faveur ou contre.

Un poids lourd du contre est le bien connu
Professeur Luc Ibriga qui persiste et signe depuis des années
que Blaise Compaoré ne peut pas briguer un troisième mandat.
Alors, que le Professeur Loada revienne ou non sur ses
positions, ça ne changera rien à l’affaire ni au droit. Ce qui
compte, c’est que les arguments avancés pour dire qu’une
troisième candidature est possible, vont aujourd’hui comme hier
contre le bon sens et le droit.

Commençons d’abord par ceux qui disent que les opposants
sont mal venus de contester le droit au président de se
présenter puisqu’ils n’ont pas obtenu au moment de la
deuxième révision, que la limitation soit affectée d’une clause
spécifiant qu’elle s’applique à Blaise Compaoré.

Est-ce à dire
qu’un fait criminel perd sa qualification selon que le délinquant
use d’ingéniosité, de force pour le contourner ou selon que la
victime, pour différents motifs, n’aille pas en justice
immédiatement pour faire valoir ses droits ? Rien n’est plus
faux, hormis les cas légalement prévus d’extinction de l’action
publique. Non et non, les opposants peuvent toujours se
prévaloir de la Constitution pour refuser la candidature de Blaise
Compoaré.

Mais à supposer même que les opposants aient
demandé cette clause spécifique, comment peut-on imaginer
que dans la configuration de l’Assemblée à l’époque (21
députés à l’opposition contre 91 à la majorité), compte tenu des
pratiques qui attestent que les voix de la majorité présidentielle
ne se perdent pas, surtout s’agissant d’un point aussi capital,
l’opposition remporte la victoire ? C’est conscient de cette
impossibilité que, dès les travaux préparatoires de la
Commission de concertation sur les réformes politiques, le ton
était déjà donné par certains partis d’opposition en effet.

Le 10
Janvier 2000, l’ADF-RDA, version Me Hermann Yaméogo, dans
ses observations à l’attention de la Commission, prévenait en
ces termes : « La proposition de la Commission de limiter à
nouveau le nombre de mandats présidentiels rétablit un peu les
choses mais la commission s’est cru en devoir de ’faire plaisir’
au Président Compaoré en lui permettant non seulement
d’achever son septennat actuel (proposition 2 page 22) mais
aussi de briguer, s’il le veut, deux autres mandats de 5 ou 7 ans.

"La défense de la Constitution incombe à tous"

Ce faisant, la Commission n’a pas respecté l’esprit de la
demande populaire relayée par le Collège de sages ». Le parti
poursuit : « .. la révision de l’article 37 et le retour à la limitation
du nombre de mandats présidentiels devront être accompagnés
d’une mesure politique forte qui permette de ramener
progressivement la confiance entre les acteurs politiques : c’est
l’acceptation par le Président Compaoré d’organiser des
élections présidentielles anticipées auxquelles il ne participera
pas ».

Les opposants ne pouvaient pas faire plus que ce qu’ils
ont fait à l’époque : dénoncer, voter contre et continuer à
dénoncer l’interprétation dolosive donnée à cette révision ainsi
qu’ils l’ont encore fait à l’occasion du dépôt de leur
Mémorandum sur l’article 37 le 23 février 2004 et tout
récemment avec la lettre ouverte au chef de l’Etat pour le
dissuader de se présenter. Il faut dire d’ailleurs que le
Professeur Loada lui-même ne devrait pas pouvoir soutenir, en
principe, la position selon laquelle les opposants ne peuvent
que se prévaloir de leurs propres turpitudes.

Ses prises de
position sur l’article 37 avec son conte sur la République de
Boungawa ne sont pas intervenues au moment de la révision de
l’article 37 mais postérieurement. C’est dire que l’effet du temps
n’avait donc pas à son sens, opéré prescription.
Il y a d’ailleurs, dans cette tendance à se défausser sur
l’opposition de cette fraude à la Constitution, quelque chose
d’injuste et de proprement malhonnête de la part du pouvoir.

Si
l’opposition est au premier chef intéressée parce qu’elle lutte
pour la conquête du pouvoir, la défense de la Constitution
incombe à tous parce qu’elle est l’affaire de tous. On pourrait
même dire qu’elle incombe plus aux leaders de la société civile,
aux professeurs de droit qu’aux politiques accusés parfois, à tort
ou à raison, de défendre plus leurs propres intérêts que l’intérêt
de tous. Alors, qu’ont-ils fait tous ces contre-pouvoirs,
mouvements de défense des droits humains, pouvoirs
médiatiques, gardiens du temple de Thémis, lorsque la révision
était entreprise à l’Assemblée ? Qui les a entendus se
manifester ? Pourquoi n’ont-ils pas obtenu que l’on précise que
la limitation s’appliquait spécifiquement à Blaise Compaoré ?

"Deux mandats, pas plus"

Enfin, pour en finir avec cette fausse polémique, on peut
renvoyer la question à ceux qui la posent. Pourquoi le pouvoir
n’a-t-il pas lui-même prévu, la loi étant il le sait bien soumise au
principe d’égalité, que par une clause spécifique, Blaise
Compaoré soit spécialement et explicitement libéré de
l’interdiction constitutionnelle générale ? En ne le faisant pas, il
a joué de félonie avec la loi, ce qui aggrave sa responsabilité.

Pas plus que la validation de la fraude par l’inaction de
l’opposition, celle du seul recours à la solution politique pour
sortir de la crise, ne persuade. C’est vrai que lorsque la force en
arrive à contraindre le droit, on peut être amené à recourir à la
négociation, pour ne pas dire à la magouille, afin de sortir de la
crise. Mais ce n’est pas pour autant que dans le principe, le fait
politique puisse primer le fait juridique : ce serait établir une
situation d’incertitude dans les relations humaines et ôter sa
force socialisante au droit !

Mais l’argument massu avancé pour arracher en faveur de
Blaise Compaoré le droit de se présenter , c’est celui de la
non-rétroactivité de la loi. Rappelons tout d’abord que le
principe, consacré dans la Constitution en son article 5, n’est
valable que pour la loi pénale. Cela limite donc le champ
d’action de la non-rétroactivité. On doit par ailleurs souligner que
la loi peut être rétroactive lorsqu’elle est bénéfique à la majorité.
Il s’agit de l’application de la rétroactivité dite « in mitius » : les
lois plus douces s’appliquent au fait commis avant leur entrée
en vigueur.

Et à chaque fois qu’il y a recours à interprétation sur
la question de la rétroactivité ou non, la solution retenue a
toujours été celle qui bénéficie au justiciable, au destinataire. Or,
la révision de 2000, qui restaure la limitation du mandat, a été
voulue par le peuple pour sanctionner l’atteinte à la Constitution
de 1997 dont s’est rendu coupable Blaise Compoaré dans le
but de pouvoir briguer plus de deux mandats. C’est donc une
révision qui participe de la pacification sociale, de la bonne
gouvernance.

Si les lois pénales plus douces sont rétroactives parce que
prises dans l’intérêt des citoyens, donc du plus grand nombre, il
est manifeste que là aussi le retour à la limitation, plus
favorable, parce qu’intervenue dans l’intérêt des citoyens, du
peuple doit profiter à tous les Burkinabé et interdire
naturellement au chef de l’Etat sortant de se présenter.

Mais on n’a pas besoin de plonger aussi profondément dans le
droit pour démasquer la fraude à la Constitution ; il suffit de s’en
remettre au bon sens du pédagogue Sayouba Traoré qui a fait
sensation dans un article du 24 février 2004 où, nous ramenant
en classe de CP 1 des années 50, il a expliqué que la
Constitution de la 4ème République, qui nous régit jusqu’à ce
jour, notamment à travers l’article 37, stipule toujours que le
mandat présidentiel est de deux termes, que par conséquent le
président ne peut briguer que 1 mandat + 1 mandat, soit 2
mandats, pas plus, parce que 1 bâtonnet + 1 bâtonnet = 2
bâtonnets mais pas 3 bâtonnets.

"La Constitution n’a pas été adoptée pour Pierre, Paul ou Blaise"

Mais l’homme de l’art, le Professeur Ibriga, sans être rébarbatif,
a réussi la prouesse de rendre accessible la question
ésotérique, noire comme la nuit pour les profanes, de la
non-rétroactivité. Il a expliqué que la révision, pour n’être pas
rétroactive, n’en est pas moins d’application immédiate dans le
temps. Il nous l’a fait comprendre en abordant la révision de
2000 sous deux angles.

Le premier concède la non-rétroactivité en protégeant la
situation acquise de Blaise Compoaré, en lui reconnaissant par
conséquent le droit de jouir de la totalité de son septennat sans
possibilité que la révision de 2000, réhabilitant la limitation
(mais sous la forme d’un quinquennat renouvelable une fois),
ne l’oblige à écourter son mandat commencé en 1998. Non, il
finira son mandat en 2005 au lieu de le terminer en 2003. Le
contrat est rempli en ce qui le concerne.

Mais, disions-nous, le professeur dit aussi que le deuxième
angle sous lequel il faut voir la révision de 2000, c’est l’angle de
l’avenir. Lorsqu’on arrivera en 2005, que le deuxième septennat
sera épuisé, Blaise Compaoré ne pourra plus s’inscrire dans la
course pour un troisième mandat car la nouvelle révision
s’appliquera aussi à lui. Le contrat est ici rempli par contre
vis-à-vis du peuple. Voilà ce que le professeur a eu le mérite de
décortiquer pour amener à battre sans réplique sérieuse
jusqu’à ce jour, les partisans de la non-rétroactivité totale sur
leur propre terrain.

Il faut limiter ici le débat, ne pas chercher à en référer
absolument ni à Loada ou au Conseil Constitutionnel qui est la
voix de son maître, ni d’une manière générale aux barbarismes
juridiques. Restons rivés à la lettre et à l’esprit de la Constitution
de 1991, gardons le cap sur la logique et le bon sens car,
comme l’a dit en substance le CODECO dans son Appel du 18
Juin 2005, la Constitution n’a pas été adoptée pour Pierre, Paul
ou Blaise qui peuvent la transformer à leur guise ; elle oblige
pareillement tous les citoyens.

C’est pour cela que lorsqu’en
2000, Blaise Compaoré a été obligé de revenir au mécanisme
de la limitation du mandat qu’il avait pris sur lui de déverrouiller
en 1997, il aurait été superflu de préciser que la restitution de la
limitation s’imposait à lui. On ne pouvait pas l’obliger à réparer
une faute et dans le même temps, l’autoriser à continuer à la
commettre. Totalement insensé !

Combattons toujours l’imposture par le bon sens de Mr 
Sayouba Traoré : la Constitution est toujours la même depuis
1991 ; son article 37 reste inchangé par rapport à la limitation du
mandat. « Il (le président du Faso) est rééligible une fois ». D’où
viendrait alors que Blaise Compaoré puisse être éligible une
troisième fois ?

Enfin, si on laissait passer cette fraude à la Constitution, on
ouvrirait logiquement toutes grandes les portes de la
monarchisation du pouvoir puisque théoriquement, rien
n’empêcherait Blaise Compaoré, sur la base de la
jurisprudence qu’il aura forcée, de décider au cours du
deuxième mandat (après le premier quinquennat bouclé) que le
mandat est maintenant de 4 ans et d’invoquer le même principe
pour dire qu’évidemment cela ne s’applique pas à son cas. Il
pourrait alors terminer deux quinquennats et s’inscrire pour deux
autres mandats de 4 ans en attendant, si Dieu lui prête vie, de
ramener les mandats ultérieurs à 3 ou 6 ans, et ainsi de suite
jusqu’à la mort !

Mathieu N’DO,
01 BP 2061 OUAGADOUGOU 01
Tél : 76 57 82 37

Burkina Faso : Justice militaire et droits de (...)
Photos des responsables d’institutions sur les cartes de (...)
Burkina/Lutte contre le terrorisme : L’analyste (...)
Lettre ouverte au ministre de l’Énergie, des Mines et de (...)
Sénégal : Le président Bassirou Diomaye Faye quittera-t-il (...)
Cuba : L’Association des anciens étudiants du Burkina (...)
Sahel : "La présence américaine dans la région joue un (...)
Burkina/Transport : La SOTRACO a besoin de recentrer (...)
Burkina Faso : La politique sans les mots de la (...)
Burkina/Crise énergétique : « Il est illusoire de penser (...)
Le Dioula : Langue et ethnie ?
Baisse drastique des coûts dans la santé : Comment (...)
Sénégal / Diomaye Faye président ! : La nouvelle (...)
Burkina : De la maîtrise des dépenses énergétiques des (...)
Procès des atrocités de l’Occident envers l’Afrique (...)
Afrique : Des pouvoirs politiques traditionnels et de (...)
La langue maternelle : Un concept difficile à définir (...)
Technologies : L’Afrique doit-elle rester éternellement (...)
L’Afrique atteint de nouveaux sommets : L’impact de (...)
Burkina Faso : Combien y a-t-il de langues ?
Au Cœur de la prospérité : « Une Ode au Développement et à (...)

Pages : 0 | 21 | 42 | 63 | 84 | 105 | 126 | 147 | 168 | ... | 5397


LeFaso.net
LeFaso.net © 2003-2023 LeFaso.net ne saurait être tenu responsable des contenus "articles" provenant des sites externes partenaires.
Droits de reproduction et de diffusion réservés