Actualités :: Regard sur la justice : La justice, notion politique ou morale (...)

La justice, institution politique qui s’exerce par le recours au châtiment avec pour but de rechercher réparation ou prévention , est aussi une institution de qualité morale. Sa place au sein des autres "vertus" (une vertu parmi d’autres ?), ses normes (l’égalité" ou "l’équité" ?), ses fonctions (assurer le respect de l’égale dignité de tout homme ?)...

La justice morale inspiratrice de la justice politique, rêve ou réalité ?

La justice est un idéal moral. La justice de ce monde (selon la logique du maître d’école) est d’une autre nature : elle est l’exercice d’un pouvoir politique. Analysons cette donne à travers un compte-rendu de verdict d’un procès pour pratique de l’excision à travers un article de notre confrère « Le Monde » des 11/12 mars 1991.

Les faits relatés se passent en France où, huit ans après leur déroulement, la Cour d’assises de Paris a infligé une peine de cinq ans de réclusion criminelle à une Malienne de quarante-huit ans, Mme Aramata Keita, pour avoir, en 1982 et 1983, excisé les six filles d’un couple malien, M. Coulibaly et son épouse, Sémité. condamnés de leur côté à cinq ans de prison avec sursis assortis de deux ans de mise à l’épreuve. "On ne condamne pas pour des raisons extérieures à un procès, aussi bonnes soient-elles".

Cette phrase de Me Henri, prononcée lors de sa plaidoirie, résume à elle seule les débats et le sens du verdict. L’excision, ou ablation du clitoris et parfois des petites lèvres des filles, est un rite africain indéfendable, et l’avocat le réaffirmait. Mais, s’adressant aux juges, il a lancé : "Il faut quand même vous demander de comprendre... " Et il a rappelé ces trois journées de débats consacrés à une étude approfondie de ce rite africain qui pèse d’une manière considérable sur certaines populations, notamment chez les Soninkés du Mali.

Moins que celui des accusés, la cour a fait en effet le procès de l’excision. Aussi les avocats ont-ils tenté de "recadrer le procès ," selon la formule de Me Dominique Inchauspé : "On a parlé de tout sauf des accusés" . Ils ont donc rappelé qu’à la date des faits la situation juridique de l’excision n’était pas claire. "Cette affaire est contemporaine de la découverte de ces problèmes", soulignait Me Inchauspé en évoquant le long cheminement du dossier qui a abouti devant le tribunal correctionnel en 1986, à une époque où le parquet s’interrogeait encore sur l’opportunité des poursuites.

Le tribunal s’étant déclaré incompétent, la Cour d’assises a été saisie. Mais cette indécision a fait dire à l’avocat : "Comment peut-on exiger que ces gens-là, illettrés, aient eu une conscience meilleure que des magistrats ? Comment peut-on leur reprocher de ne pas avoir su qu’ils risquaient de se retrouver devant votre juridiction ? Nous-mêmes on ne le savait pas. Mais le réquisitoire de l’avocat général, Mme Dominique Commaret, était construit sur d’autres bases.

En demandant trois ans de prison avec sursis contre les époux Coulibaly et une peine qui ne soit pas inférieure à cinq ans de réclusion criminelle contre Mme Keita, le magistrat avait notamment déclaré : "L’excision est inacceptable. Absoudre de telles pratiques aujourd’hui, c’est condamner de nombreux enfants qui vivent sur notre sol et leur refuser la protection de la loi". L’avocat général avait ensuite balayé d’un geste les arguments des scientifiques qui avaient évoqué les pressions de la coutume : "Vous n’êtes pas des ethnologues, vous n’êtes pas des anthropologues, vous êtes des juges".

Fatalisme

Mme Keita appartenait à une caste d’anciens esclaves dont les membres sont souvent chargés de faire les excisions. C’est tout ce que l’on sait d’elle et son mutisme fataliste n’a certainement pas favorisé une compréhension de son rôle. Mais l’avocat général n’en retient que l’aspect lucratif qui serait plus important que le pagne et le savon exigés par la coutume. Cependant, c’est surtout l’exemple qui compte aux yeux du magistrat, qui ne s’en cache pas lorsqu’elle martèle : "Il faut que l’on sache, dès ce soir, dans tous les foyers africains que l’excision est devenue un gagne-pain à haut risque pénal".

Ce propos a choqué Me Mamadou Sawadogo, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Burkina, qui en a déduit : "Il faut condamner, tout simplement ! Pour montrer que nous sommes prêts à tout pour combattre l’excision, nous sommes prêts à juger hâtivement des gens qui ne sont pas des délinquants". Et Me Inchauspé d’ajouter : "C’est profondément injuste ».Quelle explication de la différence d’attitude entre avocat général et avocat de ma défense ?

Attitude de l’avocat de la défense : à l’écoute du verdict, il crie à l’injustice au nom de la relative innocence des accusés. Attitude de l’avocat général : il plaide en faveur du droit à faire valoir au nom de ceux que la loi doit protéger. Les deux attitudes reposent sur deux notions différentes de la justice.

Primo, la défense parle au nom de la justice morale et secundo, l’accusation parle au nom de la justice politique.

Définition

Le mot "justice" vient du mot latin "justicia" qui désigne le caractère de ce qui est juste, conforme au « jus », au droit. En un premier sens, la justice est l’ensemble des institutions (de l’Etat) destinées à appliquer le droit. En ce sens, justice est une réalité institutionnelle (juridique) de nature politique. En un deuxième sens, la justice est le caractère de ce qui respecte le droit, de ce qui est équitable. En ce sens, la justice est une qualité morale, une " vertu ". Le jugement de Salomon, tel qu’énoncé par la bible, en est un exemple. (Cf. Bible, Premier livre des Rois, chapitre 3 versets 16 à 28)

"Alors deux prostituées vinrent vers le roi et se tinrent devant lui. L’une des femmes dit : "S’il te plaît, Monseigneur ! Moi et cette femme nous habitons la même maison, et j’ai eu un enfant, alors qu’elle était dans la maison. Il est arrivé que, le troisième jour après ma délivrance, cette femme aussi a eu un enfant ; nous étions ensemble, il n’y avait pas d’étranger avec nous, rien que nous deux dans la maison.

Or le fils de cette femme est mort une nuit parce qu’elle s’était couchée sur lui. Elle se leva au milieu de la nuit, prit mon fils d’à côté de moi pendant que ma servante dormait ; elle le mit sur son sein, et son fils mort elle le mit sur mon sein. Je me levai pour allaiter mon fils, et voici qu’il était mort ! Mais, au matin, je l’examinai, et voici que ce n’était pas mon fils que j’avais enfanté ! » Alors l’autre femme dit : "Ce n’est pas vrai ! Mon fils est celui qui est vivant, et ton fils est celui qui est mort ! » et celle-là reprenait : "Ce n’est pas vrai ! Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! » Elles se disputaient ainsi devant le roi, : " Celle-ci dit : " Voici mon fils qui est vivant, et c’est ton fils qui est mort ! " et celle-là dit : " Ce n’est pas vrai ! Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! " Apportez-moi une épée », ordonna le roi ; et on apporta l’épée devant le roi, qui dit : "Partagez l’enfant vivant en deux et donnez la moitié à l’une et la moitié à l’autre. » Alors la femme dont le fils était vivant s’adressa au roi, car sa pitié s’était enflammée pour son fils, et elle dit : " s’il te plaît, Monseigneur ! Qu’on lui donne l’enfant, qu’on ne le tue pas ! » mais celle-là disait : "Il ne sera ni à moi ni à toi, partagez ! » Alors le roi prit la parole et dit : "Donnez I’enfant à la première, ne le tuez pas. C’est elle la mère. » Tout Israël apprit le jugement qu’avait rendu le roi, et ils vénérèrent le roi car ils virent qu’il y avait en lui une sagesse divine pour rendre justice." Face à cette donne, voilà le commentaire d’un philosophe français : René Girard.

Le jugement de Salomon, selon lui, est la figure exemplaire de l’accomplissement de la justice, tant politique que morale : dans ce jugement, le pouvoir politique s’exerce, éclaire, au service du droit, celui de la Vie !

A suivre...

El Hadj Ibrahiman SAKANDE (ibra.sak@caramail.com)
(Collaboration SIDWAYA-REJIJ-PADEG)

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