Actualités :: Djéjouma Sanon : le sankarisme selon la CDS

Urbaniste de formation, il a été ministre délégué à l’Habitat sous le gouvernement protocolaire. De nos jours, il est l’unique député de la Convention pour la démocratie sociale (CDS) à l’Assemblée nationale.

Depuis octobre 2004, il a succédé à Valère Somé, un des grands artisans de la Révolution démocratique et populaire burkinabè (RDP), à la tête du parti. Djéjouma Sanon, puisque c’est de lui qu’il s’agit, nous a reçu le mardi 15 février 2005, à son cabinet d’architecture et de l’urbanisme Création et réalisation d’espaces architecturales (CREA), sis à Sankariaré ; il nous parle, entre autres, des conclusions de leur dernier conseil politique national, de la situation qui prévaut au sein de l’opposition et de bien d’autres sujets de la vie nationale.

Pouvez-vous nous rappeler les grandes conclusions de votre conseil politique national du 5 février dernier ?

Merci à l’Observateur de s’intéresser à ma modeste personne et particulièrement à notre groupe, la Convergence pour la démocratie sociale, en abrégé CDS, que d’aucuns, dans le jargon de notre landerneau politique, pourraient qualifier de « petit parti ». Mais là c’est peut-être ignorer que la CDS a une longue histoire.

Bref ! Pour répondre à votre question, je voudrais d’emblée rappeler qu’il s’est agi d’un conseil statutaire du parti dont les textes stipulent que le conseil politique national se tient deux fois par an. C’était donc la première fois que nous la tenions depuis notre congrès du 16 octobre 2004. Avant de vous en donner le contenu, je voudrais préciser que les travaux ont essentiellement porté sur la vie du parti. Il s’est agi de voir dans quelle mesure le parti pourrait occuper davantage le terrain. La CDS est actuellement implantée dans 25 provinces sur les 45 que compte le pays. Nous avons estimé qu’aujourd’hui ce niveau d’implantation, bien qu’acceptable, reste insuffisant.

Alors, une des grandes conclusions phares de cette rencontre était la réaffirmation de notre ambition d’occuper davantage le terrain, non seulement d’un point de vue géographique de la couverture nationale mais aussi dans une perspective de lisibilité par l’information de l’opinion des positions de la CDS sur les évènements nationaux. 2005 étant, comme vous le savez, une année électorale, nous ne pouvions pas passer sous silence la présidentielle, les locales et les stratégies y relatives à développer. Pour ce qui est de la présidentielle, nous avons réaffirmé notre position qui est de soutenir l’opposition pour qu’elle puisse dégager un candidat unique. Mais aujourd’hui, cette position n’est pas de mise parce que l’ensemble de l’opposition regroupé au sein de « Alternance 2005 », et dont nous faisons partie, a décidé de dégager trois candidats.

Nous souscrivons à cette décision collective. Notre souhait est que cet objectif soit respecté dans l’espoir que pour un second tour, il y ait des reports de voix ; le but étant l’alternance en 2005. Le parti a par ailleurs décidé d’attendre que l’opposition aboutisse à la désignation des trois candidats. Si elle ne parvenait pas à cet objectif, la CDS se réunira de nouveau pour se prononcer sur cette échéance électorale qu’elle estime capitale. Certains camarades ont suggéré d’emblée lors de nos discussions, que nous allions aux élections avec notre candidat mais c’est là un point de vue qui a vite été relégué au second plan. Ce sont là, entre autres, les conclusions majeures issues de notre conseil politique national.

Pour le grand public, est-ce que vous pouvez nous parler de votre parcours politique ?

Il est vraiment très difficile de parler de soi-même. Et il est encore plus difficile pour quelqu’un comme moi qui suis jeune sur l’échiquier politique. Mon parcours, je l’avoue, n’est pas trop long. Vous comprenez donc que c’est souvent très gênant de parler d’un parcours ni très long ni très riche, surtout quand on sait que parmi ceux qui vous lisent, il y en a qui vous ont formé, soutenu ou enseigné.

Mais comme il faut se plier à l’exercice, ce dont je ne doute pas, c’est que je suis un fruit de la Révolution démocratique et populaire (RDP) d’août 1983 à octobre 1987. J’ai donc été militant CDR jusqu’en 1987 où j’ai choisi mon camp qui n’était pas celui de la rectification.

J’étais en ce moment étudiant à Lomé. A la fin de mes études, je suis allé en France où j’ai continué à militer auprès de mes camarades qui s’y étaient exilés suite au drame du 15 octobre 1987. Parmi eux, il y avait Valère Somé, Gilbert Kambiré et bien d’autres. Nous avons poursuivi le combat ensemble jusqu’en 1990 où nous nous sommes retrouvés pour créer le Parti pour la démocratie sociale (PDS), différent de celui qui est sur le terrain aujourd’hui.

Le premier PDS, c’est bien nous qui l’avons créé depuis Paris en 1990. C’est vous dire que la CDS est une suite logique du PDS. Bien qu’avoir vu le jour en France, la PDS était dirigé depuis le Burkina par des camarades à l’image de Train Raymond Poda qui, malheureusement, étaient à l’époque incarcérés. Nous avons évolué ainsi jusqu’à ce que le parti soit légalisé après l’adoption de la Constitution en 1991. A mon retour au bercail, après Valère Somé, le PDS s’était uni avec d’autres partis comme le PEP de Charles Salvi Somé et le GAD d’Hamidou Diao.

Ce sont ces différents groupes qui s’étaient alliés au PDS pour former le PDSU. C’est en ce moment que nous avons entamé le processus d’unification des partis sankaristes. C’est de ce processus et des différentes discussions qu’on a vu naître la Convention des partis sankariste (CPS) qui a accouché de la Convention panafricaine sankaristes qui est la CPS actuelle. A la CPS, nous n’avons pas véritablement trouvé satisfaction pour bien de raisons qu’il serait fastidieux d’évoquer ici.

Citez-nous en quand même quelques-unes.

Il faut avouer qu’au sein de la CPS, l’esprit démocratique faisait défaut. Il y régnait une atmosphère d’intrigues et de médisances. Bref, la situation n’était pas favorable à la réalisation des objectifs majeurs dont le principal était de s’organiser pour la prise du pouvoir avec un projet de société. Nous avons pu forcer jusqu’aux législatives de 2002 où, le jour même du dépôt des listes, des camarades ont exprimé leur ras-le-bol en allant en alliance avec un autre parti, notamment l’UDPI sous la bannière duquel nous avons participé aux législatives. Nous en sommes sortis avec un seul député en ma personne.

Bien avant les législatives, nous avions envisagé de nous retrouver en alliance avec le PDS ; parce qu’à l’époque, nous avions estimé que nos objectifs n’étaient pas atteints au sein de la CPS. Nous avions pratiquement programmé la création de la CDS bien avant. Mais malheureusement notre compagnon du moment, l’UDPI, n’a pas voulu respecter ses engagements. Nous avons malgré tout créé notre parti et, aujourd’hui, après Valère Somé, je suis le président de cette formation politique. La CDS se situe alors en droite ligne de la PDS. Pour revenir à mon parcours politique, il est intéressant de noter qu’après la CPS, aujourd’hui nous sommes de la CDS où nous clamons haut et fort que nous nous démarquons du sankarisme. C’est là un passage qu’il convient de ne pas occulter.

Comment avez-vous été amené à prendre la tête de la CDS ?

Pour mon accession à la tête du parti, il faut se rappeler que c’était à la suite d’un congrès extraordinaire. Et c’est au cours de ce congrès que Valère a estimé qu’il fallait qu’une autre équipe prenne les devants de la CDS. Nous avons des idéaux communs qui datent de 1978 et nous les avons défendus ensemble pendant longtemps. Il a estimé à un moment donné que les jeunes qui ont travaillé avec lui avaient le bagage nécessaire pour continuer le combat.

Je voudrais saisir cette opportunité que vous m’avez offerte pour rendre hommage à ce camarade de lutte de longue date qu’est Valère Somé qui a donné un exemple en faisant en sorte qu’au congrès du 16 octobre 2004 je sois choisi par les militants pour diriger le parti. Il a donné l’exemple de l’alternance. Il a montré par là qu’on peut être utile sans être chef de parti. Nous avons été le premier à donner l’exemple et le PDP/PS nous a emboîté dernièrement le pas. Ce qui veut dire qu’on n’a pas besoin d’être grand pour donner l’exemple. Je ne peux que rendre hommage à ce camarade qui s’est battu pour le Burkina, un grand acteur de la révolution qui a estimé aujourd’hui qu’il peut continuer à soutenir ses idéaux et sa lutte sans être forcément au premier rang. Et en effet, aujourd’hui, nous ne manquons pas de soutien de sa part pour animer la vie du parti.

Mais que comprendre de la CDS quand elle dit n’être pas sankariste ?

Il y a deux éléments essentiels. Le premier, c’est que nous avons renoué avec nos idées de base qui remontent de 1978 ; donc avant même la révolution d’Août-84. Après avoir tenté l’expérience dans le sankarisme, nous avons estimé que nos idées de base, avec lesquelles nous avions participé à la consolidation de la révolution tant en théorie qu’en pratique, étaient celles-là qui étaient plus justes.

Mais nous assumons entièrement l’héritage, en bien comme en mal, de la révolution dont nous avons été d’ardents acteurs. Nous avons estimé que se déclarer sankariste aujourd’hui comporte pour nous des insuffisances ; parce que le sankarisme d’aujourd’hui honore difficilement la mémoire de Thomas Sankara. Le sankarisme qui se répand au fil du temps dans la rue par succession de procès n’est pas un sankarisme à même de rehausser toute l’œuvre de Thomas Sankara qui a vu mieux et plus grand pour son peuple. Il y a donc lieu, de notre point de vue, que ceux qui se réclament de son héritage respectent beaucoup plus cette mémoire. Là, c’est la partie morale de notre reconnaissance au sankarisme. J’ai tantôt dit que nous avons une base révolutionnaire depuis 1978. Le sankarisme peut être défini, en termes philosophiques, comme la praxis, c’est-à-dire une suite de pratiques corrigées au fil du temps.

Une telle vision du pouvoir nécessite de l’avoir déjà pour le pratiquer et le corriger au fur et à mesure. Quand on n’a pas encore le pouvoir, on doit avoir une philosophie qu’on inculque la population de façon à ce qu’elle adhère aux idées avant de vous organiser pour prendre le pouvoir et l’appliquer suivant notre vision. Alors la praxis et une une théorie élaborée avec un système organisationnel de prise du pouvoir ne sont pas les mêmes. Dans ces conditions donc, on ne pouvait pas continuer avec le sankarisme.

Mais contrairement à certains qui disent être comptables seulement en bien de la révolution et attribuent le mal aux autres, nous, nous acceptons être responsables du bien et du mal de la révolution. De toutes les façons, nous connaissons l’histoire ; ceux qui aujourd’hui rejettent le mal pour dire qu’ils sont comptables du bien étaient les vrais artisans du mal.

Pendant un certain temps, on a parlé d’au plus trois candidats pour l’opposition à la présidentielle. Pourrait-on maintenir ce schéma ?

Le problème du trio de l’opposition à l’élection présidentielle pose même celui de l’organisation de l’opposition. Et au-delà de l’opposition, de façon globale, c’est le problème de la lecture du landerneau politique burkinabè.

Il y a aujourd’hui plus de cent partis politiques alors que, de mon point de vue, nous ne sommes pas manifestement à 100 courants idéologiques. Concrètement, je vois ceux de gauche (les socialistes), de la droite (les libéraux) et les centristes dont nous nous réclamons. On peut également citer les écologistes mais nous les retrouvons dans tous les courants politiques. Et l’écologie, objet de parti, me semble un peu juste comme perception parce que, dans notre document de base, nous avons un aspect écologique très développé. Mais comme cela se fait un peu partout, les partis écologiques peuvent être acceptés. On peut aussi de façon spécifique parler des sankaristes.

Ensuite, hormis les communistes qu’on peut ajouter à l’issue de ce tour, il devient un peu difficile de trouver d’autres. Je voudrais donc dire que chacun devait être en mesure de se loger dans l’un ou l’autre de ces courants de centre gauche ou droite pour coopérer avec la gauche et la droite. Mais aujourd’hui il est dommage de constater que bon nombre de partis n’existent que pour le financement public. C’est là une situation qui dégrade et déshonore les hommes politiques. L’engagement est bien difficile et nécessite un dépassement et un sacrifice de soi pour satisfaire la majorité de la population. Lorsque la perception autour de cette question est lue en termes pécuniaires, il y a là un désaveu des idéaux.

Une dizaine de partis sankaristes, n’est pas trop pour un seul idéal politique ?

C’est effectivement trop quand on sait qu’il n’y a eu qu’un seul Thomas Sankara. On devait être en mesure d’avoir un seul parti politique et cela aurait permis aux sankaristes de peser lourd sur l’échiquier politique national plutôt que ce théâtre désolant auquel nous assistons chaque jour.

Quelle est votre appréciation sur la crise politique actuelle au Togo ?

Sur la situation au Togo, je voudrais rendre hommage à Alpha Omar Konaré, le président de la Commission africaine qui a exprimé les points de vue en lesquels tous les Africains se sont reconnus. Il a su traduire la vision que l’on doit avoir sur la situation au Togo. A mon avis c’est comme cela qu’un leader doit s’exprimer. J’ai lu qu’une délégation togolaise, venue du Burkina, a laissé entendre qu’ils sont en train d’examiner les propositions de la CEDEAO et l’Union africaine.

Le seul élément qu’il y a à souligner, c’est que beaucoup de chefs d’Etat aujourd’hui sont gênés d’intervenir dans cette situation parce que le tripatouillage, qu’il soit post mortem ou du vivant du dirigeant, demeure toujours tel. Ils sont donc gênés parce que cette crise actuelle au Togo, si elle n’est pas intrinsèquement la même, n’est fondamentalement différente de la façon dont eux-mêmes sont en train d’exercer le pouvoir.

Je voudrais aussi regretter l’assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri. C’est vraiment dommage qu’un tel homme, qui a eu la grandeur d’esprit de se retirer quand il a constaté qu’il n’avait plus la majorité autour de lui, subisse un tel sort cruel.

Propos recueillis par Hamidou Ouédraogo

L’Observateur Paalga

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