Actualités :: Lettre ouverte à Djibril Bassolet

Le ministre de la Sécurité, monsieur Djibril Bassolet, a accordé une longue interview dans L’Observateur Paalga n°6314 du mercredi au jeudi 20 janvier 2005 que j’ai lue avec beaucoup d’intérêt ; en tant que militant pour la promotion et la protection des droits humains, je voudrais réagir sur 3 points de son interview afin de contribuer au débat.

1) De la lutte contre le grand banditisme et l’insécurité au Burkina Faso

On ne le dira jamais assez, la lutte contre le grand banditisme et l’insécurité telle qu’elle est menée depuis 2000 à nos jours est parfaitement inefficace. La raison essentielle de cet échec est structurelle et politique.

En effet, l’essentielle des actions contre le banditisme et l’insécurité s’est résumé au « gazage » paradoxal des citoyens honnêtes du Collectif contre l’impunité, aux matraquages des élèves et étudiants grévistes, aux interventions musclées contre les commerçants de Rood Woko et à des opérations « coup de poing » contre les bandits avec des résultats médiocres (recrudescence du grand banditisme) et des méthodes totalement aux antipodes des lois de la République.

L’on a privilégié dans cette lutte contre le banditisme des opérations ponctuelles et ciblées au cours desquelles de nombreuses exécutions extrajudiciaires furent commises.

Ainsi, "...au cours de la période allant du dernier trimestre de l’année 2001 à mi-janvier 2002, le MBDHP a recensé 106 cas d’exécutions extrajudiciaires opérées dans toutes les régions du pays, sans que cela ne soit exhaustif ; Des présumés bandits dangereux ont été froidement abattus, parfois les mains ligotées au dos avec une ficelle.

Le traitement des corps de ces présumés bandits donne du Burkina Faso l’image d’un Etat sauvage, aux mœurs barbares et primitives" (source : MBDHP Rapport sur l’état des droits humains au Burkina Faso - PP 53 - 54 ).

Pendant ce temps, les bandits à col blanc tout aussi grands et dangereux sont confortablement installés à Ouagadougou. Bien que régulièrement identifiés et dénoncés çà et là tantôt par la presse, tantôt par les enquêtes des inspecteurs d’Etat, ils se la coulent douce en toute impunité, impunité dont le ministre dit que « quelquefois, ce terme me fait peur ».

0n vous comprend M. le ministre .Au nombre de ces bandits à col blanc, il y a « des éléments de la gendarmerie qui ont commis des crimes (détournement des taxes routières par des gendarmes, disparitions de lingots d’or », (cf. le Rapport du MBDHP page 55 ) ; Et pourtant, ces criminels « n’ont pas pour autant été sommairement abattus ».

Les exécutions extrajudiciaires ne sont pas une solution à la lutte contre le banditisme et l’insécurité ; elles s’apparentent à des convictions religieuses comme la Charia des Etats religieux islamiques ; elles sont contraires aux règles d’un Etat de droit laïc que nous tentons d’édifier. Les bandits, eux, ne connaissent aucun droit, aucune règle parce qu’ils sont précisément des bandits, des hors-la-loi.

Mais les hauts fonctionnaires du département de la sécurité, avec le ministre en tête, l’Etat burkinabé et les institutions de la République ne sont pas des bandits ni des hors-la-loi, c’est pourquoi ils doivent agir et avoir des comportements en phase avec les règles de la République démocratique.

Les bandits, tout criminels qu’ils sont, ont cependant des droits codifiés par la loi fondamentale et le code pénal : le droit à la présomption d’innocence, le droit à un procès juste et équitable, le droit à la vie sauf décision contraire du juge agissant conformément aux lois de la République. Ces vérités sont impopulaires certes, mais c’est la voie à suivre pour édifier l’Etat de droit.

Au total sur ce point, l’éradication du grand banditisme et de l’insécurité se fera par le droit ou ne se fera pas.

Toutes les gesticulations actuelles du département de la sécurité ne sont que solution de désespoir qui ne peuvent au mieux que conduire à une accalmie annonciatrice d’une recrudescence (que le ministre reconnaît) encore plus grande du banditisme et de l’insécurité.

D’ailleurs, nous y sommes déjà puisque le ministre reconnaît qu’en 2004, malgré les efforts consentis par son département, « nous avons assisté effectivement à une hausse de la criminalité ».

Ça ne pouvait en être autrement Monsieur le ministre, mais je vous encourage et vous félicite d’avance parce que vous voulez dès à présent changer votre vision et vos méthodes de lutte contre le grand banditisme et l’insécurité, c’est le sens que je donne à cette petite phrase tirée de votre interview : « Je suis aussi légaliste parce que je suis persuadé que la bonne sécurité durable se bâtit toujours sur la légalité, la justice et le droit ». Si vous mettez cette phrase en pratique dans cette lutte difficile, le banditisme et l’insécurité reculeront.

2) De la destruction de l’UNDD

C’est avec une frayeur indescriptible que j’ai lu cette phrase dans l’interview : « Si j’avais la possibilité de faire partir Salvador (le frère cadet de Me Hermann Yaméogo, Président de l’UNDD parti d’opposition), je l’aurais fait parce que pour moi, démanteler un parti comme celui là (...) si j’avais la possibilité, dis-je, ce parti n’existerait même pas ».

C’est tout de même curieux que ces mots sortent de la bouche d’un ministre de la République de surcroît celui chargé de la Sécurité des institutions, des personnes et des biens. Les partis politiques sont des institutions reconnues par la loi fondamentale et l’UNDD en fait partie ; ce parti comme bien d’autres est reconnu par la loi.

La nature et la liste des partis politiques hors-la-loi à démanteler ou à détruire sans être puni sont définies par la constitution en son article 13 qui stipule que « ...ne sont pas autorisés les partis ou formations politiques tribalistes, régionalistes, confessionnels ou racistes ».

Comme vous le constatez, monsieur le ministre, vous avez l’obligation en tant que ministre de la Sécurité de protéger, de sécuriser l’UNDD, ses militants ainsi que tous les partis politiques légalement constitués et leurs membres. Pour l’instant, l’UNDD ne répond à aucun critère qui l’exposerait au démantèlement ou à la destruction totale ou partielle.

Heureusement que vous ne disposez pas de possibilités pour mettre en exécution ces déclarations terrifiantes voire même terroristes, car vous commettriez ainsi un grave crime aux conséquences tout aussi graves puisqu’il est écrit dans la loi que : « sont punis de mort, ceux qui en exécution d’un plan concerné tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ou d’un groupe déterminé à partir de tout critère arbitraire, commettent ou font commettre à l’encontre des membres de ce groupe l’un des actes suivants :

Atteinte volontaire à la vie
Atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique
Soumission à des conditions d’existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe.

(Cf. Code pénal JO n°1 spécial P29). Cette menace soudaine de destruction ou de démantèlement à partir de critères arbitraires d’un parti politique de l’opposition par le ministre inquiète les démocrates et les militants des droits humains.

Pourtant en guise de réponse à Monsieur Salif Kiemdé, président de la section communale UNDD de Koudougou, qui s’inquiétait pour son parti et son président, accusé, sans preuves jusqu’à ce jour par le ministre, de collusion avec les forces étrangères de retour d’un voyage en Côte d’Ivoire et en Guinée, en guise de réponse donc à monsieur Salif, monsieur le ministre de la Sécurité écrivait ceci le 31 octobre 2004 : « Monsieur le président,... pour ce qui est de la solidarité que vous voulez manifester au président de votre parti, votre démarche est louable. Il importe cependant que vous sachiez que le parti UNDD en tant que tel n’a pas été mis en cause ».

Après ces propos rassurants et apaisants, la question que l’opinion se pose est de savoir si en octobre 2004 le parti UNDD n’est pas mis en cause, pourquoi vouloir alors le détruire et le démanteler en janvier 2005 ?

En effet, jusqu’au 31 octobre 2004, « le parti UNDD n’est pas mis en cause » ; mais après le voyage de Me Hermann Yaméogo à Londres en décembre 2004 d’où il a dénoncé le déficit de gouvernance démocratique fait d’impunité des crimes économiques et de sang, les ingérences du Burkina Faso de Blaise Compaoré dans de nombreux conflits sous-régionaux, l’UNDD devient subitement « un peu un bastion de la subversion - dixit monsieur le ministre », à démanteler !

Il ne revient pas à un ministre de la Sécurité de démanteler un parti politique dans un Etat de droit ; la justice et le département chargé des libertés sont mieux indiqués sur la question. Il faut que nous apprenions à laisser la force au droit et non le droit à la force et au subjectivisme.

3) Des bises aux dirigeants du FPI, faiseurs des pires vacheries aux Burkinabè

Une autre curiosité de l’interview de Monsieur le ministre est la phrase suivante parlant de Me Hermann Yaméogo : « aller faire la bise sur la bouche des dirigeants du FPI, qui font les pires vacheries aux Burkinabè, n’est pas une bonne chose à faire pour un leader politique burkinabé ». Est-ce que faire la bise à un dirigeant politique est la preuve qu’on partage tous ses points de vue ? Assurément non.

Le président Thabo M’Beki et le président Blaise Compaoré chaque fois qu’ils se rencontrent se font des bises ; pourtant, M’Beki est médiateur et respectueux de la légalité institutionnelle alors que Blaise Compaoré est parrain des rebelles ivoiriens ; Paul Kagamé du Rwanda et Joseph Kabila de la RDC se donnent la bise chaque fois qu’ils se croisent à des sommets et pourtant le premier arme et soutient une partie des rebelles du second. Des exemples de ce genre sont légion dans ce monde.

Ensuite, on est tenté de demander au ministre Bassolet les preuves (encore elles) dont il dispose pour affirmer sans sourciller que « les pires vacheries faites aux Burkinabè sont faites par les dirigeants du FPI ? » Même les enquêtes les plus indépendantes notamment celles de l’ONU (2 à 3) n’ont jamais si formellement identifié les dirigeants du FPI comme étant les coupables « des pires vacheries faites aux Burkinabè ». Les violations des Droits humains sur toute l’étendue du territoire ivoirien de septembre 2002 à 2005 sont commises sous la responsabilité de toutes les parties en conflit à savoir l’Etat ivoirien et les rebelles.

La responsabilité des Etats vassaux et comparses tels que le Burkina Faso qui a hébergé et conseillé les rebelles (cf. les interview de IB, G. Soro) et d’où sont partis les putschistes du 19 septembre 2002, ces Etats comparses dis-je, ont aussi leur part de responsabilité. En bon légaliste, Monsieur le ministre gagnerait à patienter jusqu’aux résultats des enquêteurs et à la décision de la justice relative à la culpabilité des uns et des autres ; toute autre attitude est subjective.

Pour illustrer mon analyse, je demanderai à Monsieur le ministre ce qui suit :

Ici, au Burkina Faso, le quadruple assassinat du journaliste Norbert Zongo et ses compagnons était-il l’œuvre des dirigeants du CDP ?
Les organisations de la société civile ont dénombré plus d’une centaine de morts suspectes : cela est-il l’œuvre des dirigeants du CDP ?

Des dizaines sinon des centaines de Burkinabè ont été expulsés de plusieurs localités du Burkina Faso entre 1999-2000 au motif qu’ils sont du Collectif contre l’impunité et qu’ils sont étrangers ! ces comportements claniques, ethnicistes et régionaliste étaient-ils l’œuvre des dirigeants du CDP ?

Rien qu’en 2004, il y a eu dans nos provinces plusieurs morts burkinabè (environ 15), conséquences, des conflits terriens et agropastoraux.

Il y a aussi eu des morts dans les lieux de détentions (Commissariats de police, gendarmeries) ; toutes ces violations graves des Droits humains sont-elles l’œuvre des dirigeants du CDP, parti au pouvoir dont vous êtes membre, Monsieur le ministre ?

Je pense que Monsieur le ministre doit se ressaisir et éviter de jeter de l’huile sur le feu à quelque 8 mois de l’élection présidentielle.

Nous devons aborder la crise ivoirienne sans passion. L’intérêt des Burkinabè de la mère patrie ou vivant en République sœur de la Côte d’Ivoire n’est pas de culpabiliser gratuitement X ou Y mais d’œuvrer à soutenir la feuille de route du Président Thabo M’Beki, feuille de route qui n’est rien d’autre que le respect de la légalité constitutionnelle et la recherche de la paix par le désarmement des rebelles, la réalisation du référendum sur l’article 35 et l’organisation des élections libres, transparentes et respectueuses de la volonté du peuple ivoirien.

Ouagadougou, le 24/01/2005

Un militant des droits humains

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