Actualités :: La justice au Burkina : "Une carcasse de voiture au bord de la (...)

La justice burkinabè fait face depuis quelque temps à des accusations de corruption. En réponse, le Conseil syndical du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM) nous a fait parvenir la déclaration dont teneur suit.

Depuis un certain temps, notre justice a été remise sur le banc des accusés. Il lui est reproché un vilain acte de cupidité : la corruption.

Le SBM se souvient que c’est le président du MBDHP qui avait sonné la charge en affirmant de manière péremptoire que 3/4 des magistrats sont corrompus. Malgré la gravité de l’accusation, notre syndicat s’est refusé à prendre part à ce débat par presse interposée.

Aujourd’hui, il se sent interpellé par les récentes accusations dont l’hebdomadaire l’Indépendant et le bimensuel l’Evènement se sont faits l’écho, ainsi que par la réaction y relative du garde des Sceaux, ministre de la Justice, dans les colonnes de l’Evénement n°59 du 10 janvier 2005.

Aussi, le conseil syndical réuni à Ouagadougou le 15 janvier 2005 formule les observations suivantes : d’entrée de jeu, le SBM s’inscrit en faux et de manière radicale contre les accusations de corruption qui sont formulées contre la Justice en général.

Il est convaincu que la très grande majorité des magistrats gagnent honnêtement et dignement leur vie. Toutefois, il ne saurait, sans se tromper, nier l’existence de la corruption au sein de la justice ; ce serait jouer à la politique de l’autruche. Toutes les études et enquêtes récentes sont unanimes : elle touche tous les secteurs de la vie sociale, y compris la justice.

Or lorsqu’elle s’attaque à la Justice, la corruption devient un fléau. En effet, en pénétrant la Justice, elle touche au fondement même de la raison d’être de l’Etat : « retirer à la subjectivité de chacun un pouvoir sur les autres en la confiant pour la nécessité de tous, à une institution neutre et impartiale... ». Cela est d’autant plus vrai qu’un enseignant, un douanier, un comptable public, un médecin, un député, ou un ministre... peut être corrompu.

Il répondra de son acte devant la Justice, qui réparera alors le tort causé à la société. Mais si l’institution judiciaire elle-même est atteinte de corruption, c’est tout l’édifice démocratique qui s’effondre devant cette Justice sans âme, ayant perdu son crédit et son autorité. La lutte contre la corruption doit donc être l’affaire de tous.

Notre syndicat, qui, dès sa création, a fait de l’avènement d’une justice indépendante, accessible et à visage humain, un de ses objectifs majeurs, en est convaincu. C’est pourquoi, il s’est engagé à se battre sans réserve pour que la corruption n’ait pas le droit de s’établir dans la Justice. C’est dans cette optique qu’il a organisé une table ronde sur le thème « La corruption dans la justice : le juge face à la tentation » courant décembre 2004, à l’occasion de sa 5e Assemblée générale.

Cette table ronde, qui a été un réel succès, avait pour but de former les militants du SBM au refus de la corruption. En outre, le SBM mettra en œuvre, au cours de la présente année judiciaire, un projet sur « Le renforcement de l’accessibilité à la justice à travers la lutte contre la corruption ».

L’exécution de ce projet, qui verra l’élaboration d’un code de déontologie du magistrat, contribuera, à n’en pas douter, à rétablir la nécessaire confiance entre la Justice et les justiciables. Ce projet bénéficie de l’appui financier de l’Union européenne à travers le fonds d’appui à l’Etat de Droit.

C’est le ministre qui a lui-même semé le germe de la division

Pour le SBM, la lutte contre la corruption doit unir les magistrats et non les diviser. C’est pourquoi, dans le principe, il salue à sa juste valeur l’initiative du ministre de la Justice de répondre aux accusations formulées çà et là contre les magistrats. Le SBM rappelle, à ce propos, que le statut de la magistrature confère aux magistrats la protection contre les attaques de toutes sortes. Force est cependant de constater, avec regret, que loin d’accorder à la magistrature cette protection, le ministre de la Justice à arrosé le germe de la division, qu’il a lui-même semé dans la Justice.

Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que dès son arrivée à la tête du département, il avait pris l’engagement de recomposer (discipliner ?) la magistrature. Ainsi, au détour de la relecture de la loi portant statut du corps de la magistrature et de la loi régissant le Conseil supérieur de la magistrature, l’essentiel des garanties d’une justice indépendante a été retiré pour tailler une magistrature « militaire », aux « ordres ».

Ce sont justement ces réformes qui permettent aujourd’hui au ministre de la Justice de nommer aux postes qu’il veut les « magistrats qui lui sont acquis ». Venant du ministre de la Justice, cette affirmation est bien un aveu.

Cet aveu a certes le mérite de la franchise, mais il est grave et évocateur. Même tardif, cet aveu franc est important. Vous vous souviendrez en effet que le SBM a toujours dénoncé la gestion arbitraire et complaisante de la carrière des magistrats, qui se manifeste par les nominations-récompenses et autres sanctions déguisées contre ses membres.

L’on a vite fait de crier à la manipulation et à la politisation. L’aveu du ministre vient donner publiquement raison à notre syndicat. Le SBM remercie donc très sincèrement le ministre de la Justice pour avoir reconnu la justesse et le bien-fondé de sa lutte en général et de son recours contre les affectations-sanctions (sur lequel le Conseil d’Etat se prononcera le 28 janvier de cette année) intervenues suite à la session du CSM du 26 juin 2001 en particulier.

Grave, cet aveu l’est assurément. En effet, à quoi peut servir le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs, qui sous-tend notre démocratie et toutes les garanties d’un procès équitable devant un magistrat acquis ?

A rien. Car d’un tel magistrat, ce n’est pas la plume qui est serve, c’est plutôt l’esprit, malheureusement. L’aveu du ministre de la Justice est enfin évocateur. La sagesse africaine nous apprend fort à propos que « lorsque l’on met au monde un enfant serpent, l’on se doit de le porter comme ceinture ». C’est tout dire.

Il est dès lors aisé de comprendre toute la difficulté qui peut être celle du ministre de la Justice à s’attaquer aux vrais maux qui minent la justice, dont l’un s’appelle justement corruption. On construira des palais de Justice dans tous les 350 départements du Burkina, on les équipera de moyens matériels des plus performants, on augmentera à l’infini les salaires des juges, qu’on améliorera sans doute la Justice, mais qu’on ne la changera pas.

Car, pour paraphraser René Dumont, la Justice est en panne, elle ressemble à une de ces carcasses de voiture déposées au bord de la route. Il ne sert à rien de remplir son réservoir d’essence, c’est le moteur qui ne marche pas.

Le devoir de désobéissance

Devant cette « impuissance », le ministre de la Justice voudrait que tous les magistrats se rangent. Ceux qui ne le font pas sont des magistrats indisciplinés et les chefs de juridictions qui ne voient pas les choses de cette manière sont des incapables. Avec eux, « c’est la pagaille » qui s’installe dans les juridictions (sic !).

Dans ce contexte, l’on ne doit guère s’étonner de lire la compréhension qui est donnée de la hiérarchie du corps judiciaire, « une hiérarchie à l’image de celle de l’armée ».

Le SBM fait remarquer d’une part, que la hiérarchie du corps judiciaire désigne son organisation en grades, du niveau inférieur au niveau supérieur, le magistrat ayant vocation à gravir les différents niveaux de la hiérarchie et à occuper les postes y attachés. C’est tout. Quant aux rapports entre les supérieurs et leurs subordonnés, c’est l’article 6 du statut du corps de la magistrature qui en détermine la portée.

Aux termes de cet article, contrairement à leurs collègues du parquet (procureurs généraux, procureurs du Faso et leurs substituts), placés sous la hiérarchie du ministre de la Justice, les magistrats du siège sont indépendants. Aussi, les présidents des cours et tribunaux peuvent seulement « adresser les observations et recommandations qu’ils estiment utiles dans l’intérêt d’une bonne administration de la Justice » aux juges placés sous leur autorité.

Il n’existe donc aucune hiérarchie, encore moins sacrée, conférant à un chef de juridiction les pouvoirs d’instruction et de réformation (pouvoir d’annuler ou de corriger). Le pouvoir de réformation dans la justice concerne seulement les rapports entre les juridictions. Ainsi, la cour d’appel peut réformer les décisions des tribunaux qui relèvent de son ressort.

De même la cour de cassation peut casser (infirmer) les décisions rendues par les Cours d’appel. Aucune confusion ne doit être faite à ce niveau. Ce qui est plutôt sacré dans la magistrature, c’est bien l’indépendance. D’autre part, il précise que dans un Etat républicain, même le militaire ne peut plus se contenter de réciter platement cette phrase de Racine : « La gloire d’obéir est tout ce qu’on nous laisse ».

Il est autorisé et même contraint de désobéir à un ordre manifestement illégal (Confère B. Cherigny, Ordre illégal et devoir de désobéissance dans le contentieux disciplinaire de la fonction publique civile, RDP 1975, P.867. Egalement D. Lochak, le sens hiérarchique, in Psychologie et Science administrative, PUF, 1985, P. 147).

La position de la jurisprudence administrative française est on ne peut plus claire sur la question. Elle retient invariablement la faute de l’agent qui exécute un ordre illégal (C E, 3 mai 1961, arrêt Pouzelgues). C’est cette jurisprudence qui a été enseignée à tous les juristes burkinabé encore en vie, que ce soit à Zogona, à Lomé, à Dakar ou en France. Elle n’a pas évolué depuis lors.

Pour terminer, le SBM rappelle que le juge, dans son activité professionnelle, ne doit obéissance qu’à deux choses : l’ordre de la loi et sa conscience. Il souhaite en ce début d’année 2005, que cette vertu soit acceptée et partagée par tous ceux qui se réclament du corps judiciaire. Il y va de notre crédibilité.

Et conformément à sa recommandation sur la corruption, il exhorte le ministre de la Justice, à prendre les mesures idoines pour que la corruption d’un juge ne déteigne pas sur la crédibilité d’un corps aussi noble et respectable que la magistrature. Et ce sera Justice.

Le conseil syndical

Signé le Secrétaire général

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