Actualités :: Conflit éleveurs/agriculteurs : ne jetons pas de "l’huile sur le (...)

Suite à l’article paru dans nos colonnes et relatif au problème récurrent des conflits entre éleveurs et agriculteurs, nous avons reçu de M. Onfité Tilka Kambiré une contribution sur la question, dont teneur suit.

Dans un article paru dans le quotidien d’information l’Observateur Paalga n°6303 du mardi 04 janvier 2005, à la page 23 et sous le titre : "Conflits éleveurs/agriculteurs, il est temps que l’Etat prenne ses responsabilités", M. Diallo Mamoudou Noufou a fait un développement remarquable sur la situation des peuls en général et celle des peuls éleveurs en particulier.

Dans ce développement apparemment inoffensif, j’ai perçu un chauvinisme, disons un ethnicisme très poussé, à forts relents xénophobes. Or, ce sont les silences sur des écrits de la teneur de celui de M. Diallo Mamoudou Noufou qui peuvent conduire à des situations semblables à celles du Rwanda, du Burundi, etc.

C’est pourquoi il m’a paru normal d’intervenir par voie de presse pour donner la lecture que je fais des conflits récurrents que les éleveurs de gros bétail imposent aux autochtones agriculteurs dans notre Faso.

Il s’agit en vérité de problèmes liés à la circulation des bœufs dans des espaces anciennement occupés par des populations autochtones, généralement des agriculteurs sédentaires. Ces agriculteurs pratiquaient un élevage traditionnel sur une petite échelle.

Dans ces conditions, le bétail numériquement faible était bien gardé, loin des champs de cultures. Il n’y avait donc pas de problème puisque l’agriculteur était aussi propriétaire du bétail, car l’élevage n’était pas une activité à part entière.

Et puis la grande sécheresse des années 1973-1974 arriva avec les afflux massifs des peuls éleveurs dans les zones favorables, pour leurs animaux ; c’est-à-dire l’Ouest, l’Est et le Sud (bien qu’il soit établi que des peuls s’étaient déjà installés dans des zones à l’Ouest et à l’Est, bien avant la période des grandes sécheresses des années 1970).

Ces peuls éleveurs sont partis d’une zone donnée pour se retrouver dans une autre zone où ils ont trouvé des populations anciennement installées : les autochtones. Cette immigration a provoqué un déséquilibre au sein des populations autochtones et a modifié les rapports intercommunautaires. C’est ainsi que certains immigrants peuls éleveurs, qui ont accepté de se conformer aux particularités de leurs hôtes, habitent en bonne intelligence avec eux aujourd’hui encore.

Difficile cohabitation

Ceux d’entre ces immigrants qui ont refusé de respecter les us et coutumes des autochtonnes sont ceux-là qui errent avec leurs animaux, de village en village, de pays en pays à la recherche de pâturages ; et ce sont ces éleveurs nomades qui ont maille à partir avec les autochtones agriculteurs.

Ces éleveurs, venus s’installer le plus souvent de manière anarchique, poussent l’outrecuidance à conduire leurs bœufs dans les champs de cultures des agriculteurs. De ces agissements naissent les conflits que l’on rencontre un peu partout dans les zones d’installation de ce type. Il ne s’agit donc pas de conflits entre l’Ouest, l’Est, le Sud et les peuls, comme tente de le faire croire M. Diallo Mamoudou Noufou !

Certes, ces conflits à répétition troublent l’ordre public et menacent la paix sociale, mais de là à voir dans ces conflits un génocide comme tente de le démontrer M. Diallo, c’est-à-dire le massacre méthodique des peuls en grand nombre et ce, suivant un ordre déterminé à l’avance ("par des associations machiavéliques de ressortissants..."), c’est insulter l’intelligence des autres.

C’est afficher un ethnicisme génocidaire inquiétant, d’autant plus qu’il fait allusion à un peul ministre. Cette allusion au ministre de la Défense vient mal à propos. Que M. Diallo Mamoudou Noufou ne pense pas qu’il rencontrera l’adhésion des gens bien dans son entreprise génocidaire : ce serait faire preuve d’un infantilisme primaire.

L’allusion au ministre de la Défense est mal indiquée et elle montre que l’aventure génocidaire dans laquelle M. Diallo Mamadou Noufou convie les peuls en général est vouée à l’échec.

Le ministre de la Défense de l’Etat du Burkina Faso est un intellectuel de haut vol qui a toujours su agir pour l’intérêt national, pour la préservation de la paix dans notre pays. Son passage au ministère de l’Administration territoriale, les actes qu’il y a posés ont fini de convaincre qu’il ne saurait être réduit à une considération... élémentaire.

Le problème n’est pas ethnique

Que M. Diallo Mamoudou Noufou ne s’avise pas d’être plus malin pour vouloir opposer les peuls à des ensembles qu’il désigne par les termes "Ouest ; Est ; Sud", etc. alors que ces entités n’ont pas une seule et même réalité sociologique.

Du reste, qui Monsieur Diallo veut-il effrayer en faisant allusion au terme" génocide" ? et de quel charnier parle-t-il quand on connaît l’esprit de tolérance des différentes nationalités qui composent la nation burkinabè, tolérance grâce à laquelle les peuls éleveurs, venus demander à s’installer avec elles, se comportent aujourd’hui comme des autochtones ! L’Ouest ; le Sud ; l’Est, pour ne citer que ces points cardinaux, sont des zones d’immigration des peuls éleveurs.

Or le Burkina Faso est un pays où les pratiques traditionnelles sont vivaces et où la terre appartient au premier occupant. Aucun Karaboro de l’Ouest ; aucun Kasséna du Sud ; aucun Gourmantché de l’Est n’ira au Sahel, à Gorgagui, Tasmakat ou Tongomael prétendre avoir des droits aussi étendus, sinon plus étendus sur les sols des autochtones de ces villages et rencontrer l’approbation de ceux-ci ! Soyons honnêtes !

Pourtant, c’est ce que les peuls éleveurs veulent imposer aux agriculteurs des villages où ils ont été accueillis. Les éleveurs veulent avoir les mêmes droits que les autochtones sur les terres de leurs ancêtres.

Ils révendiquent des espaces appartenant aux autochtones pour y agir comme bon leur semble : couper les arbres, violer les sites sacrés, conduire les bœufs dans les champs des agriculteurs ! Or, aux yeux de l’agriculteur, le champ a la même valeur que le bœuf a de valeur pour l’éleveur.

Que l’éleveur conduise ses bœufs, qui ont des pattes, dans le champ, qui n’a pas de pattes, et qu’en cas de conflit l’autorité locale condamne l’agriculteur plutôt que l’éleveur, il y a là matière à conflit !

Ces confiits meurtriers entre éleveurs et agriculteurs sont la conséquence du mauvais traitement des problèmes liés à la divagation des animaux et des dégâts qu’ils causent dans les champs des autochtones agriculteurs.

En effet : 1°)- les bœufs se déplacent et entrent dans les champs, saccagent les plants, broutent le mil ou mangent les tubercules, etc ;

2°)- les agriculteurs abattent quelques-uns des animaux, provoquant la réaction des bergers ;

3°)- les autorités interviennent en sévissant contre les agriculteurs ;

4°)- les frustrations s’installent.

Les frustrations dont parle justement Monsieur Diallo Mamoudou Noufou dans son article sont beaucoup plus ressenties par les agriculteurs autochtones, qui ne comprennent pas que ce soit eux, dont les champs n’ont pas de pattes, qu’on condamne et qu’on laisse circuler en toute impunité les éleveurs.

Respect des droits...

Ces agriculteurs autochtones, qui ont bien voulu accueillir ces peuls éleveurs, voient leurs hôtes les piétiner aujourd’hui, dans leurs terroirs, et ils ont le sentiment que ces demiers bénéficient de l’appui des autorités. Ces agriculteurs se sentent tellement brimés que tout frottement avec les peuls éleveurs produit des... étincelles.

Faut-il que les agriculteurs acceptent docilement que la raison soit pour ceux dont les animaux ont des pattes et se déplacent pour saccager leurs champs, et le tort pour ceux dont les champs, sans pattes, sont saccagés, pour qu’il n’y ait plus conflit ?

Si tant est que le mil est bon pour être brouté par des zébus et si les peuls éleveurs veulent que leurs animaux broutent le mil pour soi-disant les "soigner de leurs maux de ventre", ils peuvent cultiver des champs et les y conduire pour qu’ils s’en délectent en les saccageant pour se soigner ; mais il n’est pas bon qu’ils provoquent la ruine des agriculteurs en conduisant leurs animaux dans leurs champs, avec l’intention expresse de les voir saccagés, sur la base de superstitions.

Tant que les comportements n’auront pas évolué, il y aura forcément des conflits entre ceux qui laissent leurs bœufs détruire les champs et ceux dont les champs sont saccagés.

Aucune réforme agraire ne pourra mettre un terme à un tel état des choses. Et les conflits entre agriculteurs et éleveurs ne devraient pas servir de prétexte à la spoliation des terres des agriculteurs pour les éleveurs.

Si donc pour Monsieur Diallo Mamoudou Noufou, par réforme agraire et foncière il s’agit de piller les terres des agriculteurs sédentaires de l’Ouest, de l’Est, du Sud pour les peuls éleveurs nomades afin qu’ils fassent d’elles ce que Dori, Gorom-Gorom, etc. sont devenues, qu’il sache que les autochtones agriculteurs des régions de l’Ouest, de l’Est et du Sud pourraient ne pas accepter, de leur vivant, que le sol de leurs ancêtres soit transformé en réservoir de sable, de soleil et de chaleur. Là-dessus, soyons très clairs.

Un agriculteur de l’Ouest, de l’Est, du Sud et même du Centre n’ira pas dans le Sahel pour y cultiver, à moins que ce ne soit pour cultiver des épineux !

Il faut avoir le courage de dénoncer maintenant les dérives qui ont été à l’origine de ce que le Sahel soit ainsi aujourd’hui (désertique) et qui amènent le Centre à se "sahéliser". Travaillons à empêcher que le désert envahisse tout le pays.

C’est pourquoi, la réforme agraire et foncière doit être bien négociée pour éviter de favoriser la persistance des conflits entre éleveurs et agriculteurs. Pour cela, l’élevage intensif devra être encouragé.

Les conflits entre éleveurs et agriculteurs, les conflits terriens entre villages et les conflits entre autochtones et rapatriés (exemple de Nimpouy : carrefour situé sur l’axe Ouaga-Koudougou où les rapatriés de la Côte d’Ivoire ont été délogés par les autochtones) viennent rappeler à l’Etat que toute réforme agraire dans notre pays devra se faire avec tact pour éviter qu’elle soit dans l’impasse et sujette à interprétations dangereuses.

En effet, pour Monsieur DIALLO Mamoudou Noufou, la réforme agraire et foncière est la voie inespérée pour les peuls éleveurs de posséder et de disposer de terres à l’Ouest, à l’Est et au Sud pour en faire des Dori (bis), des Gorom-Gorom (bis), etc. Son appel à l’application de la Réforme agraire et foncière en dit long. . .

Cependant, pour l’agriculteur de Kosso dans le Noumbiel, de Tiébélé dans le Nahouri ; de Logobou dans la Tapoa et de Kourignon dans le Kénédougou, c’est le moyen que se donne "la force" pour lui arracher ses terres, pour le spolier !

L’élevage extensif auquel s’adonnent les peuls éleveurs ne doit plus être l’arbre qui cache la forêt. L’apport des zébus des peuls éleveurs dans le budget national est insignifiant au regard des dégâts qu’ils causent sur les récoltes et sur l’énvironnement .

La Réforme agraire et foncière (RAF) est-elle la preuve du parti pris de l’Etat en faveur des éleveurs pour spolier les agriculteurs de leurs terres ?

Personne ne hait le peul en général et nous comptons tous de nombreux amis peuls parmi nous ; mais le peul éleveur en particulier et ses bœufs, au milieu du champ d’un agriculteur, est un autre homme, aux comportements qui tranchent d’avec le bon sens et la raison.

Et c’est ce bon sens qu’il voile, qui l’amène à conduire ses bœufs dans les champs des agriculteurs. Plutôt que de crier au génocide et à la haine, Monsieur Diallo Mamoudou Noufou devrait inviter les peuls éleveurs à une introspection afin d’identifier les lacunes et les insuffisances qui expliquent la persistance de leurs comportements anti-sociaux (comportements qui sont à l’origine des conflits entre eux et les agriculteurs) et d’y proposer des remèdes.

Il vaut mieux œuvrer pour l’unité nationale dans la paix et dans le respect de la différence et des valeurs qui fondent la raison d’être de chacune des nationalités plutôt que de diaboliser les autres.

Laissons les autorités (même si elles sont du même groupe ethnique que nous) faire la part de travail qui leur incombe pour le bien du Burkina Faso et de ses populations afin que demain, nos petits enfants et arrières-petits-enfants puissent s’appeler non plus Peuls et... Gouins, mais frères et sœurs Burkinabè.

Kambiré Onfité Tilka Tél. 70 23 8.9 91

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