Actualités :: 11 et 13-décembre au Burkina : Convergences et divergences

Le 11 décembre dernier a vu le Burkina célébrer sa fête nationale qui correspond au 46e anniversaire du caractère républicain de notre Etat.

Synonyme d’un bond qualitatif dans l’évolution socio-politique du pays, la proclamation de la République a permis à la Haute-Volta d’envisager la coupure du cordon ombilical avec la puissance coloniale d’une part et d’autre part aux différentes nationalités de vivre sous un chapiteau politique relativement neutre en ce que ce système vient en rupture avec les pouvoirs centralisés de type lignage (Mossé, Peul, Gourmantché...) et avec les sociétés segmentaires (Bwa, Dagara, Lobi...).

Deux jours après, à savoir le 13 décembre, c’était le 6e anniversaire de l’assassinat de Norbert Zongo et de ses trois compagnons à Sapouy. Un anniversaire dont le point de départ se situe aux antipodes du premier, c’est-à-dire de la proclamation de la République ; a priori. A priori seulement, car les deux événements ont des points de similitude, même si bien sûr, ils comportent des aspects divergents.

Qu’est-ce que donc la République ? La question n’est pas nouvelle, et les réponses que l’on peut lui apporter non plus.

Mais dans le cadre de l’opération intellectuelle qui est actuellement la nôtre, nous ne pouvons pas hélas faire l’économie de l’exposé ne serait-ce que sommaire de ce concept dans la mesure où disserter au sujet de quelque chose suppose qu’on ait au préalable donné sa propre compréhension de celui-là.

Cela étant, disons assez sommairement que le mot République, littéralement "chose publique" , désigne, dans son sens actuel, un Etat non monarchique fondé sur le principe de la souveraineté populaire, que celle-ci s’exerce directement ou par le truchement de représentants élus.

Cependant, même si dès le XIVe siècle Nicolas Machiavel distinguait les principautés et les républiques, le sens originel du terme a été en usage jusqu’au XVIIIe siècle. Dans ce sens, Jean-Jacques Rousseau a dit dans Du contrat social, II, 6 que "J’appelle république tout Etat régi par des lois".

A la même période pourtant, le sens actuel commence à se généraliser. Des projets politiques républicains voient le jour (Etats-Unis en 1776, France en 1792) et la République se différencie d’autres formes de constitution politique.

Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, par exemple, distingue le gouvernement républicain des gouvernements monarchique et despotique. Il appelle alors république ce que Rousseau appelait démocratie. Les deux termes sont d’ailleurs aujourd’hui liés : une république, au sens contemporain, est une démocratie politique.

D’un point de vue philosophique, la République est une idée de portée universelle qui déborde largement les régimes dans lesquels elle s’est incarnée depuis le XVIIIe siècle et peut aussi s’appliquer à des monarchies quand elles sont, comme en Angleterre, en Belgique, au Danemark, etc. des monarchies constitutionnelles.

La République est alors, comme le dit Emmanuel Kant, l’essence de toute constitution politique fondée sur le droit et suppose :

1) L’égalité devant la loi et l’égale liberté de tous ;

2) La volonté commune d’un intérêt général non réductible aux intérêts particuliers de chacun ;

3) La participation de tous à la vie publique, c’est-à-dire la politisation des consciences : chacun doit se sentir concerné par l’Etat ;

4) La vertu des citoyens et une éducation civique visant à renforcer le souci qu’a chacun de l’intérêt commun d’où l’importance qui doit être celle de l’école. En ce sens, la République se définit davantage comme une "personne publique" (cf le "moi commun et la "volonté générale" de Rousseau) qu’une "chose publique".

La nécessité de se conformer aux exigences de la République

Rapporté à la situation spécifique, nul besoin de dire que si l’ensemble de la société appréhendait et s’appropriait le contenu de ce terme tout en essayant de le mettre en pratique, nous aurions pu éviter certains épisodes peu reluisants de notre histoire commune.

Mais hélas, l’histoire des peuples n’est pas réglée et programmée comme une horloge quand bien même cela n’est pas une excuse. Le plus important de nos jours, nous semble-t-il, est d’œuvrer dans le sens de se conformer aux exigences liées à la vie en République. Que nous soyons de la société politique (pouvoir et opposition) ou que nous appartenions à la société civile (au sens de société non politique), chacun devrait au moins essayer de se comporter en adéquation avec les lois dont nous nous sommes librement dotés.

Certes, l’analphabétisme qui frappe nombre de nos compatriotes est un frein dont il faut reconnaître les conséquences néfastes. Certes, nous sommes et demeurons des êtres humains et par conséquent imparfaits malgré les efforts qu’honnêtement nous pouvons déployer. Mais cela, loin de nous décourager, devrait convaincre les couches sociales scolarisées de donner l’exemple ; ou au moins d’essayer.

Dans cette perspective, l’institution de la semaine de la citoyenneté, qui précède la fête nationale, ne peut être que pertinente dans la mesure où elle concerne, au premier chef, les élèves, qui, on le sait, ont un esprit plus plastique et plus réceptif que les adultes.

Seulement, il ne faut pas se bercer d’illusions : les valeurs enseignées à l’école ne peuvent être totalement assimilées et mises en pratique par les élèves que si ceux-ci perçoivent qu’il y a ne serait-ce qu’une adéquation relative entre ce qui leur est enseigné en classe et les pratiques de la génération de leurs parents.

Si ce n’est pas le cas, la plasticité de leur esprit risque grandement de les amener à faire un distinguo net entre ce qui leur est dispensé comme éducation à l’école et la vie qu’il convient de mener quotidiennement.

Autrement dit, à l’école ils apprennent ce qui devrait être, et à la maison (ou dans la rue) on vit ce qui est. Et comme dans le cas d’espèce, il y a un hiatus entre le savoir scolaire et la vie quotidienne, la société dans son ensemble s’éloigne de plus en plus de ce qu’est la République.

11-Décembre et 13-Décembre : la similarité des causes

C’est ce combat que Norbert Zongo menait ; malheureusement en franc-tireur dans un pays des Hommes intègres où l’opinion le soutenait plus dans son cœur qu’elle ne l’exprimait dans les urnes ou dans la rue. Et il a fallu son assassinat pour que le peuple se rende compte du vide créé en son sein. Ainsi est hélas le destin des grands hommes : on ne reconnaît leurs mérites que lorsqu’ils sont à quelques mètres sous terre.

Le hasard du calendrier, qui fait le 11-Décembre et le 13-Décembre se situent dans la même décade (la deuxième du mois de décembre), doit nous rappeler que si nos illustres devanciers tels Daniel Ouezzin Coulibaly et Maurice Yaméogo notamment ont eu le mérite de conduire victorieusement la lutte pour l’émancipation et l’indépendance, qui a été couronnée en ce 11 décembre 1958 par la proclamation de la République de Haute-Volta, un autre fils de ce pays, plus anonyme au plan politique, mais émérite du point de vue journalistique, a eu le mérite de se battre pour les causes nobles de la République jusqu’à ce que, pour ce faire, sa vie lui soit ôtée en ce 13 décembre 1998.

Ce sont là deux faits qui s’excluent, soit, car la première symbolise une naissance et la deuxième, la mort ; mais ce sont également deux dates que l’on peut associer, au regard de la similitude des causes qui ont présidé à leur avènement. Au nom de ces causes et pour que la République se réconcilie avec elle-même, les assassins de Norbert Zongo et de ses compagnons doivent être retrouvés, jugés et condamnés.

Zoodnoma Kafando
L’Observateur

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