Actualités :: Crise ivoirienne : "Je ne comprends pas..."

Avec la destruction de l’arsenal de guerre de Laurent Gbagbo par la force Licorne, la crise ivoirienne a pris un tournant décisif, car de plus en plus, les protagonistes sont convaincus que l’option militaire est la pire qui soit. Cependant, cette action française a suscité une polémique au sein de l’opinion internationale.

Si les uns condamnent une action aux relents colonialistes, les autres, par contre, y voient une action salutaire. Sont de ces derniers, Evariste Zongo, qui s’interroge sur l’attitude des Burkinabè qui condamnent la destruction de ces engins de guerre qui auraient entraîné beaucoup de morts, dont leurs compatriotes.

Depuis l’éclatement de la crise qui secoue la Côte d’Ivoire et dont les conséquences sont énormes sur le Burkina Faso, la classe politique burkinabè, les intellectuels, le citoyen lambda se prononcent quotidiennement à travers la presse, exposent leurs points de vue et les défendent. La contribution des intellectuels ou même des politiciens déguisés en intellectuels, des membres de la société civile (ONG des droits humains) permet à l’opinion de se faire une idée de ce qui se passe au bord de la lagune Ebrié.

Les différents médias nous rapportent chaque jour l’évolution de la situation chez nos voisins. Le public burkinabé suit minutieusement l’actualité ivoirienne. Pourquoi ? La crise ivoirienne est très ressentie au plus profond de nous-même, elle est vécue de manière intensive dans l’opinion burkinabè pour des raisons connues, et que nous évoquerons plus loin.

Cependant, ce que je ne comprends pas, c’est la réaction d’une partie de cette opinion composée d’intellectuels et de l’opposition, tendant à dire que la réplique française face à l’attaque de l’aviation des FANCI , faisant dans le camp français 9 morts, n’était pas appropriée. Cette réplique a été vivement condamnée par le FPI, ses ouailles et autres patriotes. Et présentement, une grosse campagne de communication est mise en œuvre pour attirer l’attention de l’opinion internationale sur ce qu’ils appellent les dérapages de la force Licorne. Quoi de plus normal pour les autorités ivoiriennes que d’orchestrer et de créer un sentiment international anti-français ?

Mon étonnement et ma surprise viennent de la réaction de ceux qui s’insurgent et s’indignent de la justesse de cette intervention ponctuelle de la France. Je pouvais m’attendre à un soutien massif de la part des Burkinabé et je crois que c’est ce que bon nombre de Burkinabé ont manifesté. Ils ont manifesté leur soulagement lorsque la force Licorne a cloué au sol l’arsenal de guerre ivoirien. Pour la plupart, il était temps de taper du poing sur la table. Je ne dis pas qu’il ne faille pas de la contradiction. Nous sommes dans un pays démocratique et chacun a droit à la parole. La preuve est que c’est parce que cette liberté existe que je me suis rendu compte à travers la presse qu’il y a des gens qui sont contre les frappes françaises. Nous sommes en démocratie et je me battrai en tant que citoyen pour le renforcement et la préservation de cette liberté si chère. Ce qui ne m’empêche pas non plus de dire mon étonnement en usant de mon droit à la parole.

Une riposte salutaire

Mon analyse est que la Côte d’Ivoire et la France ont signé des accords de coopération militaire depuis les indépendances. Il est reconnu, et on n’a pas besoin d’être économiste pour le dire, que la France a des intérêts économiques importants en Côte d’Ivoire. Plus de 16 000 Français résidaient dans ce pays jusqu’à une période très récente. La Cote d’Ivoire a toujours eu des rapports privilégiés avec la France.

Aucun gouvernement ( il n’y en a pas beaucoup qui ont été démocratiquement mis en place) n’a dénoncé cette présence militaire française. Aucun gouvernement n’a jusqu’à une période récente critiqué cette forme de colonisation qui date des indépendances. Qui plus est, lors des événements du 19 septembre 2002, les autorités ivoiriennes ont invoqué les accords pour demander à la France de les aider à repousser et à anéantir les rebelles.

La France a décliné l’invite en estimant que la crise est ivoiro- ivoirienne et a donc préconisé la recherche d’une solution pacifique. Cette façon de lire les choses a quelque peu été heureuse pour le Burkina. Parce que, comme tout le monde le sait, le pouvoir en place en Côte d’Ivoire accuse le Burkina d’être la base arrière des rebelles, et clame que les événements du 19 septembre sont une invasion extérieure.

Par sa lecture de la situation, la France s’est plutôt positionnée entre les belligérants et a pris les devants de la recherche d’une solution avec l’UA, l’ONU, et l’ensemble de la communauté internationale. Cette interposition était-elle bonne ou mauvaise ? Une partie de l’opinion soutient que si cette interposition n’avait pas eu lieu, maintenant que la crise avait évolué autrement. Nous ne sommes pas de ceux qui soutiennent cette thèse. Malgré tout, à la lecture des récents événements, nous avons bien envie de l’accréditer.

Néanmoins l’on est arrivé aux accords de Marcoussis. La France, par sa position, a fortement soutenu le règlement pacifique et a mis en garde la classe politique ivoirienne (pouvoir, opposition, forces nouvelles) du risque d’une reprise des hostilités. Les uns et les autres ont joué à cache-cache jusqu’au jour où l’un des camps, se sentant excédé, a pris l’initiative de recouvrer les limites intégrales de la Côte d’Ivoire sous partition depuis 2 ans.

Etait-ce sciemment fait ? Etait-ce une bavure ? Etait-ce une provocation afin de reposer autrement la problématique de la crise ivoirienne ? Toujours est-il que cette descente sur les forces Licorne a valu une riposte de la France. Bilan : destruction de la l’aviation des FANCI, escalade de la violence en Abidjan et dans plusieurs villes de la Côte d’Ivoire, départ précipité de milliers de Français et d’étrangers, descente aux enfers ...

Des pertes de vies humaines contre des dégâts matériels, est-ce qu’il faut oser établir une comparaison ? Le Burkina a, pour sa part, près de 3 millions de ressortissants dans ce pays. Depuis les événements de Tabou à ce jour, le Burkina a perdu de nombreuses vies humaines dans ce pays. .Je pense que tout comme la France a entrepris de protéger ses ressortissants et ses intérêts en Côte d’Ivoire, notre pays a aussi marqué sa volonté de protéger les siens. Malheureusement, par manque de moyens, le Burkina n’arrive pas à assurer la protection et la sécurité de ses fils et de leurs biens en Cote d’Ivoire.

Mis à part des injonctions à l’encontre des autorités ivoiriennes. Des actions sont menées, mais elles ne sont certainement pas à la hauteur de la situation que vivent nos ressortissants. Quelle lecture et quelle attitude doient adopter les Burkinabé ? Quel soutien doit-on apporter à nos autorités pour sauver nos frères ?

Si la France ne s’était pas interposée...

Laisser alors la guerre se poursuivre serait un véritable génocide et une grande irresponsabilité de la part de la communauté internationale. Je pense que la réplique française donne encore des chances de recourir à la recherche d’une solution négociée. C’est une pression énorme pour obliger le boulanger pâtissier à prendre ses responsabilités. Je ne dis pas que la réplique française avait pour but de faire pression.

Non ! je trouve que la réplique française nous a évité, à nous Burkinabé, de compter dans nos familles des morts de nos frères qui vivent en Côte d’Ivoire. Les récentes mesures du Conseil de sécurité sont louables. Elles vont permettre aux acteurs de la scène ivoirienne d’assumer leurs responsabilités. Je dis que je ne comprends pas pourquoi certains jugent que cette réaction française n’est pas justifiée.

Je ne veux pas réveiller un sentiment patriotique au premier degré, comme ce qui se passe de l’autre côté, mais de par notre position, nos intérêts, le Burkina a tout juste intérêt à soutenir la solution Marcoussis. Soutenir Marcoussis et ceux qui ont les moyens de faire appliquer Marcoussis va dans le sens des intérêts du Burkina. Et cette lecture plus d’un intellectuel est capable de la comprendre. Je crois qu’il ne faut pas s’opposer pour s’opposer. Nous sommes à une étape, dans cette crise, ou si l’on n’y prête pas attention nous enverrons nos parents à la boucherie.

Ce qui mine la Côte d’Ivoire aujourd’hui est très profond. Le problème est que de part et d’autre, des intellectuels et d’habiles politiciens manipulent les populations à leur guise. Je pense que lorsque le mal est identifié, les causes du mal reconnues, nous devons avoir le courage de soutenir la recherche d’une paix négociée en Côte d’Ivoire. Marcoussis aborde les profondes réformes structurelle et politiques à entreprendre pour permettre à ce pays de s’engager dans la voie de la paix.

Les Burkinabé doivent prier Dieu ; et l’invoquer pour que Marcoussis atteigne son terme pour le bonheur de nos concitoyens qui n’ont plus d’autres possibilités que de vivre en Côte d’Ivoire. Marcoussis exige des réformes de la loi fondamentale, loi qui engendre l’exclusion et la violence, dont on est témoin aujourd’hui. Nous qui vivons loin des événements, nous ne nous rendons peut être pas compte de ce que vivent nos concitoyens depuis près d’une décennie dans ce pays, avec la création du concept d’ivoirité.

On est loin des tractations que nos opérateurs économiques connaissent dans ce pays. On est loin des plantations dans lesquelles travaillent des milliers de Burkinabè, on est loin de ce sentiment nourri et entretenu contre les étrangers. On ne se rend pas compte de la réalité que vivent nos concitoyens.

Pour moi, je ne souhaite pas le retour de l’ascenseur, mais nous devons aider les Ivoiriens à trouver la solution pour des raisons que j’ai évoquées. Et je crois que Marcoussis est un début et nous devons soutenir fermement ceux qui aident à son application. Si ce ne sont que des avions et autre matériel de guerre qu’on détruit, aussi bien dans le camp des rebelles que dans celui du pouvoir.

Evariste Zongo
L’Observateur Paalga

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