Actualités :: "Pour une vie politique apaisée au Burkina Faso"
Pr Augustin Loada

Dans moins d’une année, les Burkinabè seront appelés aux urnes pour choisir leur président et leurs maires, pour la troisième fois consécutive. Il faut s’en féliciter. C’est un indicateur de consolidation démocratique. Mais il faut relativiser. Comme chacun le sait, le désenchantement électorals dans notre pays a conduit à des taux d’abstention records qui varient entre 38% et 75%.

Le vrai, c’est que si on considère le nombre de votants par rapport au nombre de Burkinabè en âge de voter, c’est en moyenne 2 Burkinabè sur 3 qui n’ont pas accompli leur devoir civique lors des législatives de mai 2002, considérées pourtant comme les plus sincères depuis l’avènement de la 4e République. Dans ces conditions, la légitimité de nos institutions démocratiques et de nos élus s’en trouve singulièrement réduite. Si la tendance actuelle n’est pas renversée, les vainqueurs des futures consultations électorales devront avoir le triomphe modeste et un supplément d’humilité.

Ils devront se réconcilier avec le peuple en s’efforçant de répondre à ses attentes et abandonner cet habitus professionnel qui consiste à ne voir la lutte politique qu’à travers les rapports de forces. Je ne suis pas naïf au point d’ignorer ce constat établi par Max Weber, à savoir que « les luttes partisanes ne sont pas seulement des luttes pour des principes objectifs, mais aussi des rivalités pour la distribution des postes ».

Mais tant que nous n’aurons pas renversé la perspective pour que les luttes partisanes ne soient pas seulement des rivalités pour la distribution des postes, mais aussi des luttes pour des principes objectifs, il nous faudrait un miracle pour que ce pays, peu favorisé par la nature, devienne une Nation prospère. Où va le Burkina, si dans l’agenda politique de ceux qui pensent avoir été investis par la providence pour gouverner notre pays ne sont pas inscrites les préoccupations liées à son devenir à l’horizon "2025", à la réalisation des objectifs du millénaire pour ne pas évoquer ceux du CSLP ? Si on n’y prend garde, dans deux siècles, le Burkina risque de se retrouver au même niveau de développement humain qu’Haïti, la première république noire, qui continue de piétiner au 153e rang dans le rapport 2004 du PNUD, après 200 ans d’indépendance.

Les partis politiques crédibles devraient faire l’effort d’enclencher maintenant le processus d’élaboration de leurs programmes, et d’y associer tous leurs militants. Ils devront à la fois proposer des solutions et les moyens nécessaires pour relever les défis qu’ils auront identifiés en réponse aux attentes sociales.

L’élaboration d’un programme permettra d’attester de la crédibilité du parti ou du candidat qui estime avoir vocation à gouverner ; ensuite elle permettra "d’occuper" les militants et de les « socialiser », c’est-à-dire de les amener à assimiler les normes, valeurs et dispositions essentielles du projet de société proposé par le parti, et de mobiliser différentes clientèles électorales. Les partis politiques devront également renforcer leurs capacités de communication interne et externe en vue d’orienter ou d’améliorer l’action du gouvernement ou d’éclairer l’opinion sur les alternatives possibles. C’est faute de débat politique interne et externe sur les enjeux de société et les solutions aux problèmes des Burkinabè que les inévitables querelles de leadership parviennent à prendre le pas.

Il nous faut aller au-delà du simple financement public des partis politiques pour réfléchir sur notre système de partis et imaginer des solutions pour renforcer les capacités des partis les plus crédibles sur les 103 légalement reconnus à la date du 9 septembre 2004. Dans la même perspective, le CSI devrait jouer un rôle moins passif et aménager des espaces de dialogue démocratique entre partis politiques, hors campagne électorale, autour des questions essentielles du développement humain et de la gouvernance de notre pays. Nous avons beau sensibiliser les électeurs quant au bien-fondé du suffrage, tant que des réponses concrètes n’auront pas été apportées à ces questions essentielles, la fracture entre le peuple et la classe politique risque de s’approfondir.

Les résultats d’une recherche menée sur les causes de l’abstentionnisme électoral ont en effet permis d’identifier « l’incapacité des élus et des partis à résoudre les problèmes des Burkinabè » comme étant la cause majeure du refus du suffrage. Quels sont ces problèmes ? Comment les résoudre ? Voilà deux problématiques qui devraient préoccuper nos futurs candidats aux élections municipales et présidentielles. Au lieu de cela, que constate-t-on ? Une classe politique en récréation, dont le passe-temps consiste à pratiquer son jeu favori : exaspérer le peuple avec les " tacles par derrière", le lynchage médiatique, l’étiquetage, le manichéisme, etc. Et tout ceci sans que l’arbitre ne siffle la fin de la récréation et n’adresse de carton rouge pour ces actes anti-jeu indignes d’une démocratie respectable cependant dignes d’une république bananière.

Depuis quelque temps, notre classe politico-médiatique n’a rien trouvé de mieux pour nous distraire que de nous entraîner sur la pente glissante de la surenchère "patriotique". On se croirait au bord de la lagune Ebrié où "patriotes" et "rebelles" se regardent en chiens de faïence. Hier, c’était le "peuple" contre les "ennemis du peuple". Allons-nous créer aujourd’hui une taxinomie post-révolutionnaire en opposant "les patriotes" aux "traitres" ? Si, en paraphrasant Mario De Andrade, on considère la presse burkinabè comme un miroir promené le long de la route de l’univers politique burkinabè, on ne peut qu’être frappé par l’indigence du débat politique dans notre pays et par l’absence de consensus autour de l’essentiel.

Les médias, thermomètre de la vie politique, devraient avoir le courage de jouer un rôle d’éducation et d’apaisement au lieu de faire monter la température politique. Tout se passe comme si nous n’avons pas tiré les leçons du passé. Comme si les partis politiques avaient jeté aux orties les conseils du Collège de sages, passée la période de crise. Pourquoi ce manque de dialogue démocratique et républicain au sein de la classe politique ? Peut-on réellement construire une Nation burkinabè forte et prospère dans ces conditions ?

Et pourquoi dans la majorité comme dans l’opposition, et même dans une frange de la société civile, continue-t-on de confondre délibérément le gouvernement, le président du Faso d’une part, et le régime constitutionnel et la 4e République, d’autre part ? En revanche, si on s’en tient à l’une des implications de la théorie de la souveraineté populaire qui sous-tend en partie notre régime constitutionnel, nous sommes tous cosouverains. Ce pays nous appartient donc. A tous ! Il faut donc n’exclure personne, rassembler les Burkinabè au lieu de les diviser. Mériter leur confiance, et pour cela, prendre en considération leurs attentes.

Certes, même dans les démocraties civilisées, la politique politicienne fait partie du jeu politique. On y gouverne selon la règle de la majorité.

Mais il y a un minimum de consensus quand il s’agit d’énoncer les règles du jeu démocratique, et lorsque les valeurs fondatrices de la démocratie et de la république sont menacées. Ce fut le cas lorsque les adversaires de Jacques Chirac ont appelé à voter pour lui, pour barrer la route à Le pen en avril 2002. Ce fut encore récemment le cas lorsque des journalistes français ont été pris en otage en Irak. A quelques jours du Sommet de la Francophonie, qu’il me soit permis de rappeler quelques principes forts de la Déclaration de Bamako sur la démocratie, les droits et les libertés dans l’espace francophone adoptée en novembre 2000, à laquelle notre pays est censé avoir souscrit.

Ces principes suggèrent : « d’impliquer l’ensemble des partis politiques légalement constitués, tant de la majorité que de l’opposition, à toutes les étapes du processus électoral, dans le respect des principes démocratiques consacrés par les textes fondamentaux et les institutions (…). Faire en sorte que les textes fondamentaux régissant la vie démocratique résultent d’un large consensus national, tout en étant conformes aux normes internationales, et soient l’objet d’une adaptation et d’une évaluation régulières, faire participer tous les partis politiques, tant de l’opposition que de la majorité, à la vie politique nationale, régionale et locale, conformément à la légalité, de manière à régler pacifiquement les conflits d’intérêts ».

Je n’invente rien. Si la tenue du prochain Sommet de la Francophonie n’est pas seulement une opération de marketing politique, à l’échelle internationale, il nous faut donc travailler à faire entrer dans nos mœurs politiques ces principes. Mais le consensus ne se décrète pas. Il se crée, sur la base d’un dialogue démocratique. En la matière, qui cherche trouve. Le Premier ministre français n’a-t-il pas reçu, récemment, à plusieurs reprises, les dirigeants des principaux partis politiques français sur la question des otages en Irak ? Combien de Burkinabè faudra-t-il prendre en otage en Côte d’Ivoire pour que s’amorce un dialogue et, partant, un consensus national ?

En politique étrangère également, le consensus n’est pas de trop, autrement, c’est la crédibilité, voire la survie même de l’Etat qui est enjeu, autrement, c’est l’extérieur qui rit de nous. Mais là également, le consensus ne tombe pas du ciel comme la manne au désert. Il se crée. D’abord et avant tout au sein de la représentation nationale, entre le gouvernement et son opposition, toutes tendances confondues. « Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté, et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne peut subsister » (Mathieu 12 :25).

Pr Augustin LOADA,
Agrégé de Droit public et science politique
Université de Ouagadougou

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