Actualités :: Mégaconcert Ouaga FM : Deux démonstrations inutiles

Le vendredi 8 octobre dernier, Ouagadougou a connu deux spectacles : l’un du groupe Yeleen au stade municipal, l’autre, organisé par la Radio Ouaga FM dans le cadre de son 5e anniversaire, à la maison du Peuple. L’auteur de cet écrit se demande s’il n’y avait pas lieu d’éviter cette coïncidence dans la programmation des deux concerts.

En programmant au même moment deux grands concerts de musique qui se veulent mémorables dans la conscience collective des mélomanes burkinabé, les organisateurs du concert du groupe Yeleen et du spectacle de la Radio Ouaga FM ont donné la fausse impression de neutraliser la culture burkinabè.

Alors que le concert de musique du désormais mythique groupe Yeleen était dans les esprits du public et particulièrement de la jeunesse en cette soirée du 8 octobre au stade municipal de Ouagadougou, voilà que la Radio Ouaga FM se laisse maladroitement inspirée par la même date, la même heure pour un même show géant, à la maison du Peuple de Ouagadougou.

En fait, des spectacles pleins les yeux au même moment, ce n’est pas une mauvaise chose en soi, en ce qu’ils donnent la preuve manifeste de toute la diversité et de la vivacité de la culture burkinabé.

Mais là où il y a un os, c’est que les deux jeunes enfants du groupe Yeleen ont annoncé depuis des lustres les couleurs de leur spectacle d’abord par une grande campagne médiatique ; et ensuite par l’entame d’une grande tournée nationale, dite Yeleen Tour, dans les principales villes du Burkina pour donner les prémices de cette communion culturelle.

Le contenu du programme était donc déjà connu du public, des promoteurs de spectacles et des mélomanes. L’ambition des enfants était donc sérieuse. Leur conviction était forte et inébranlable. L’invite ressemblait à un défi :

remplir la cuvette du stade municipal grâce au simple génie créateur de ces frêles enfants encore bercés par l’adolescence et l’amour des parents si lointains n’était-il pas déjà une cause nationale ? Même le ministre de la Culture, Mahamoudou Ouédraogo, y a discrètement prêté une oreille intéressée.

Que diantre Ouaga FM avait-elle couplé sa date avec celle du groupe Yeleen ? La Radio, ayant su très tôt ce que préparaient les jeunes Smarty et Mawndoé, aurait pu réaménager son calendrier pour contribuer à donner une grande chance de succès au concert Yeleen, dont nous avons été, du reste, témoin.

Preuve d’amateurisme des organisateurs du spectacle de Ouaga FM, ou tout simplement un autre test dans un grand défi ? Gens de bonne fois, n’avez-vous pas dit que ce concert du groupe Yeleen était « historique » tant il était osé ? Le stade aurait été à moitié vide ou à moitié plein que nous serions là encore (les mêmes) à ronronner dans les cercles d’amis ou à radoter inutilement dans la clameur d’un bar ou dans les recoins d’une maison.

Certains invoqueraient la folie de grandeur des enfants alors que d’autres s’empresseraient de faire leur deuil qui sied par excellence à l’histoire. Mais la barque n’a pas coulé, et selon notre équipe de reportage qui était au stade municipal, les enfants ont bel et bien osé réécrire les nouvelles pages des annales de la musique moderne burkinabè.

Ils ont mâté la peur du grand vide, ils ont su se faire aimer, ils ont recréé cette communion musicale, hier très évanescente, entre la culture burkinabè et le public. En tout cas l’équipe de L’Observateur paalga a confirmé que les gradins du stade étaient pris d’assaut et que l’extase, le délire et l’explosion étaient au rendez-vous.

Les filles s’étaient laissé aller à leurs habillements

Le public était au rendez-vous du spectacle en cette date du 8 octobre 2004. Mais l’interrogation ici, c’est de savoir si c’est cette tête d’affiche de musiciens dominée par les artistes étrangers qui a attiré le public ou si c’est le saut du verrou, dû à la révolte intérieure des Burkinabè, qui montrent de plus en plus leur affection pour les artistes locaux.

En tout cas la réclame du « mégaconcert » Ouaga FM proposait une brochette d’artistes de célébrité comme Ismaël Isaac, Edgard Yonkeu, Moîz, les Sofaa, les AS DJ, Jeanne Bicaba, Madess... En lever de rideau, MCZ, Ali Verrouty, etc. sont sortis occuper la scène à 21 heure 10 pour un concert officiellement annoncé pour 20 heures 30.

Dès 19 heures 30 la timide affluence qu’on pouvait observer devant les guichets, dans la cour et à l’intérieur de la maison du Peuple donnait l’impression d’un concert qui allait se jouer devant des banquettes vides. Nous avons tout de suite pensé au concert du Groupe Yeleen, qui drainerait du monde et causerait subséquemment la désaffection de la maison du Peuple. Fausse impression !

A 21 heures, la salle, à laquelle on donne théoriquement 3 000 places assises, était effectivement remplie. Et la catégorie de gens qui aiment toujours régler leurs montres selon leur temps à eux (toujours en retard) s’est vu prier d’occuper les marches. Un minimum de service d’ordre était tenu par la gendarmerie.

Comme toujours la gent féminine et particulièrement les filles s’étaient laissé aller dans leurs habillements lascifs ; et les hommes, en de pareilles circonstances aussi, à force d’ œillades, se sont laissé avoir par ce spectacle orgiaque d’une société en perdition.

Sur la scène drainaient des bulles de ballons que les organisateurs ont laissées pêle-mêle comme pour rappeler au public le 5e anniversaire de la radio. Mais elles gênaient en définitive les artistes. Le personnel de la station a été aussi présenté aux spectateurs, prolongeant inutilement un spectacle que les gens attendaient voilà maintenant 45 minutes.

Et que dire de ce présentateur, très pressé, trop pressé, qui sortit pour annoncer le début du spectacle en commençant par des histoires drôles incohérentes et assommantes sans daigner même présenter des excuses pour cette attente voulue à dessein dans une salle à forte température ?

Les organisateurs ont aussi « oublié » de demander pardon au public pour le rendez-vous manqué d’Edgard Yonkeu, qui était annoncé. Mais, enfin, c’est tout cela qui fait le spectacle. Les AS DJ, dans leur uniforme estampillé à leurs noms d’artiste, ont chauffé la salle à blanc.

Ce sont les détenteurs légaux du « couper-décaler » burkinabè. Envahissant la piste autour d’eux, les femmes ont affiché, ici, leur choix musical et leur adhésion au « mouvement » de ces quatre garçons qui ont actuellement le vent en poupe.

Qui ne connaît donc pas le « Tango-tango » ou « la progression dans le développement », de ces braves DJ révolutionnaires ? Pour la scène, Jeanne Bicaba flirte timidement avec les habillements qui emprisonnent le corps et laissent transpirer le désir. C’est une artiste.

Avec ses danseuses, elle a eu une formidable présence scénique et un jeu de hanches envoûtantes. Elle est plus que jamais présente dans son originalité musicale. Amity Meria était là aussi. Mais à côté de Jeanne Bicaba, Amity, du haut de sa taille, préfère toujours se vêtir de robes religieuses.

Dominant la scène de part son physique, elle reste incontestablement cette artiste féminine dont le timbre vocal aux effets magiques ensorcellent les hommes et rendent jalouses les gourmandes coépouses. Elle et Jeanne Bicaba ont puisé dans leurs derniers opus pour servir le public qui connaît assez bien quelques refrains des titres.

Moiz, le monsieur zou douceur et de la rêvasse féminine. Ce genre musical de leur piédestal de la salle. Elles résistent difficilement aux "zouk miel" ; "zouk citron", « zouk caramel »... En un mot, au « zouk love ».

Quand Ismo chantait, nos artistes locaux sont entrés dans leurs souliers

Un des artistes, qui était le plus attendu sur l’affiche, était bien Ismaël Isaac alias Ismo. A 21 heures 40 une partie du public commençait à se mettre précipitamment debout pour servir d’écran aux gens assis et bien disciplinés.

Ils pensaient le spectacle fini. Et voilà les injures qui fusent. Tout est une question d’éducation. Ces gens arrogants sont toujours pressés de partir, comme au cinéma d’ailleurs, avant la fin. En réalité, ils ne partent presque jamais : ce sont eux qui obstruent toujours les portes de sortie pour être à la fois dedans et dehors.

Curieux spectateurs ! Justement, c’est au moment même où le public faisait son « un pied dedans, un pied dehors » qu’Ismaël Isaac a été annoncé. Et revoilà à nouveau les gens qui se bousculent aux portes, dans les allées et dans les chaises pour regagner leurs places abandonnées et pour voir Ismo. Les Burkinabè ne savent décidément pas ce qu’ils veulent et ce qu’ils cherchent.

A chaque fois ils feignent d’ignorer tout du programme pour lequel ils ont déboursé de l’argent et du temps ! Ismo a donc chanté. N’eût été la vigilance de la sécurité, le public l’aurait poussé dans les cordes. Une bonne partie de la salle s’est laissé aller jusqu’à lui. Les mélomanes ont spontanément formé une haie autour de l’artiste sous le nez et la barbe de la sécurité.

Chantant et dansant avec lui, les gens tenaient coûte que coûte à le toucher et à le saluer. La piste était envahie. La popularité de ce reggaeman ivoirien aux cheveux en bataille était palpable. Tenant sur ses deux pieds malgré son état physique, Ismo a repris, au grand bonheur du public burkinabè, ses plus célèbres titres, qui l’ont fait connaître à l’Afrique et à une grande partie du monde entier.

Tout son professionnalisme dans l’art musical bien consumé était visible. Drapé dans des habits « hip-hop » sur lesquels se pose une grosse chaîne, Ismaël Isaac, même en play-back, a enflammé la salle (il a chanté cinq morceaux). Son spectacle aurait été prolongé que les faux rastamens seraient entrés tout de suite en transe au nom d’une idéologie musicale universelle jamais retrouvée dont malheureusement l’aile burkinabè n’arrive toujours pas à se l’imposer sur son propre territoire.

A preuve, quand Ismo chantait, nos artistes locaux sont entrés dans leurs souliers. Devant lui, ils passaient pour des nains de la musique reggae au Burkina. Les dreads locks ne suffisent plus. Il faut surtout donner à voir individuellement sa propre identité culturelle.

En 1986, quand Ismaël Isaac mettait son premier album sur le marché africain, l’enfant de Treich Town à Abidjan était encore un artiste inconnu qui s’imposera par la suite par sa persévérance, sa patience et surtout son originalité créative et créatrice dans un milieu artistique ivoirien déjà occupé par les « grands ».

C’est vrai, les émissions de la télé ivoirienne comme « Première Chance » l’y ont aussi poussé un peu. Mais il s’est poussé lui-même d’abord. C’est le « travaillement », comme disent les musiciens burkinabè.

Idrissa Nogo, Journaliste

Les intertitres sont de la rédaction.

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