Actualités :: Hermann Yaméogo : "Ce n’est pas la première fois que je suis accusé d’être le (...)

San Finna : Au cours d’une conférence de presse, le ministre de la Sécurité Djibril Bassolet a fait savoir qu’il vous a convoqué pour vous notifier officiellement la gravité des faits qui vous sont reprochés. Peut-on savoir de quoi il s’agit et ce que vous en pensez ?

Me H.Y : Après que nous ayons subi, Noël Yaméogo et moi, la séance-interrogatoire de l’aéroport le jour de notre arrivée le mardi 28 Septembre dernier, j’ai été convoqué à me rendre le mercredi au Cabinet du Ministre de la Sécurité pour affaire me concernant. Je m’y suis rendu et en présence du Secrétaire général du Ministère de la Sécurité, du chef d’Etat major de la Gendarmerie, du Directeur général de la Police, Djibril Bassolet m’a exposé qu’ils avaient en leur possession des éléments indiscutables qui attestent que des puissances étrangères sont en préparation pour agresser le Burkina Faso, qu’elles ont acquis des armes à cet effet, que des chars sont même massés à la frontière entre la Guinée et la Côte d’Ivoire afin d’attaquer par le nord ivoirien pour infiltrer le Burkina Faso aux fins de déstabilisation.

Pour le ministre, je suis un élément clé de cette opération d’envergure, la bonne preuve à ses yeux étant que je me suis rendu dans ces pays, à savoir la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Mauritanie pour leur prêter mon concours en leur vendant notamment des informations erronées. Il m’a montré comme étant la preuve des preuves, un papier trouvé sur Noël et qui aurait été faxé à partir de Ouaga le 23/09, faisant remarquer les similitudes qu’il y aurait entre ledit papier et une lettre adressée par le président ivoirien au président ghanéen..

S.F : Comment avez-vous réagi à cela ?

Me HY : Le plus sereinement du monde, en relevant que ce n’est pas la première fois que je suis accusé d’être le déstabilisateur en chef, celui qui veut mettre son pays à feu et à sang. C’est ce qui a été dit pendant les incidents qui ont opposé les commerçants aux forces de l’ordre en février 2004, j’avais, vous vous en souvenez, été nommément cité comme étant l’instigateur de tous ces casses et comme ayant même des caches d’armes ! Pendant l’instruction du dossier des présumés putschistes d’octobre, on a également tenté de m’y impliquer en harcelant les interpellés pour qu’ils fassent des aveux sur ma participation à la tentative.

J’ai aussi rappelé un certain nombre d’accusations comme celle me désignant comme ayant mis en place un réseau de surveillance rien que cela ! pour me rapporter les faits et gestes de certaines autorités dont même le chef d’Etat major de la Gendarmerie, lequel s’en était du reste plaint aux députés Marlène Zebango et Salvador Yaméogo.

S’agissant des dernières accusations en date, j’ai simplement dit que du 20 au 25/09, j’étais en Guinée et que la mention de mon séjour dans ce pays est portée sur mon passeport, qui se trouve du reste en leur possession. J’ai fait remarquer qu’avec leurs moyens, ils peuvent s’informer auprès de la compagnie Air Ivoire, de l’ASECNA, des services d’immigration, de l’hôtel où j’ai séjourné, pour vérifier mes dires.

A moins d’avoir le don d’ubiquité, je ne pouvais pas comme l’affirme sans hésitation le ministre, être en même temps à Conakry et à Nouakchott où j’aurais, par ailleurs, travaillé, selon les déclarations faites à Sidwaya, avec le journaliste Mohamed El Kory pour l’aider à envoyer un article incriminant le pouvoir burkinabé à SAN FINNA. Sur la question, le Directeur de publication pourra donner la véritable information.

S’agissant du papier trouvé sur Noël, alors que je me trouvais à Conakry, et qui aurait inspiré la correspondance du président Gbagbo (notifiée à l’Ambassadeur Ilboudo le 25/09, jour de mon arrivée à Abidjan en provenance de Conakry), j’ai fait observer que des documents du genre pullulent un peu partout à Ouagadougou comme à Abidjan ; et qu’il serait tout à fait abusif de donner à croire que Noël Yaméogo pouvait en être le seul détenteur.

J’ai dit au ministre Bassolet que de la même façon qu’ils affirment avoir des éléments à la présidence mauritanienne et à la présidence ivoirienne, qui leur donnent régulièrement des informations, peut-être les autorités ivoiriennes et mauritaniennes ont-elles aussi infiltré la présidence burkinabé d’où pourraient leur parvenir des informations. Pour moi, la chose est d’autant plus plausible que l’on sait notre armée traversée par des frustrations dues entre autres au clientélisme. La velléité de sédition en 1999 et la fameuse tentative du putsch d’Octobre 2003 n’en sont que la face émergée.

S.F : Comment expliquez-vous tout cet acharnement du pouvoir ?

Me HY : Il y a plusieurs raisons. Le pouvoir cherche à nous discréditer pour nous couper de nos amitiés, de tous ceux qui, sensibilisés à notre cause, peuvent nous aider. Il veut, à la veille du Sommet de la Francophonie, dire aux instances internationales : " Vous venez dans un pays où il y a des opposants forts en thème, qui demandent des commissions d’enquête, qui accusent le pouvoir burkinabé de tous les péchés d’Israël mais ne donnez pas crédit à leurs accusations ".

Il veut dire aux commissions d’enquête qui sont venues au Burkina ou qui s’apprêtent à y venir : " Méfiez-vous des personnes que vous aurez à auditionner ". Le pouvoir veut aussi, au moment où l’opposition est plus que déterminée à aller en rang serré à des élections que tout annonce difficiles pour lui, faire peur, empêcher les opposants de sortir, de tisser des relations. Il veut enfin détourner l’attention de l’opinion sur l’évidence croissante de son immixtion dans les crises sous-régionales.

C’est pour cela qu’il embastille Norbert Tiendrébéogo, harcèle Me Sankara, menace Philippe Ouédraogo et joue de moi comme d’un "punching-ball". Mais comme l’ont souligné tour à tour Ram Ouédraogo, Norbert Tiendrébéogo, la question fondamentale est celle de savoir s’il y a oui ou non des rebelles mauritaniens au Burkina Faso qui s’agitent, si oui ou non des rebelles ivoiriens sont partis du Burkina pour attaquer la Côte d’Ivoire et continuent de prendre leurs quartiers au Burkina Faso.

S.F : Lorsqu’on vous accuse d’être un anti-patriote, d’exposer votre pays à des attaques et d’être la cause des problèmes qui existent entre la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Mauritanie et le Burkina, que répondez-vous ?

Me HY : Le Ministre Bassolet, quand il m’a reçu dans son Cabinet, m’a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi j’avais des sympathies pour Laurent Gbagbo. J’ai répondu que ce qu’il prend pour une sympathie s’explique par la condamnation de l’implication du pouvoir dans la déstabilisation du régime légal ivoirien. Je suis un républicain attaché à l’alternance pacifique dans mon pays comme dans les autres pays. C’est pour cela que j’ai condamné le coup d’Etat contre Henri Konan Bédié de même que la tentative de coup d’Etat du 19 Septembre 2002.

Pour en revenir à votre question, je dis d’abord que ce n’est pas de mon dernier voyage que datent les problèmes entre ces pays et le pouvoir burkinabé. Quand on a accusé le Burkina d’avoir mis un Déby au pouvoir, d’avoir soutenu Jonas Savimbi, d’avoir trempé dans le coup d’Etat au Niger, d’avoir trempé dans les rébellions libérienne, sierra leonaise, angolaise, d’avoir tenté de déstabiliser la Guinée (et j’en passe !), a-t-on jamais parlé du rôle d’Hermann Yaméogo dans tout cela ? Pourtant, je condamnais toutes ces immixtions, marchant même pancarte à l’appui contre la collusion avec Jonas Savimbi.

Je dis ensuite que je suis tout à fait à l’aise quand on parle de patriotisme. Entre celui qui arme des rebelles pour attaquer des pays à des fins de prédation, en y commettant des crimes contre l’humanité (viols, membres amputés, assassinats) et celui qui s’insurge contre ces pratiques qui insécurisent le Burkina et la sous-région, souillent la réputation du pays, qui est plus patriote que qui ? Entre celui qui se fait rémunérer en se spécialisant dans ces guerres atroces et celui qui s’applique à expliquer à l’opinion des pays victimes que ce n’est pas tout le peuple burkinabé qui est responsable de ces malheurs, qui est plus passible de condamnation pour commerces immoraux ?

S.F : Pensez-vous que votre position sur la Côte d’Ivoire soit maintenant bien comprise par l’opinion ?

Me HY : Lorsqu’en pleine hystérie patriotique due au travail de lavage de cerveau opéré par la diffusion en boucle de " Poudrière Identitaire ", le président Compaoré a dit tout le mal qu’il pensait du régime Gbagbo et appelé en partance pour Kléber, à sa traduction devant un tribunal pénal international, je savais comme Me Sankara qu’il était dangereux d’aller sur ses brisées.

Je ne connaissais pas personnellement Laurent Gbagbo mais je ne pouvais pas laisser passer l’imposture, me laisser instrumentaliser pour justifier une déstabilisation du pays d’Houphouët Boigny. Il m’insupportait au plus haut point qu’un régime, qui a un si lourd passif en matière de droits humains, de démocratie, puisse se draper du manteau de la vertu pour donner des leçons de démocratie alentour. Il m’en a coûté ce qu’il m’en a coûté mais je suis en paix avec moi-même, avec mes convictions pour les avoir affirmées.

Je regrette d’autant moins mon audace que le temps a fini par libérer les consciences et délier les langues et aujourd’hui, personne de sérieux ne met plus en doute l’implication du pouvoir dans les événements du 19. Nombreuses sont par ailleurs les voix de nos ressortissants en Côte d’Ivoire qui affirment que la meilleure façon de défendre leurs intérêts en terre éburnéenne n’est pas de livrer ce pays à la guerre.

S.F : Halidou Ouédraogo a une position sur la question ivoirienne pareille à la vôtre, qui dit que les rebelles "ont eu le soutien logistique, matériel et financier du pouvoir burkinabé ", in Le Temps du 29/09/04 Qu’en pensez-vous ?

Me HY : Halidou est un magistrat expérimenté qui a des relations. Il est introduit dans des milieux internationaux et il se trouve à la tête de deux mouvements MBDHP et UIDH. Ce qu’il dit, c’est ce que la majorité des Burkinabé pensent. Ses propos, au demeurant, ne viennent que confirmer le contenu des nombreux rapports d’ONG qui depuis longtemps, font état de formation de rebelles en territoire burkinabé, de trafic d’armes, de diamants.., et d’implication des autorités dans bien de crises de la sous-région.

Cela va en droite ligne de ce que cet enfant-soldat libérien avait expliqué sur RFI le samedi 8 Mai 2004 : son engagement à 8 ans dans le mercenariat par le canal des sbires de Taylor puisqu’il n’avait d’alternative, en dehors de cette vie de combattant, que la mort. Il avait alors raconté sa vie dans l’engrenage infernal de la drogue, du pillage, du viol et du meurtre, tout cela en passant par une formation militaire au Burkina Faso !

S.F : Et Noël Yaméogo, dans tout ça ?

Me HY : Il est comme tous ceux de mes collaborateurs qui ont souvent été interpellés, harcelés : Mathieu N’Do, Louis Nama.. On veut passer par eux pour m’atteindre et à défaut de m’atteindre, c’est eux qui trinquent. Pour cela, le pouvoir fabrique ses propres preuves, détermine ses propres convictions, met en branle sa justice.

S.F : Au fond, ne craignez-vous pas pour vous-même ?

Me HY : La question m’est souvent posée mais, comme vous le savez bien, depuis une certaine époque, la violence a été institutionnalisée comme pratique politique au Burkina Faso. Les conséquences, tout le monde les connaît : de nombreuses vies (illustres comme anonymes) supprimées, des carrières brisées, des citoyens embastillés à travers des procès arrangés, une démocratie en trompe-l’œil.. Je suis arrivé à un stade de mon parcours politique où j’ai intégré les risques dont vous parlez. Je reçois même indirectement des menaces précises mais je n’arrêterai pas, dussé-je en payer le prix le plus fort, de dénoncer ce hold-up dont est victime le Burkina Faso par un clan qui entend " squatter " ad vitam aeternam le pouvoir tout en s’achetant par des complaisances diplomatiques et médiatiques, une image de gouvernants attachés à la bonne gouvernance, à la démocratie.

S.F : Le mot de la fin ?

Me HY : Je voudrais remercier, et ils sont nombreux, tous ceux qui m’ont témoigné de la sympathie à travers cette nouvelle cabale dont je suis l’objet. A eux tous comme aux victimes de toutes ces ingérences du pouvoir burkinabé, je voudrais donner l’assurance que je ne dévierai pas d’un iota de mes positions. Je continuerai à dénoncer les ingérences de même que le silence médiatico-diplomatique qui les entoure et qui encourage dans la récidive, le pouvoir en place. Je continuerai à demander la création d’une commission d’enquête internationale véritablement neutre, je voyagerai tant que je pourrais pour m’en expliquer surtout auprès de pays comme le Liberia, la Côte d’Ivoire, l’Angola, la Sierra Leone…, dont beaucoup de ressortissants sont morts en raison des conflits que le pouvoir burkinabé a provoqués ou entretenus.

Encore une fois, je n’ai pas de leçon de patriotisme à recevoir de personnages qui ont défiguré un pays que j’ai vu naître à l’indépendance et dont les valeurs cardinales en voie de perdition, étaient faites de tolérance, d’hospitalité, de fierté, de courage et de probité. Pour ce combat, pour le changement, je continuerai à demander aide et assistance à mes amis, à tous ceux qui sont sensibles à la cause que je défends, qu’ils soient au Burkina Faso ou ailleurs car l’alternance réussie au Burkina, ce n’est pas la libération des seuls citoyens burkinabé mais aussi celle de tous les citoyens de la sous-région.

Cette aide, j’en ai d’autant plus besoin, que 2005 arrive et que le pouvoir, non content d’avoir opéré un hold-up sur mon parti en le privant du coup des subventions financières de l’Etat et en me privant du titre de chef de file de l’opposition, s’attèle -tout le monde le voit- à m’empêcher d’être en mesure de réunir les moyens d’une compétition électorale dans laquelle il ne veut pas me voir inscrit parce qu’il sait que la sanction populaire l’attend.

Propos recueillis par Lamine Koné
San Finna

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