Actualités :: Blaise Compaoré : la source de tous les maux en Afrique francophone (...)
B. Comaporé

Blaise Compaoré est à New York. Pour présenter les conclusions des travaux du sommet extraordinaire de l’Union africaine qui vient de se tenir à Ouagadougou sur la question de l’emploi et de la lutte contre la pauvreté (cf LDD Burkina Faso 035/Vendredi 16 juillet 2004). L’Afrique noire francophone devrait s’en réjouir. Cette manifestation a été un succès.

Et pas seulement un succès diplomatique. Blaise Compaoré, président du Faso, à la tribune des Nations unies alors que l’Assemblée générale est présidée par Jean Ping, ministre d’Etat du Gabon, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Francophonie (cf LDD Gabon 016/Mardi 14 septembre 2004) et que Bénin se prépare à présider le Conseil de sécurité (cf LDD Bénin 09/Mardi 7 septembre 2004) cela "a de la gueule". Et donne des raisons de ne pas totalement désespérer de l’Afrique.

Blaise Compaoré est à New York. Mais à en croire les uns et les autres, il ne s’y occuperait pas d’y rechercher les voies et moyens de sortir l’Afrique toute entière de la pauvreté et de la misère mais, bien au contraire, il s’y emploierait à déstabiliser le continent. Il y a tout juste deux ans, au lendemain du coup de force du 18-19 septembre 2002, à Abidjan, le président ivoirien Laurent Gbagbo tendait un doigt accusateur vers Ouagadougou et disait : "C’est lui". Il y a quelques semaines, à Nouakchott, c’était au tour du président mauritanien Maaouiya Ould Taya de tendre un doigt tout aussi accusateur vers Ouagadougou et de dire : "C’est lui". Il y a quelques heures, un juriste africain, conseiller d’un chef d’Etat africain, me demandait quelle était, à mon avis, la part de responsabilité de Blaise Compaoré dans la tentative de renversement du président Téodoro Obiang Nguema à Malabo, en... Guinée équatoriale. Je rêve !

"Il n y a pas de fumée sans feu", me dit-on. Et on ajoute : "On ne prête qu’aux riches". Mais Blaise Compaoré n’est pas plus riche en matière de coups d’Etat que ses voisins d’Afrique de l’Ouest ou de l’Afrique centrale. Ould Taya est arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat. C’était en 1984. Et la situation dans le pays, à la suite d’une politique xénophobe poussée à l’extrême, a conduit à des massacres interethniques et à la rupture des relations diplomatiques avec le Sénégal pendant plus de quatre ans. Obiang Nguema est arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat. C’était en 1979. Et il a fallu attendre 1992 pour que la Guinée équatoriale s’engage dans la voie démocratique. Ni l’un ni l’autre n’ont attendu l’accession au pouvoir, à Ouagadougou, de Blaise Compaoré pour s’adonner aux délices du coup d’Etat !

Alors, bien sûr, il reste le "dossier ivoirien". Deux ans après le coup de force qui a conduit, d’une part, au découpage du pays et à son occupation par des troupes étrangères, d’autre part, à la mise au jour de la vraie nature du régime Gbagbo, rien n’est venu étayer la thèse selon laquelle le Burkina Faso aurait organisé ce coup de force. Deux années pendant lesquelles la Côte d’Ivoire a fait la "une" de la presse internationale : escadrons de la mort, mercenaires, meurtres des journalistes français Jean Hélène et Guy-André Kieffer, etc... sans que jamais la présidence ne publie des éléments établissant la responsabilité du Burkina Faso.

Ce vide a dû sauter aux yeux de quelques uns à la veille du deuxième anniversaire du déclenchement de la "crise ivoirienne ". Dans JA./L ’Intelligent daté du 12-18 septembre 2004, fort à propos, voilà Ibrahim Coulibaly, sergent-chef dans les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) qui s’exprime longuement. Avec "l’air de ne pas y toucher". Je vais revenir prochainement sur la personnalité de "IB ".

Que nous dit de lui JA./L’Intelligent.
- 1/ "Il a participé au putsch qui a renversé l’ancien président Henri Konan Bédié il y a presque cinq ans -2/ Il "a continué à jouer un rôle important dans le destin de son pays".
- 3/ "Il a été l’un des organisateurs de la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002, à l’origine de la crise [c’est moi qui souligne] qui secoue toujours la Côte d’Ivoire".
- 4/ Arrêté à Paris en 2003 pour avoir été "soupçonné de recruter des mercenaires, à la disposition de la justice française ", il continue de "suivre de près les soubresauts politiques ivoiriens ".

C’est dire que "IB" apparaît comme un acteur crédible de cette "crise ivoirienne ". Et ses propos vaudraient leur pesant d’or. Que dit-il à JA./L ’Intelligent ? Tout d’abord, il se présente comme un homme responsable et raisonnable. La Côte d’Ivoire est "belle ", "les accords de Marcoussis [vont] dans l’intérêt du peuple" et il fait "confiance" aux Nations unies. Jusqu’à son arrestation, le 1er septembre 2003, tout allait bien au sein de la "rébellion" : "Il n ’y avait qu’un seul chef pour donner des ordres et la discipline régnait partout". Sous-entendu : le chef c’était lui. Il ajoute : "C’est bien dommage que je sois assigné à résidence ici, en France ". Sous-entendu : s’il était encore en Côte d’Ivoire, l’ordre régnerait au Nord.
Il se présente comme celui qui "a mis ce mouvement de rébellion sur pied". Objectif :"conquérir l’égalité et la justice ". Quant à ses successeurs à la tête de la rébellion, ils "sont souvent débordés". Explication de ces débordements : "On ne peut pas prétendre lutter contre le racket en le pratiquant soi-même ".

Il se présente également comme un leader de Forces nouvelles, se refuse d’être un politique : "nous ne sommes même pas un parti politique et ce n’était pas notre ambition" ; s’interroge pour savoir s’il est toujours un militaire ivoirien : "Je ne sais pas […] mais mon état d’esprit reste celui d’un soldat" ; et met en cause la hiérarchie des Forces armées de Forces nouvelles (FAFN) dans les charniers de Korhogo : "Je constate [...] que la branche dirigeante de la rébellion se comporte maintenant de la même manière que les sbires de Laurent Gbagbo ".

Voilà pour le positionnement. On a bien compris le message : "IB" est un homme responsable et raisonnable qui maîtrise d’autant mieux la question de la "crise ivoirienne" qu’il a été le chef du mouvement du 18-19 septembre 2002 ! Deux questions tout d’abord : pas un mot sur les motifs de son arrestation en France ; pas un mot sur son contentieux avec Guillaume Soro, le leader "civil" de la "rébellion" (il rappelle simplement, dans un bel amalgame, que, tout comme Charles Blé Goudé, il a été "proche" de Gbagbo) ! Par contre, "IB" est beaucoup plus prolixe sur d’autres relations.

Sur Ouattara tout d’abord. Il rappelle qu’il "a été son garde du corps et celui de sa famille". Il souligne qu’il "le respecte beaucoup". Et trouve "injuste que l’on refuse le droit d’être candidat à la présidence de la République à un homme qui a été le Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny". Conclusion : "Bien sûr, je serais heureux qu’il soit élu ". Allégeance à celui que l’on présente comme le leader du Nord. Mais seulement allégeance. Il n’y a pas, dans ce discours, d’engagement militant (notamment en ce qui concerne la nationalité ivoirienne de Ouattara, "IB" évoque seulement le fait qu’il a été premier ministre).

S’il ne veut pas faire de commentaire sur Laurent Gbagbo ("Je souhaite simplement qu’il applique les accords de Marcoussis et d’Accra II !’), il souligne que Simone Gbagbo est "une femme de caractère [...] mais qu’elle doit savoir maîtriser ses nerfs, surtout à son niveau deresponsabilité politique ". On peut trouver, aujourd’hui, cela un peu court pour quelqu’un qui se positionne comme le "responsable de l’insurrection armée du 19 septembre 2002 ". Mais, l’essentiel, n’est pas là. Il est dans la systématisation de la mise en cause de Blaise Compaoré dans cette opération. J’y reviens demain !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique


Blaise Compaoré : la source de tous les maux en Afrique francophone ? (2)

Blaise Compaoré est-il l’instigateur des tentatives de coups d’Etat qui, ici et là, troublent durablement la vie politique africaine ? Gbagbo répond oui. Taya dit la même chose. Mais ni l’un ni l’autre n’avancent de preuves (et n’ébauchent même pas un scénario laissant penser que, effectivement, le crime profiterait à Compaoré). Quand on ne trouve rien du côté de ses amis pour prouver la faute de son ennemi (si tant est que le Burkina Faso ait été l’ennemi de Gbagbo ou de Taya), on va chercher du côté de ceux qui se présentent comme les amis de son ennemi.

Ibrahim Coulibaly est un ami de Blaise Compaoré. C’est lui qui l’affirme. Dans JA./L’Intelligent n° 2279 du 12-18 septembre 2004 (cf LDD Burkina Faso 040/Lundi 20 septembre 2004). Celui qui se fait appeler "IB" déclare effectivement : "Je le [Blaise Compaoré] considère comme mon grand frère. Il m’a aidé et conseillé au moment où j’en avais besoin. Je ne pourrai jamais l’oublier. Il m’a permis de vivre au Burkina Faso comme chez moi". Valérie Thorin, qui conduit l’entretien avec "IB" n’a guère de curiosité. "IB" dit : "au moment où j’en avais besoin". "IB" étant présenté comme" l’un des organisateurs de la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002" la question qui se pose est de savoir quel était le "besoin" exprimé par "IB" : des armes, des véhicules, des financements, des hommes, etc...?

Car, précise "IB", le 19 septembre a bel et bien été un coup d’Etat qui visait à prendre le pouvoir à Abidjan. Même si "IB" parle d’un "acte de rébellion" avant de préciser : "Un coup d’Etat est moins meurtrier qu’une guerre" et de confesser : "Soit dit en passant, nous n’avions pas envisagé sur le long terme ". "IB" ajoute que si ce coup d’Etat n’a pas marché "Dieu seul sait pourquoi ". Il précise : "Mes éléments ont quitté Abidjan alors que la ville était tombée. Jusqu’à midi, elle était entre nos mains. Puis, quelqu’un a dit que j’avais appelé et qu’il fallait se replier sur Bouaké. Par la suite, s’il n y avait pas eu l’armée française et ses moyens, nous aurions regagné le terrain perdu. Les Français ont sauvé Gbagbo ".

Je passe sur la réécriture de l’Histoire par "IB". Je note seulement le "mes" et le "j"’. Pas de doute : dans l’esprit de "IB", c’est bien lui le chef de l’insurrection armée du 19 septembre 2002. Il précise même : "Je sais exactement ce qui s’est passé, car j’ai dirigé personnellement tous les combats". Sur le terrain ? Non. Depuis le Burkina Faso. "IB" précise : "D’ailleurs, il suffisait de voir mes hommes avec leur Thuraya [téléphone satellitaire] pour comprendre que tout était réglé depuis Ouagadougou". "Tout était réglé depuis Ouagadougou". Ce n’est pas Laurent Gbagbo qui l’affirme. C’est "IB", le "petit frère " de Blaise Compaoré !

Je suis comme André Breton et les Surréalistes. Un adepte du "hasard objectif". Or, l’an dernier, à l’occasion de l’interpellation de "IB" dans l’affaire des mercenaires, JA./L ’Intelligent (n° 2226 et 2228) était, sous les signatures de François Soudan et de Francis Kpatindé, plus mesuré quant à la crédibilité de "IB ". Il était alors décrit comme "l’homme qui, selon la légende, a organisé le premier coup d’Etat de l ’histoire de la Côte d’Ivoire" ayant" quelque peu pété les plombs" et se prenant "pour le nouveau sauveur de la Côte d’Ivoire".

Je me pose la question de savoir pourquoi on offre cette tribune à un homme dont il reste encore à dresser le profil et à vérifier les assertions. Car voilà un entretien qui tombe à pic. En laissant entendre, avec "l’air de ne pas y toucher", que Compaoré est intimement impliqué dans "le coup d’Etat" (ou "l’acte de rébellion ») du 18-19 septembre 2002, "IB" crédibilise la thèse selon laquelle il serait également impliqué dans la tentative de coup d’Etat en Mauritanie.

Le samedi 28 août 2004, Hamoud Ould Abdi, ministre mauritanien de la Communication, affirmait que le Burkina Faso était "le bras armé de la Libye dans [la] région ouest-africaine". Il ajoutait : "comme en témoignent le Togo et la Côte d’Ivoire". Pourtant, la veille, le vendredi 27 août 2004, le ministère burkinabè des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, avait été clair, net et ferme dans sa note de protestation : "Le Burkina Faso dément avec vigueur toute implication directe ou indirecte dans une quelconque action de déstabilisation de la Mauritanie. Il réaffirme sa position de principe qui est la non ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats et sa condamnation de toute prise du pouvoir par des voies non démocratiques. Il ne saurait par conséquent fournir aucune assistance à des individus ou groupes pour mener des opérations de déstabilisation dans un autre pays. Par ailleurs, le Burkina Faso, qui ne partage aucune frontière avec la Mauritanie, n’a jamais accueilli sur son territoire des opposants
politiques de ce pays". Ouaga profitait de l’occasion pour rappeler, non sans malignité, que "sur le plan de la gouvernance politique" la Mauritanie était soumise, "depuis quelques années", à des "soubresauts" et dénonçait "la fâcheuse tendance à rechercher ailleurs un bouc émissairepour justifier les difficultés internes sur le plan politique".

Mais les démentis de Ouaga, aussi catégoriques soient-ils, ne parviennent pas à endiguer une déferlante dont on peut se demander où elle trouve sa source. François Soudan, dans JA./L’Intelligent du 5-11 septembre 2004, ne manque pas d’en rajouter. Il parle de "guerre" ; "guerre verbale, bien sûr [...] mais guerre tout de même". Dans l’enquête qu’il signe sur le "putsch avorté", posant la question : "Qui a voulu renverser Ould Taya ?", il évoque bien plus les connexions internationales de quelques membres de l’opposition (ou de personnalités considérées comme telles) que la situation politique intérieure de la Mauritanie. Et évacue Tripoli du dossier pour laisser le devant de la scène à Ouaga. Ouaga qui "est depuis longtemps, écrit-il, une sorte de havre et de carrefour pour les opposants venus de toute la région.. Ivoiriens bien sûr, mais aussi Guinéens, Togolais, Camerounais, Mauritaniens, etc... Au hasard des hôtels, des sommets et des festivals, on peut ainsi croiser Alpha Condé, Gilchrist Olympio, Guillaume Soro, Mohamadou Issoufou, mais aussi d’ex-putchistes comme le capitaine Guérandi Mbara, qui fut l’un des chefs de la tentative manquée de coup d’Etat contre Paul Biya en 1984". Il ajoute : "Tous connaissent le président Blaise Compaoré, dont ils sont plus ou moins proches, tous font partie de son jeu de cartes politico-régional. un jeu souvent sulfureux. parfois dangereux. dont lui seul maîtrise la logique et les objecttfs [c’est moi qui souligne]".

Voilà dressé le portrait de Blaise Compaoré. Qui pourrait dénoncer, tout comme Curzio Malaparte dans la préface écrite en mai 1948 lors de la réédition de Technique du coup d’Etat, "la stupide légende qui fait de moi un être cynique et cruel, cette espèce de Machiavel déguisé en cardinal de Retz".

Il faudrait être un peu fou, sans doute, pour penser un seul instant que tout ce déballage, soudain, est le fait du hasard. Personnellement, je penche plutôt pour le "hasard objectif". Est-ce diffamer "IB" que de dire qu’il a été, sans doute, instrumentalisé par son entourage et, plus particulièrement, son entourage français ? N’est-il pas légitime d’attendre que, à Abidjan, Nouakchott et Lomé, les responsables politiques apportent les preuves des menées de Blaise Compaoré contre les régimes qui y sont en place ? Il n’en demeure pas moins que cette campagne contre le chef de l’Etat burkinabé, dans le contexte actuel national et international du Burkina Faso, de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique, a une signification. Qu’il faut tenter de décrypter. Je vais y revenir.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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