Actualités :: Mauritanie -Burkina : D’Ould Taya et de Blaise, qui croire ?
Ould Taya et Compaoré

Encore une fois, l’actualité en Afrique (et singulièrement en Afrique de l’Ouest) est marquée, entre autres, par une tentative présumée de coup d’Etat, en Mauritanie, contre le régime du président Maaouiya Ould Sidi Ahmed Taya.

Encore une fois, ce sont d’autres pays du continent, en l’occurrence la Libye et le Burkina, qui sont ouvertement accusés d’avoir accordé refuge à des opposants de Nouakchott, de les avoir financés et armés pour qu’ils opèrent un coup de force le 9 août dernier, à la faveur du voyage que le n° 1 mauritanien devait effectuer en France à l’occasion du 60e anniversaire du débarquement des alliés à Toulon.

Bien entendu, les accusés que sont Mouammar Khadafi et Blaise Compaoré ont immédiatement nié toute responsabilité dans cette affaire.

Vraie fausse tentative présumée de putsch ou véritable complot contre celui qui préside aux destinées de ce vaste territoire (2 fois la superficie de la France) depuis 1984 ? Bien malin qui saura le dire. Par ailleurs, Khadafi et Compaoré seraient-ils effectivement les parrains des anti-Taya ou les accuse-t-on parce que chacun d’eux a la tête du coupable idéal ? Bien malin également qui saura le dire. Cependant, l’on ne peut s’empêcher d’avoir son propre point de vue sur le sujet. Avant d’y revenir, il nous semble indiqué de jeter un regard panoramique sur la Mauritanie.

Au pays de M. Ould Taya

Maaouiya Ould Sidi Ahmed Taya arrive au pouvoir par un coup d’Etat le 12 décembre 1984. En 1986, un groupe de Négro-Mauritaniens attire l’attention du régime sur la discrimination croissante contre la population noire. Plus de trente d’entre eux sont arrêtés pour avoir distribué un document intitulé "Le manifeste du Négro-Mauritanien opprimé". Ce document résumait les actes de discrimination raciale dont étaient victimes les Négro-mauritaniens et demandait au pouvoir l’institution d’un dialogue pour la recherche de moyens pacifiques de résolution de cette crise. Malheureusement, la suite, selon des observateurs de la vie socio-politique de ce pays, a été une répression des initiateurs de ce document.

De septembre à octobre 1986, une série de procès, loin d’être justes, conduiront en prison une vingtaine de personnes jugées coupables d’avoir tenu des réunions non autorisées, d’avoir affiché et distribué des "publications préjudiciables à l’intérêt national et mené une propagande à caractère racial et ethnique". Des peines, lourdes au regard de ce qui leur est reproché, leur furent infligées : 6 mois à 10 ans de prison ferme et 5 à 10 ans de relégation interne. Le 28 octobre 1987, le ministre de l’Intérieur annonce la "découverte d’un complot" contre le régime Ould Taya. Tous les accusés sont d’origine négro-mauritanienne. Au nombre de cinquante (50), ils sont d’abord gardés au secret pendant longtemps avant qu’une parodie de procès soit organisée pour les condamner à de lourdes peines : trois condamnés à mort et exécutés, d’autres condamnés à la prison à perpétuité et conduits au bagne-mouroir de Oualata.

En 1988, quatre de ces condamnés, tous des intellectuels, y trouvent la mort. En 1989, la crise avec le Sénégal donne l’occasion au régime de résoudre à sa manière les problèmes posés par la cohabitation avec les peuples négro-mauritaniens : populations expulsées par dizaines de milliers vers le Sénégal et le Mali, spoliations, exécutions extrajudiciaires, arrestations arbitraires, purge au sein des forces armées, torture... Le 28 novembre 1990, 28 d’entre eux sont pendus pour commémorer l’anniversaire de l’accession du pays à la souveraineté nationale et internationale.

Au total, plus de 500 militaires sont exécutés dans le pays. En 1991, sous la pression de la France, le pays entre dans l’ère de l’Etat de droit, mais formellement seulement puisque les conditions d’organisation des élections furent telles que l’opposition fut obligée de les boycotter. Ould Taya est élu le 24 janvier 1992, et son parti se retrouve tout seul à l’Assemblée nationale, comme du temps du parti unique. Les populations sont déçues, mais ne peuvent rien entreprendre puisque le pouvoir fait tout pour les en dissuader : chantage, arrestations d’élèves, d’étudiants, d’enseignants et d’opposants, dissolution de partis politiques, journaux censurés, suspendus ou carrément interdits...

En 1998, le régime intente un procès contre des militants des droits humains qui avaient osé aborder la question de l’esclavage en Mauritanie sur la troisième chaîne de télévision française France 3. Des hommes et des femmes continuent d’y être vendus malgré le discours officiel et les règles de droit censées donner une base juridique à la lutte contre ce crime contre l’humanité. En mai 2003, des dizaines d’imams et de doctes en matière islamique sont arrêtés pour complot contre la sûreté de l’Etat.

Suite à la tentative de putsch du 8 juin 2003, de gigantesques rafles ont été organisées contre des militaires, leurs familles, leurs amis et compagnons d’armes. Le clan des Oulad Nasser, auquel appartient le leader présumé de la tentative de putsch, est également victime de la répression : plusieurs de ses membres, pourtant hauts fonctionnaires, sont limogés et/ou arrêtés. Dans un tel climat, faut-il être surpris que le régime Ould Taya fasse encore l’objet d’une (présumée) tentative de coup d’Etat ? Pour autant, le Burkina et la Libye sont-ils impliqués dans cette affaire ?

Examen des arguments pour et contre

Pour nombre d’observateurs (notamment ceux favorables à la thèse du régime Ould Taya), Khadafi serait le stratège et le financier, et Blaise Compaoré, l’encadreur des putschistes. Le premier en voudrait au n° 1 mauritanien pour avoir noué des relations diplomatiques avec Israël. La même accusation que celle qui a été formulée en 2003, lors du putsch manqué en Mauritanie. La thèse mauritanienne séduit plus d’un dans la mesure où le Burkina et la Libye sont régulièrement cités dans des tentatives de déstabilisation en Afrique : Cameroun, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, Togo, etc. En face, il y a ceux qui croient que le régime mauritanien utilise cet argument pour mieux éluder les problèmes qu’il a lui-même contribué à créer (cf. ce que nous avons dit dans la première partie de l’article).

Pour eux, ni le Burkina, ni la Libye n’ont intérêt aujourd’hui à avoir des velléités déstabilisatrices sur d’autres pays. Et pour cause :
- la Libye est en train d’œuvrer à redorer son blason afin de retrouver la place qui est la sienne au plan international. Le dégel des relations avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, etc. est en cours. Avait-elle besoin de risquer de se mettre à dos l’Oncle Sam en déstabilisant la Mauritanie, tout en sachant bien que celle-ci, en établissant des relations diplomatiques avec Israël, se rapproche considérablement des Etats-Unis ?
- le Burkina se prépare à accueillir les sommets de l’Union africaine sur l’emploi, et de la Francophonie. Lui aussi avait-il besoin de ternir son image et de dissuader certaines têtes couronnées de se rendre à Ouagadougou ? Certes, les habitudes ont la vie dure.

Certes, peut-être qu’ils ont trempé dans ce coup tordu (si tant est qu’il est avéré) en se disant que, compte tenu des raisons que nous avons déjà avancées, personne ne songerait à les accuser. C’est pourquoi dans de telles circonstances, il est impératif que l’accusateur produise des preuves et sollicite une commission d’enquête internationale sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) ou au moins de l’Union africaine. Une telle approche, en plus du fait qu’elle produirait une version indépendante de celle des protagonistes, prémunirait à coup sûr des accusations faciles et des éventuelles velléités de déstabilisation de certains pays par d’autres.

Toutefois, en amont, les pays africains, à travers leurs premiers responsables, devraient travailler à enraciner davantage la démocratie ; car les présumées tentatives de coup d’Etat constatées çà et là (Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée équatoriale, Mauritanie, etc.) sont la conséquence d’un problème de gouvernance politique et économique interne avant d’être la résultante (si des preuves sont fournies) du travail d’experts en déstabilisation venus de l’étranger.

En attendant, on peut seulement se permettre de croire (non d’être convaincu par des preuves), en fonction de nos intérêts, que Blaise Compaoré et Khadafi sont de pauvres victimes, et qu’Ould Taya raconte des balivernes. Tout comme on peut estimer le contraire. Chacun pouvant avoir tort et chacun pouvant avoir raison.

Sources : AFP, Human Rights Watch, RADHO

Zoodnoma Kafando
Observateur Paalga

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