Actualités :: Expulsés de Folembray : 10 ans après, que sont-ils devenus ?
Me Simozrag

Le 31 août 1994, les Burkinabè se sont retrouvés avec un colis que Charles Pasqua, alors ministre français de l’Intérieur, leur avait expédié d’autant plus facilement qu’il était devenu encombrant. Dix ans après, que sont devenus les 20 islamistes présumés (19 Algériens et un Marocain) expulsés de Folembray vers le Burkina par arrêté ministériel ?

Nous sommes le mercredi 31 août 1994. Alors que le Boeing 737 affrété par le gouvernement français quittait la base militaire 112 de Reims, Ablassé Ouédraogo, alors ministre des Affaires étrangères, convoquait la presse pour rendre officielle l’information qui avait d’abord été relayée par Radio France international.

Les 20 islamistes (dont une femme, Fathia Ressaf) jusqu’alors internés dans une caserne désaffectée de Folembray pour leurs liens supposés ou réels avec les intégristes algériens atterriront ainsi sur le coup de 16 heures à l’aéroport international de Ouagadougou. "Si nous avons accepté de les accueillir, c’est purement et simplement dans un cadre humanitaire, et c’est à la demande des autorités françaises et des personnes concernées elles-mêmes, que nous avons décidé de leur offrir ces refuges", affirmera le chef de la diplomatie burkinabè.

Durée du bail ? "Quand on est réfugié, on sait quand on sort, mais on ne sait pas quand on rentre". Ablassé ne pensait pas si bien dire. Dix ans après, certains des expulsés de Folembray sont toujours dans nos murs, où après avoir lutté contre des moulins à vent pour un hypothétique retour en France, ils ont fini par se résigner et à se refaire, si on peut dire, une autre vie. Mais comment en est-on arrivé là ?

L’ami Pasqua

Depuis l’interruption du processus électoral, alors que la victoire du Front islamique du salut (FIS) aux législatives de 1992 était acquise, l’Algérie est dans l’œil du cyclone, et la violence, quotidienne : on enlève, on égorge, on éventre, et les intégristes, floués de leur succès, tirent pratiquement sur tout ce qui bouge. La terreur s’installe et les cibles ne sont pas toujours algériennes. Comme ce fut le cas le 3 août 1994 quand cinq agents diplomatiques français furent assassinés à Alger. Il ne pouvait y avoir meilleure aubaine pour Charles Pasqua, tout puissant ministre de l’Intérieur du gouvernement Balladur, pour engager une lutte sans merci contre ceux qu’il soupçonnait de complicité avec les terroristes. Hélas sur fond d’amalgame et de chasse aux sorcières.

Convaincu que "si on ne va pas à la pêche, on ne prend pas de poisson", selon une formule devenue célèbre, l’ami Pasqua lance ainsi, entre autres actions, une gigantesque opération de contrôle dans des quartiers réputés sensibles, voire difficiles. "Le monde diplomatique" d’août 2004, dans un article consacré au dixième anniversaire de ce feuilleton de l’été 94, rappelle ainsi qu’en l’espace de deux semaines, 27 000 vérifications d’identité (excusez du peu) seront effectuées. La "pêche miraculeuse", selon le mot de Me Vergès, l’avocat des causes perdues, aboutira ainsi à la réquisition d’une caserne désaffectée à Folembray dans l’Aisne, où furent parqués des islamistes jugés dangereux.

Un accès de sécurite aiguë

Seulement voilà, d’abord soutenu par l’opinion française formatée pour cela, ce coup de filet et cette séquestration commençaient à poser problème sur le plan juridique : "Cette surveillance dans un espace clos, sans contrôle du juge pendant plus de 10 jours, paraît bien illégale", peut-on lire dans "le monde diplomatique" déjà cité. Bernard Kouchner, médecin et ancien ministre (socialiste) de l’Action humanitaire, parle d’un "accès de sécurite aiguë" à propos du premier flic de France, tandis que d’autres s’étonnent qu’un ministre de la République puisse "détenir arbitrairement des hommes qui ne sont poursuivis pour aucun délit".

Sentant le désaveu judiciaire peser sur sa tête telle une épée de Damoclès, Pasqua décida alors, en accord avec les responsables burkinabè, d’expulser 20 des 26 assignés de Folembray vers Ouaga, où son colis encombrant arriva, comme on l’a vu plus haut, ce mercredi 31 août 1994 dans l’après-midi, sans qu’on ne sache trop quel pacte ou quel deal secret liait les deux parties. "Pourquoi le Burkina", s’interrogea l’Observateur dans son édito du jeudi 1er septembre 1994 avant de titrer, dans sa livraison du lendemain : "Islamistes : ils n’auraient pas eu le choix de leur destination", démentant ainsi les affirmations d’Ablassé Ouédraogo selon lesquelles les barbus auraient choisi de venir dans "la Patrie des hommes intègres".

Quoi qu’il en fût, ils étaient bel et bien là, transformant le Burkina, particulièrement l’hôtel OK INN, devenu un camp retranché depuis qu’ils y ont débarqué, en "arrière-cour des prisons françaises" pour reprendre le titre d’une déclaration de l’Union de la gauche démocratique (UCD), parue dans l’Observateur n° 3739 du lundi 5 septembre 1994.

6 des 20 expulsés sont toujours là

Dix ans après, que sont devenus ces hôtes, indésirables avant de faire partie du paysage burkinabè ? Des 20 exilés de force, 6 sont toujours dans nos murs. "Les 14 autres sont partis en Europe, excepté en France bien sûr. Je crois que la majorité d’entre eux se trouve en Grande Bretagne", nous a confié ce dimanche à sa résidence de la zone du Bois, Me Ahmed Simozrag, avocat de son état, qui exerçait entre l’Hexagone et l’Algérie avant son expulsion.

Et que font-ils depuis dix ans qu’ils ont déposé leur baluchon à Ouaga ? Me Simozrag : "Deux d’entre nous essaient de mener de petites activités. Mohamed Doumi tient un kiosque à côté de l’hôtel Indépendance, et Soufiane Naïmi travaille à Mégamonde. Les autres ne font quasiment rien. Pour ce qui me concerne, je ne quitte pratiquement pas mon domicile si ce n’est pour effectuer certaines courses. J’écris des ouvrages et je lis beaucoup. J’ai même publié un livre en deux tomes intitulé "Nouveau dialogue entre un musulman et un chrétien". C’est ma seule occupation, la littérature".

Dix ans après, l’amertume d’Ahmed Simozrag, qui, soit dit en passant, collabore de façon informelle avec le Centre africain d’études islamiques (CADIS), est aussi vivace qu’au premier jour de son expulsion :"Nous avons été sacrifiés sur l’autel de l’arbitraire. L’affaire de Folembray était une manœuvre entre l’armée algérienne et les services de renseignements français. Nous n’avons jamais été présentés à la justice et c’est bien la preuve de notre innocence... Lorsque nous avons été assignés à résidence, nous avons saisi à l’époque le tribunal administratif, mais nous n’avons pas eu gain de cause. On nous a répondu que c’était une affaire d’Etat. Mais en France, nos enfants continuent de se battre pour le rétablissement de nos droits. Récemment, ma fille a écrit au président Chirac qui l’a, hélas ! renvoyée au ministère de l’Intérieur. Il n’y a pas jusqu’à présent de réaction de la part des autorités françaises. Et même l’Etat algérien demeure insensible à notre situation. Notre problème est pourtant un problème politique qui appelle une solution politique".

Après ce discours presque militant qui laisse transparaître une certaine rage, l’avocat, qui s’est laissé poussé une barbe blanchie par le temps et l’exil, a soudain un trémolo dans la voix quand il évoque la situation de leurs familles, particulièrement de la sienne, restées en France : "Nos familles sont totalement déstabilisées. Ma fille a même tenté de se suicider en se jetant du 4e étage d’un immeuble ; ma femme a de sérieux troubles psychiques. Imaginez-vous que cela fait dix ans, oui, dix ans que je ne les ai pas vus. C’est une situation dramatique que nous vivons".

Deux mariages algéro-burkinabè

Mohamed Doumi

C’est la même complainte chez Mohamed Doumi, le patron du restaurant cafétéria "Faso Paix", qui jouxte le ministère de l’Environnement et du Cadre de vie : "Si on était des terroristes, manque-t-il des cibles occidentales, françaises notamment à Ouaga ?", s’interroge-t-il, lui qui a laissé à Paname une femme française pour finalement convoler ici en justes noces avec une de nos sœurs. "J’ai bien réfléchi. Je me suis dit que cette situation pouvait perdurer. Je suis un homme et comme je ne veux pas courir les jupons, j’ai décidé de me marier. J’ai donc épousé une femme burkinabè et nous avons des jumeaux de 5 mois, une fille et un garçon. J’ai même acheté pour eux un terrain à Ouaga 2000 et j’ai fait ce petit coin (le maquis NDLR) pour que ma femme ne reste pas à la maison. On ne gagne pas beaucoup d’argent, mais on a la sympathie des gens, leur respect. Tel était sans doute mon destin".

Quand on lui demande s’il compte rester définitivement au Burkina, notre interlocuteur laisse échapper :"Les Arabes disent que là où tu pars et les gens sont bien, là est ta terre". Une version arabe en somme du dicton latin "ubi bene ibi patria". L’ex-pensionnaire de Folembray se sent tellement bien intégré qu’il a fini par demander et obtenir la nationalité burkinabè, de même qu’un autre de ses compagnons d’infortune. On l’a même vu, fin janvier 2003, au milieu du flot humain qui avait accompagné Blaise Compaoré à l’aéroport quand il se rendait au sommet de Kléber sur la crise ivoirienne : "J’ai de l’admiration pour le président" concède-t-il, avant d’ajouter qu’il compte mettre sur pied un comité pour soutenir l’action de celui qu’il compare volontiers à Boumédienne.

Une allocation mensuelle de 400 000 FCFA

De là à penser qu’il est un "coco stratégique" et que c’est le chef de l’Etat qui lui a monté son affaire, il n’y a qu’un pas. "C’est mon allocation alimentaire que j’investis dans ce kiosque", se défend-il. Il faut en effet savoir que quatre des six rescapés de l’odysée ouagalaise perçoivent 400 000 FCFA par mois de l’Etat burkinabè, à moins que ce ne soit de la France, car on imagine que le Burkina a pu tirer quelques dividendes en échange de ce service "purement humanitaire". En tout cas, chaque mois, des agents de la présidence du Faso viennent leur remettre de la main à la main leurs 400 000 balles bien rangées dans des enveloppes, et ils ne paient ni facture d’eau ni facture d’électricité.

Outre le fameux comité de soutien à Blaise, que notre "beau" compte lancer, il a en projet la création d’une association pour éradiquer la mendicité : "Ce fléau ternit l’image du Burkina. Nous allons entreprendre des actions en faveur des enfants de la rue en créant des centres d’apprentissage des métiers comme l’avait fait Boumédienne en Algérie. On ne peut nier la pauvreté, mais ce n’est pas normal qu’on voie traîner partout dans les rues des mendiants. Nos actions vont même s’étendre aux malades mentaux qui errent dans la cité. Nous n’avons pas les moyens, mais nous savons compter sur les bonnes volontés".

Naïmi Soufiane, le plus jeune des expulsés de Pasqua (il avait alors 24 ans), a emprunté à peu près la même trajectoire que son aîné Doumi. Depuis 5 ans responsable du service après-vente de Mégamonde, lui aussi a acquis la nationalité burkinabè et épousé une de nos sœurs, qui lui a donné deux enfants. Il garde surtout une dent féroce contre Charles Pasqua, le responsable de leur malheur, qui payerait aujourd’hui pour toutes les injustices dont il s’est rendu coupable au paroxysme de sa puissance.

Soufiane fait ici allusion à l’étau judiciaire qui est en train de se resserrer autour de celui qui fut l’un des hommes les plus puissants de France, depuis la mise en examen de son bras droit, Jean Charles Marchiani : "Des dizaines d’enfants et de femmes séparés de leur père et mari l’ont maudit et c’est retombé sur lui", lâche-t-il avant d’ajouter : "Consciemment ou involontairement, le Burkina a aussi une responsabilité dans le calvaire que nous vivons".

Et d’appeler le président du Faso à se pencher sérieusement sur leur dossier, en amenant les autorités françaises à revenir sur leur décision. Blaise en a-t-il les moyens ou même la volonté ? On peut en douter. "Nous n’avions jamais pensé que nous passerions 10 ans au Burkina, et je crois que ceux qui sont partis nous ont créé de sérieux problèmes. Je crois que s’ils étaient restés, notre situation aurait trouvé une solution favorable.

Hélas, ils n’ont pas supporté l’épreuve de l’exil forcé, et ils sont partis par vagues successives au début de 1995", estime Me Simozrag, qui reconnaît toutefois n’avoir personnellement engagé aucune démarche officielle dans le sens de la résolution de leur problème. Mohamed Doumi affirme par contre avoir écrit au juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière pour demander son inculpation. "J’ai même écrit au président Chirac", confie-t-il. Sans résultat jusqu’à présent.

En vérité, il faut craindre que les expulsés de Folembray, qui ne tarissent pas d’éloges sur l’hospitalité des autorités et du peuple burkinabè, ne soient les oubliés de la République, dont le sort n’émeut pas grand monde, pas plus en 1994 qu’en 2004. Au grand dam d’Ahmed Simozrag et de ses camarades, qui espèrent toujours que la justice française finira par ouvrir leur dossier afin de les rétablir dans leurs droits, c’est-à-dire les blanchir de ces accusations qui ont détruit leur vie et celle de leurs familles.

Ousséni Ilboudo
Avec la collaboration de Simplice Baro et Galip Somé (stagiaires)


Voici les 6 rescapés de l’aventure burkinabè

1. Me Ahmed Simozrag ;
2. Mohamed Doumi ;
3. Naïmi Soufiane ;
4. Omar Saker (le seul des 20 expulsés qui avait accepté de nous donner son identité lors de leur rencontre avec la presse le jeudi 1er septembre 1994. Il reconnaissait être un sympathisant du FIS, mais niait toute appartenance à ce parti) ;
5. Mohammadi Chellah (l’unique Marocain du groupe) ;
6. Meskour Abil Kader.

L’Observateur Paalga

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