Actualités :: Plaidoyer pour la protection de la vie privée

Les progrès de la science et de la technique ont contribué à renforcer le perfectionnement des moyens d’écoute, d’enregistrement et de transmission de la parole et de l’image. Tout en me félicitant de ces possibilités offertes aux journalistes, il n’en demeure pas moins qu’elles constituent une menace sérieuse pour la protection de la vie privée des citoyens : vendeurs à la sauvette, vedettes de la chanson, hommes politiques...

C’est pourquoi, les institutions internationales et certains Etats s’organisent en vue d’une véritable promotion des droits de la personnalité, droits que l’individu doit défendre contre les tiers sous la protection de l’Etat et de ses lois ; ils diffèrent des droits de l’Homme qui sont des droits opposés surtout à l’Etat lui-même. Malheureusement, il arrive que ceux qui jouissent des droits de l’Homme comme le droit à la liberté d’opinion et de presse peuvent s’en servir pour violer d’autres droits détenus par chaque individu et qui sont opposables aux autres acteurs de la société et à l’Etat.

Dans ce sens, l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, l’article 17 du Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques, l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des Libertés fondamentales affirment le principe, devenu sacré, selon lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée » .

Le Burkina Faso, depuis la Haute-Volta, a toujours protégé la vie privée de ses citoyens. Ainsi, la loi n° 20/AL du 31 août 1959 sur la liberté de presse qui a repris l’essentiel de la loi française du 29 juillet 1881 relative à la presse et aux délits de presse, ne permet pas aux journalistes d’apporter la preuve de la vérité du fait diffamatoire si l’imputation porte atteinte à la vie privée. Cette disposition est toujours en vigueur dans le Code de l’Information (article 115). Pourtant l’exception veritatis reste l’un des privilèges judiciaires accordés aux journalistes pour échapper aux plaintes de leurs éventuelles victimes. C’est dire que la protection de la vie privée prime le droit à l’information.

C’est en voulant protéger l’intimité de la vie privée que la loi protège l’individu contre la violation de son domicile (article 27. al 7 de la L. n° 15 AI du 31 août 1959 relative aux crimes et délits contre la Constitution et la paix publique) et la violation du secret des correspondances, des lettres, interdite par l’article 31 de la loi précitée.

La jurisprudence burkinabè, très timide, en raison de la rareté des procès, du fait, me semble-t-il, que les protagonistes dans l’atteinte à la vie privée préfèrent régler, le plus souvent, leurs différends par d’autres voies, offre peu d’exemples : affaire X contre New Caprice (Trib. 1ère instance de Ouaga, 22 juin 1988) où le juge affirmait que : « même si le Code civil applicable au Burkina passe sous silence, la protection des droits de la personnalité, il n’en demeure pas moins que ces droits méritent protection. . . que d’ailleurs, on peut tirer des dispositions de l’article 8, la nécessaire protection de la vie privée comme étant une composante des droits civils ».

En vérité, la complexité de la protection du droit au respect de la vie privée naît de la difficulté à déterminer la limite entre la vie privée et la vie publique de certaines personnes connues du public pour avoir « flirté » avec les médias. Certains estiment que la complaisance passée de l’artiste ne fait pas supposer qu’il a renoncé à protéger sa vie privée et surtout l’intimité de celle-ci.

D’autres, minoritaires, soutiennent à tort que les hommes publics et les vedettes du monde politique ou des arts n’ont plus droit à une vie privée du fait d’un droit du public à une information complète sur leur vie et du fait que leur vie privée ne peut que se confondre à leur vie publique. Cette soif d’information permet-il au journaliste de dévoiler une personne jusque dans le secret de sa culotte ? La Cour de Paris à ce sujet dit : « que l’on ne saurait induire d’une tolérance passée. . .envers la presse, une renonciation aux droits qu’elle a sur son image, qu’en décider autrement conduirait à admettre que cette artiste n’a plus de vie privée ou qu’elle a définitivement renoncé à toute protection de son image » (Paris, 27 fév. 1967, D. 1967, J. 450.

Le principe tiré de l’arrêt est d’obtenir toujours l’autorisation expresse et non équivoque de celui dont on veut raconter la vie, car comme dit bien l’arrêt Marlène Diétrich (Paris, 16 mars 1955) : « les souvenirs de la vie privée appartiennent au patrimoine moral de l’individu... » et ne sauraient subir impunément des violations même sans intention malveillante ; dans la mesure où les droits de la personnalité sont des droits subjectifs, comme le soutient Pierre Kayser dont l’autorité mérite respect, la victime n’aurait plus à prouver une faute du journaliste pour obtenir réparation du préjudice.

Dès lors, il est absurde de croire ou dire que les personnes qui recherchent la faveur de l’opinion publique n’ont plus de vie privée à protéger. Cette remarque d’essence doctrinale et jurisprudentielle est ipso facto applicable aux hommes politiques et aux artistes qui tiennent leur image de l’opinion publique façonnée souvent par les médias.

Autrement dit, seule la vie publique de l’individu appartient au domaine public ; la vie privée est le mur derrière lequel l’individu se retranche, retrouve sa quiétude, sa tranquillité. Même les prostituées ont une vie privée à défendre, car ce droit est attaché à la personne humaine : on naît avec !

A la décharge des médias, il convient de reconnaître que la victime, devenant juge du contenu de sa vie privée, peut toujours déplacer les bornes de celle-ci ; la notion de vie privée reste toujours et encore difficile à délimiter. C’est donc la victime qui sait ce qu’il faut soustraire à la curiosité des autres, car chacun peut être juge de ses propres secrets comme le disait si bien l’avocat général Cabannes (Paris, 15 mai 1970, D. 1970, J. 466). Le journaliste peut légitimement craindre le bon vouloir de la personne dont on raconte la vie privée.

Aussi chacun peut-il se refuser à répondre par voie de téléphone à des questions relatives à sa vie privée. Car comme l’affirme Roger Nerson dans une de ses réquisitions : « quelque grand que soit un artiste, quelque historique que soit un grand homme, ils ont leur vie privée distincte de leur vie publique, leur foyer domestique séparé de la scène et du forum ». Le refus d’exposer sa vie sentimentale ou familiale dans la presse est un droit légitime, inaliénable, inviolable et sacré dans tout Etat démocratique ; ce qui n’était pas le cas sous les régimes totalitaires et dans les civilisations précambriennes où l’individu n’est titulaire d’aucun droit : on lui refusait même l’autonomie de la volonté, base du contrat individuel et social.

Heureusement, le Burkina Faso a rompu avec la négation des droits individuels et collectifs en s’inscrivant dans le rang des Etats qui veulent promouvoir les droits humains. Cependant, le paradoxe subsiste encore lorsque ceux qui revendiquent l’Etat de droit, la jouissance et l’exercice des libertés publiques peuvent user de ce droit pour méconnaître des droits chers à toute personne : le droit au nom, à la voix, à l’image ou à l’intimité de la vie privée. Tout pouvoir pouvant être source d’abus, Montesquieu proposait, comme plusieurs philosophes, un contrepouvoir. En ce qui concerne le pouvoir de la presse d’encenser ou de diaboliser, de hisser les médiocres et d’abaisser les bons, selon que l’on vous aime ou vous hait, la sanction judiciaire serait le seul contre-poids raisonnable à côté de la sanction disciplinaire prononcée par un ordre des journalistes.

Ainsi la loi française du 29 juillet 1881, la loi n° 20 AL du 31 août 1959 sur la liberté de presse, disposent toujours à l’article premier que la presse et la librairie sont libres. Le reste des dispositions du texte sont des articles relatifs aux conditions d’exercice de cette liberté afin que les autres libertés et droits de la personnalité ne soient point violés.

Méfiance à la force que détient le journal : il peut toujours noircir une personne sans jamais arriver à la blanchir après, car l’information rétablissant l’erratum, le droit de réponse ou la condamnation de l’auteur de l’article ne peut plus réparer le dommage matériel et moral causé à la victime. Autant, il ne faut pas mettre entre les mains des enfants des armes à feu, autant les personnes qui n’ont pas été à l’école du métier ne devraient se prévaloir du titre de journaliste qu’après une expérience confirmée dans l’art d’écrire, de parler et de filmer, lequel suppose l’objectivité, l’impartialité, le respect de la déontologie et de l’éthique professionnelle.

Malheureusement, la multiplication des titres et des fréquences autorisées ne répond pas toujours à une volonté des directeurs de publication de former ou de faire former leurs journalistes.

Mon ami Norbert ZONGO et moi avions entrepris cette formation, mais hélas, il a été arraché à la plume et à notre affection. L’espoir réside dans le fait que notre pays regorge de talentueux journalistes ; diplômés ou pas, l’essentiel est de se former ou de s’informer afin de ne point transformer la liberté de presse en un instrument de règlement de compte personnel ou de chantage.

Qu’à cela ne tienne ! Toute faute suppose une sanction : l’atteinte à la vie privée et à l’intimité de la vie privée est punie au plan pénal et au plan civil.

En ce qui concerne la condamnation pénale du journaliste, le législateur pourrait relire les textes actuels qui permettent au juge d’envoyer le journaliste en prison, le privant ainsi de la liberté de presse.

L’emprisonnement du journaliste apparaît comme une négation du droit de la personne à informer, à parler, à exercer cette liberté arrachée au prix du sang des combattants de la liberté que sont les révolutionnaires

français de 1789, les ONG et associations de défense des droits humains, entre autres.

Cependant, dura lex sed lex : dure est la loi, mais c’est la loi.

Il appartient alors au juge, gardien des libertés publiques, de proposer une juste application du Code de l’Information et du Code pénal pour que ceux qui exercent la liberté d’expression et de presse comme leur seul métier ne soient pas privés de celle-ci et de dire des sanctions pécuniaires supportables par les gérants de l’organe incriminé.

D’aucuns parlent de dépénalisation, terme juridiquement impropre si l’objectif recherché est de fermer les portes de la prison au nez du journaliste poursuivi pour des infractions de presse et de préférer comme sanctions toute peine autre que la peine privative de liberté comme je viens de le souligner. Les amendes sont des peines aussi.

Au plan civil, notre Code prévoit, en cas de violation de la vie privée, le recours au droit de réponse, la saisie du journal, au paiement de dommages-intérêts, notamment.

Du droit de réponse et du paiement des dommages-intérêts, on peut dire que ni l’un ni l’autre ne répare le dommage causé à la victime ;

le premier va amplifier l’information diffusée ou publiée avec pour conséquence des réponses aux réponses ; le second permet seulement de mettre dans le patrimoine de la victime une somme d’argent pour compenser et non réparer le préjudice subi. Dame rumeur entretenue dans les cabarets et les salons privés aura du mal à revenir vous « blanchir ».

Aussi, est-il prudent et professionnel de ne point injustement escalader le mur de la vie privée sans l’accord des personnes qui sont dans l’actualité du seul fait de leurs activités publiques. Retenons que le législateur a prévu dans le Code civil l’obligation de la clôture mitoyenne, non pour délimiter les propriétés mais pour assurer la soustraction de l’intimité de la vie privée familiale au regard indiscret du voisin curieux.

Seydou DRAME
Diplômé de 3e cycle de l’Université de Droit,
d’Economie et de Sciences Sociales de Paris, Paris 2

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