Actualités :: L’Opposition et son chef de file

A mi-parcours de la présente législature, les voix autorisées ont décidé de nommer enfin un chef de file de l’opposition. Des voix autorisées parce que l’identité de l’autorité qui nomme n’est pas encore réglée par la loi, encore moins par les usages. N’est-ce pas la première fois qu’un chef de file de l’opposition est " intronisé ", même si la loi date de 5 ans ?

Cela rappelle d’ailleurs la confusion qui avait un temps existé sur l’identité de celui qui devait être installé après la proclamation définitive des résultats. Il avait fallu que Mélégué Traoré, à l’époque chef du parlement, dont on connaît la témérité quand il s’agit de prérogative, règle la question en le faisant inscrire dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale.

Pour la désignation du chef de file de l’opposition, c’est le même problème qui se pose. Roch Marc Christian a certes nommé, mais il lui a manqué tout de même l’oukase qui lui en donne le droit. Ces aspects de pures formes dans le contexte actuel contribuent hélas à aggraver l’infirmité de la décision. Parce que les infirmités, il n’en manque pas.

Si l’ADF/RDA est effectivement le premier parti de l’opposition au sortir du scrutin de 2002, ce n’est plus le même ADF/RDA dans la réalité. La scission qui est intervenue au sein du parti, courant juin 2003, est un fait qui reconfigure autrement cette donne. Ne pas en tenir compte, c’est ignorer la règle d’or dans un système démocratique qui veut qu’en tout temps, la légalité ne départit pas avec la légitimité. Quand les deux ne coïncident plus en démocratie, il y a toujours un problème : c’est la rupture avec la réalité.

Il ne s’agit pas de Gilbert Ouédraogo, homme tout à fait respectable et plein d’avenir, mais d’une question de principe démocratique. Et puis, le pouvoir actuel aurait du tirer leçons des tripatouillages honteux qu’il a fait dans le dossier PAI (Parti africain de l’indépendance), allant jusqu’à cautionner la falsification du Journal officiel et laisser le jeu démocratique s’assainir. La triche, quand c’est aussi grossier ne saurait équivaloir à "faire de la politique".

Gilbert OUEDRAOGO, Un chef de file sans troupes

C’est une opposition burkinabè émiettée et en pleine déconfiture qui vient d’être dotée d’un chef de file. Un " cadeau " qui va accentuer davantage la déchirure. Mais n’est-ce pas le but recherché ?

Le président de l’Assemblée nationale faisant application de l’article 12 de la loi portant statut de l’opposition a désigné Maître Gilbert Ouédraogo comme chef de file de l’opposition. Par cet acte, l’autorité publique décide enfin de mettre en application une loi votée depuis l’an 2000. C’est effectivement le 25 avril 2000 que les députés de la deuxième législature avaient adopté cette loi qui fut promulguée trois mois après (décret 2000-333/PRE du 21 juillet 2004) par le chef de l’Etat.

En vertu du principe de "l’effet immédiat" qui s’attache à toute loi, ces effets devaient être constatés dès la promulgation du décret par la désignation d’un chef de file de l’opposition. A l’époque, ce privilège devait revenir au PDP/PS du professeur Ki-Zerbo. Il n’en a rien été et l’opposition qui se querellait déjà entre "protocolaires" et "collectivistes" n’a pas su imposer l’application immédiate de la loi.

Et puis vinrent les législatives de 2002. Les urnes désignent un autre chef de file de l’opposition en faisant de l’ADF/RDA le premier parti de l’opposition. Le chef de ce parti, Hermann Yaméogo, champion toutes catégories du consensus minimum qui avait accouché du gouvernement du Protocole, lequel avait contribué pour beaucoup à juguler la crise née du drame de Sapouy, s’attendait naturellement qu’on le " sacre " chef de file de l’opposition. Vaine attente.

Las de ne rien voir venir, il prend l’initiative d’un décret qui fixe les prérogatives du chef de file de l’opposition, en discute avec ses camarades de la Coordination de l’opposition burkinabè (COB) et le transmet au gouvernement. Cette démarche ne connaîtra pas non plus de succès. Après une première entrevue avec la majorité parlementaire pour discuter de l’applicabilité de la proposition de décret, il n’y aura plus rien, sauf une lettre de la majorité et des responsables de la mouvance présidentielle qui indique que la discussion sur le projet est sans objet puisque "d’autres dispositions légales règlent ces questions ".

Les choses en resteront là jusqu’à la récente décision du président de l’Assemblée nationale désignant Gilbert Ouédraogo, président de ce qui en reste de l’ADF/RDA, comme chef de file de l’opposition.

Le solde d’un compte politique jamais clos

En terme de droit, la décision de Roch Marc Christian Kaboré prise maintenant pose d’énormes entorses à la loi. L’ADF/RDA de Gilbert Ouédraogo n’est pas l’ADF/RDA sortie des urnes en mai 2002. On ne peut pas donc lui appliquer la disposition de l’article 12 de la loi 07 selon laquelle " le chef de l’opposition est le premier responsable du parti de l’opposition ayant le plus grand nombre d’élus à l’Assemblée nationale ".

La configuration actuelle de l’opposition au sein de l’hémicycle ne permet pas cette désignation et pour des raisons très simples. D’abord, ce qu’il en reste de L’ADF/RDA compte 10 députés en propre. Donc à égalité avec le PDP/PS qui a 10 députés gagnés sur le terrain des élections. Ensuite, en faisant application de l’alinéa 1 de l’article sus cité, il n’est pas non plus évident que l’ADF/RDA de Gilbert Ouédraogo " totalise, pour ses députés restants, le plus grand nombre de suffrages exprimés aux dernières élections législatives ".

La raison est simple, puisque les députés qui ont quitté pour aller récréer l’UNDD au lendemain de juin 2003, sont issus des circonscriptions où le parti avait fait ses meilleurs scores. En tenant compte de cette réalité, nous avons refait les calculs pour resituer chacun selon sa véritable représentativité sur le terrain. Ces calculs qui figurent dans les tableaux ci-contre sont sans équivoques, toute chose étant égale par ailleurs bien entendu.

Non seulement, l’ADF/RDA de Gilbert Ouédraogo, malgré ces dix députés, pèse moins, en terme de suffrages, que l’UNDD avec seulement sept députés, et il est très loin derrière le PDP/PS pour ce qui concerne les suffrages exprimés. Si la loi devait être appliquée aujourd’hui, c’est fatalement le professeur Ki-Zerbo qui devait être le chef de file de l’opposition. Ces calculs ont été faits sur la base des résultats proclamés par la Chambre Constitutionnelle de la Cour Suprême.

Ce n’est pas être contre Gilbert Ouédraogo que de reconnaître que pour ces législatives passées, la victoire de l’ADF/RDA était la récompense de l’investissement personnel de Hermann Yaméogo. C’était le challenge d’une audace, disons même d’une outrecuidance, celle d’avoir rompu avec le Collectif au milieu du guet. Les résultats du parti aux législatives sanctionnaient donc cette option personnelle de Hermann plus que tout autre chose.

C’est pourquoi du reste, même si en politique la morale n’a pas de place, le triomphe de la direction actuelle de l’ADF/RDA consacre quelque peu l’immoralité. Il faut donc craindre que cette désignation ne soit en définitive un cadeau empoisonné pour son heureux bénéficiaire. Ces décisions politiques, véritables têtes à queue, n’ayant jamais profité à leurs destinataires.

Les exemples sont légions, mais retenons juste celui d’Eden Kodjo au Togo, au sortir des premières législatives véritablement libres du pays qui avaient consacré le CAR de Agboyibor comme le premier parti du pays. Le poste de Premier ministre revenait de droit à Agboyibor, mais Eden Kodjo, dans un calcul qui faisait en définitive le jeu du président Eyadema, a ruiné pour toujours les chances d’une alternance au Togo. L’intéressé s’en mord à présent les doigts, mais comme on le sait, la politique ne repasse pas les plats.

Sur le plan politique, la présente décision n’est pas non plus pour civiliser les rapports politiques tels qu’on le laissait entrevoir au lendemain des législatives de mai 2002. En voulant vaille que vaille solder leur compte politique avec Hermann Yaméogo, les responsables du CDP se sont une fois de plus fourvoyés. Une loi n’est pas faite pour bénéficier à celui qui plait au puissant du jour. En se choisissant " son " opposition, la majorité ne rend pas service au jeu politique. Gilbert Ouédraogo est légalement " habillé ", mais que peut-il en réalité quand il dit représenter des troupes qui ne se reconnaissent pas en lui ?

A moins de considérer que le poste en soi est suffisant.
Dans ce cas, ce serait la deuxième erreur politique d’un si jeune parcours politique qui ne manquait pas d’atouts pourtant.

Par Newton Ahmed Barry
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