Actualités :: Tolé Sagnon, SG de la CGT-B : "Le syndicat ne peut pas résoudre les problèmes (...)

M. Tolé Sagnon, secrétaire général de la Confédération générale du travail du Burkina Faso (CGT-B) est l’invité de la rédaction de ce mois d’avril. A la veille du 1er mai 2004, quoi de plus naturel, que d’avoir l’un des leaders les plus charismatiques du mouvement syndical burkinabè. M. Tolé Sagnon dirige la CGT-B depuis plus de quinze ans, il est vice-président du collectif contre l’impunité.

C’est une personnalité qui a toujours été sur la brèche depuis plus de vingt-cinq ans. Avec la rédaction de Sidwaya, il a épluché l’actualité nationale et internationale, la vie de la Centrale qu’il dirige, le collectif, la stratégie de conquête du pouvoir par l’Opposition, la célébration du 1er-Mai et bien d’autres sujets.

Sidwaya (S.) : Quel commentaire faites-vous du procès des présumés putschistes qui vient de livrer son verdict ?

Tolé Sagnon (T.S.) : Il y a une satisfaction générale à exprimer sur l’ensemble du déroulement du procès. Notre justice, à l’occasion de ce procès, s’est exprimée par une voie qui n’est pas celle qu’on lui connaissait quand il s’agissait de coup d’Etat. Et ça, c’est un élément positif. L’acquittement de notre compagnon de lutte, Norbert Tiendrebéogo est également un motif de satisfaction.

Néanmoins, je voudrais dire que ce projet de coup d’Etat nous laisse très dubitatif. Nous trouvons cette affaire assez curieuse parce que le principal accusé a avoué. Mais c’est quand même bizarre qu’un capitaine qui n’a pas de troupe veuille faire un coup d’Etat. Non seulement il n’avait pas de troupe, mais aussi il n’avait pas de moyens financiers. En plus, il ne sait pas très bien d’où provenaient les cinquante (50) millions de F CFA qui lui ont été donnés. Par ailleurs sur la cinquantaine de témoins entendus, beaucoup disent avoir appris le coup d’Etat par la presse. Des personnalités des renseignements généraux et des forces armées soutiennent qu’il y a encore quelque chose à voir.

C’est pourquoi je trouve cette affaire curieuse. Mais en même temps je me réjouis de la manière dont le sujet a été traité, c’est-à-dire par la voie judiciaire. Je me satisfais également de la manière dont les parties ont pu s’exprimer, y compris la défense. Même si à un certain moment nous avions souhaité plus d’informations sur certaines questions comme l’affaire Norbert Zongo en tant que dirigeants du Collectif.

S. : Beaucoup de polémiques entourent l’article 37 de la Constitution à un an et quelques mois de la présidentielle de 2005. Quelle est votre lecture ?

T.S. : Je ne suis pas juriste, mais il y a un débat juridique en cours en ce moment. Pour certains juristes, Blaise Compaoré peut se présenter légalement. D’autres essayent de démontrer le contraire. A notre niveau, la question est vue sous un angle plus politique. Et nous disons qu’au regard de la situation que nous avons traversée et traversons encore, il aurait été souhaitable que le président Compaoré se retire.

Je ne sais pas s’il peut se présenter ou pas, mais je dis simplement qu’avec la situation politique que notre pays traverse depuis 1998, avec les rapports du Collège de sages, du Comité national d’éthique qui montrent la difficulté de gestion des institutions de la IVe République, je pense que le président aurait pu se retirer.

S. : C’est la lecture d’un Tolé Sagnon citoyen ou syndicaliste ?

T.S. : Il est difficile de détacher Tolé Sagnon citoyen de Tolé Sagnon syndicaliste. C’est un avis que je donne en soulignant que je n’ai pas fait mon analyse sur la base du droit.

S. : Qu’est-ce qu’un retrait de la candidature de Blaise Compaoré permettrait d’avoir ?

T.S. : Il s’agit ici de voir la polémique qui a déjà cours autour de la candidature. Tel que le débat se mène, j’ai bien peur qu’on ne soit en train de débattre d’une question au lieu d’organiser sereinement les élections. On discute sur oui ou non Blaise Compaoré peut-il se présenter, alors que les conditions électorales devraient être les sujets les plus importants à l’heure actuelle.

S. : Des députés du CDP ont fait des propositions d’amendements pour, selon eux, améliorer le code électoral. Qu’en dites-vous ?

T.S. : Si des députés du parti au pouvoir proposent une relecture du Code électoral, ce n’est pas le cas du côté des députés de l’opposition parce qu’ils estiment que le Code actuel relève d’un consensus politique. Nous faisons partie des syndicats qui ont réclamé une Commission électorale nationale indépendante. Nous savons qu’il y a eu des avancées depuis la CENOE jusqu’à la CENI aujourd’hui. Cela veut dire qu’il y a eu des révisions ou des améliorations de ce code. Autrement dit, la révision du Code électoral ne pose pas un problème en soi. Maintenant, si les députés de l’opposition s’opposent, c’est peut-être la manière d’engager le processus de révision qui pose problème. Et à ce niveau, c’est un débat politique auquel on devrait pouvoir trouver un consensus. Nous notons quand-même que les partis politiques semblent s’être entendus pour écarter les syndicats de la CENI.

S. : Le code actuel, semble-t-il, va générer l’instabilité au niveau des conseils municipaux. Qu’en dites-vous ?

T.S. : Je ne crois pas que l’instabilité provienne seulement du nombre des conseillers ni de leur diversité d’origine. C’est vrai qu’il faut pouvoir à chaque fois trouver une majorité qui permette la stabilité. Mais cette majorité peut se faire par consensus. C’est-à-dire que dès lors qu’ils sont élus, ils ne sont pas seulement des conseillers d’un parti, mais de toutes les populations en matière de gestion de terroir local.

S. : L’expérience a montré que ce système ne marche pas toujours bien. C’est l’exemple des communes de Réo, de Gaoua, de Kongoussi...

T.S. : C’est vrai que ce sont des échecs. Mais il ne faut pas chercher à corriger en revoyant seulement le mode du scrutin. Il faut réviser également le contenu. Se demander pourquoi il y a eu des blocages. Si tous les angles sont revus, cela permettrait certainement une bonne correction au lieu de s’accrocher à un seul élément. Parce que les échecs concernent aussi bien les partis au pouvoir que ceux de l’opposition.

S. : Quelle appréciation faites-vous de la stratégie de l’opposition à conquérir le pouvoir ?

T.S. : Je voudrais d’abord dire que je ne fais pas partie des partis d’opposition dont vous parlez et qui cherchent à conquérir le pouvoir. La CGT-B s’en tient à son rôle de contre-pouvoir.

Nous avons travaillé avec beaucoup de partis politiques au sein du Collectif et nous avons discuté sur nombre de points. Parce que le Collectif est hétérogène aussi bien au niveau des organisations de masse qu’au niveau des partis politiques. Et ces partis également ne sont ni politiquement ni idéologiquement homogènes. Je ne sais pas s’ils ont une stratégie commune. Je sais seulement qu’ils se sont retrouvés la dernière fois pour parler de candidatures (3) aux élections à venir. C’est une décision qui reste à matérialiser.

S. : Le gouvernement et les syndicats se sont rencontrés récemment sur le cahier de doléances 2003. Les résultats vous satisfont-ils ?

T.S. : Les négociations gouvernement-syndicats qui se sont déroulées le 18 mars dernier sont le fruit d’une demande expresse des syndicats depuis octobre 2003. Nous avions demandé que le gouvernement, au lieu de donner chaque année une réponse sur l’ensemble du cahier de doléances et attendre une année plus tard pour refaire le même exercice, qu’il nous permette de discuter sur des points centraux que nous estimons essentiels pour le monde du travail.

Nous avons identifié sept (7) points sur lesquels les négociations ont porté. Nous avons obtenu des résultats satisfaisants dans l’ensemble. Nous sommes satisfaits quant à la résolution du problème des pensions. Aux négociations de 2002, nous avions obtenu le déplafonnement des cotisations à la Caisse de sécurité sociale. C’est très important pour nous parce que ce sont des dispositions qui datent des années 70. Nous avons également obtenu lors de ces dernières négociations le relèvement du taux d’annuité de la pension qui est passé de 1,33% à 2%. Un relèvement qui induit une augmentation de la pension de près de 50% pour les travailleurs qui cotisent à la CNSS. Ces deux éléments conjugués nous rapprochent de la pension du fonctionnaire. Et cela est comme une harmonisation de la pension des travailleurs des secteurs privé et public. Il y a eu aussi des questions relatives aux avancements. De ce côté, le gouvernement a pris des engagements dont l’échéance est pour fin avril 2004.

Il y a eu des dossiers, des arrêts de juridiction qui n’ont pas été traités comme il le fallait. Parce que généralement quand bien même un travailleur a raison à la justice on lui refuse le bénéfice de cette décision de justice. Nous avons donné des exemples au gouvernement qui s’est engagé à les résoudre. C’est le cas par exemple des travailleurs de la SOREMIB, de Faso Fani, de l’abattoir frigorifique... Cependant, nous avons eu une grande insatisfaction quant au relèvement des salaires. Le gouvernement nous a dit de revenir en décembre 2005. Mais nous n’attendons pas 2005, dès le 1er mai 2004, nous allons reposer ce problème. Parce que nous ne pouvons pas comprendre que la croissance économique soit de 6,5%, un taux bien supérieur à la moyenne de l’espace UEMOA qui est de 3,5% et que le gouvernement refuse d’examiner les salaires. Cela démontre quelque part une mauvaise répartition du produit de la croissance et nous ne pouvons pas être d’accord avec cela.

S. : Est-ce que vous aviez été convaincants ?

TS. : Les négociations gouvernement-syndicats avec près de trente (30) à quarante (40) organisations syndicales ne sont pas faciles. Mais nous avions préparé notre argumentaire et nous avons montré au gouvernement pourquoi il fallait revoir les salaires. A un moment donné, nous avions cru qu’il allait faire une autre proposition parce qu’il estimait que la nôtre nécessitait un effort financier de 120 milliards. Mais non, le gouvernement nous a fait savoir qu’il a des engagements en cours et que la question pourrait être rediscutée en 2005. Nous avions parlé du panier de la ménagère, des prêts sans intérêts accordés à des députés, à des membres du gouvernement... Nous estimons donc qu’il y a lieu de redistribuer plus équitablement le produit de la croissance économique.

S. : Que pensez-vous du relèvement de l’âge de la retraite ?

T.S. : L’avancement de l’âge de la retraite n’a pas été une revendication syndicale. Chaque travailleur apprécie ce relèvement en fonction de sa propre situation. Pourquoi des travailleurs se réjouissent de ne pas pouvoir se reposer ? C’est simplement parce qu’ils ont peur de la retraite. Elle signifie la misère pour nombre de travailleurs. En réalité les gens n’apprécient pas l’âge de la retraite parce qu’ils vont se reposer, mais parce qu’ils vont vivre une situation encore pire que lorsqu’ils sont en activité. De ce point de vue, il est difficile de démontrer à un travailleur que le relèvement de l’âge de la retraite ne l’arrange pas.

C’est pourquoi nous avons évité d’aborder la question sous cet angle, et nous avons dit que le gouvernement devrait plutôt augmenter les salaires pour permettre aux travailleurs de vivre décemment pendant qu’ils sont en activité. Et revoir les pensions pour leur permettre de se reposer dans de meilleures conditions. Nous avons donc accepté comme telle la décision du gouvernement, en demandant des mesures d’accompagnement.

S. : La Côte d’Ivoire traverse ces dernières années, une crise politico-sociale grave. Malgré les nombreuses négociations de paix, elle perdure. Selon vous, quelle solution peut être envisagée pour sortir ce pays de l’impasse ?

T.S. : La solution n’est pas évidente. Il faut retourner aux causes de cette crise. Quand un pays a bénéficié de la présence massive de travailleurs étrangers pour le construire, il n’y a pas de pays qui puisse vivre en autarcie de nos jours. Les différentes propositions de sortie de crise, y compris la question du désarmement ne sont pas des solutions complètes. Parce que, lorsqu’on parle de désarmement, les Forces nouvelles ne peuvent pas adhérer facilement à cela.

Si elles sont prises en compte comme des forces c’est parce qu’elles ont des armes. Elles ne déposeront donc pas leurs armes s’il n’y a aucune mesure d’accompagnement. En ce moment il y a crise de confiance entre les deux camps. Et pour absorber cette crise, il faut qu’interviennent les accords de Linas-Marcoussis. Il faut également que toutes les composantes de la sous-région, y compris les syndicats jouent un rôle pour permettre une avancée significative.

S. : Que pensez-vous de ceux qui disent que l’on peut bien organiser des élections sans désarmer les rebelles ?

T.S : On aura des élections mais pas des élections transparentes.

S. : Quels rapports entretenez-vous avec les syndicats ivoiriens ?

T.S. : Avec quelques syndicats ivoiriens, nous avons l’occasion d’échanger au cours des conférences internationales du travail. Il y a même l’idée de tenir une conférence sous-régionale des organisations syndicales afin de contribuer à la réflexion pour une sortie de crise en Côte d’Ivoire.

S. : L’impact de cette crise au Burkina. Est-ce que ce ne sont pas des arguments que l’on avance pour ne pas accéder à la demande d’augmentation des salaires ?

T.S. : Bien sûr il y a un impact. Dans tous les cas, nous avons eu des collègues qui ont souffert de cette crise. Par exemple, à SITARAIL, il y avait déjà des problèmes. Quand la crise est arrivée, ils ont été victimes de faux contrats après avoir été mis en chômage technique. Des contrats inapplicables aujourd’hui parce que stipulant que les travailleurs sont à la disposition de SITARAIL qui les reprendra au fur et à mesure de ses capacités.

Contrairement à ce que l’on puisse penser, ce n’est pas du chômage technique. Et nous avons demandé à cet effet à l’Etat de réglementer la notion de chômage technique : donner un contenu certain qui protège les travailleurs.

Si l’on prend également le cas des Grands moulins du Burkina (GMB) c’est pratiquement la fermeture. Il en va de même pour la Société sucrière de la Comoé (SOSUCO) où il y a des difficultés insurmontables comme dans toute la zone industrielle de Bobo-Dioulasso.

La crise ivoirienne a accru les problèmes. Il est vrai que des débouchés ont été développés avec d’autres pays et c’est une bonne chose. Mais, il faut le reconnaître, l’impact de la crise est évident. Vu le nombre de nos compatriotes que nous comptons dans ce pays, il ne pouvait en être autrement.

S. : Peut-on parler réellement de paix au Proche-Orient où Israéliens et Palestiniens continuent de se massacrer. En témoigne l’assassinat des deux leaders du Hamas. Et au moment où il y a une recrudescence de la violence en Irak ?

T.S. : Sur la question palestinienne, il est évident qu’il ne peut pas y avoir la paix aussi facilement. On ne peut pas décider d’imposer à un peuple un dirigeant afin de mieux le dominer. En fait, Israël aurait voulu aujourd’hui désigner l’Autorité palestinienne. Ça ne peut pas marcher ainsi. On a beau massacré les enfants palestiniens qui naissent dans cette violence, ils continueront de se battre. Il n’est pas possible d’avoir une sortie de crise ou une paix dans ces conditions-là.

Ensuite on refuse aux Palestiniens le droit de disposer d’eux-mêmes en tant que peuple. Et malheureusement cela se fait en complicité avec la plus grande puissance du monde : les Etats-Unis. Il est alors évident qu’il n’y aura pas de paix dans ces conditions.

Pour ce qui concerne l’Irak, c’est une belle démonstration de ce qu’un peuple peut faire. Vous êtes puissant, vous êtes venu chez nous et enlever notre président. Même si du fait de la religion, il n’y a pas toujours eu d’entente entre les différentes composantes de la société irakienne, cette fois, les populations sont unanimes à demander le départ des Américains. C’est une des leçons qui montre que les peuples se battent toujours pour choisir leur dirigeant. Maintenant, l’on parle de "Vietnam bis’’ ; mais ce qui est sûr, c’est l’enlisement. Le résultat est que les Etats-Unis vont quitter l’Irak sans avoir résolu les problèmes. En déclenchant la guerre, ils avaient commencé par protéger les puits de pétrole c’est dire...

S. : On vous connaît plus comme un syndicaliste actif. Quel est votre parcours professionnel ?

T.S. : Effectivement, vous avez raison puisqu’il y en a qui disent que je ne travaille pas (rires). Je connais quelqu’un qui est passé deux ou trois fois à la Bourse du Travail et m’a absenté et s’en est plaint que j’aurais abandonné la Bourse du travail. A celui-ci j’ai rétorqué que je travaille et j’ai aussi des patrons. J’ai commencé à travailler à la SOSUCO en 1976. J’y suis resté jusqu’en décembre 1979, j’ai une formation de technicien labo/chimiste.

De là, je suis venu au Bureau voltaïque de la Géologie et des Mines (BUMIGEB aujourd’hui) en janvier 1980. Je suis actuellement le chef de service du laboratoire d’analyses. J’ai 28 ans de service dont 26 ans dans le mouvement syndical. C’est peut-être cela qui prête à confusion dans l’esprit de certaines personnes. Sinon, j’ai un bulletin de salaire BUMIGEB sans lequel...

S. : Votre vie syndicale est-elle compatible avec votre vie professionnelle ?

T.S. : Je ne suis pas fonctionnaire. J’ai un contrat avec le BUMIGEB. Si je ne donnais pas satisfaction, je crois que cela allait poser des problèmes. Je dois reconnaître tout de même que la plupart des directeurs généraux du BUMIGEB que j’ai connus ont été souvent compréhensibles. Mais en même temps ils ont noté que tant que j’ai du travail à faire, je me donne les moyens de l’exécuter correctement. Parce que je dois être correct pour pouvoir parler.

C’est vrai, la vie professionnelle que je mène est influencée par les activités syndicales, puisqu’on voit en moi le Secrétaire général de la CGT-B.

Ensuite, en tant que responsable syndical nous avons droit à un petit temps libre pour mener des activités syndicales, selon la législation. Il faut la compréhension des responsables de service pour pouvoir concilier de telles activités.

S. : La Centrale ne vous paie pas ?

T.S. : Elle ne peut pas payer de permanents. Elle doit se contenter de ce que mes collègues et moi pouvons faire puisque nous sommes une quinzaine de dirigeants au sommet de la direction de la CGT-B. Mais en même temps il est difficile d’être entièrement à la disposition de la Centrale parce que je ne suis pas un permanent. Il y a quelquefois des ratés, c’est normal.

S. : Comment se fait alors la gestion quotidienne ?

T.S. : Schématiquement, quand je me lève, mis à part les rendez-vous précis pour lesquels j’informe mon supérieur hiérarchique, je vais au service. Au cours de la journée et en fonction des urgences, je peux courir à la Bourse du travail pendant les heures de service. Sinon, c’est en fin de journée ou le soir que je m’occupe des instances de la CGT-B.

S. : Vous êtes à la tête de la CGT-B depuis plus d’une décennie. Comment gérez-vous une telle centrale syndicale ? Pensez-vous à une éventuelle alternance ?

T.S. : Certainement. D’abord, il faut dire que l’expérience compte. En 1977, j’ai été élu délégué du personnel pour la première fois ; depuis 1981, je suis dans les directions syndicales, il y a une certaine expérience que l’on acquiert malgré les difficultés. Et on essaie de faire avec. Il est vrai que lorsqu’on a une centrale syndicale comme la CGT-B qui a évolué assez rapidement, parce que nous avons fêté le 15e anniversaire il y a de cela quelques mois, c’est une grosse administration à gérer, malheureusement.

Vous avez des relations avec les partenaires et avec l’Etat et ses démembrements et aussi au niveau international. Donc du courrier et tout ce que cela implique qu’il faut gérer, c’est-à-dire qu’il faut une petite administration aussi sur place : secrétariat, agent de liaison et autres. On essaie le mieux qu’on peut de répondre aux sollicitations des partenaires mais aussi et surtout des travailleurs.

Nous avons alors dû décentraliser les pouvoirs. Puisqu’au début nous nous présentions à l’Inspection du travail pour résoudre certaines questions. Maintenant, il est très rare de nous trouver à ce lieu-là, des structures provinciales et régionales ayant pris le relais pour accompagner les travailleurs.

Pour ce qui concerne l’alternance, je n’ai pas la même compréhension que vous. Personnellement, je ne pourrais pas être à la retraite par exemple et gérer un syndicat. Cela est très clair. Ensuite, la CGT-B a été créée par des syndicats professionnels qui lui ont donné une orientation. Même si on change de secrétaire général, l’orientation ne change pas. L’alternance ne signifiera pas que la CGT-B est devenue autre chose que ce qu’elle était au moment de sa création.

Le changement de secrétaire général se fera simplement en congrès (et ne pensez pas que je suis là-bas parce que je veux toujours être là-bas pour des raisons égoïstes). Quand vous êtes en congrès et que les délégués viennent faire des propositions, ce n’est pas si simple de se lever pour décamper. C’est dire que la gestion de la CGT-B n’est pas si facile. Pour ce qui concerne les risques, il faut vraiment faire avec. A la CGT-B, les gens ne se bousculent pas pour être secrétaire général. Je peux vous le confirmer. Déjà être dans un bureau d’une structure syndicale de la CGT-B, vous allez voir passer.

Etre secrétaire général, j’en ai vu. Pour moi-même les prochains congrès pourraient être l’occasion pour moi de me reposer.

S. : Il n’y a pas à boire et à manger ?

T.S. : Malheureusement l’une de nos plus grosses faiblesses sont les finances.

S. : Vous avez parlé d’orientation. On sait que la CGT-B est une organisation révolutionnaire de lutte des classes.
Au XXIe siècle où l’on assiste de plus en plus à l’abandon d’un certain nombre de vocables notamment "révolutionnaire", "lutte des classes"..., comment vous vous sentez dans tout cela ?

T.S. : Nous ne sommes pas les créateurs de ces concepts. Parce qu’il est à l’origine même du mouvement syndical. Le système capitaliste est venu remplacer le mode de gestion féodale. Et à partir de là, le système a produit et la bourgeoisie et les exploités. Nous ne l’avons pas inventé. C’est dire qu’il y avait des gens qui disposaient de capital, qui le faisaient fructifier en faisant travailler certains pendant 12 à 16 heures de temps. Et il a fallu que les exploités comprennent qu’il est nécessaire de se mettre ensemble pour pouvoir imposer aux exploitateurs le fait de réduire le temps de travail. C’est le syndicat qui a joué ce rôle-là.

Ceux qui ont conseillé cela aux ouvriers sont les révolutionnaires : Karl Marx, Engels... Ça, c’est l’histoire. Maintenant, on peut décider qu’au XXIe siècle, on peut décider de ne pas reconnaître cela et bien d’autres choses... Mais l’histoire du mouvement syndical, c’est ça. Aujourd’hui, il y a toujours ceux qui possèdent les capitaux et qui viennent les investir ici et il y a les exploités.

Si vous prenez la BRAKINA par exemple, ce que le Burkina a, ce sont les salaires seulement et peut-être les impôts. Vous pouvez même voir de près si les impôts sont correctement payés. Ils viennent nous exploiter et retournent avec les bénéfices chez eux. La plupart des sociétés multinationales sont logées à la même enseigne. Ensuite, il y a cette situation où on est de plus en plus férocement exploité. Quand on parle de la mondialisation aujourd’hui, c’est le même système d’exploitateurs et d’exploités. Ce qui fait qu’une organisation comme la CGT-B a tenu compte de cela. Il est légitime de se demander comment on va s’en sortir ?

On ne peut pas s’en sortir en disant simplement au gouvernement d’améliorer nos conditions de travail et de vie. Il faut aussi expliquer aux travailleurs en réalité qui les exploitent ? Pour vaincre, il faut se mettre avec l’ensemble du peuple burkinabè. C’est tout cela qui justifie l’orientation syndicale de la CGT-B.

S. : Vous avez parlé de mondialisation, maintenant quelle alternance ?

T.S. : Pour l’alternance, je ne suis pas dirigeant d’un parti politique. Il faut savoir que le SG de la CGT-B sait bien que le syndicat ne peut pas résoudre les problèmes de tout un peuple. C’est une organisation de masse dont les capacités sont limitées ; elle ne peut pas aller au-delà de ce qu’elle est. Ceux qui l’ont tenté l’ont appris à leur dépens. Demandez à Lech Valesa. De secrétaire général du syndicat il devient président en voulant diriger la pologne avec son syndicat ; il ne peut qu’échouer. Parce que vous ne pouvez pas gérer un pays avec un syndicat, c’est un parti politique qu’il faut. Deuxièmement, pour ce qui concerne la question de l’anarcho-syndicalisme, l’anarcho syndicaliste est celui qui nie la supériorité du parti politique sur le syndicat. Nous ne sommes pas concernés.

S. : Pourtant vous parlez d’orientation...

T.S. : Oui, c’est une orientation qui tient compte de l’évolution de la société et de l’origine du syndicat. Mais quand on parle d’anarcho-syndicalisme, cela donne l’impression qu’on a affaire à des gens qui assignent au syndicat un rôle qui n’est pas le sien. Ce n’est pas cela. Tous les syndicats, les responsables et militants qui sont dans la CGT-B le savent. D’ailleurs nous sommes certains qu’à la CGT-B, organisation de masse, il y a des militants de tous les partis politiques : CDP, PDP, UNIR/MS et tout ce que vous connaissez comme partis et il y a même certainement ceux du PCRV.

En tant que syndicat, nous connaissons nos limites. Nous ne pouvons pas aller au-delà de ce que nous sommes.

Vous ne pouvez pas gérer un pays avec succès si vous n’utilisez pas un parti politique.

S. : Ceux qui soutiennent que derrière le syndicaliste, vous visez la présidence du Faso, se sont trompés ?

T.S. : Lourdement. Puisque Tolé Sagnon, tant qu’il restera dirigeant syndical, ne va pas chercher à prendre le pouvoir d’Etat. Maintenant, citoyen, je peux militer dans un parti politique et là-bas, et tout le monde le sait, tous les partis politiques recrutent dans les syndicats. Si vous avez des militants syndicalistes dans votre parti, "vous êtes sauvés" parce qu’ils ont généralement une bonne vision de la société et se battent courageusement.

S. : Vous n’avez pas été approché par des partis politiques ?

T.S. : Je l’ai toujours été.

S. : Lesquels ?

T.S. : Plusieurs !

S. : N’y a pas de lien entre la CGT-B et le PCRV comme d’aucuns le disent ?

T.S. : La CGT-B est la création de syndicats révolutionnaires qui lui ont imprimé cette orientation. Le PCRV quant à lui est un parti clandestin qui soutient différents groupes sociaux en lutte. Vous êtes des journalistes, vous lisez certainement ces publications-là. Vous avez vu que parfois ils soutiennent le 1er-Mai, ils ont soutenu la lutte des commerçants. Ceux-là qui sont au niveau de la gestion des différents mouvements et partis qui s’informent, savent que ce parti existe comme ça.

S. : Pourquoi ce parti tient tant à sa clandestinité quand on sait que l’objectif d’un parti est la conquête du pouvoir ?

T.S. : Je ne suis pas ici le représentant de ce parti. Demandez-le au PCRV.

S. : Depuis 1998, le Collectif est sur la brèche. Peut-on parler aujourd’hui d’un bilan ?

T.S. : Il faut dire que le Collectif est une création conjoncturelle. Et ce regroupement-là est celui qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Cinq ans après, c’est quand même une structure qui a permis quelques avancées. Par la nature de ce regroupement, il est toujours très difficile à gérer. La raison est qu’en son sein existent des organisations de masse et des partis politiques. Les partis politiques ne sont ni idéologiquement ni politiquement homogènes.

Au niveau des organisations de masse, c’est la même chose, puisque vous avez des fondations, des syndicats, des associations diverses qui n’ont pas toujours les mêmes objectifs et buts. Trouver un équilibre dans un tel regroupement n’est pas aisé. Le premier acquis cependant pour nous est d’avoir su maintenir un tel regroupement, lui donner une plate-forme et engager ses militants et les masses à se battre autour de la plate-forme.

Il a fallu mettre des garde-fous pour pouvoir avancer. C’est pour cela d’ailleurs quesurcertainesquestions, le Collectif ne s’est pas toujours exprimé avec empressement ; parce qu’il fallait donner à chaque organisation le temps d’apprécier. C’est pourquoi notre premier acquis est le maintien et la gestion du Collectif cinq ans durant et nous sommes dans la 6è année.

Le deuxième acquis est que ce mouvement social a permis que certaines préoccupations populaires puissent être prises en compte par l’Etat. Le Collectif a été reçu et par le chef de l’Etat et par le gouvernement, des questions ont été discutées, des revendications appréciées comme telles et prises en compte dans les différentes réformes qu’on a connues. Ce sont des acquis importants qui montrent que le Collectif a été très actif sur cette période de lutte et constitue un élément de l’histoire de notre pays.

Enfin, avec les luttes du Collectif et tout ce qui a été mis en place par le chef de l’Etat : Collège de sages, Comité d’éthique, etc., on a diagnostiqué sans complaisance les maux de notre Etat, les institutions de la IVe République, ce qui a permis déjà de voir ce qu’il y a à corriger. Je pense que c’est une bonne chose.

S. : Quelles ont été alors les insuffisances ?

T.S. : Les insuffisances sont relatives à la difficulté de gestion du Collectif. Parce que nous ne sommes pas toujours d’accord sur les questions et les actions à mener, etc.

La deuxième insuffisance est celle des moyens matériels et financiers en ce sens que les activités sont menées avec les cotisations des membres. Cela est difficile de tenir plus de cinq ans parce qu’on a fait le point à un certain moment et l’on s’est rendu compte que tout reposait sur une dizaine d’organisations sur un ensemble de plus de soixante dix.

En outre, on a noté qu’au fur et à mesure qu’on avance, il y a certaines difficultés qu’on rencontre.

Le mouvement social ne pouvant pas être toujours tendu, il y a des hauts et des bas, des paliers. Il a fallu comprendre cela, l’expliquer pour que les uns et les autres comprennent que ce n’est pas à tout moment que le Collectif doit être dans la rue, que le Collectif doit être en train de marcher. Il faut éduquer, montrer aux uns et aux autres qu’il y a nécessité de comprendre tel ou tel acquis du Collectif, c’est-à-dire une bonne lecture des acquis du Collectif. Il y a l’éducation civique que nous insérons également dans les activités.

S. : Parlant d’éducation civique, est-ce que vous pensez qu’il suffit a priori de mettre la pression sur la justice pour l’amener à examiner rapidement un dossier quelconque ?

T.S. : Sur cela, le Collectif n’a pas le choix parce que la justice n’avait pas l’intention de bouger non plus. Je donne un exemple : le dossier des enfants de Garango nous a été déclaré perdu à un moment donné. Comment ? On a tué des enfants là-bas, on a constitué un dossier, des gens sont allés faire le point et on vient nous dire que le dossier est perdu ?

Avec notre insistance, la justice a fait ressortir le dossier et finalement il a été jugé même si les résultats ne sont pas ceux qu’on pouvait attendre ; mais il a été jugé quand même. Parfois aussi on ne peut pas laisser les choses évoluer simplement.

S. : Comment avez-vous tenu cinq ans durant ?

T.S. : Il faut ajouter que durant ces cinq ans, nos problèmes se sont accrus sur cette question-là c’est-à-dire la gestion des organisations, du travail, etc. D’abord il y a la pression que nous subissons ; ensuite il y a les grands risques. Vous ne pouvez pas dormir tranquille car il est même arrivé qu’on vienne nous chercher à la maison. Tout le monde est sous pression, sous tension et cela n’est pas du tout facile. Mais il faut faire avec. Et il y a le soutien populaire.

S. : Le Collectif ne donne plus de la voix. Est-il essoufflé ?

TS. : Je ne dirai pas qu’essoufflé est le terme approprié. Mais en mai 2003, nous avons tenu la 4e assemblée générale nationale du Collectif. Nous avons dégagé un programme pour la commémoration du Ve anniversaire qui était une étape très importante pour nous. Nous avons mis tous nos efforts à préparer cet anniversaire. Je pense que vous avez été témoins, l’anniversaire a été un succès.

Malgré les embûches puisque à la dernière minute nous n’avons pas eu la place de la Nation pour nous réunir. Nous avons fait nos meetings au cours de la marche et nous avons mobilisé comme il se doit. Signe que le Collectif est toujours là. Maintenant au sortir de l’anniversaire, nous avons retenu un certain nombre de préoccupations premières. Parmi elles, celle de faire en sorte que le dossier Norbert Zongo, cinq ans après, puisse bouger. Si au niveau national on ne peut pas le faire bouger, nous avons décidé de saisir les instances internationales : la Commission africaine des droits de l’Homme ; le Comité des Nations unies des droits de l’Homme, etc. Nous en sommes à ce niveau là et avec ce procès (présumés putschistes) il est évident que le Collectif va se réunir pour tirer les leçons.

S’il y a des mesures à prendre, nous les prendrons. En même temps, nous avons dit qu’il est très important d’imprimer au Collectif la nécessité de poursuivre l’éducation civique, c’est-à-dire l’information, la sensibilisation. Si nous voulons le faire autrement avec nos moyens limités, il faut tenir compte de ce qu’on peut faire avec cette insuffisance-là.

Est-ce parce que nous n’avons pas appelé à aller dans la rue que le collectif est essoufflé ? Je dis non ! Nous avons pris position quand on a annoncé la tentative de putsch. Et certainement après le procès nous allons prendre position. Nous évoluons avec cela. N’oubliez pas que nous avons aussi décidé que le Collectif soit renforcé par ses organisations membres. Il faut que même au sein de ces organisations membres, les activités se renforcent. Le Collectif syndical CGT-B est en bonne place dans l’unité d’action syndicale et nos priorités actuellement ce sont les préparatifs de la commémoration du 1er-Mai.

S. : Est-ce qu’il est possible d’infiltrer militairement une marche du Collectif ?

TS. : La réponse a été donnée au procès, je crois (rires). Il faut savoir que lorsque l’on appelle les militants ou les populations à sortir pour une marche du Collectif, on ne les trie pas. Maintenant, est-ce que les gens viennent en tenue militaire dans nos marches, je ne l’ai pas encore vu. S’ils sont en civil, tant mieux parce qu’on a appelé tout le monde sans distinction de catégorie sociale. Dès lors que des groupes s’organisent en dehors du mouvement et essayent d’y rentrer par la force, ils trouveront nos services d’encadrement. Il est arrivé des cas semblables par exemple lors du IIe anniversaire au retour du cimetière, au niveau du marché de Gounghin. Pour surmonter tout cela, nous étions obligés de faire asseoir les manifestants, leur parler et repartir. Il n’est pas facile d’infiltrer une marche du Collectif.

S. : La CGT-B, en tant que structure syndicale gagne-t-elle à s’associer à des partis politiques pour un combat quelconque ?

TS. : La CGT-B n’a pas été seulement membre fondateur du Collectif. La CGT-B a initié le premier meeting après les assassinats des enfants de Garango en 1995. Nous avons demandé que toutes les forces s’associent à nous pour qu’on évite cela à l’avenir ; c’est-à-dire tirer à balle réelle sur les enfants car si cela se poursuit, chacun va se chercher après. C’est cela qui était l’objet du meeting organisé à la Bourse du travail en 1995. A l’issue de cette situation il a été créé un regroupement que l’on appelait le comité pour le règlement des affaires pendantes en matière des droits de l’Homme. A l’intérieur de ce groupement, il y avait et les syndicats et les mouvements des droits de l’Homme et les partis politiques. Déjà en 1995-1996, il y avait ce genre de regroupement. Par la suite, lorsqu’il y a eu ces assassinats, et bien sûr d’autres problèmes, nous avons été amené à créer le Collectif en décembre 1998.

S. : Vous avez fait la Sûreté sous le CNR. Aujourd’hui, vous marchez main dans la main avec certains de vos geôliers d’hier au sein du Collectif. Cela ne vous gêne-t-il pas ?

T.S. : Main dans la main (...) je ne sais pas. C’est vrai ! Bon en fait, c’est cela aussi la difficulté de la gestion des organisations. C’est-à-dire que vous représentez un groupe d’organisations ou une organisation et vous devez tenir compte de cela. C’est-à-dire faire en sorte de réprimer ses sentiments personnels pour évoluer vers le sentiment général. Ce n’est pas toujours simple.

Au sortir de la Sûreté déjà, nous avions été amnistiés en 1986 en tout cas pour certains d’entre nous.

Quand on a été repris en 1987 où nous avons été pratiquement tous libérés après le coup d’Etat de 1987, nous avons déposé immédiatement une plate-forme pour demander notre réhabilitation, en décembre 1987 auprès du président du Front populaire. Bien sûr, nous rencontrions déjà (ce ne sont pas les commanditaires qu’on voit) certains, sinon ceux-là nous ne les avons jamais vus physiquement sauf seulement ceux qui nous ont reçus quelquefois. Par contre ceux qu’on retient facilement ce sont ceux qui vous torturent. Ils réagissent systématiquement quand ils vous voient. Je me rappelle qu’aux premières réunions pour la création du Collectif il y en a qui ont hésité à l’entrée de la Bourse du travail ; puisqu’à la Bourse, il y a nos militants, ils se connaissent. Il y en a qui ont hésité pour rentrer.

Nous les avons rassurés que s’ils ont été conviés en ces lieux, c’est qu’ils peuvent y entrer. Ce n’est pas simple mais on est obligé de faire en sorte que l’on puisse pardonner mais pas oublier. J’ai été souvent arrêté pour mes opinions.

S. : Pourquoi n’êtes-vous pas allé au Fonds d’indemnisation ?

T.S. : C’est vrai, nous aurions pu le faire ; mais nous avons estimé que le Fonds d’indemnisation ne doit pas nous boucher la voie pour la justice. Puisque c’est la condition, et il est écrit dans ses textes. Si vous y allez, vous ne pouvez plus aller à la justice et nous ne sommes pas d’accord avec cela.

S. : Bientôt, le 1er-Mai, fête du travail. Comment l’entrevoyez-vous ?

T.S. : Pour ce 1er-Mai 2004, nous voulons d’abord rappeler aux uns et aux autres les grands acquis de l’unité d’action. Cela fait cinq ans que nous n’avons pas eu d’interruption. Nous devons le rappeler et aussi les acquis, les négociations, les luttes que nous avons menées ensemble. Il est important que les travailleurs en fassent un bilan et qu’ils sachent qu’il y a des acquis dans l’unité d’action. Ensuite nous voulons mobiliser les travailleurs contre la pauvreté croissante.

Il est évident et tout le monde le constate, 44,5% de pauvres en 1994 ; 45,3% en 1998 ; 46,4% en 2003, cela ne fait qu’augmenter et pour nous il nous faut nous mobiliser contre cela. Sinon ça ne va pas, alors qu’il y a un Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté. Plus on lutte contre la pauvreté, plus elle croît chez nous.

Il y a quelque chose à revoir. Nous nous mobilisons contre cela. Ensuite, nous voulons aussi nous mobiliser contre les crimes et les dénis de justice. Il y a de nombreux exemples qui montrent que lorsque le travailleur se retrouve devant la justice et que malgré toutes les difficultés, la justice lui donne raison et qu’on refuse d’appliquer la loi, il y a là vraiment des dénis de justice que l’on n’accepte pas. Cela fait partie d’une préoccupation et nous voulons y mettre l’accent.

Enfin, la mobilisation des travailleurs n’est pas une mobilisation égoïste. Ce n’est pas seulement les travailleurs salariés ; il faut que l’on pense de plus en plus aux travailleurs de l’économie informelle où beaucoup de nos camarades qui ont perdu leur emploi se retrouvent dans ce secteur en train de se débattre pour survivre. Nous devons voir un peu plus large que le travailleur salarié.

S. : Est-ce que vous avez une unité d’action ?

T.S. : Tout à fait. Nous avons même sorti à cet effet une lettre circulaire de l’ensemble des centrales syndicales et syndicats autonomes adressée à toutes les structures des travailleurs leur demandant de commémorer de manière unitaire le 1er-Mai en fonction de leur réalité locale et aussi en fonction des thèmes que j’ai tantôt évoqués et que nous avons retenus ensemble.

S. : Toutes vos actions se mènent-elles au niveau du sommet ?

T.S. : Non ! Parce que la CGT-B, ce n’est pas seulement sa direction. La CGT-B, ce sont ses structures de base. Par exemple lorsque vous prenez un syndicat comme le SYNSHA ou le SYNTER, nous avons une lutte unitaire que nous menons ici. Par exemple, si à la direction de l’hôpital de Tenkodogo il y a des problèmes et que la section du SYNSHA se met en mouvement, il est évident que les gens se battront là-bas autour de leurs préoccupations spécifiques. Les luttes locales et sectorielles permettent à la CGT-B de continuer à s’exprimer comme elle l’entend à travers ses structures décentralisées.

S. : Quel est le taux de chômage ?

T.S. : Si on vous dit le taux de chômage officiel vous-même vous allez le refuser. Généralement quand on parle de taux de chômage, les chiffres officiels donnent 2, 3, peut être au plus 5%. C’est incroyable. Cela dépend de la base de calcul. Mais nos réalités ne sont pas à ce niveau. Effectivement les données statistiques chiffrées ne veulent rien dire parce que la réalité est là visible. Même vous qui travaillez, si vous perdez votre emploi aujourd’hui, cela ne va pas être facile de retrouver un autre emploi. D’autant plus que nous savons que le chômage tel qu’il est défini, n’est pas ce que nous comprenons.

Nous, nous voulons seulement montrer qu’il y a beaucoup de personnes qui veulent bien travailler et qui n’ont pas d’emploi. Ensuite, il y a des jeunes diplômés que les institutions financières internationales refusent qu’on recrute. Je ne sais même pas comment on compte transmettre l’expertise quand on ne recrute pas les jeunes. Ce qui fait que toutes ces questions autour du chômage des jeunes, des non diplômés et de ceux qui s’aventurent à venir en ville croyant trouver leur salut sont des phénomènes importants mais dont les chiffres en la matière n’expriment pas la réalité.

S. : Au sujet de ce problème de chômage, les élites africaines n’ont-elles pas échoué ?

T.S. : Les élites africaines ! C’est vrai, le tableau, est sombre, mais moi je suis un homme d’espoir. Je suis convaincu qu’en s’organisant mieux pour nous battre, pour aller véritablement dans le sens de ce que souhaitent nos populations, nous pouvons réussir. Quand vous dites les élites africaines, tout court, est-ce qu’elles ont échoué ? Je dirai que ce ne sont pas toutes les élites africaines qui sont au pouvoir. Ensuite, il y a eu des héritages. De la colonisation à l’indépendance, ce n’est pas simple. Quand on fait le bilan de feu Maurice Yaméogo, on peut noter cet exemple positif qui est qu’il a refusé que l’Armée française s’installe ici. Cela est quand même assez osé car ce n’était pas évident à l’époque.

On ne peut pas condamner tout le monde. En fonction des situations on peut apprécier le travail de tel ou tel dirigeant, mais je suis convaincu que l’importance du travail qui reste à mener, est une indépendance véritable de nos Etats et de nos pays. Tant que les institutions financières internationales resteront-là à nous dicter tout ce que nous devons faire, on sera encore-là à tourner en rond.

S. : La presse rapporte que vous organisez la Coupe "Tolé Sagnon" à Banfora. Est-ce les premiers jalons d’une éventuelle candidature à la députation ?

T.S. : Vous savez, moi mon rêve n’est pas d’aller à l’Assemblée... Je suis un citoyen, j’ai le droit de rêver mieux que cela, être député n’est pas une fin en soit. On peut servir le peuple à divers niveaux.

La Coupe Tolé Sagnon, je ne l’ai pas instituée. En 2002, j’ai été contacté par la structure dirigeante de la CGT-B dans la Comoé qui m’a fait savoir que les travailleurs de différents secteurs d’activités se sont réunis et sont venus la voir pour qu’ils puissent disposer d’un cadre pour s’exprimer au football. Et ils ont discuté et adopté le principe d’une Coupe qu’ils appelleraient "Coupe Sagnon Tolé". Maintenant moi on m’appelle pour me le signifier après adoption de leur règlement intérieur.

Il m’était alors difficile de faire autrement que de soutenir leur initiative. Déjà à mon niveau, il fallait donc trouver les voies et moyens pour les satisfaire tout en leur disant que c’est difficile pour moi. Et depuis 2002, c’est ce qu’ils font. On ne peut pas la doter comme on veut. Moi je suis un salarié, je ne peux pas disposer de moyens suffisants pour la doter conséquemment. Ce qui est sûr, la Coupe est à sa 3e édition cette année. Elle se joue et c’est de par la volonté des travailleurs des services formels au niveau de Banfora. Ils se sont retrouvés pour me demander de parrainer cette Coupe. Et je le fais avec plaisir.

La CGT-B avait coutume d’organiser une coupe le 1er-Mai pour diversifier les activités. Les coupes permettent à de nombreuses personnes surtout les jeunes de s’exprimer. C’est une bonne chose. Maintenant il faut que cela se ressente au niveau du sommet, c’est-à-dire que tout soit bien canalisé pour arriver à des résultats positifs au niveau national.

S. : On vous appelle dans certains milieux "Tolé le guerrier" ! Qu’est-ce que cela vous fait ?

T.S. : Je ne suis pas bien au courant de ce sobriquet. Si c’est parce que j’exprime les revendications des travailleurs de manière offensive quand il le faut, peut-être que c’est dû à ma manière de m’exprimer. Mais attention, je suis respectueux des uns et des autres. Vous pouvez chercher à le vérifier. Quand je discute avec le gouvernement, je le respecte en tant que gouvernement. Quand je discute avec mon patron au service, je le respecte en tant que mon patron. Je respecte généralement mes interlocuteurs. Mais si je suis convaincu d’une chose, je le dis avec la conviction qui sied.

S. : Nous avons ici un photographe qui dit que c’est vous qui l’avez envoyé à l’école. Avez-vous souvenance de cela ?

T.S. : Il y a beaucoup de choses dont je ne me rappelle pas surtout quand il s’agit de rendre service. Je me rappelle d’une anecdote. A la DST, il y a un jeune qui faisait partie d’un groupe qui devait nous fouetter. Il s’est arrangé pour ne pas être là ce jour. Et quand j’ai été libéré, un jour il m’a vu et m’a dit qu’il mangeait chez moi à un moment donné. Ce que vous dites, c’est possible. Je ne me rappelle pas. Je ne fais pas un inventaire de ces choses-là mais si c’est le cas, je lui souhaite bonne chance et beaucoup de courage.

S. : Avez-vous le temps en dépit de vos multiples occupations de vous occuper de votre famille ?

T.S. : Tous les dirigeants des organisations, que ce soit des dirigeants de masse, de partis politiques et autres, ont quelquefois des difficultés à être totalement à la disposition de leur famille. Parfois vous êtes à la maison mais vous ne voyez pas toujours les choses qui sont évidentes devant vous. Mais on essaie de tenir compte du fait que ce qu’on fait, c’est pour améliorer l’existence des uns et des autres, y compris l’avenir de nos familles et du pays. Cet avenir, on est obligé d’en tenir compte mais il n’y a pas que des problèmes.

S. : Votre épouse vous soutient-elle dans vos activités ?

T.S. : Oui. Pour les différentes activités de masse, quand elle peut, elle est là. Elle travaillait à la Caisse de péréquation depuis 1979 et avec la situation, la Caisse est pratiquement fermée. Depuis 1996, les activités qu’elle mène en ce moment ne lui permettent pas d’être toujours là à toutes les manifestations. Mais elle me soutient et c’est très important.

S. : Vos loisirs ?

T.S. : Je regarde la télé ensuite je fais de la lecture parce qu’avec vous les journalistes, et nos activités on est obligé de se mettre à jour.

C’est essentiellement le cinéma et la lecture. Le sport, j’ai dû l’arrêter en 1985 car je n’avais plus le temps. Sinon j’ai fait le handball et le volley-ball dans la compétition.

S. : Qu’est-ce que vous pensez de l’évolution de la presse au Burkina, principalement de Sidwaya ?

T.S. : D’une manière générale, nous aussi nous avons contribué à l’émergence d’une presse plurielle. Maintenant cette presse plurielle doit faire des efforts surtout pour certains organes. Il faut faire l’effort d’être à la hauteur de l’actualité et des analyses. Je retiens globalement qu’il y a une évolution positive de la presse.

En ce qui concerne Sidwaya, je le lis et je dois le lire parce que je m’informe et de plus je peux y être critiqué ; il faut dire qu’il a eu une évolution positive parce qu’en tant que média d’Etat, je pense que de plus en plus, Sidwaya colle à cela. Il faut qu’il soit un journal d’Etat. Et puis, il n’y a pas de doute, au niveau de Sidwaya, ce sont des journalistes professionnels, ce qui fait qu’il y a beaucoup d’informations mais que généralement les gens ne lisent pas. Ils s’intéressent seulement à la partie politique.

S. : Avez-vous quelquefois peur par rapport à vos activités ?

T.S. : La peur, oui, je connais. C’est un sentiment humain. Si quelqu’un vous dit qu’il n’a jamais peur, à la limite, je me demande si ce n’est pas de l’inconscience. Parce qu’on peut avoir peur et essayer de dominer et gérer sa peur en ayant le courage de dire ou d’agir en pensant quand-même à ses arrières.

N.B. : Si dans ces échanges courtois avec les journalistes de Sidwaya, ma langue a quelquefois dépassé mes pensées, c’est sans intention de porter atteinte à qui que ce soit ; j’ai seulement voulu exprimer mes opinions et mes convictions.

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