Actualités :: PROCÈS : Les accusés ont déjà gagné

Depuis une semaine, l’actualité nationale bat au rythme du procès des 13 présumés putschistes ouvert mardi dernier au tribunal militaire de Ouagadougou.

Tous les accusés ont déjà été appelés à la barre et on a commencé vendredi à entendre les témoins (à charge et à décharge) de cette affaire. Viendra ensuite le temps des plaidoiries des avocats de la défense et de la partie civile, puis du réquisitoire du commissaire du gouvernement et, enfin, le verdict, sur lequel Ouaga suppute déjà : tel à coup sûr sera condamné, tel autre peut s’en sortir, quant à celui-là, c’est fifty-fifty...

Laissons au moins cette prérogative au juge, quand bien même l’opinion instruirait de son côté le procès du président du tribunal, Franck Compaoré, dont les liens ombilicaux avec le pouvoir sont un secret de polichinelle. Pour ainsi dire, la cause est entendue, et le sort du pasteur Israël Paré et de ses douze apôtres, déjà scellé. Nonobstant cette action en suspicion légitime, il faut accorder à ce tribunal le bénéficie de l’honnêteté dans la mesure où il doit juger sur des faits. Dans tous les cas, le jugement tire inexorablement vers sa fin et d’ici quelques jours on sera tous définitivement fixés sur cette histoire.

En attendant, on peut tirer les premiers enseignements de cette première semaine de procès. Il y a d’abord la réalité de la tentative de coup d’Etat. On se souvient que le 7 octobre 2003, c’est un scepticisme généralisé qui avait accueilli la révélation, par le procureur général, Abdoulaye Barry, de cette tentative de putsch qui aurait été tuée dans l’œuf.

Le régime, il est vrai, avait des antécédents peu glorieux dans le domaine des vrais-faux complots, et de surcroît, la situation sociopolitique ne laissait présager aucun mouvement de ce genre. Et puis, en matière de coup d’Etat, tant que le bal de la canonnière n’a pas commencé, il est difficile de se faire une idée de la réalité de l’entreprise.

Or donc, sur fond de revendications corporatistes, il y avait quelque chose, si l’on en croit certains des inculpés-vedettes comme le capitaine Ouali Luther Diapagri, le cerveau présumé du pronunciamento, et Naon Babou, le "sergent qui veut faire sauter la République".

Ils ne sont pas passés par quatre chemins pour le dire, l’officier affirmant instamment qu’il voulait mettre fin à la "compaorose". Il est vrai que tous les inculpés n’avaient pas le même niveau d’information quant au dessein véritable.

Cela dit, si "atteinte à la sûreté de l’Etat" il y a, elle devait être vraiment à l’état de projet, et c’est à se demander si, finalement, vu la personnalité des personnes incriminées, il fallait prendre au sérieux les menées subversives de ces putschistes du dimanche, qui s’offraient de temps à autre, et selon l’expression de Me Hermann Yaméogo, une pause-café avant de reprendre leurs préparatifs. Tout au plus s’agit-il de gens frustrés ou aigris, c’est selon, qui en avaient gros sur le cœur et qui ne cachaient pas, pour certains d’entre eux, leur antiblaisisme primaire.

Mais comme nous l’avons toujours écrit dans ce journal, si par principe républicain il faut condamner les coups d’Etat, force est-il de reconnaître que ce sont les régimes en place qui font eux-mêmes le lit de ces putschs, guerres civiles et autres révolutions de palais.

Par l’incurie dans la gestion des affaires publiques, par l’esprit clanique et l’exclusion, par les différentes exactions et frustrations dont peuvent être victimes les citoyens qui ont le malheur de penser autrement que l’évangile officiel. C’est vrai pour la Guinée-Bissau, la Mauritanie, la Guinée Equatoriale, la Côte d’Ivoire ; c’est aussi vrai pour le Burkina, et on aurait tort de penser que ça n’arrive qu’aux autres.

Surtout que les débats qui se mènent actuellement au tribunal finissent de nous convaincre qu’on n’a pas une vraie armée unie, solidaire, disciplinée et organisée, mais un panier à crabes, qui pis est, inutilement budgétivore, où chacun tire à hue et à dia sur fond d’injustices, de magouilles, de règlements de comptes et de favoritisme, les uns, au RSP, étant engraissés comme des moutons d’emboûche quand les autres bouffent quotidiennement la vache enragée. Or, ces marxistes reconvertis sont bien payés pour le savoir, les révolutions naissent quand les uns mangent pendant que les autres regardent.

De sorte que pour Blaise Compaoré et ses disciples, ce procès peut et doit constituer une glace dans laquelle ils doivent avoir le courage de se regarder pour corriger leurs laideurs s’ils en sont encore capables. En effet, ainsi que nous l’écrivions lundi 5 avril 2004, on a deux procès pour le prix d’un.

Tout se passe d’ailleurs comme si certains des accusés avaient choisi exprès de confesser tout de suite leur culpabilité ; vidant ainsi l’action judiciaire de son intérêt principal, pour mieux s’atteler, en cette période pascale, à tresser des couronnes d’épines à l’enfant terrible de Ziniaré et à certains de ses proches, principalement son frère François Compaoré et son chef d’état-major particulier, le colonel Gilbert Diendéré.

Le premier, ont persisté et signé Naon et quelques autres anciens de cette armée dans l’Armée qu’est le régiment de sécurité présidentielle, ne serait pas étranger à l’assassinat de Norbert Zongo, et c’est de s’y être trop intéressés qui leur vaudrait leurs tuiles présentes.

Le second, lui, est présenté comme l’âme damnée du régime, le préposé aux basses œuvres et aux coups tordus de la république, celui qui aurait dîné les sous des barbouzes que Blaise avait envoyés, au début des années 90, secourir son ami Charles Taylor.

Décidément, cette expédition libérienne, comme qui dirait constituera toujours un furoncle sur les fesses du pouvoir : tant qu’il est là, impossible de s’asseoir. La voici qui le rattrape encore alors qu’il s’est échiné, au début, à nier toute implication dans ce bourbier. Et pourtant. Déjà en 1992, au lendemain de l’intervention, le vendredi 13 novembre, de Thomas Sanou, alors ministre des Relations extérieures, devant la toute nouvelle Assemblée des députés du peuple, nous lui posions cette question : "Que diable sommes-nous allé faire dans cette galère monsieur le ministre ? " (1).

C’est dommage que le tribunal n’ait pas voulu entendre "Golf" au sujet de cette affaire sous prétexte que ça n’avait rien à voir avec le putsch présumé, alors que les revendications corporatistes liées aux indemnités libériennes semblent être le point de départ du complot. Qu’importe d’ailleurs ce qu’il aurait dit pour sa défense, la religion de l’opinion est déjà faite sur le sujet, même s’il faut se garder de prendre pour argent comptant ce que débitent les 13 personnes prises dans la nasse judiciaire.

Car, précisément parce qu’ils sont dans cette situation, on peut être amené à douter de leurs déclarations, qui peuvent être autant de lignes de défense quand bien même, ayant passé de longues années au Conseil, ils en savent forcément un bout sur les pratiques qui avaient cours dans ce camp Boiro burkinabè. Il faut d’ailleurs souligner que jusqu’à présent, qu’il s’agisse des révélations sur l’autodafé de Sapouy ou du mercenariat burkinabè à Monrovia, il n’y a pas quelque chose de nouveau qu’on n’ait pas encore entendu.

Seulement, en le clamant haut et fort dans le prétoire du tribunal militaire, en traînant dans la boue "l’homme mince", André Joseph Tiendrébéogo, François Compaoré et d’autres obligés du système, ceux qui sont dans le box des accusés, de coupables, même présumés innocents jusqu’à ce que la preuve de leur culpabilité soit formellement établie, réussissent le tour de force de se transformer en victimes.

Qu’importe d’ailleurs si ce ne sont pas toujours des arguments de droit qui sont développés et si les motivations, quelles qu’elles soient, ne sauraient être des excuses absolutoires, l’essentiel est que les propos de Ouali, Naon, Bassana et autres Pooda font mouche. Qu’importe aussi les verdicts qui seront prononcés à l’issue de ce procès somme toute historique, eux ont déjà gagné le leur, celui qu’ils instruisent depuis mardi, à grand renfort de tapage médiatique, contre "le pouvoir de la IVe République" qui, au finish, sera le grand perdant de ce déballage.

Car qu’ont-ils encore à perdre, ceux qui se considèrent déjà dans une atmosphère de tragi-comédie, comme des cabris morts qui n’ont plus peur de couteau et pas davantage d’un tribunal présidé par une personne dont ils pensent, à tort ou à raison, qu’elle a toutes les raisons de leur en vouloir.

Et si finalement, avec ce procès aux allures de catharsis ou de demi-forum vérité et justice, Blaise avait choisi de jeter en pâture certains des siens à la colère des présumés putschistes ! Car il ne pouvait pas ignorer que des gens qui ont des raisons objectives et subjectives de lui en vouloir, à lui et à son fauteuil, saisiraient cette occasion publique qui leur est offerte est pour clouer son régime au pilori.

Ousséni Ilboudo

(1) Cf l’Observateur paalga du lundi 16 novembre 1992

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