Actualités :: Procès : Les enjeux des assises
Le Gal K. Lougué

Le procès qui s’est ouvert le 06 avril au palais du tribunal militaire à Ouagadougou est une première au Burkina. Quel que soit le verdict qui va sanctionner ces assises et au-delà des passions compréhensibles qui les auront entourées, c’est la démocratie qui aura gagné. Analyse !
Une procédure judiciaire, des décisions juridiques et des enjeux politiques : ce sont là les principales données pour résoudre cette équation de coup d’Etat étouffé dans l’œuf.

La procédure judiciaire est à son terme avec l’ouverture du procès et le rejet des "vices de formes" soulevés par les avocats des accusés. Cette procédure est allée des enquêtes préliminaires de la gendarmerie, à l’ordre de poursuite délivrée par le ministre de la Défense et l’instruction à charge et à décharge pendant 6 mois du dossier par un juge militaire. A charge et à décharge, puisque des 17 personnes arrêtées au départ dans cette affaire, 13 sont appelées à comparaître. Quatre autres ayant bénéficié d’un non-lieu.

Les inculpés pour leur part devraient répondre des accusations de "complot et atteinte à la sûreté de l’Etat". Le capitaine Ouali Diapagri pour sa part, le cerveau présumé du complot devra répondre en outre du chef d’accusation de "trahison".

Pour les décisions juridiques, elles recouvrent le verdict qui sera prononcé par la Cour à l’issue du procès. Certains accusés ayant reconnu les faits, on s’attend logiquement à des condamnations. D’autres par contre ayant nié leur participation, il n’est donc pas exclu qu’il y ait des acquittés. Avant le réquisitoire des commissaires du gouvernement - ils sont deux - on ne peut rappeler que ceux des accusés inculpés pour complot et atteinte à la sûreté de l’Etat risquent des peines allant jusqu’à la prison à perpétuité.

Le cerveau de la conjuration, s’il était effectivement reconnu coupable du crime de "trahison", risque la peine de mort. Nous n’en sommes pas encore là et la qualité des témoins cités à comparaître donne la mesure de tout le sérieux qui a entouré la procédure judiciaire et la conduite du procès qui vont motiver les décisions juridiques. Quelles que soient ces décisions, elles auront des implications politiques à au moins trois niveaux.

Les enjeux politiques du procès

A priori on peut en distinguer trois pour l’instant. Ils vont de la crédibilité de l’Etat à la réaffirmation d’un des principes forts de la démocratie : la dévolution du pouvoir se fait par la voie des urnes. On n’oubliera pas de souligner l’importance de l’institution judiciaire dans le paysage institutionnel d’un Etat démocratique et laïc comme celui du Burkina.

La crédibilité de l’Etat est engagée dans ce procès car des Burkinabè continuent de penser que "cette histoire de coup d’Etat" est une machination rocambolesque pour "purger" l’armée et certains milieux de l’opposition. Le limogeage du général Kouamé Lougué de son poste de ministre de la Défense a apporté de l’eau au moulin des incrédules. L’organisation d’un procès ouvert au public avec des avocats pour tous les accusés est un bon moyen pour dissiper ces doutes.

Les autorités politiques et militaires ont manifestement laissé toute la lattitude au pouvoir judiciaire d’élucider tous les tenants et aboutissants de la conjuration. L’audition des premiers témoins et accusés par le tribunal, notamment du sergent Naon Babou, indique clairement que la tentative de putsch n’est pas une fiction. La conjuration a bien existé suivant les dispositions de l’article 190 du code de justice militaire qui stipule à son alinéa 2 qu’"il y a complot dès que la résolution d’agir est concertée et arrêtée entre deux ou plusieurs individus". A la lumière des déclarations de certains des accusés, il n’y a plus de doute qu’il y a eu "résolution d’agir" contre la sûreté de l’Etat.

Au demeurant, on se demande quel intérêt le pouvoir actuel aurait eu à inventer un faux complot en ce mois d’octobre 2003 au risque de créer des remous dans l’armée, un mécontentement de l’opposition avec des possibilités de crise majeure à quelques mois de la tenue du sommet France-Afrique ? En outre, le Burkina est à un an d’échéances électorales importantes : les municipales et la présidentielle de 2005. Le moment - octobre 2003 - n’était donc pas du tout indiqué pour imaginer un complot inexistant ayant abouti à la mise à l’écart du ministre de la Défense.

Par ailleurs, le mois d’octobre est celui de la rentrée scolaire et universitaire. Au Burkina, le retour des classes est toujours une équation à plusieurs inconnues pour la paix sociale. Les crises à même de perturber la paix sociale ont toujours débuté dans le monde scolaire et universitaire. Alors pourquoi favoriser les conditions de troubles sociaux graves en dénonçant un hypothétique complot contre la sûreté de l’Etat avec plusieurs arrestations délicates qui plus est, au moment du retour des classes ? Visiblement le gouvernement n’avait aucun avantage dans un mensonge très risquant. Les déclarations des prévenus le montrent nettement. Ce sont de vulgaires putschistes qui ont échoué et voudraient aujourd’hui passer pour des victimes d’une machination.

La justice tient sa revanche

La justice burkinabè a tout à gagner dans un procès correct. C’est l’occasion de montrer à tous les observateurs bien intentionnés qu’elle peut travailler sereinement et avec célérité. Encore faut-il que pour cela elle puisse disposer de matériaux fiables. Une enquête préliminaire digne du nom, une instruction conduite sans pression sous forme de manifestations de rue ou par des interférences politiciennes. Quand c’est le cas comme dans d’autres dossiers antérieurs à celui du putsch manqué, la procédure souffre de pesanteurs dues au manque de témoins crédibles, à la dissimulation de preuves ou à la dénonciation calomnieuse. Toutes choses qui ne favorisent pas une instruction rapide de certains "dossiers pendants" pour utiliser des termes chers à l’opposition burkinabè.

Le système judiciaire burkinabè tient donc avec ce procès comme une revanche sur ses détracteurs qui par ailleurs sont ceux qui politisent certains crimes et grossissent leurs implications au point de fourvoyer même les enquêteurs les plus perspicaces.

C’est le lieu de rappeler que la revendication d’une indépendance de la justice n’est pas opposable qu’aux autorités gouvernementales mais aussi à tous les groupes de pression aussi bien nationaux, qu’extérieurs. Le meilleur moyen de perturber, voire de faire perdre à la justice son indépendance, c’est d’instrumentaliser les affaires pour lesquelles elle a été saisie. Aussi, il faut reconnaître que l’autorité politique a fait preuve de maturité en jouant dès le départ la carte judiciaire dans le traitement d’un dossier aussi délicat.

Ailleurs on aurait facilement évoqué la raison d’Etat. Au Burkina à une certaine époque une Cour martiale très fermée aurait réglé nuitamment le sort des accusés et de leurs complices.

En définitive, la démocratie burkinabè à travers ce procès fait un pas de maturité.

En même tant que s’affirme l’indépendance de la justice, ce procès est un démenti aux spéculations les plus diverses de ceux qui voient le mensonge d’Etat partout. Quel que soit le verdict du tribunal, c’est le rejet de la conquête illégale du pouvoir par le coup d’Etat militaire qu’il importe de retenir. Le Burkina a suffisamment fait d’amères expériences sur ces voies sans issues. Que force reste à la loi. C’est la démocratie qui y gagne !

Djibril TOURE

L’Hebdo

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