Actualités :: Procès d’avril : Deux prétoires pour des présumés conjurés

Nous l’écrivions dans notre dernière édition : si le pouvoir, en décidant contre vents et marées que le procès se tiendrait, avait projeté d’en faire une utilisation aux fins de ravalement de son image au plan interne comme international, il risque d’avoir tout faux. De la manière dont les choses se passent au tribunal militaire, les prédictions semblent vouloir se confirmer.

En effet, malgré les efforts pour donner de la substance à l’accusation, le tribunal peine à rallier l’opinion au sérieux de ce putsch. En dépit de la bonne volonté d’une certaine presse pour " zoomer " sur cette implication de la Côte d’Ivoire de Gbagbo, qui en rajoute à ses déconvenues, l’opinion reste sollicitée sur des points focaux qu’on s’efforce de banaliser et qui ont pour noms l’affaire Norbert Zongo, les ingérences extérieures du Burkina, l’implication du Conseil de l’Entente dans l’enquête préliminaire, les dysfonctionnements multiples dans l’armée dont le clientélisme, les détournements, la privatisation de ses missions républicaines…

On a bien pensé à mettre une charge dramatique dans le dossier en présentant un plan d’attaque du Conseil des Ministres où au jour J, on aurait exfiltré le général Kwamé Lougué avant de faire son sort aux autres membres du gouvernement, mais là non plus, le résultat visé n’est pas atteint puisque l’émotion qui aurait suscité compassion et ralliement n’est pas au rendez-vous.

Pendant que les mises du pouvoir dans ce procès s’évaporent, ceux qui devaient en faire les frais, c’est-à-dire les inculpés, confirment leur communion avec le peuple. Prenant à sa juste mesure le moment historique de ce procès, ils se sont attachés à être les avocats du peuple pour dire, par-delà le tribunal, à l’opinion nationale et internationale, ces choses qui tiennent à cœur aux Burkinabé et qui font qu’ils sont las du clan qui s’est emparé du pouvoir.
Qu’importe que le commissaire Barry les prévienne en quelque sorte de leur témérité en soulignant leur courage, ils savent mieux que quiconque, pour être du sérail, qu’ils risquent gros.

Mais ils risqueraient encore beaucoup plus gros en ne saisissant pas l’occasion pour parler et pour parler, ils ont parlé. Ils ont tellement parlé que le tribunal a bien failli plus d’une fois perdre pied et à mesure qu’au dedans comme au dehors du tribunal, l’unanimité se faisait autour des présumés conjurés, que les applaudissements fusaient de toutes parts -en soutien aux interventions de ces derniers alors que les huées accompagnaient celles du tribunal, du ministère public et de la partie civile-, tout le monde a senti qu’en vérité, les présumés putschistes comparaissaient devant deux tribunaux.

Le premier est composé des magistrats qui composent le tribunal militaire avec à côté le ministère public et la partie civile. Ceux-là ont manifestement des intérêts communs. Les profanes le remarquent et le répercutent en dehors de l’audience. Il y a entraide entre ces trois parties, il arrive que le commissaire se comporte comme s’il était la première autorité, il arrive que le président du tribunal vole au secours d’un témoin en difficulté ou empêche un prévenu d’aller sur un terrain qui manifestement n’est pas pour servir ni l’accusation, ni le pouvoir en place alors que c’est précisément celle qui permettait d’expliquer les mobiles de son inculpation.

Autre exemple où on sent une communauté d’intérêts, un échange de bons procédés de la triade : le président annonce Diendéré qui comparait comme témoin : " Voilà le colonel Diendéré sur qui on dit beaucoup de choses ; vous pourrez maintenant lui parler ". Histoire de dissuader les grandes gueules ? Naon Babou ne s’en laisse pas conter qui dira en substance : " excusez-moi pour ce que je vais dire, je suis plus jeune que le colonel Diendéré, il est mon supérieur : mais s’il y a quelqu’un qui a peur du colonel Diendéré ici, c’est peut-être vous, monsieur le commissaire du gouvernement, pas moi."

Et au sergent d’y aller de ses interpellations relevées : " N’avez-vous pas grillé des gens au Conseil ? N’avez-vous pas envoyé des gens avec des ordres de mission au Libéria qui y sont morts et dont les corps n’ont pas été rapatriés ? N’avez-vous pas recruté des Burkinabé que vous avez enrôlés dans l’armée régulière libérienne ? Mais toutes ces révélations comme d’autres seront stoppées net par le président du tribunal qui volait immédiatement, immanquablement au secours du témoin Diendéré. "Ces choses-là ne nous concernent pas, etc…" Elles font partie pourtant des frustrations, des dysfonctionnements de l’armée et au fond des mobiles qui les ont acculés à nourrir l’intention d’en finir avec le régime. On comprend ainsi les exclamations outrées qui jaillissent de la salle d’audience, et plus encore de la cour, on se rend compte que personne n’est dupe et que la justice n’est pas en train d’être rendue dans le sens qui en réhabiliterait ses distributeurs désignés.

Mais heureusement, il y a le deuxième tribunal, celui composé de l’assistance, des justiciables en général, du peuple. Il avait déjà exprimé ses fortes réserves par rapport à cette affaire en ne se laissant pas instrumentaliser. Ses sentiments ont été confortés lorsqu’il a vu débarquer les présumés putschistes. Ils étaient dans des tenues impeccables, l’allure altière, la sérénité scintillante. Devisant entre eux, se tapotant au besoin, ils semblaient dire que leur seul juge est le peuple et quand ils ont parlé, par-delà les juges, au peuple, ils l’ont fait dans les termes que celui-ci attendait.

Tout y est passé : la vie au Conseil de l’Entente, les Burkinabé qu’on a envoyés dans des guerres de rapine à l’étranger et qui sont morts (et dont les corps n’ont pas été rapatriés), les indemnités des missionnaires escamotées, englouties, la gestion de l’intendance militaire au bénéfice de quelques privilégiés, le clientélisme qui régnait en maître absolu dans la gestion des promotions… Ils sont arrivés en définitive à la conclusion qu’il n’y a aucune place pour la démocratie dans ce pays tant que les hommes qui nous gouvernent seront au pouvoir et certains iront jusqu’à se déclarer fiers d’avoir voulu engager une action qui libère le peuple de ces gouvernants qu’ils savent intrinsèquement hermétiques à la démocratie et déterminés à toujours faire couler le sang pour se maintenir au pouvoir.

Comment de tels arguments, étayés par des preuves indiscutables, ne peuvent-ils pas ne pas convaincre le tribunal du peuple ? C’est pour cela qu’il faut comprendre cette affluence qui se maintient au tribunal, cette adhésion de plus en plus forte du peuple vis-à-vis de ces présumés putschistes. Si les choses continuent comme elles ont commencé, et alors que déjà les Ouali, les Naon, sont qualifiés superstars pour les uns et défenseurs du peuple pour les autres, c’est le pouvoir qui sortira perdant dans ce procès qu’il croyait pouvoir contrôler de bout en bout avec en prime une démonstration en cours qui ne lui fera pas du bien : celle qu’il existe toujours des hommes valeureux, que l’armée n’a pas été domestiquée au point d’en extraire le courage légendaire qui a toujours caractérisé la vaillance de nos militaires.

Cela ajouté à la maturité de la prise de conscience civile de l’inocuité et de la dangerosité des hommes qui nous gouvernent, peut constituer le terreau pour un changement salvateur pour tous.

L’impression dominante, après ces cinq jours de procès, va au-delà de la sympathie de l’opinion vis-à-vis des inculpés pour s’attacher maintenant aux conséquences à tirer des révélations qui ont été faites. Ce qui est actuellement discuté dans bon nombre de milieux, c’est le courage dont font montre les inculpés et l’invite faite aux politiques et à la société civile de jouer maintenant leur partition en obtenant qu’il soit donné suite aux éclairages apportés à l’opinion sur des actes répréhensibles du pouvoir tant au plan interne qu’externe. L’impression dominante est que ce procès ne peut qu’être un procès fondateur dont les effets, quelle qu’en soit l’issue, auront des répercussions durables sur l’avenir du pays !

Victory Toussaint
San Finna

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