Actualités :: Une nuit avec les enfants de la rue de Dédougou : Les péripéties des exclus de (...)

Le monde des enfants de la rue de Dédougou (province du Mouhoun) est un monde à part. Ils ont leurs codes, leur manière de vivre qui obéit à l’entendement qu’ils ont de la vie. Leur vie.

Le quotidien des enfants de la rue de Dédougou se résume à ce triple mot : survivre malgré tout. Aucun souci du lendemain, ne leur demandez pas non plus leur âge, ils ne le connaissent pas.

Dormir sur ou sous le pont du secteur n°6 de la ville, flâner à l’autogare en quête de jetons la journée et, manger chez Akwassi, le ghanéen restaurateur de Dédougou est le triptyque de ces enfants.

Comme unique lieu de détente, la vidéo-club qui jouxte leur « dortoir ». C’est là qu’ils plongent dans les bras de Morphée la nuit tombée.

Jeudi 8 octobre 2006, il est 22h 55. Il fait froid mais, deux enfants sont couchés sur le pont en construction, à même le sol. Les autres, une dizaine, sont dans la vidéo-club. Ils ne suivent pas le film d’action violent qui passe. Ils dorment sur des cartons à l’angle gauche du « ciné ». Le propriétaire du vidéo-club : « ils dorment, ils se réveilleront à la fin du film pour aller sur le pont ».

Pendant ce temps, les quelques individus, habillés en tenue légère entrent se vêtir davantage pour résister au froid. Sur la voie, des motocyclettes circulent par intermittence, le vacarme ne dérange les deux enfants, Moussa Drabo et Olivier Tamini, qui dorment à poings fermés, recroquevillés sur le pont. 23 h 11. Moussa est réveillé. Depuis un mois, il a élu domicile sur ce pont. Les paupières lourdes de sommeil, il explique qu’il est orphelin de père et sa mère s’est remariée à un autre homme.

La voix rauque, il se gratte et confie ce qui l’a emmené à « découcher et à être enfant de la rue » : « suite à un vol de canari dans notre cour, mon père adoptif m’a accusé d’en être l’auteur. Il m’a sommé de ramener le canari sinon il allait faire pleuvoir la foudre sur moi. Depuis ce jour, j’ai fui la maison ». Moussa dit cependant rendre visite de temps à autre à sa famille. Sa pitance quotidienne, il la gagne en « cocsant » à la gare, les jetons que lui laissent les transporteurs pour les bagages chargés. Las de la journée et n’ayant pas bien dormi, l’enfant baille. Quant à ce qui est de son âge exact, il avoue ne pas le connaître.

De sa quête quotidienne d’argent à la gare, Moussa peut avoir 400 F ou 450 F CFA. Mais aujourd’hui (NDLR : jeudi soir 8 novembre), il dit ne pas avoir gagné « un rond ». Quant à l’hygiène corporelle, les enfants de la rue ne la conjuguent pas au présent. La dernière toilette de Moussa remonte à une semaine.

Comme vêtement, il a pour tout, un polo manches courtes et un shirt qui lui arrive à peine à la fin des cuisses. Le sable blanc du pont a blanchi ses membres.

Pour résister à la fraîcheur, il fait entrer ses bras à l’intérieur de son polo et lutte pour que le t-shirt couvre ses genoux regroupés. Lorsque l’autogare de Dédougou ne leur sourit pas financièrement, de temps à autre, ces enfants prennent le risque de payer leur transport pour aller mendier sous d’autres cieux. C’est ainsi que Moussa a payé 250 F pour aller à Ouarkoye, mendier. « C’est là-bas que j’ai eu le tricot que je porte ». Or, la famille de Moussa, selon ses dires, se trouve à Tougan distant de 90 km de Dédougou. Lorsqu’il tombe malade, il devient son propre docteur avec la complicité de ses « frères », enfants de la rue vivant la même galère que lui.

Une vie à double vitesse

Pour Moussa, sa vie est à double vitesse. La maladie et la santé sont pour lui, les deux faces d’une même médaille. « Si je suis malade, j’achète un comprimé de paracétamol à 25 F. Lorsque c’est grave je vais en famille », confie-t-il.

Pendant ce temps, son « frère » Olivier dort. Il ronfle, ressassant l’énergie dépensée à courir, à gauche et à droite, au cours de la journée pour avoir sa nourriture quotidienne. Moussa le réveille. Le sommeil d’Olivier semble lourd. Il a fallu plusieurs coups pour le sortir de son « rêve ». Lui aussi ne connaît pas son âge. Les cheveux désordonnés, il avoue être du secteur n°6 de Dédougou. Au contraire de son « frère » Moussa, ses parents sont vivants mais, il a refusé le domicile. Pourquoi ? « rien », répond-t-il. Après un moment, il confie : « nous sommes nombreux ».

Minuit 20. La séance du vidéo-club est terminée. Les « videofiles » d’un soir sortent. Les enfants emboîtent le pas à la queue leu leu.

Chaque enfant, comme par réflexe, porte son « lit » pardon « son carton » sous la hanche gauche. Direction ? Sous le pont. Le dessous du pont est séparé en trois compartiments. En cette nuit, il y a 11 enfants contre 13 au total, chiffre officiel fourni par l’Action sociale de Dédougou. Arrivé sous le pont, par groupe de 4 ou 5, ils occupent les trois compartiments sans aucune source d’éclairage. Certains chantent des notes de tube en vogue. D’autres tâtent le terrain à l’aide de leurs mains en vue de se faire une place.

Souvent, en bousculant ceux déjà couchés. Leur ambiance est singulière. L’un d’eux lance à la vue d’un véhicule : « sans pièce arrive », pour faire allusion à la police.

Durant tout ce temps, le « chef » n’est pas encore venu. « Il viendra mais après tout le monde. Il s’appelle Satan noir » affirme l’un de ceux qui viennent de sortir du vidéo-club. Quelques minutes plus tard, « Satan noir » arrive. Un pantalon « sauté » fourré. Un t-shirt collé au corps, à ses reins est attaché un pull-over rouge. Son carton est sous la hanche gauche. Arrivé à hauteur du pont, il dépose sa « couchette », fait un tour à la vidéo club et revient prendre sa couchette. Il la dépose sur le pont.

« Satan noir » est le plus âgé des enfants de la rue. Il est pousseur de charrette, selon les propos de ses « frères ». Quand on lui demande son identité, il ne connaît que son prénom : « Djakaridja ». Son nom et son âge, il les ignore. Tout ce qu’il sait de ses parents est qu’il est orphelin de père. Depuis moins de trois mois, il est locataire de ce pont. « Moi je ne dors pas sous le pont, je me couche au dessus pour surveiller mes petits frères » clame le jeune homme à l’allure frêle.

Akwassi, « le père » des enfants de la rue

Tous les enfants rencontrés ont pour unique lieu de restauration chez Akwassi Affi de nationalité ghanéenne. Ce dernier a pris le relais de son grand frère rentré au pays, il y a un an de cela. Selon Akwassi (que les enfants ont transformé le nom en « Koffi »), les enfants viennent généralement à midi pour manger.

Pour ne pas les entraîner dans la fainéantise, Akwassi les invite à laver les assiettes avant de les servir à manger. « Mais, prévient l’homme, il y a une chicotte pour ceux qui sont sales et désordonnés. Souvent aussi, les enfants prennent les restes des plats ». Pour lui, beaucoup d’enfants sont issus de Dédougou. « Des parents viennent les chercher pour les ramener à la maison mais, deux jours après, ils ressortent parce qu’ils sont habitués à la rue », a expliqué le restaurateur.

Du côté de l’Action sociale de Dédougou, l’agent du service de la protection de l’enfant et de l’adolescent, Djakaridja Aziz Sankara a affirmé que le problème est préoccupant. « L’Action sociale a un projet de construction d’un centre, en vue de leur réinsertion sociale ». Quant aux causes du phénomène, M. Sankara a affirmé que certains sont en conflit avec leur famille, d’autres sont au départ des talibés qui deviennent par la suite, des enfants de la rue.

Ainsi à Dédougou, les enfants de la rue ont leur quotidien, voyant leur droits bafoués sans savoir qu’ils en ont, faisant de leur vie une lutte sans merci pour la survie, dans l’incertitude totale du lendemain.

Daouda Emile OUEDRAOGO (daouda@elimu.info)

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