Actualités :: Invasion des champs par le bétail : Les modes de production en conflit, pas (...)

Dans "Le Pays" n° 3755 du 23 novembre 2006, Pierre Sawadogo, étudiant d’anglais en fin de cycle, demande justice pour son père Albert Sawadogo (agriculteur à Boulmiougou, département de Nasséré, province du Bam) qui a été battu à mort le 17 novembre dernier par des "Peulhs" pour avoir volé au secours de deux autres habitants du village, Karim et Hamidou, que les mêmes "Peulhs" agressaient injustement.

Le différend serait né de la négligence d’un "petit Peulh" dont le troupeau a envahi le champ de Karim. Celui-ci "a vite fait de repousser le troupeau hors du champ. Le petit Peulh tenta de s’enfuir, mais dans la précipitation, une de ses chaussures resta sur place, et Karim s’en empara". Il "lui ordonna de revenir avec ses parents constater les dégâts, avant qu’il lui remette" sa chaussure.

"Le petit Peulh alla puis revint sans aucun de ses parents" et dit ceci : "Si tu ne me donnes pas ma chaussure, nous allons enlever une vie ce soir". Dans la soirée, aux environs de 19 heures, un groupe de jeunes Peulhs armés de gourdins et très furieux se présentèrent devant la concession de Karim...

S’ensuivit une altercation, puis les Peulhs commencèrent à faire pleuvoir des coups de gourdins sur Karim qui cherchait à s’emparer d’un bâton pour mieux se défendre, car il n’était armé que d’une tige de mil dont il se servait pour faire rentrer ses poules. Le petit frère de Karim, Hamidou, ne supportant pas la scène, se jeta dans le combat pour défendre son frère et l’aider à repousser les assaillants.

S’étant aperçu qu’il y avait de l’agitation chez Karim alors qu’il revenait juste de son champ, Albert s’empressa de se rendre sur les lieux. Les ‘’Peulhs’’, à la vue de celui-ci, s’évanouirent dans l’obscurité, laissant Karim avec des contusions et Hamidou avec quatre dents cassées. Ils décidèrent d’aller à l’infirmerie de Nasséré. Ce qui ne devait pas arriver arriva. Suivons plutôt le récit de Pierre : "Mon papa retourna chez lui pour mieux s’apprêter pour le départ pour l’infirmerie de Nasséré.

Les malfrats qui s’étaient dispersés s’étaient regroupés par la suite au bord de la voie qui mène chez lui. Mon papa fut cruellement et sauvagement assommé d’un coup de gourdin qui le précipita au sol où ses bourreaux, suffisamment drogués, n’ont pas eu peur du bon Dieu pour accomplir leur sale et abominable acte, celui d’ôter une vie humaine, comme prédit par le petit Peulh au champ".

Depuis, celui dont le père a été tué réclame justice et demande aux bonnes volontés de l’aider financièrement afin que le droit soit dit et que la justice soit rendue. Que dire sinon que :

la douleur de Pierre est non seulement compréhensible, mais également justifiée, car même la mort naturelle d’un père n’est déjà pas parmi les épreuves les plus supportables pour un fils. N’en parlons pas de celle d’Albert ;

Pierre a eu un comportement exemplaire en ne cédant pas et en empêchant ses frères, sœurs, cousins, oncles et tantes de céder, sous le coup de la peine profonde qu’il ressentait, aux sirènes de la vengeance qui pouvait tourner en tueries interethniques ;

la voie judiciaire choisie par Pierre et sa famille est, dans pareilles situations, la meilleure ;

les ennuis financiers de Pierre et de sa famille sont certainement réels, car il leur faut se déplacer, photocopier des documents, payer des honoraires d’avocat, etc. avant que le bout du tunnel soit en vue.

Toutefois, tout en compatissant à la douleur de Pierre, en appréciant à sa juste valeur la manière dont il a géré la situation et en souhaitant qu’une issue judiciaire conforme au droit et à la justice soit donnée à cette affaire, nous voudrions lui faire partager le point de vue que nous avons à propos de ce genre de conflit. Il peut ne pas être de notre avis, c’est son droit, mais il aura tout de même connu l’avis d’un élément de l’opinion sur la manière de relater et de qualifier les faits. Cela dit, venons-en au vif du sujet :

dans le cri de détresse de Pierre, nous avons compris que ce sont les Peulhs qui sont les responsables du deuil que lui et sa famille vivent aujourd’hui ;
le mot Peulh a, en effet, été employé, sauf erreur de notre part, huit fois dans le texte.

Certes, ce sont des Peulhs qui ont attaqué Albert, Karim et Hamidou ; certes, la justice doit situer les responsabilités et les punir conséquemment, mais ce n’est pas parce qu’il est Peulh que le petit ‘’a laissé’’ son troupeau envahir le champ de Karim, ce n’est pas parce qu’ils sont des Peulhs qu’ils ont "volé au secours" du "petit Peulh", et ce n’est pas parce qu’ils sont Peulhs qu’ils ont blessé Karim et Hamidou et battu mortellement Albert. Alors, c’est parce qu’ils sont quoi, nous demanderiez-vous ?

Eh bien, c’est parce que le "petit Peulh" est un éleveur, c’est parce que ceux qui l’ont accompagné pour commettre ces actes abjects sont également des éleveurs et c’est parce qu’enfin cette bande d’agresseurs sont des éleveurs. Autrement dit, ce qui est à la base de ce drame est lié au mode de production, qui secrète également, à son tour, une culture. Les uns, la famille de Pierre, sont des agriculteurs sédentaires tandis que les autres, les Peulhs, sont des éleveurs nomades selon la saison. Le mode de production des uns est agricole, celui des autres est pastoral.

Les membres de la famille de Pierre n’auraient pas été des agriculteurs qu’ils n’auraient pas exploité des champs et qu’il n’y aurait pas eu d’affrontement. Les Peulhs n’auraient pas été des éleveurs qu’ils n’auraient pas eu de bétail susceptible de causer du tort à Karim et donc d’engendrer les péripéties qui ont conduit à la mort d’Albert. Ce n’est pas tant le paramètre ethnique que l’appartenance à un mode de production qui est ici déterminant.

Ramener donc les choses à une affaire de Peulhs sans dire à quelle ethnie appartiennent les gens d’en face soulève un problème de parallélisme des formes, peut déteindre négativement sur tous les Peulhs alors que tous ne sont pas éleveurs et que tous les éleveurs peulhs ne sont pas comme ce "’petit"’ et ses compères. On peut supposer que, vu le patronyme de Pierre, à savoir Sawadogo, sa famille est moaga même s’il n’y a pas que les Mossé qui portent le nom Sawadogo. Or, il est arrivé que des troupeaux de gros ruminants appartenant à des Mossé saccagent des champs appartenant à des non-Mossé avec des conséquences moins graves, mais dont les autorités judiciaires se sont saisies ; pour autant, il n’a jamais été question de Mossé, mais d’éleveurs.

Autre élément : dans le cadre d’une certaine division ethnique du travail au regard des difficultés qu’impliquent le fait d’être agriculteur et éleveur à la fois dans le contexte traditionnel, les agriculteurs confient souvent leurs gros ruminants aux éleveurs et, en retour, ces derniers, en plus du lait, reçoivent de la part des premiers des céréales. C’est dire qu’un agriculteur qui fait le choix d’être un éleveur n’aura plus de céréales à moins d’échanger le lait ou l’argent généré par la vente de ce lait contre ces céréales. Et un éleveur qui décide de devenir un agriculteur aura à se demander comment "garder ses bœufs".

Au regard de ces éléments et compte tenu du souci de sauvegarder la paix au sein et entre les composantes de la nation burkinabè, nous pensons qu’il n’est pas judicieux, surtout dans le cas des délits ou des crimes, de s’appesantir sur l’appartenance ethnique des coupables ou présumés tels. A la limite, peut-on communiquer les noms des intéressés ; ce qui a l’avantage de ne concerner qu’eux seuls sans que le nom se rattache à leur ethnie : s’il y a des Koussoubé et des Karambiri Mossé, il n’y a pas de raisons qu’il n’y ait pas de Ouédraogo et de Zongo Gourounsi et ainsi de suite. C’est pourquoi en Europe, les médias ne s’appesantissent pas trop sur la race des coupables dans les affaires de simples délit ou de crime même si ce n’est pas le cas de la police. Sachons donc en retenir la leçon.

Z.K.

L’Observateur

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