Actualités :: Kassoum KAMBOU : Rôle et place du juge dans notre société

Quel est ou quel devraient être le rôle et la place du juge dans notre société ? La question semble superflue, mais elle vaut tout de même la peine d’être posée. Dans toute société humaine organisée, on a toujours eu recours à un juge (qu’il soit d’essence divine ou humaine). Quand il n’y a pas de juge, chacun devient juge et on se retrouve alors dans la loi de la jungle. Ce qui signifie que la Justice est un service public essentiel pour la survie de la société.

Sans elle, le risque de désintégration est très grand. Le juge ne se contente pas d’être un simple arbitre. Il doit être juste, c’est-à-dire impartial. En Afrique d’avant la colonisation, la Justice était rendue par une personnalité respectée et écoutée à cause de son impartialité.

Le constat aujourd’hui est que notre Justice a pris un sérieux coup pour sa crédibilité : soumission au pouvoir politique, corruption, lenteur, manque de moyens, etc.

1- Fondement juridique et rôle de la Justice

Mais que doit être le rôle du juge dans une société démocratique et quels sont le fondement et la justification de son indépendance ?

Le peuple burkinabè, dans le préambule de la Constitution du 11 juin 1991, s’est engagé à préserver ses « acquis démocratiques » et à « édifier un Etat de droit... ». Dans un tel système, le juge joue un rôle central. En effet, l’article 124 stipule que « le pouvoir judiciaire est confié aux juges ». Et l’article 125 dit quel est le rôle du pouvoir judiciaire : « le pouvoir judiciaire est le gardien des libertés individuelles et collectives ». Mais seulement, quand on arrête un moment son regard sur le fonctionnement de notre Justice aujourd’hui, on se pose bien des questions. Le juge lui-même a-t-il conscience de ce rôle ? Le pouvoir politique a-t-il conscience de ce rôle ? La société a-t-elle conscience de ce rôle ? Le juge est-il réellement indépendant ?

La nécessité de l’Etat de droit et l’explosion de la demande de droit vont conduire les magistrats à intervenir de plus en plus dans tous les domaines, tant en matière civile, administrative que pénale. Le juge ne sera plus désormais le gardien des libertés individuelles et collectives, mais sera appelé de plus en plus à être « le gardien de toutes les promesses ». Cette judiciarisation croissante de la société trouve son origine dans l’effritement des structures traditionnelles de régulation sociale, lié notamment à l’éclatement de la famille, à l’affaiblissement de l’école, à la montée de la précarisation et au recul de la religion. Comme l’a si bien dit le Procureur général près la Cour de cassation de France, « chaque homme veut trouver dans la justice un moyen d’atténuer les douleurs de la vie, quelle qu’en soit l’origine.

Depuis le handicap de la naissance jusqu’à l’accident de montagne, en passant par des difficultés d’emploi ou de logement, toutes les misères que l’on rencontre dans l’existence doivent trouver réparation grâce à l’intervention du juge ». L’indépendance effective du juge devient primordiale pour la consolidation de l’Etat de droit et le renforcement de la paix sociale. En effet, dans tout pays qui se targue d’être démocratique, la Justice doit s’exercer sans délais ni privilèges et elle doit avoir pour fin ultime de garantir la vie et le bien commun, deux valeurs essentielles fondant la vie en société.

2- Notre responsabilité à tous

Quand, aujourd’hui dans notre pays, un justiciable, désabusé, dit : « je préfère régler mon problème avec mon adversaire plutôt que d’aller devant le tribunal parce que là-bas, si vous n’avez pas d’argent, vous n’avez pas de chance de gagner votre procès... », il y a de quoi s’interroger. On se croirait dans les fables de La Fontaine (Les animaux malades de la peste) où « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». C’est vrai que le métier de juge aujourd’hui dans nos pays africains surtout n’est pas facile : la tentation est grande dans un contexte de pauvreté généralisée et la crainte est aussi grande dans un contexte de peur généralisée.

Pourtant, chacun a intérêt à ce que la Justice fonctionne bien et à ce que le juge soit réellement indépendant. Chacun doit se rappeler que chaque tentative d’empêcher cela est une violation d’un principe sacré naturel : le droit à la justice et une violation flagrante des droits humains : le droit à la justice, donc une violation de la Constitution de notre pays qui dit que « le pouvoir judiciaire est indépendant » (article 129), une violation de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples qui dit que toute personne a « le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale » (article 7-1d) et enfin, une violation de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui dit que « toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale contre elle » (article 10).

En effet le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule qu’« il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression » et que l’article 3 de Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples précise que « toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi » et « ...ont droit à une égale protection de la loi ».

S’il est vrai que c’est au juge en premier à se battre pour acquérir son indépendance réelle, chacun devrait s’interroger sur ce qu’il peut faire pour apporter sa contribution à un fonctionnement plus harmonieux de notre société en défendant une justice plus indépendante réellement à l’abri de la domination du pouvoir politique et du pouvoir d’argent. Nous devons retenir, chacun à son niveau que le juge doit craindre le peuple au nom de qui il dit le droit et à qui il devra rendre compte, que le politique doit craindre d’avoir à répondre demain, lui qui est si éphémère, et enfin que les membres de la société doivent craindre pour leur cohésion si tous ne sont pas égaux devant la loi. Tous, nous devons craindre le jugement de l’histoire.

Au total c’est à une réflexion commune à laquelle nous devons nous atteler maintenant et tout de suite avant qu’il ne soit trop tard. Devrions-nous enfin nous résoudre à nous battre pour la réalisation d’une société plus juste ou faudrait-il attendre que d’autres viennent dire le droit à notre place, comme par exemple le Tribunal pénal international ou la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ?

* Magistrat Conseiller à la Cour de cassation, "éditorialiste du mois" de Sidwaya

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