Actualités :: Développement : "Les ONG, une nouvelle bouffe ?"

M. Alfred Sawadogo, de l’ONG SOS Sahel International, s’interroge, dans ce point de vue, sur la
problématique de la gestion du mouvement associatif dans
notre pays en particulier des ONG.

Le titre n’est pas de moi. Il provient d’un article paru dans un
hebdomadaire d’un pays voisin dans les années 90. L’auteur
fustigeait les promoteurs des ONG de son pays plus soucieux
de se remplir les poches que de travailler pour les plus pauvres.
Aujourd’hui que j’assume la présidence d’une importante
association, je m’interroge sur la problématique de la gestion du
mouvement associatif dans notre pays.

Une opinion publique mal informée

En juin 2003, au sortir des
assises de SOS Sahel International Burkina à l’issue
desquelles je fus élu à la tête de l’organisation, une personne
de mes connaissances me félicita chaleureusement en
s’écriant : "Enfin , tu as eu la bouffe" ! J’étais simplement
interloqué ! De quelle bouffe parlait-elle ? Et, peu de temps après,
je ne cessais d’être sollicité qui pour un "bon d’essence", qui
pour "un dépannage".

Face à mon incapacité à satisfaire ces
sollicitations, mes interlocuteurs visiblement déçus ne
comprennent pas que tout un président d’une ONG
internationale ne puisse faire un geste d’apparence aussi
banale. Cela traduit un profond déficit d’information de l’opinion
publique sur les principes de la gestion des associations dans
notre pays. On ne peut pas dire que la faute incombe au public. Il faut rechercher la faute du côté des ONG qui n’ont pas
entrepris d’informer le public sur leurs principes de gestion.

Elles sont nombreuses les ONG qui sollicitent les médias afin
de montrer au public leurs réalisations ; mais sur leur gestion,
presque rien ne transpire. Et si l’on s’en tient à leurs va et vient
en véhicules de toutes marques, l’opinion peut conclure que ces
gens-là dont la mission est de lutter contre la pauvreté des
pauvres du pays ont surtout commencé à lutter contre leur
propre pauvreté. Quoi donc de plus normal que je sois sollicité
comme celui qui a accédé à la bouffe facile et, perché sur le
cocotier, doit faire des gestes de solidarité, voire même des
gestes de largesse pour prouver que désormais, ce n’est pas
l’argent qui manque...

La pratique de gestion à SOS Sahel International

SOS Sahel International gère trois programmes situés
respectivement dans les provinces du Ioba, Kourwéogo et Bam.
Le montant annuel des financements cumulés de ces trois
programmes est de 150 à 200 millions de FCFA, avec à court
terme un espoir d’un nouveau programme de santé dans le
Lorum pour environ 150 millions de FCFA à exécuter en 18
mois. Ce financement sera assuré par un consortium
composite de 4 ou 5 partenaires complémentaires.

Pour les
programmes en cours, les partenaires financiers sont ; SOS
Sahel international France, l’Union Européenne, Agro-Action
Allemande, avec un partenaire technique, le DED (service des
Volontaires Allemands pour le Développement). Chacun de ces
programmes est géré sur le terrain par un coordinateur de projet
assisté d’un animateur.

Ce sont ces deux salariés par projet qui
assistent les organisations paysannes locales pour l’exécution
des activités prévues : activités de réhabilitation de
l’environnement, des activités de productions, des activités de
santé, des activités de crédit, etc. Pour donc nos trois
programmes, nous disposons au total de six employés
salariés.

Pour la coordination générale, un directeur exécutif et un
gestionnaire comptable, tous deux employés de l’association et
basés à Ouagadougou, conduisent la marche quotidienne de
l’association, avec un personnel de soutien : secrétaire,
chauffeurs. C’est ce directeur exécutif de SOS Sahel
International composé de 5 (cinq) membres. Et à son tour, le
Bureau Exécutif rend compte au Conseil d’Administration de 18
(dix huit) membres qui à son tour rend compte à l’Assemblée
générale. Pour faire simple, l’Assemblée Générale est
convoquée une fois l’an, le Conseil d’Administration une fois par
trimestre et le Bureau Exécutif chaque mois et autant de fois que
de besoin.

C’est donc une quête permanente de transparence à
l’intérieur de la structure et aussi une quête permanente de
rigueur de la gestion financière. Pour ce faire, le trésorier de
l’association opère des contrôles sur les différents actes
comptables et autres caisses et un commissaire aux comptes,
professionnel recruté et payé en permanence sur la régularité
des écritures et sur la véracité des dépenses : un arsenal de
contrôle de gestion qui préserve des malversations de toutes
sortes.

Les avantages matériels des membres de l’association

Les fonctions assumées par les membres du conseil
d’administration et du Bureau Exécutif sont gratuites.
Cependant, en raison des frais que nous encourons dans
l’accomplissement quotidien de nos charges, moi et les
membres du bureau exécutif, au nombre de cinq, percevons
chacun une dotation mensuelle de 19200 FCFA (dix neuf mille
deux cents) soit 29 Euros.

Ces dix neuf mille deux cents francs chacun sont censés compenser les frais de téléphone et de carburant que chacun engage quotidiennement pour la bonne
marche de l’association. En effet, nous donnons donc une partie
de notre temps à l’association, mais avec inévitablement de
nombreuses communications téléphoniques à partir de nos
domiciles ou de nos bureaux et des visites nombreuses et
régulières au siège de l’association.

Tout cela comporte des
coûts assumés au niveau de chacun de nous que l’association
essaie de compenser en versant à chacun une indemnité de 19
200 FCFA par mois. Vous savez bien qu’avec ces indemnités-là,
il n’est pas possible de distribuer des "bons d’essence" et
d’autres prodigalités ! Egalement, à l’occasion des réunions
trimestrielles du conseil d’administration, une indemnité de 10
000 FCFA est versée à chaque membre pour achat de
carburant, que vous disposiez d’un engin à deux roues ou d’une
voiture. C’est un choix que nous avons fait pour être dans l’esprit
de la nature même des associations qui sont
fondamentalement des organisations à but non lucratif.

En
s’engageant dans une association, c’est à soi-même que l’on
donne l’idéal que l’on veut atteindre : aider les plus pauvres en
se posant garant de la bonne gestion des ressources que l’on
reçoit au nom des plus pauvres. C’est l’argent de la pauvreté,
sacré en ce sens que les donateurs en toute confiance nous ont
donné cet argent afin qu’il soit acheminé en toute intégrité
auprès des plus pauvres. Et que les plus pauvres en fassent
bon usage pour se sortir de leur situation de précarité.

Réussir
ce défi, c’est là toute notre ambition. L’argent donné pour les
pauvres est sacré parce que cet argent tombe dans le domaine
public, et la chose publique est sacrée. C’est simplement
honteux de prendre pour soi le bien des plus pauvres.

<B<Les déviations

Il est des cas d’associations où les fondateurs et d’autres
administrateurs se retrouvent salariés de l’association qu’ils ont
fondée. C’est une déviation de l’esprit non lucratif des
associations. Dans ces conditions, qui fait le recrutement ? Le
fondateur se recrute !

La fixation de son propre salaire ainsi que
les autres avantages deviennent une affaire subjective en
attendant que toute l’association devienne quasiment une affaire
personnelle à caractère d’entreprise commerciale dont on est
soi-même une espèce de PDG qui ne dit pas son nom. Il n’est
alors pas possible d’instaurer une démocratie dans la gestion,
une gestion plus opaque que transparente. Négocier les
financements dans ces conditions devient difficile parce que
soi-même on est intéressé. Alors que dans les cas où les
fondateurs et les administrateurs n’ont aucun intérêt personnel
à défendre, comme dans le cas de SOS Sahel international
Burkina, les négociations de financement pour les programmes.

Quand les partenaires financiers envoient leurs propres
auditeurs, nous n’avons aucun souci à nous faire parce que
nous avons la certitude que nos comptes s’inscrivent
rigoureusement dans les normes. Et , nous sommes fiers que
dans cet environnement plein de suspicions, la bonne gestion
financière constitue un de nos atouts majeurs qui fondent la
confiance des bailleurs de fonds. Souvent, on constate que la
création de l’association est plus pour s’offrir une situation
professionnelle enviable que la poursuite d’un idéal altruiste au
profit des autres.

Dans beaucoup de pays qui ont connu les
compressions des entreprises et des fonctions publiques, les
déflatés ou les retraités se précipitent pour constituer des ONG
dans l’espoir de pouvoir arrondir des fins de mois difficiles. Ce
sont ces ONG-là qui, une fois le premier financement obtenu,
n’en recevront plus jamais d’autres parce qu’ils ont littéralement
croqué l’argent, sans aucune réalisation significative pour les
pauvres.

On ne constitue pas une ONG pour se faire soi-même
un emploi ! C’est une escroquerie déguisée. Si l’on veut se créer
un emploi, la loi vous le permet, et c’est une entreprise à but
lucratif qu’il faut créer, non une ONG. Je ne dis pas que les ONG
ne créent pas des emplois ; mais ces emplois-là, c’est pour les
autres. Et vous, fondateurs et administrateurs, vous restez des
sentinelles de l’organisation pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de
déviations et que le cap soit toujours bien tenu.

Le parc automobile des ONG

Par exemple, la gestion du parc automobile des ONG est un
véritable désastre, pas loin de celui de l’Etat de toujours. Dans
le système des rapports entre l’Etat et les ONG établi dans un
contexte particulier en 1984, notre préoccupation à l’époque (j’en
étais le responsable) était de créer un environnement de liberté
d’action pour les ONG.

Il fallait absolument éviter que les avatars
de la Révolution ne perturbent le fonctionnement de ces
mouvements associatifs sur le terrain en leur laissant toute
initiative dans l’action. De ce fait, les ONG ont gardé la
jouissance de leurs libertés pleines et entières et aucune
incursion de l’Etat révolutionnaire n’est venue perturber leur
quiétude.

Aujourd’hui, les ONG se sont fondues dans
l’anonymat. De leurs véhicules naguère immatriculés avec le
sigle bien distinct "ONG", rien n’est maintenant apparent : ce
sont des véhicules banalisés ou au plus immatriculés en "IT".
Des véhicules utilisés comme des propriétés personnelles,
dans les mêmes conditions que les véhicules de l’Etat, et cela
semble ne déranger personne.

A SOS Sahel international Burkina, nos deux véhicules de tournées sont d’un usage strict
pour le service. Aucun administrateur, pas plus que le président
que je suis, ne peut s’arroger le droit d’en faire un usage
personnel. Les véhicules sont donc garés au service pendant
les jours non ouvrables et garés le soir au service après le
travail.

Les responsables des ONG qui emploient les véhicules
pour leur usage personnel vont à l’encontre de l’esprit du
mouvement associatif qui prône l’esprit de service, d’abnégation
et le don de soi. Tirer des privilèges du fait de sa position au
sein d’une ONG est une déviation grave. Tous les biens des
ONG appartiennent aux pauvres. C’est une erreur qu’il faut vite
corriger.

Comment nous, ONG , l’une des composantes de la
société civile et non la moindre, pouvons-nous critiquer le
Gouvernement dans certains de ses manquements si
nous-mêmes, nous ne sommes pas exempts des défauts que
nous voulons dénoncer ? Si nous voulons faire des propositions
crédibles au Gouvernement, et c’est le rôle de la société civile, il
faut que nos pratiques soient conformes à nos discours... La
bonne gouvernance, ce n’est pas seulement au niveau du
gouvernement qu’il faut l’instaurer !

Pour une nouvelle crédibilité morale

Au Burkina, les gouvernements successifs ont créé ou préservé de larges libertés aux ONG.
Nous avons toujours affirmé la
complémentarité des efforts entre ceux de l’Etat et ceux du
mouvement associatif. Nous constatons que les crises
financières et économiques ainsi que les guerres qui secouent
assez souvent le monde produisent des impacts négatifs sur le
flux financier au détriment des ONG au Burkina. L’argent est de
plus en plus rare et beaucoup de programmes d’ONG ferment
les uns après les autres.

Plus de 300 ONG ont été enregistrées
à la Direction de Suivi des ONG, mais très peu disposent encore
de programmes conséquents sur le terrain. Quand la gestion
n’est pas transparente, les donateurs finissent pas estomper
leurs appuis et ce n’est que justice. Nous devons déployer de
nouveaux efforts, pour aller à la conquête d’une nouvelle
crédibilité morale.

Dans un contexte où la corruption et les
détournements sont devenus des faits divers de société, les
organisations de la société civile doivent donner des gages de
gestion irréprochables de leurs propres affaires avant de se
tourner vers le gouvernement pour dénoncer ses insuffisances.

Ouagadougou, le 1er mars 2004

Sawadogo Alfred

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