Actualités :: Mini saison de tracts au Faso : les sous-entendus de ce type de (...)

Des tracts qui circulent au sein de l’armée burkinabè pour mettre en garde ceux qui, en son sein, seraient tentés de la diviser sur des bases politiques ; c’est ce qui a défrayé la chronique dans l’opinion il y a quelque temps. Qui en sont les auteurs ? Pourquoi une telle littérature dans les milieux de la grande muette (en apparence au moins) de la part de militaires favorables au régime Compaoré ?

Questions difficiles, ces interrogations le sont dans la mesure où le propre de cette littérature, c’est de ne jamais dévoiler ses auteurs et les intentions réelles de ceux-ci. Mais nous allons essayer, au regard du contexte politique actuel du pays, de donner notre compréhension.

Sauf erreur de notre part, le premier printemps des tracts dans l’armée a eu lieu au début des années 80 quand ses ailes "réformiste" incarnée par les colonels Saye Zerbo, Barthélémy Kombasséré, etc., et "révolutionnaire" représentée par le commandant B. Jean-Baptiste Lingani et les capitaines Thomas Sankara, Blaise Compaoré et Henri Zongo, étaient, chacune de son côté, en train de concocter sa stratégie de prise du pouvoir face à la tendance "conservatrice" que constituaient les généraux Baba Sy, Bila Zagré et le colonel Yorian Gabriel Somé.

Selon ce que nous en savons, les "révolutionnaires" ont été le premier courant à utiliser cette littérature souterraine, expérimentés qu’ils étaient "grâce" à la tradition dans ce genre de milieu et à la jonction qu’ils avaient opérée avec le Parti africain de l’indépendance (PAI) et sa vitrine officielle, la Ligue patriotique pour le développement (LIPAD), des syndicats de travailleurs et le mouvement étudiant.

Du reste, il est connu que, cultivant le "clandestinisme" à tout va (du fait du mythe que l’on peut construire autour de soi) au nom de la crainte d’une certaine répression, les organisations politiques et de masse d’obédience gauchisante ont toujours préféré ce genre d’armes au combat à visage découvert. Certes, on ne peut pas nier le fait qu’une droite conservatrice au pouvoir constitue un danger indiscutable pour les organisations de la mouvance révolutionnaire et que, pour cela, agir en plein jour s’apparente à de l’aventurisme.

Mais l’on peut reprocher à ces organisations de cultiver outrancièrement ce "clandestinisme". Avant de continuer notre réflexion, une mise au point s’impose : nous n’avons ni l’intention, ni les moyens de faire le procès des révolutionnaires qui, du reste, ont mis ce pays sur un rythme de croissance économique rarement égalé ; quand bien même il faut regretter le lourd bilan humain en matière de droits humains.

Mais autant il ne faut pas célébrer avec flagornerie son histoire, autant il ne faut pas avoir honte de son passé. Il importe simplement d’accepter, avec humilité et sans complaisance, d’en faire la critique et sa propre autocritique (du moins pour ceux qui en ont été des acteurs). C’est là notre ambition. Cela étant, quand des tracts commencent à faire leur apparition au Burkina, c’est que dans la plupart des cas, il se profile un changement majeur à l’horizon.

Et si les tracts dont il est question au sein de l’armée mettent en garde ceux qui veulent la diviser, peut-être les auteurs veulent-ils accuser Kouamé Lougué ou dissuader certains inconditionnels du général de tenter quoi que ce soit.

Les tracts, une constante dans l’histoire récente du pays

Ainsi donc, la rédaction, la démultiplication et la ventilation des tracts ont d’abord été le fait de la période de gestation de l’Etat d’exception (surtout révolutionnaire) ou de cet Etat lui-même. Effectivement, même après le triomphe de la RDP (Révolution démocratique et populaire), les tracts n’ont cessé de paraître. A la limite, leur parution a-t-elle connu une suspension pour reprendre à la veille du premier anniversaire.

Là, les cibles n’étaient plus les "valets locaux de l’impérialisme international notamment français" , puisque les médias d’Etat étaient devenus les armes lourdes pour les combattre officiellement. Dans la ligne de mire des révolutionnaires se trouvaient d’autres révolutionnaires : chacun des camps luttant avec tous les moyens qu’il pouvait se procurer pour être hégémonique. Ainsi, en août et début septembre 1984, des tracts orduriers circulaient qui s’en prenaient au PAI alors hégémonique (parmi les groupuscules communistes au sein du Conseil national de la révolution (CNR).

Aujourd’hui, certains acteurs de l’époque reconnaissent que les tracts étaient commandités et rédigés par des milieux proches d’au moins un des camps suivants : Union des luttes communistes reconstruites (ULC/R), Organisation militaire révolutionnaire (OMR), Regroupement des officiers communistes (ROC) et (ce qui allait devenir plus tard) Union des communistes burkinabè (UCB).

La "clarification" opérée en fin septembre 1984, qui signifiait l’éjection du PAI, et la répression qui s’est abattue sur nombre de ses militants apparaissent comme le dénouement d’une crise d’abord latente puis ouverte dont les tracts étaient un des baromètres. L’histoire se répétant, quand l’UCB, dans sa marche victorieuse vers la conquête du pouvoir, a utilisé, à partir de juillet 1987, la voie des tracts (appuyée par des conférences et les remous au sein des ministères de l’Information et de la Culture, des Transports et de l’Equipement, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique entre militants des deux groupuscules) contre l’ULC/R et la fraction pro-Sankara du CNR, c’était dans l’ordre normal des choses.

Et c’est sans surprise (du moins pour ceux qui étaient au courant de la lutte féroce en cours) que la tragédie du 15-Octobre eut lieu. C’est également sans surprise que cette voie a été empruntée sous la transition démocratique et au lendemain du 13 décembre 1998, mais sans pouvoir déboulonner l’enfant terrible de Ziniaré, qui, en la matière, est loin d’être un profane.

L’Etat de droit sans la société de droit

Pourquoi les Burkinabè affectionnent-ils tant les tracts ? A cette question, il est difficile d’apporter une réponse ou une liste fermée de réponses. Nous allons alors en proposer quelques-unes auxquelles chacun ajoutera (ou substituera) sa ou ses réponses. A ce propos, il faut d’abord faire observer que chaque être humain (surtout chaque Burkinabè) renferme dans sa personnalité un côté sadique qui fait que même s’il ne peut pas exulter face au malheur de son prochain, il se surprend en train de penser ou même de dire que "C’est bien fait pour lui, il était ceci, il était cela, il avait tel défaut ; il n’est pas surprenant que ce malheur lui arrive ; il l’aura voulu..." Ce trait de la personnalité est d’autant plus accentué au Pays des gens intègres que nous vivons dans le monde de la pénurie ; tant et si bien que ceux qui sont relativement aisés ou ont de la promotion font en général l’objet de jalousie qui ne dit pas son nom. Alors, si parmi ces derniers, certains font faillite ou sont limogés ou encore commettent des erreurs (supposées ou réelles), ceux qui, pour une raison ou pour une autre, n’étaient pas contents de leur "aisance" ou de leur promotion ne se priveront pas de commentaires désobligeants. Avec une telle prédisposition d’esprit, les tracts se révèlent être la voie royale d’expression de la jouissance que les uns ressentent face au malheur des autres ou des souhaits de malheur formulés à l’encontre de ceux qu’ils ne portent pas dans leur cœur. En situation d’enjeux politiques majeurs, la violence du style et les insanités augmentent. Mis à part cet aspect psychologique qui fertilise l’inspiration des rédacteurs des tracts, il y a la tradition : les tracts sont des armes qui ont montré leurs preuves en 1980, 1982, 1983 dans la mesure où ils ont contribué à opérer des changements politiques majeurs dans notre pays. Est-il facile d’abandonner des méthodes qui se sont révélées efficaces ? La seconde nature qu’est l’habitude, ajoutée à l’efficacité de l’arme, fait qu’elle restera affectionnée encore quelque temps. Une autre explication, qui est loin d’être des moindres, est la prédilection dont fait l’objet cette communication laissant penser que bien que nous soyons dans un Etat de droit, nous ne sommes pas dans une société de droit. En d’autres termes, nous n’avons pas confiance aux institutions politiques (Assemblée nationale), sociales (les médias) et à la classe politique (censée répondre aux préoccupations des citoyens). C’est aussi l’expression du fait que plus d’une décennie d’Etat de droit n’a pas suffi à effacer les réflexes des Etats d’exception faisant ainsi devancer les faits par le droit. Ce droit apparaît (au moins sur ce plan), en avance sur la pratique des citoyens et témoigne de la réalité selon laquelle à l’échelle de l’appareil et du pouvoir d’Etat, le droit gouverne le monde, mais qu’au niveau du citoyen et de la société, le droit n’est pas forcément la chose la mieux partagée. En effet, les rédacteurs savent qu’aucun média n’inscrit l’expression par voie de tract dans leur stratégie de communication. Même quand cela ne se justifie nullement. Si donc dans les milieux civils où l’on dispose de plus de liberté, ce type de communication est affectionné, l’on comprend aisément que dans les milieux militaires où la discipline est stricte il y avait peu de possibilité (surtout pas pour défendre ce genre d’idée) de s’exprimer contre l’ordre établi. Les tracts restaient l’une des rares voies pour ne pas dire la seule. Toutefois, il est une autre raison qui explique l’utilisation de cette communication : en lisant les tracts, on s’aperçoit très vite que c’est moins l’argumentation que les insanités qui sont priviligiées : injures, traficottage des faits, calomnies, bassesses..., tout y passe ; l’essentiel étant de faire mal, c’est-à-dire de mettre l’adversaire hors de lui-même ou de l’abattre psychologiquement. En tract, la vérité compte moins que l’effet des injures qui placent la victime dans une espèce de psychose puisque ne sachant pas d’où viennent les coups, ou bien que devinant leur origine, elle ne peut poser la question à personne ou en faire le reproche à personne. Généralement, les tracts préparent les esprits à un changement. Celui-ci peut ne pas intervenir, mais cela ne remet pas en cause la réalité de l’objectif initial qui était de changer le cours des choses. Dans notre cas, en partant de l’hypothèse selon laquelle les auteurs des tracts sont favorables au gouvernement, cela peut signifier, entre autres choses, que le général Kouamé Lougué, limogé pour, selon une certaine rumeur, avoir été tenu au courant des intentions des présumés putschistes sans qu’il en ait informé sa hiérarchie, risque d’avoir de sérieux ennuis judiciaires. Autrement dit, son cas serait plus sérieux que ça n’en a l’air. A la lumière de tout cela, l’armée n’étant ni un corps au-dessus, ni à côté de la société, mais, de par sa composition, représentative de celle-ci, l’on ne s’étonne pas de ce que les tracts y soient prisés. Surtout que notre armée a goûté de tout temps au pouvoir politique avec ses privilèges et ses honneurs. Toutes choses dont il est difficile de se passer quand on y a goûté une fois. Reste au temps de nous prouver que ceux qui, au sein de l’armée, mettent en garde ceux qu’ils pensent vouloir diviser la "grande muette" œuvrent vraiment pour la stabilité de nos institutions et que ce n’est pas de la diversion pour servir d’autres causes.

Zoodnooma Kafando
L’Observateur Paalga (11/02/04)

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