Actualités :: Richard Belemkoabga : Mythomane ou manipulateur ?

Propulsé au-devant de la scène nationale au lendemain du drame de Sapouy, Richard Bélemkoabga, pour certains, a pu être celui qui aurait appâté Norbert Zongo lors de ce voyage fatidique du 13 décembre 1998. Il est vrai qu’il donnait l’impression d’en savoir un bout sur cette affaire, au point d’être tour à tour utilisé, au début de la crise, par le collectif et le pouvoir qui ont, par moments, pensé qu’ils pouvaient en tirer quelque chose.

Et si finalement, l’énigmatique Bélemkoabga, qui n’est certainement pas bête, était un vulgaire mythomane ou un dangereux manipulateur ? Un beau matin de la semaine dernière, il nous a rendu visite pour parler de la tentative présumée de putsch, à l’occasion de quoi son nom est de nouveau revenu dans certains écrits. Mais alors qu’on pensait qu’il avait des choses à dire, hormis ses certitudes, le sieur Bélemkoabga n’en menait pas large.

Qu’est-ce qui vous amène à l’Observateur ce matin ?

• Echanger avec vous sur certains aspects de la situation nationale.

Quel commentaire faites-vous donc de cette situation nationale ?

• Ma première réaction est de déplorer la tentative de coup d’Etat qui a été révélée début octobre par le procureur général.

Qu’est-ce qui vous permet de dire qu’il y a réellement eu tentative de coup d’Etat, en d’autres termes, qu’est-ce que vous en savez ?

• D’abord, je dirais que nous sommes dans un Etat de droit. Arbitrairement, on ne peut décider d’arrêter 17 personnes. Parmi les 17, il y a un civil et une personnalité politique : il s’agit de Norbert Tiendrebéogo qui, lors des dernières élections, n’a pas eu ne serait-ce qu’un député. Est-ce que cette personne est à craindre pour que l’on monte une cabale afin de l’arrêter ? Quant à l’autre civil, qui est pasteur, pensez-vous également qu’on puisse l’inquiéter pour rien ? J’ai la même perception des choses pour les 15 restants. Moi, je m’en tiens donc aux déclarations du procureur du Faso.

Vous les prenez donc pour paroles d’évangile ?

• Tout à fait. C’est avant tout la Justice qui est garante de la stabilité du pays. La justice ne peut pas être complice de certaines manipulations.

Cette justice est tout de même accusée d’être aux ordres.

• Seulement, moi je reste convaincu que c’est sur la base d’éléments probants que ces personnes ont été interpellées.

Vous justement, avez-vous des éléments en votre possession, qui fondent votre jugement ?

• C’est difficile de le dire, n’étant pas militaire. La justice fait son travail.

Qu’est-ce que vous faites aujourd’hui, quelle activité exercez-vous ?

• Je suis en quête d’emploi comme tout jeune. Parallèlement à cela, je fais du commerce, je voyage...

Vous êtes dans les affaires donc ; mais quel genre d’affaires ?

• Je vends ce qui peut me rapporter quelque chose : des jeans, des appareils DVD, etc.

Nous allons vous poser une question un peu brutale : êtes-vous toujours indicateur des forces de sécurité ?

• Je n’aime pas ce mot "indicateur"...

Disons collaborateur alors !

• Comme tout citoyen ! Comme tout bon citoyen, c’est un devoir de collaborer avec les forces de sécurité.

Mais certains plus étroitement que d’autres !

• Peut-être ! En fonction de leurs relations avec les membres de ces unités.

Cette collaboration consiste en quoi ?

• Cela peut avoir une grande dimension. Je prendrai l’exemple du putsch manqué. Si j’avais été au courant de ça, j’aurais été le premier à vendre la mèche parce que si ce coup avait marché, il nous aurait ramenés des années en arrière. Les gens devraient comprendre que ce coup n’aurait pas touché le chef de l’Etat seulement ! C’est généralement les autres qui sont touchés et il y aurait eu plus de victimes civiles. Donc j’aurais informé qui de droit.

Avez-vous assez d’éléments qui puissent vous conforter dans vos points de vue ?

• Ce sont les soi-disant révélations du nommé Naon Babou. J’ai vu en ces révélations une manière de se défendre. Et cela renforce mes convictions sur la réalité de la tentative de coup d’Etat. Selon les renseignements que j’ai pu obtenir, on sentait vraiment des gens qui se reprochaient quelque chose. Il y avait la peur. Quand on ne se reproche rien, je pense que l’on ne doit pas avoir peur, on reste serein. Quand ils étaient à la gendarmerie, la peur se lisait même sur leur visage...

Même quand on n’a rien à se reprocher, on peut avoir peur dans cette situation.

• Moi personnellement, si on m’accuse d’avoir comploté et que je n’ai rien à me reprocher, je crois à la justice divine, je crois aussi en l’homme et je resterai serein.

Ces révélations, on le sait, portent sur les circonstances de la mort de Norbert Zongo (1). Vous qui, à un certain moment, avez été l’acteur-clé dans cette affaire, qu’en pensez-vous ?

• Franchement, je ne pense pas que les propos de Naon soient vrais. C’est un montage.

Qu’est-ce qui vous permet de dire que c’est un montage ?

• Partons d’une simple logique : voici un citoyen qui est en possession d’informations qui peuvent faire tomber la République. Cinq ans durant, il ne dit rien. Maintenant qu’il est arrêté, il se met à dire des choses ; il était même au courant de son arrestation cinq jours avant. Il garde les informations par-devers lui. Il ne se confie pas à la presse. Il attend que ça explose. Il parle d’une affaire très grave pouvant porter atteinte à la sûreté de l’Etat. Il y a dix ans, dans une affaire de coup d’Etat, les gens étaient purement et simplement fusillés.

D’ailleurs, selon des informations émanant des proches de l’intéressé, il ne se reconnaît même pas dans ce qui a été dit. Il se demanderait même pourquoi la presse s’acharne sur lui. Donc soit ces "révélations" ont été montées de toutes pièces, soit c’est une manière de se défendre. Je ne pourrais pas vous révéler ma source, surtout à l’état actuel des choses. Mais je le répète, ce sont des proches de Naon, je vous dirais simplement que ces personnes font partie des éléments chargés de sa sécurité.

Quel intérêt la presse aurait-elle à s’acharner contre lui en inventant des contre-vérités de toutes pièces ?

• Je ne généralise pas ! Le premier jour, quel est l’organe qui a parlé de ça ?

Justement, il ne faut pas particulariser !

• Je veux dire qu’il y a une presse qui a fait de cette affaire ses choux gras...

C’est normal pour un journal de parler d’une affaire qui intéresse l’opinion !

• Je ne dis pas non ! Mais voilà qu’il a été même dit par le procureur que la déposition faite par Naon Babou chez le juge est toute autre. Naon Babou qui, devant le juge, dit des choses opposées à ce qui a été écrit dans les journaux !

Il n’est pas exclu qu’il tienne un double langage !

• Non, il ne peut le faire.

Vous donnez l’impression d’en savoir un bout sur cette affaire ?

• Je vous l’ai déjà dit, ces informations, je les ai eues avec ceux qui assurent sa sécurité ; vous savez que dans ces milieux... En tout cas, je le répète, il ne se reconnaît pas dans les propos qu’on lui attribue.

Connaissiez-vous l’intéressé avant son arrestation ?

• Personnellement, je ne connais pas Naon et tous ceux qui sont arrêtés.

Pourtant, vous semblez vous intéresser à ce problème.

• Comme dans l’affaire Norbert Zongo, j’ai pratiquement parcouru tous les journaux qui en ont fait cas. Ce qui me renforce dans ma certitude que c’est un montage. Ou c’est Naon qui a adopté une stratégie pour se défendre, ou ce sont des gens qui, étant dehors, tirent les ficelles, et font parler Naon. Alors qu’en réalité, il n’a rien dit. Et de sources dignes de foi, il y aurait encore d’autres révélations, signées par Naon, en possession de la structure qui a relayé la première information (Reporters sans frontières). Affirmations qui sont plus graves. Et qu’ils n’ont pas encore diffusées.

Quel est le contenu de ces révélations ?

• Ces révélations accablent plusieurs personnes, dont moi-même.

Pourquoi vous et pas une autre personne ?

• Je ne sais pas ! Moi je ne suis pas militaire !

Qu’est-ce que vous savez au juste de l’affaire Norbert Zongo ? Puisque selon vous, le sergent Naon Babou raconte des histoires, vous, qu’est-ce que vous en savez ?

• Il faut qu’on se comprenne ! Une personne de bonne foi parviendrait à la même conclusion que moi. Norbert a été assassiné à 7 km de Sapouy avec ses...

Ça, on le sait déjà ; mais votre nom est vite apparu dans ce dossier. En tout cas, vous avez semblé être tout de suite un élément clé. Vous avez été un témoin oculaire ?

• Non ! C’est pour plusieurs raisons que mon nom est apparu : d’abord, je connaissais Norbert, qui était un ami. Pour être reçu par lui, je n’avais pas besoin de passer par son secrétariat. On restait seul parfois après que le personnel fût parti. Donc ça, c’est un élément...

Vous étiez un collaborateur des forces de sécurité et en même temps l’ami de Norbert. Qu’est-ce qui nous dit que vous n’étiez pas en train de l’espionner ?

• Qui vous dit aussi qu’à ce moment j’étais collaborateur des forces de sécurité ? Moi, je ne l’espionnais pas. Il avait confiance en moi et je pense qu’il est très méfiant de nature.

Comme on dit, on n’est jamais trahi que par les siens !

• Non, il avait ce flair-là qui lui faisait sentir que ce n’était pas pour lui faire du mal que je le fréquentais.

Dans quelles circonstances vous vous êtes connus ?

• Je voulais écrire un livre sur le Sida. J’ai été le voir, il a lu le manuscrit, il a trouvé que c’était bien. Partant de là, je le fréquentais. Plus tard, je suis parti à Abidjan. De retour, nous avons continué à nous voir. Je partais chez lui, mais la plupart du temps, on se retrouvait dans son service quand le personnel n’était plus là.

Le livre que vous deviez écrire a-t-il jamais paru ?

• Non ! C’est lui qui devait m’aider à le faire, mais comme il est mort...

Cinq années sont passées depuis, et le dossier n’est pas plus avancé. Qu’est-ce que vous en dites ?

• Si le dossier traîne, c’est parce qu’il est complexe. Surtout que l’on n’a pas pris quelqu’un en flagrant délit...

En dehors des faits, pour beaucoup de gens il y a ce qu’on peut appeler des évidences !

• C’est trop facile ! On ne peut conclure comme ça, que c’est le régime qui a fait cela. Il faut avoir le courage de se poser des questions du genre "A qui profite le crime ?" Juste à la sortie des élections, le régime n’avait pas intérêt à le faire.

Mais reconnaissez avec nous qu’il recevait des menaces de temps à autre !

• Des menaces... (hésitations). Mis à part ce qui s’est passé à Kaya où on aurait tenté de l’empoisonner, je ne vois pas. C’est surtout son avant-dernier écrit, "La solution par le mortel", qui traduisait vraiment des menaces et il détenait même, disait-il, des informations selon lesquelles on tentait de régler le problème David soit par son empoisonnement soit par son assassinat. Mais c’était des éventualités.

Quel genre de relation entretenez-vous avec le Collectif ?

• Aucun ! Déjà en 1999.... J’avais pris position. Ils ont été muets pendant un bout de temps avant de réagir. J’avais dit que le rapport de la commission d’enquête indépendante n’était pas un rapport fiable. On a obligé les gens à dire ceci ou cela. Je l’ai dit clairement à travers des lettres.

Comme vous rejetez le rapport de la CEI, quelles sont donc vos conclusions à vous ?

• Je ne peux pas entreprendre mes propres investigations. Je ne suis pas un OPJ ni un juge d’instruction. Avec quels moyens vais-je le faire et dans quel but ?

Finalement, monsieur Belemkobga, vous êtes un mythomane ou un manipulateur ?

• Pour être manipulateur, il faut avoir intérêt à le faire ! Depuis cinq ans, vous avez vu toutes sortes de manipulations : l’affaire Norbert Zongo, le putsch manqué, les révélations de Naon Babou. Ceux qui l’ont fait y ont un intérêt certain. Moi, je n’y ai aucun intérêt. Comme je vous l’ai dit, je n’ai ni ami, ni ennemi. Je n’ai aucun intérêt à manipuler qui que ce soit.

Norbert était quand même votre ami, selon vos dires. Ce n’est pas un intérêt, ça ?

• Comme il n’est plus là, je n’en ai plus.

Donc cinq ans après, vous n’êtes pas avancé sur la mort de Norbert Zongo...

• Comme vous ! Norbert a été assassiné par un inconnu ou par des inconnus. Mais on n’arrive pas à savoir qui c’est.

On murmurait que vous connaissiez ceux qui l’ont abattu et que c’est peut-être même vous qui l’avez piégé

• Oui, je l’ai aussi entendu. Une fois, j’ai ouvert ma boîte à lettres, et il y avait un écrit qui disait à peu près ceci : "C’est toi que l’on a acheté... tu es allé à Sapouy ; dès que Norbert t’a vu... Tu es son ami et tu avais promis à Norbert que n’importe où où il te verrait, qu’il sache que c’est pour lui donner des informations par rapport à son élimination... Il t’a vu dans la forêt de Sapouy. Il a ordonné à son chauffeur de s’arrêter et...". Et l’auteur de la lettre me disait que si j’avais besoin d’argent, il m’offrirait même 20 millions F CFA à condition que j’accepte d’écrire sur ce que je savais. J’ai déchiré la lettre parce que j’ai trouvé que c’était des inepties.

C’est vrai que j’ai été entendu par la commission d’enquête. Et à l’époque, un commissaire, Sy Chériff, directeur de publication de Bendre, a même soutenu que j’ai empoisonné Norbert à Kaya ; pire, il a même prétendu qu’une fois, on m’aurait donné un pistolet pour que j’abatte Norbert dans son bureau et qu’arrivé là-bas j’aurais eu des remords si bien que je n’ai pu le faire...

Où étiez-vous le 13 décembre 1998 ?

• Le 13 décembre, j’étais à Koumbia, à quelque 70 km de Bobo. Je pense que Koumbia est très loin de Sapouy ! Le 14, je suis rentré à Ouaga et j’ai appris la nouvelle. A Koumbia, j’ai logé chez un ami qui gérait le dépôt pharmaceutique de ladite localité. Après, il a eu des problèmes de détournement. Il a même eu des ennuis avec la justice pour cela.

Plusieurs années après, on n’arrive toujours pas à décrypter l’énigme Belemkoabga.

• Pourquoi énigme ? En quoi consiste l’énigme ?

Vous êtes énigmatique, car ou bien vous savez vraiment des choses et vous refusez de le dire, ou bien vous n’en savez strictement rien et vous vous jouez des gens.

• Le peuple a tellement souffert depuis ces cinq ans que si je savais quelque chose, il y a longtemps que j’aurais parlé...

Si on a intérêt à parler !

• Je vous dis que je n’ai ni ami, ni ennemi. J’en avais, mais avant qu’ils ne deviennent ce qu’ils sont aujourd’hui. Là où ils sont aujourd’hui, j’ai des difficultés à m’approcher d’eux. Concernant le dossier Norbert, forcément, me dis-je, un jour il va aboutir.

Entretien réalisé par Ousséni Ilboudo Issa K. Barry
L’Observateur Paalga

(1) Courant décembre, de nombreux journaux de la place avaient publié, on se rappelle, un écrit de Reporters sans frontières (RSF) qui rapportait des propos que le sergent Naon Babou, un ancien du Régiment de sécurité présidentiel (RSP), détenu dans le cadre de la tentative présumée de putsch, aurait tenus devant le juge d’instruction militaire. Le "sergent qui veut faire sauter la république" accusait notamment François Compaoré de ne pas être étranger à l’assassinat de Norbert Zongo et déclarait que ses problèmes ont commencé le jour où il était allé s’ouvrir à l’intéressé de ce problème.

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