Actualités :: François Warin à Christophe D. Dabiré : Le parricide, chemin obligé de la (...)

Dans les lignes ci-dessous, François Warin, ancien enseignant de philosophie au Burkina Faso, "réplique" à Kwesi Debrsèoyir Christophe Dabiré, un de ses anciens étudiants qui lui-même réagissait à un premier écrit de Pr Warin. L’auteur espère ainsi « éclairer certaines questions » et « apaiser les tensions » que le précédant article avait pu provoquer.

J’ai lu et relu le texte de Dabiré si bien prénommé, (en dagara Debsoiyr c’est l’homme qui tient haut et élève la maison) et je reconnais et dis publiquement que sa lecture, que sa critique « sans merci » (i.e. sans pitié) de mon article est absolument remarquable et que son texte fera date. Il fait montre d’une culture historique et philosophique solide, d’une acuité dans l’analyse, d’une ironie maligne, mordante et sans concession, d’une virtuosité dialectique qui débusque contradictions ou renversements logiques coupables…enfin, de toutes ces qualités intellectuelles que nous avions tous reconnus, mes amis et moi, lorsque nous faisions partie du jury de sa thèse.

Impressionnés par son singulier génie et par l’ardeur inflexible d’une revendication hautaine et libertaire qui ne baisse jamais la garde, nous lui avions vivement conseillé de se présenter aux concours. Ses propos acerbes, ses rapprochements dérangeants, son hostilité bien tempérée ne sont jamais haineux, il garde la mesure, ne verse pas dans les outrances extravagantes des « décoloniaux », outrances qui ne peuvent générer que la division, la discorde et la solitude. Non, la guerre des races n’a pas remplacé la lutte des classes, non, il n’y aura pas de réunions non mixtes, de délit d’appropriation culturelle… et nous pourrons peut-être débattre entre nous, face à face et d’égal à égal, en hommes libres. C’est en tous cas le fragile pari auquel j’entends, une fois encore, souscrire ici.

Oui, Debsoyr a raison : mon article procède tout entier de l’émotion, c’est un discours amoureux de l’Afrique et un cri dont le cœur silencieux, comme dans le cri de Munch, est proprement le déchirement. Son interprétation de mon titre (« L’Afrique au cœur ») dont le sens est sur-déterminé et l’affect qu’il mobilise terriblement chargé, est à la fois pertinente et retorse. J’ai en effet été touché et blessé de voir la France évincée sans retour du Sahel par des fauteurs de guerre, et j’ai pensé que les populations des pays sahéliens avec lesquelles j’ai vécu se sentiraient elles aussi touchées et blessées sans que je parle pour autant, me reproche mon interlocuteur, des blessures de la colonisation. Alors n’y aurait-il dans mon texte qu’une « pleurnicherie » de blanc qui ne concernerait personne ?

Mais cette affaire est grave : il s’agit en effet de prendre la mesure des conséquences du séisme géopolitique d’envergure en train d’advenir. Le tueur du Kremlin dans son bras de fer avec l’Occident essaie de s’imposer comme le leader des pays du Sud, des pays non alignés, en les dressant contre leurs anciens colonisateurs. Le Président à vie d’un pays totalitaire comme la Chine où désormais tout le monde marche au pas et où l’ethnocide des Ouigours ne semble pas émouvoir grand monde, est même venu l’assurer de son soutien. On ne peut donc pas balayer d’un revers de main l’impact de la colonisation comme le fait Debsoiyr en proposant de la décoloniser, car le critère de la victimisation coloniale est manifestement devenu la pierre de touche justifiant le soutien des nouveaux maîtres, sans parler de l’allégeance et de la vassalité du Mali à leur égard.

Oui j’aime mon pays, mon Faso dit-on en dioula, ma maison du père et ma maison est effectivement celle d’un père mort en camp de concentration pour avoir résisté à l’occupation nazie. Je dis cela parce que l’exemple de la résistance française à l’occupant m’a prédisposé à comprendre la résistance des peuples colonisés et leur lutte pour l’émancipation. C’est pourquoi je ne voudrais pas que l’on me prenne pour un autre et que l’on me reproche de me taire sur les exactions perpétrées par ce qu’on appelle l’Occident. Je le reconnais, une forte nostalgie imprègne non discours. Mais, évitons l’anachronisme, je ne suis pas motivé par la nostalgie de l’Empire colonial dont je porterais le deuil.

La référence à l’Empire explique, donne sa profondeur historique et sa continuité à la présence française en Afrique. Bien sûr, je ne l’ai pas connu, cela ne la légitime en rien et un projet d’agression et de reconquête serait proprement absurde. Je ne méconnais pas certains épisodes cruels de son histoire, je n’en ignore pas les affreuses exactions ni le retard que la France à pris pour reconnaître le sacrifice des peuples de couleur tombés pour sa libération, je rappelle que la colonisation est maudite, à juste tire considérée aujourd’hui comme un crime contre l’humanité. Les fortes paroles de Césaire dans le Discours sur le colonialisme ne résonnent-elles pas encore à nos oreilles ? N’est-ce pas sur des crânes africains, ceux des Herero et des Nama, les génocidés de Namibie, que les biologistes allemands, ancêtres du racisme nazi, ont fait leurs mensurations criminelles ?

Mais l’Afrique dont je porte le deuil est celle de la coopération. celle dans laquelle j’ai vécu, celle que j’ai connu, où j’ai été un professeur heureux et comblé et où la fonction que j’ai occupée m’a paru avoir un rôle positif. Entre les Universités de Ouagadougou et celle de Strasbourg je fus le modeste instigateur d’un accord permettant à mes étudiants de poursuivre leurs études dans une Université, disons, « de gauche ». La détestation et le ciblage de la France collaborationniste de Vichy, de celle raciste de l’Algérie française, de la France nationaliste d’aujourd’hui qui dénonce « le grand remplacement », ont toujours été les cordes bien tendues de mon arc.

Dans un article en ligne intitulé Le nom de nègre j’ai parlé très clairement de l’abomination de la traite, dans un autre, toujours en ligne, la haine de l’Occident, j’ai examiné les raisons et la légitimité d’une telle haine. Car c’est la guerre d’Algérie qui m’a structuré politiquement et le combat de ma jeunesse a été celui de la décolonisation avec laquelle j’aurais aimé voir se lever une ère nouvelle. Le mot de décolonisation a d’ailleurs connu une fortune considérable et a été utilisé dans les contextes les plus variés. On a très vite parlé, 10 ans après les années 60, de décoloniser l’enfant, et surtout les femmes sans toujours se rendre compte t des conditions concrètes difficiles que cela supposait, notamment dans le tiers monde : la maîtrise de la fécondité et le droit à l’avortement.

J’aime mon pays mais j’ai aimé aussi ceux pour lesquels j’ai demandé à partir au titre de la coopération. N’aimerais-je vraiment l’Afrique que colonisée comme le dit un peu méchamment mon interlocuteur ? Pourtant bien loin de me comporter comme un suprématiste blanc, je suis très souvent parti en brousse à la rencontre des villages africains. En les laissant être, en les « laissant revenir à leur être propre », j’ai pu faire l’expérience de ce qu’était vraiment l’hospitalité. Ma passion pour l’art africain qui a réveillé l’art européen, lequel se mourait d’une lente amnésie, est aussi bien connue. Debsoiyr cite mon article sur le sculpteur bambara mais j’ai écrit bien d’autres articles et livres sur ce sujet, sur les lobi en particulier, le peuple qui avait résisté le plus farouchement à la colonisation, et j’ai cherché à faire partager ma passion à mes étudiants africains, à leur faire découvrir la grandeur de leur propre patrimoine en introduisant dans le cursus universitaire un cours d’esthétique.

Debsoiyr affiche une certaine indifférence et un certain fatalisme à l’égard de la colonisation. C’est un problème de blanc qui s’accroche à son ancien pré carré, dit-il,. A nous autres Africains, elle ne nous a rien apporté, nous n’avons aucun intérêt dans l’affaire. Colonisation française ou colonisation russe, c’est du pareil au même, de toute façon l’identité africaine toujours mise à l’épreuve de la puissance du négatif s’est toujours forgée dans l’adversité et dans l’humiliation.

A une telle assimilation je répondrai deux choses. J’ai beaucoup d’affinités avec le peuple et la culture russe mais c’est d’un système politique hérité du KGB et du stalinisme qu’il va s’agir ici. L’impérialisme américain, par ailleurs, occupe toujours le devant de la scène, mais les USA ne sont pas encore entièrement acquis au populisme de Donald Trump et ils ont su élire, il n’y a pas si longtemps, un président de couleur à l’intelligence acérée et au verbe châtié. Tous les pays ont sans doute leur chancre et la France arrogante et donneuse de leçons n’a pas toujours été exemplaire.

Pourtant ne faut-il pas tracer une frontière entre les pays qui respectent le séparation des pouvoirs, dans lesquels la Justice n’est pas aux ordres et où l’Etat de droit, critère juridique de la démocratie, est effectif, d’une part et ceux qui, à l’intérieur, répriment toute opposition, empoisonnent sans scrupule les dissidents à l’étranger au polonium radioactif, se repaissent et s’engraissent avec les capitaux accumulés par les oligarques (cf. la vidéo de Navalny) et, à l’extérieur, tentent de mettre à genoux un pays souverain en exterminant peu à peu la population civile ?

Entre l’Europe qui a tant de mal à prendre sa part de « la misère du monde » et d’autre part le pays du boucher de Damas, celui des Talibans de Kaboul et des Mollahs de Téhéran, des candidats contraints à la migration et à l’exil ne se trompent pas de sens… L’exclusion par le Burkina des journalistes indépendants ne fait-elle pas partie des pratiques si coutumières à certains pays, ne sont-ils pas le symptôme d’une dérive autoritaire quelque peu inquiétante ?

La colonisation serait pour ses victimes un détail, un épisode sans importance, sans intérêt pour eux, elle ne leur aurait rien apporté de positif, elle serait vite oubliée…. Sauf que c’est en français que notre contradicteur s’exprime, que se sont les très riches archives occidentales qui l’ont nourri et qu’il doit en partie ce qu’il est devenu à la formation qu’il a reçue. A lui aussi la colonisation lui colle à la peau et il a trouvé plus d’une stratégie pour se l’approprier, la cannibaliser et peut-être la retourner contre elle-même.

Quant à moi, dans le cas présent, j’ai obtenu ce que je méritais : le coopérant ne réussit que lorsqu’il s’efface, qu’il disparaît, quand il s’auto supprime pour laisser place aux plus jeunes qui prennent alors la relève. Telle est la logique à laquelle répond toute transmission, tel est le destin à la fois exaltant et douloureux de tout professeur : il se doit de reconnaître tous ses enfants comme le dit Debsoiyr, même et surtout s’ils ont perpétré ce que Freud appelait le meurtre du père et si ses disciples se révèlent quelques fois indisciplinés ou non-conformes... Il y a plus de deux millénaires, Platon déjà, dans Le Parménide, avait été confronté à la nécessité du parricide, en l’occurrence à celle du meurtre du père de la philosophie, Parménide. Si l’on veut que la parole soit possible, si l’on veut dire ce qui est mais aussi ce qui n’est pas, il faut alors, contre la thèse de Parménide, donner consistance au non-être, au néant…Telle sera mon ultime manière de retrouver encore mon ancien étudiant, que je tiens à remercier.

Une remarque encore et une référence au modèle de la langue, marqueur de la diversité culturelle mais aussi condition de l’échange entre les hommes. Voilà la meilleur manière d’articuler la particularité de nos cultures sur la croyance en l’universalité des droits humains. Les Russes et les Chinois estiment que cette universalité n’a de valeur qu’occidentale. La charte du Mandé l’annonce pourtant dès le XIIIeme siècle lorsqu’elle proclame, sous le règne de Soundiata Keita, premier souverain de l’Empire du Mali, l’inviolabilité de la personne humaine, l’intégrité de la patrie, la liberté d’expression….

Les fondements et les conditions de ce que nous appelons la Civilisation sont ici affirmés comme nous le rappelle aussi Raymond Aron qui met en évidence l’énigme et le paradoxe de la condition humaine prise entre l’affirmation identitaire de chaque culture et la reconnaissance universelle de l’humanité en tout homme. Ecoutons cette parole, qu’elle nous donne l’espérance et qu’elle ait valeur de testament ! « La reconnaissance de l’humanité en tout homme a pour conséquence immédiate la reconnaissance de la pluralité humaine. L’homme est l’être qui parle mais il y a des milliers de langues. Quiconque a oublié un des deux termes retombe dans la barbarie ».

François Warin
Ancien enseignant de philosophie

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