Actualités :: Yvette Ouédraogo : De l’esclavage au Liban à chef d’entreprise à Ziniaré (...)

Derrière le tonus et la bonne humeur qu’elle dégage, se cache pourtant l’histoire de trois années de vie d’esclavage. En cette matinée de septembre 2022 à Ziniaré, et comme à son habitude, Yvette Ouédraogo venait d’ouvrir un des points de vente de ses produits agro-alimentaires, une de ses spécialités. A côté des rayons qui servent à mettre en exergue des échantillons de ses produits, Yvette Ouédraogo offre divers types de thé à base de plantes locales, dont le moringa. Le temps de déguster une tasse, que l’on décèle en ses propos, une jeune cheffe d’entreprise qui tire son inspiration de cette partie de sa vie qu’elle a transformé en force, sa foi en Dieu aidant. Le nom de son entreprise, « Ligne de vie », incarne d’ailleurs, selon ses explications, la place de la foi dans sa rude épreuve au Liban. A l’occasion du 8-Mars, nous vous proposons l’histoire de Yvette Ouédraogo (C’est une interview publiée pour la première fois à l’occasion du 8 mars 2023, que nous jugeons nécessaire de reconduire, au regard de l’actualité sur l’ampleur du phénomène et surtout de témoignages reçus de lecteurs qui souhaitent que la sensibilisation soit maximisée)

Lefaso.net : Vous avez fait l’aventure, on dirait !

Yvette Ouédraogo : (Rires). Pourquoi vous dites ça ? Oui, j’ai fait quelques années dans l’aventure. C’est toute une histoire.

Comment vous vous êtes retrouvée dans l’aventure ?

C’est simplement par curiosité, en 2014. J’étais à l’époque chargée de programmes d’une ONG à Koupèla. C’est de là-bas que j’ai entendu qu’on avait besoin de filles pour aller travailler au Liban. Et comme de nature j’aime bouger, j’ai engagé des démarches. En l’espace d’un mois, je me suis lancée dans l’aventure.

C’est sur place à Koupèla que vous avez eu ces informations qu’on veut des gens pour travailler au Liban ?

Oui, c’est à Koupèla que j’ai eu les informations par un responsable religieux. C’est lui qui était le contact ici au Burkina. Il recrute des filles pour travailler à domicile. J’ai quitté le Burkina le 17 novembre 2014. On est arrivé au Liban le 19 novembre, vers 3h du matin, en passant par l’Ethiopie. Et c’est ainsi que je me suis retrouvée au Liban. Mon contact ici m’a remis des contacts sur place au Liban. Quand il a la fille, ses correspondants là-bas se chargent du visa et de son billet d’avion (c’est moi qui ai fait mon passeport au Burkina ici).

L’intermédiaire, est-ce un Burkinabè ? Combien étiez-vous à partir du Burkina ?

Oui, l’intermédiaire est un Burkinabè. Au départ du Burkina, j’étais seule. Mais en Ethiopie, ils ont embarqué d’autres nationalités, donc on était devenues nombreuses. J’ai croisé des Camerounaises, des Togolaises, des Ivoiriennes, etc. Quand on est arrivé à l’aéroport (de Beyrouth) vers 3h, il faisait trop froid, nous sommes restées et c’est aux environs de 8h qu’ils sont venus me chercher.

Comment s’est fait l’accueil à l’aéroport au Liban ?

Quand on a appelé mon nom, je me suis présentée. Et la première des choses, on a pris tous mes papiers. Je n’ai rien compris. C’est une famille qui est venue me chercher. On m’a ensuite conduit au domicile et le même jour, j’ai commencé à travailler.

C’était quel type de travail ?

C’était du nettoyage. La famille habite un grand immeuble. Le chef de famille est un colonel de l’armée libanaise. Donc tout le temps, il faut faire un grand nettoyage. J’ai fait trois ans dans ce travail.

Vous étiez seule à vous occuper de tout l’immeuble ?

Oui, j’étais seule à m’occuper de l’immeuble. C’était une famille de quatre personnes : le couple et deux enfants.

Au départ du Burkina, vous attendiez-vous à ce type de travail, et surtout à un tel volume ?

Non, je n’avais pas toutes ces informations. Pour moi, c’était pour travailler dans les centres sociaux (comme les hôpitaux), les restaurants, etc. Finalement, je nettoyais tout le grand immeuble, le sol, les mûrs, les plafonds, les toilettes, les fauteuils. Et chaque coin du bâtiment a son produit chimique ; donc j’utilisais plus de cinq produits chimiques.

Quand vous êtes arrivée, vous avez commencé à travailler, sans discuter d’une quelconque condition ?

On ne m’a même pas laissé le temps. C’est mon intermédiaire qui avait toutes ces informations, mais il ne m’en avait pas fait part. Comme c’est une personne-ressource aussi, j’avais confiance, je me disais que ça allait bien se passer.

Dans quelles conditions avez-vous travaillé, durant tout ce temps ?

Je travaillais 18 heures par jour, de 4h du matin à 22h, voire 23h ou minuit, et sept jours sur sept. Je n’avais pas droit à un repos, même pas de dix minutes. Et pour la journée, on te donne un quart de pain et du thé, pour toute la journée. Ce qui fait que tout temps, il fallait boire de l’eau chaude … A la longue, j’ai été malade. Et même avec ça, on ne te permet pas de prendre du simple Panadol. Ici, c’est du Paracétamol qui est courant, là-bas, c’est le Panadol.

C’est comme si on voulait te voir souffrir. Finalement, j’ai pu avoir accès à ma famille ici au pays, qui a commencé à entreprendre les démarches pour pouvoir me ramener. Mais entretemps, la famille d’accueil a même refusé. La famille me disait que le contrat c’est pour trois ans, alors que je n’étais au courant de rien. C’était compliqué. C’est mon oncle … (un leader coutumier, dont nous taisons le nom : ndlr), qui s’est finalement impliqué et qui a permis de me faire revenir.

Perceviez-vous un salaire ?

Je ne percevais pas de salaire. Ils disent qu’ils me payaient mes salaires, ils ne me donnaient pas l’argent main à main. Entre temps, je leur disais de me remettre l’argent, que je voulais aussi envoyer quelque chose à ma famille. C’est lorsque je voulais rentrer et que j’ai tempêté qu’ils ont fait un chèque et envoyé à mon nom au Burkina. Donc, quand je suis arrivée, j’ai effectivement vu qu’ils ont fait le dépôt au niveau de la Poste.

La somme représentait-elle grand-chose ?

Non, ils ont déduit le coût du transport et autres. Je leur avais dit de tout enlever parce qu’il fallait que je rentre. Le reste de cet argent m’a juste servi pour me soigner, parce que quand je suis rentrée, j’étais malade, je n’avais plus de force ; j’ai donc fait des examens. Cela m’a permis de savoir à la fin que je n’étais pas malade, c’était une fatigue générale, je n’avais même plus de globules rouges. On m’a donc soumis à un régime alimentaire pour pouvoir récupérer, parce que le travail était très intense.

Comment votre famille vous a-t-elle accueilli à votre retour ?

A l’aéroport, mes parents ne m’ont pas reconnu. J’avais perdu au bas mot 22 kilogrammes sur mon poids de départ. C’est moi qui ai reconnu la famille à l’aéroport, sinon aucun membre de la famille ne m’a reconnu. Tout le monde était désespéré, personne ne savait que j’allais vivre. Mais Dieu a fait grâce, j’ai repris. Quand j’arrivais, même un verre d’eau, je ne pouvais pas terminer. Il me fallait aller progressivement pour retrouver le rythme normal. La famille a donc contacté un médecin qui me suivait et qui m’a soumis à un régime : il me disait à chaque heure, tu prends tel ou tel fruit. Il me disait que même la poussière que j’ai inhalée pouvait me coûter la vie.

C’est une partie du Moyen-Orient qui ne jouit pas d’une bonne presse par rapport aux traitements réservés aux Noirs. Aviez-vous des informations à ce sujet, à votre départ ?

Non. C’est une fois arrivée là-bas que j’ai vraiment su que beaucoup de gens là-bas n’aiment pas les Noirs.

Quand vous êtes arrivée au Liban et que ça n’allait pas, n’avez-vous pas tenté d’entrer en contact avec votre intermédiaire du Burkina, celui-là qui vous y a envoyé ?

J’ai essayé, mais il a fui ses responsabilités. La famille a même voulu le traduire en justice pour ça, mais j’ai dit de lasser, si Dieu fait grâce que j’arrive en bonne santé, c’est l’essentiel.

L’avez-vous vu à votre retour ?

Oui, il a lui-même vu de ses yeux l’état dans lequel j’étais. Il n’a rien dit. Je ne lui en veux pas, seulement, je ne peux plus collaborer avec lui, sinon, jusqu’à présent, la famille parle toujours de le traduire en justice.

Avez-vous été témoin, quand vous étiez là-bas, de personnes comme vous, victimes de maltraitances ?

Non, je n’ai pas été témoin parce que durant tous les trois ans, j’étais enfermée, je ne pouvais pas sortir. Je ne sortais que sur la grande terrasse en haut, à partir duquel je pouvais voir le paysage. Donc, quand je suis arrivée au Burkina, rien que voir le soleil me donnait envie de vivre. Quand je suis arrivée, chaque jour que Dieu faisait, au réveil, je pouvais dire bonjour 10 mille fois, je regardais le soleil, je regardais les gens. Parce que là-bas, je ne parlais pas non plus, je ne regardais pas la télé, je n’écoutais pas la radio, j’étais carrément coupée du monde.

Mais celles qui venaient par la voie régulière étaient traitées différemment, parce qu’il y a un service sur place là-bas qui s’occupe d’elles, et s’il y a un problème, tu peux aller signaler. Même les gens du service se déplacent souvent pour venir là où vous travaillez, pour voir si tout se passe bien. En plus, là-bas, il y a des heures de repos, c’est mieux organisé. Et s’il y a des problèmes, on peut même te faire changer de famille.
Mais dans mon cas, comme ce n’était pas la voie normale, c’était difficile pour le service d’intervenir.

Quelles étaient vos conditions d’hébergement ?

C’était très difficile. Eux, ils construisent avec des balcons, comme les auvents ici. C’est là-bas je dormais. A mon retour, à l’aéroport au Liban, quand je tendais mon passeport, beaucoup de Libanais n’étaient pas contents de ma situation ; parce qu’ils voyaient que toutes mes mains étaient fendillées. Donc, quand je tendais mon passeport pour qu’on vérifie, ils laissaient le document pour regarder mes mains.

Je ne comprenais pas leur langue, mais de la façon dont ils regardaient et touchaient mes mains, j’ai compris qu’ils étaient vraiment touchés de voir une personne dans ces conditions-là et dans leur pays. C’est pour dire que malgré tout, dans ce pays, il y a des gens bien, des humains ; tout le monde n’est pas mauvais. C’est peut-être moi qui suis tombée sur de mauvaises personnes. Voilà mon histoire.

Qu’est-ce que cette aventure vous a appris ?

Elle m’a appris beaucoup de choses, surtout l’endurance. Avec cette aventure, j’ai compris que l’Afrique, c’est vraiment le berceau de l’humanité (elle fait référence à l’altruisme, aux rapports humains : ndlr). Ça m’a permis de comprendre qu’en Afrique, même si on n’est pas riche, la société elle-même contribue à ce que tu t’épanouisses. Ici en Afrique, quand tu emploies quelqu’un et que ça ne va pas, tu le laisses partir. Mais là-bas, non. Surtout quand tu fais leur affaire, même si tu dois mourir, ce n’est pas leur problème. Ici en Afrique, on a beaucoup de valeurs humaines.

Grâce à cette aventure, j’ai aussi compris qu’ici, nous dormons beaucoup, nous manquons de vision, on ne travaille pas. Quand j’étais là-bas, ça me donnait beaucoup à réfléchir, je me disais : « si tu peux travailler tout ce temps sans repos, si tu consacres ne serait-ce que la moitié de ce temps chez toi, tu vas beaucoup avancer ». Ici, nous dormons beaucoup, nous trouvons des excuses : il y a tel ou tel évènement, donc je ne peux pas travailler. Là-bas, même quand tu es malade, tu travailles. Ça m’a beaucoup appris, j’ai beaucoup appris de la vie.

Et aujourd’hui, vous avez tourné la page …, en vous lançant dans l’entreprenariat … !

Oui, quand je suis arrivée, j’ai pris un an pour me soigner. Et après, les responsables de la structure où je travaillais avant d’aller à l’aventure m’ont appelé pour dire que je peux revenir si je veux. Mais je n’ai pas voulu repartir, j’ai préféré rester auprès de mes enfants que j’ai laissés pendant des années. Pour cela, il faut entreprendre ; parce que je ne savais pas que j’allais revivre. Donc pour moi, c’était de profiter de mes enfants, ma famille, mes proches, ma ville, etc.

Le fait de revenir chez moi suffit pour profiter. Et comme j’aimais beaucoup la cuisine, je me suis dit pourquoi ne pas repartir dans une école de cuisine (art culinaire). Ça fait plus sérieux dans l’entreprenariat, quand tu as des papiers. Je me suis dit également que pendant la saison des pluies, il y a des plantes, très utiles sur le plan médico-alimentaire, qu’on ne peut pas trouver en saison sèche ; il faut donc faire la transformation et la conservation. Ça m’a donné à réfléchir et à voir comment travailler à conserver cela. Je suis donc allée à une école, je me suis inscrite, j’ai eu le CQP.

J’ai aussi passé mon permis de conduire. J’ai beaucoup de projets, mais il faut bien commencer quelque part. aujourd’hui, je suis dans la transformation des produits et des jus de fruits naturels, à conservation de huit à dix mois, sans produits conservateurs. J’ai commencé la production en 2019-2020. Sinon avant mon aventure, j’avais fait une école de cinéma, option montage caméra. Mais quand je suis revenue, je n’étais plus attirée par ce domaine.

Vous offrez des produits locaux, des spécialités …, parlez-nous en !

Je fais différents jus de produits forestiers non-ligneux, différents types de jus de mangue (mangue au gingembre, mangue-ananas, mangue-papaye), du vin à base de produits locaux et de fruits sauvages, des jus de quinquéliba tonifié, tamarin, des infusions (feuilles de moringa, mélange moringa-quinquéliba, moringa-quinquéliba-gingembre, canel-clou de girofle, etc.).

Je fais aussi la restauration, uniquement des spécialités locales (dont le tô de nénuphar), j’offre des pause-café et du service-traiteur. J’ai reçu au moins trois prix avec le tô de nénuphar (à la SNC, au SARA, etc.). Je fais aussi du jus, du gapal, du déguè de nénuphar. Les gens nous sollicitent pour ces mets lors de leurs différentes cérémonies. Je produis aussi du détergent (savon liquide, savon de neem contre les moustiques, savon pour la peau…).

Comment vous vous assurez des combinaisons des produits ?

J’ai un laborantin à Ouaga qui étudie et on teste avant de mettre sur le marché. J’ai d’autres produits au labo, mais je ne peux en parler d’abord. J’ai aussi eu une formation sur les épices naturels ; on a du potentiel en la matière, il faut en profiter.

Des difficultés rencontrées ?

C’est le manque d’employés, je travaille avec des contractuels. Les gens ne veulent pas travailler, quand vous les prenez, ils arrivent, c’est pour compter les jours pour pouvoir prendre leur argent à la fin du mois. Quand vous avez des gens comme cela, ce n’est pas profitable ; parce qu’ils ne sont pas dégourdis, ils ne prennent aucune initiative, vous êtes finalement obligé de tout faire à leur place.

Quel est votre rêve dans votre lancée entrepreneuriale ?

J’ai eu des prix certes, mais il me manque de l’accompagnement. [ Cliquez ici pour lire l’intégralité ]

Contact Entreprise Ligne de vie : 65 45 20 57 / 70 65 32 80

Entretien réalisé par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

Tapoa/Insécurité : Le Conseil provincial des organisations de
Burkina : Des acteurs du secteur privé renforcent leurs (...)
Burkina/Affaire “escroquerie de commerçants” : Roch (...)
Burkina/Arrestation de Me Guy Hervé Kam : Le délibéré de (...)
Burkina Faso : Acquisition de 75 véhicules militaires (...)
Burkina : La 53e promotion de l’École nationale de police (...)
Burkina : La douane rend hommage à une soixantaine de (...)
Mise en œuvre du projet "Développement circulaire de bio (...)
Burkina/Police nationale : La question du management (...)
Burkina/Région du Centre-sud : L’UNFPA veut réduire le (...)
Lycée mixte de Gounghin : Les promotions 1998 à 2007 (...)
Burkina : Le syndicat des inspecteurs de l’enseignement (...)
Burkina : « Il serait bon que tous ceux qui sont (...)
Koudougou / Conduite de taxi-moto : Plusieurs jeunes en (...)
Burkina/Enseignement : Le gouvernement s’active pour (...)
Burkina / Santé communautaire : La stratégie nationale (...)
Burkina/ Gestion des risques agricoles : L’AP/SFD-BF (...)
Ouagadougou : La Coordination Nationale de Lutte contre (...)
Burkina : Le tableau de bord du commerce et des marchés (...)
Ouagadougou : Des voleurs appréhendés au quartier (...)
Burkina : 1 295 structures éducatives ont rouvert à la (...)

Pages : 0 | 21 | 42 | 63 | 84 | 105 | 126 | 147 | 168 | ... | 36435



LeFaso.net
LeFaso.net © 2003-2023 LeFaso.net ne saurait être tenu responsable des contenus "articles" provenant des sites externes partenaires.
Droits de reproduction et de diffusion réservés