Actualités :: La France s’incruste en Afrique : Le remède et le poison

L’on pouvait penser que les déboires et rejets du pays de Macron en Afrique de l’Ouest notamment (Mali et Burkina) allaient provoquer une prise de distance et un engagement moindre de la France en Afrique.

Le discours du président Macron du 27 février 2023 sur « la politique africaine de la France » (une politique qui est censée ne plus exister depuis Ouagadougou 201, mais qui continue de faire l’objet du discours politique de la France) dit le contraire : plus la France est rejetée par les africains et plus elle entend rester en Afrique. Y rester donc coûte que coûte : il faut « nous arrimer au continent » africain, s’y accrocher et agripper, s’y incruster…

C’est ce coûte que coûte, qui n’est pas simplement une persistance de la « présence française » en Afrique, mais son insistance, comme si la France était obligée de rester sur un continent où elle n’est plus la bienvenue (l’a-t-elle-même jamais été pour les peuples africains et leurs sols où elle s’est imposée plutôt qu’invitée ?), « obligée » par nul ne sait quels droit et devoir, comme si l’Afrique était la France ; c’est ce coûte que coûte qui provoque ici réflexion, à l’occasion du discours du président français.

Ce discours est étrange qui parle d’une « intimité franco-africaine » (le mot « intimité » intervient au moins deux fois dans le discours, même entre militaires Français et Africains) au moment même où il n’y a plus vraiment de désir de France chez les Africains, au point que la France elle-même s’est souvent plaint d’un « sentiment anti-français » en Afrique ! Macron évoque donc une « envie d’Afrique en France » sans ignorer qu’il y a de moins en moins une envie de France en Afrique…

Soulignons quelques-unes des contradictions manifestes du discours présidentiel de la France pour les laisser de côté : il faut devenir profondément humble (« profonde humilité ») vis-à-vis de l’Afrique, mais en même temps ne pas y laisser un vide, une absence, une fois qu’on a dit avoir rompu avec la France-Afrique, comme si l’Afrique dépendait absolument de la France pour exister (ce vide serait un chaos sans la France). Mais les Britanniques n’ont, par exemple, pas de bases militaires dans les pays africains qu’ils ont colonisés, et ces pays ne sont ni moins démocratiques, ni moins développés, ni moins stables que leurs homologues colonisés par la France. Bien au contraire…

De même, ne pas s’engager, en Afrique, dans une compétition avec les Russes et autres Chinois et Turcs, que Macron considère comme « anachronique » car, dit-il, « pour éviter la répétition de l’Histoire, il existe une autre voie…qui consiste à ne pas réduire l’Afrique à un terrain de compétition ou de rente » ; mais en même temps le président français finit par marteler, quand il s’agit des intérêts économiques de la France, que l’Afrique « c’est une terre de compétition maintenant » !...

Mais, il reste un sujet central du discours qu’il est impossible de laisser de côté. Elle concerne le sécuritaire et le militaire. Il faut en bousculer la prééminence, selon Macron. En clair, la présence française en Afrique ne doit plus tourner autour de la seule question sécuritaire et militaire « comme cadre de tout ». Le maître-mot est désormais le partenariat, un partenariat renouvelé dans lequel le militaire et le sécuritaire devront s’insérer : « déployer sous forme partenariale notre présence sécuritaire, pour qu’elle s’insère dans ce nouveau partenariat »…

Tout se passe donc comme si la présence militaire et sécuritaire de la France en Afrique était dépendante et subordonnée à un partenariat qui la régit. En réalité c’est l’inverse : le partenariat dont parle le président Macron n’est garanti et assuré qu’avec les Etats africains où la France a une présence militaire et sécuritaire, laquelle fait toute la présence de la France en Afrique. Autrement dit, il n’y a de présence française en Afrique que militaire et sécuritaire.

Ce n’est absolument pas par la langue française ni par des entreprises que la France est présente en Afrique ; car la présence de Français n’est pas exigée ni nécessaire sur place à chaque fois qu’un Africain s’exprime en langue française en Afrique : le français comme langue n’est pas présence de la France en Afrique, il en est la trace ; c’est-à-dire aussi l’absence.

Quant aux entreprises, non seulement elles ouvrent et ferment, mais surtout n’ont pas besoin de porter le drapeau de la France, comme les ambassades, pour exister. La seule vraie présence de la France en Afrique, en chair et en os, est celle des uniformes et drapeaux de ses armées. Là seulement et singulièrement se voit la France. La France n’est visible en Afrique qu’à travers ses armées, même si ses militaires sont discrètement retranchés dans des casernes, à l’abri des regards des citoyens africains…

Ce n’est donc pas cette présence militaire et sécuritaire de la France qui dépend d’un partenariat qui est seulement appelé à prendre forme désormais (ce qui veut dire qu’il n’a jamais existé comme tel !), mais c’est le nouveau partenariat qui est annoncé qui dépend de la présence militaire de la France en Afrique. Tout comme en dépendent, du reste, les intérêts économiques et financiers de la France en Afrique (ce sont les pays qui abritent des bases militaires françaises en Afrique qui sont aussi les appuis des intérêts économiques et financiers de la France en Afrique !) ; l’unique moyen d’assurer et protéger ces intérêts étant la force militaire.

Un partenariat qui n’existe pas encore ne peut pas justifier une présence militaire et sécuritaire française qui, elle, perdure déjà dans certains pays d’Afrique depuis la « décolonisation » au moins. Voilà pourquoi les Etats africains qui chassent les armées françaises de leurs sols portent aussi un coup aux intérêts financiers et économiques de la France chez eux, et sont logiquement accusés d’afficher un « sentiment anti-français »…

On doit donc formuler un doute qui est aussi une critique de la justification qui est donnée de la présence française en Afrique. Cette justification est double :
1/ La France serait présente ou devrait être présente en Afrique pour…la démocratie que Macron tient pour « un intérêt de la France ». On croirait sérieusement entendre une plaisanterie ou une blague si ces propos ne venaient pas de la bouche d’un président : car la France est bien présente en Afrique depuis de longues décennies sans que la démocratie y progresse jamais. On comprend aisément pourquoi aussi la sécurité et la lutte contre le terrorisme sont un intérêt de la France et que, pourtant, sa présence militaire et sécuritaire en Afrique de l’Ouest n’ait pas réduit et encore moins vaincu ce même terrorisme au Sahel !

C’est à croire que la démocratie n’est pas plus un intérêt sérieux de la France hors de France, en Afrique, que le terrorisme n’est un vrai danger hors des frontières françaises. Sinon personne d’intelligent ne comprend pourquoi l’une (démocratie régresse ou ne progresse jamais, pendant que l’autre (terrorisme) progresse malgré la présence de la France en Afrique. La France de Macron devrait se demander pourquoi et comment elle a bien pu passer, en RCA, de l’amitié intime avec Bokassa à la haine de Wagner dans ce même pays ; ou pourquoi et comment l’intimité avec Bokassa n’a pas installé la démocratie en RCA, pour que Wagner y vienne s’installer aujourd’hui !...

2/ La France serait présente ou devrait être présente en Afrique pour, selon le président Macron, « défendre nos intérêts [français] et aider les pays africains à réussir ». Concilier les deux choses, les intérêts de la France en Afrique ET aider à la réussite des pays africains, serait le miracle par excellence en terre africaine, tant ces deux choses s’excluent : toute la situation politique et économique de l’Afrique témoigne de cette exclusion ou incompatibilité ! Ce témoignage a un nom : la France-Afrique. Les intérêts de la France en Afrique ont toujours signifié la non-réussite des pays africains. C’est cela précisément qui, entre autres choses, révoltent les Africains aujourd’hui…

Revenons à la présence militaire française en Afrique : on doit penser que c’est justement parce que son poids est si important dans tout le dispositif de la présence générale de la France en Afrique (la culture, l’économique, le financier, le militaire, voire le sportif constituent ce dispositif dit partenarial) que le président entend le réduire. Avant de réduire des effectifs militaires, c’est d’abord le poids de la présence militaire comme colonne vertébrale de la présence française en Afrique qu’il faut réduire.

Mais il s’agit d’un leurre : les Africains ne vivent ou ne subissent pas la présence française en Afrique en termes de volume, de poids ou de quantité ; ils n’ont jamais dit que c’est parce que les armées et militaires français seraient trop nombreux ou trop imposants chez eux qu’ils les chassent ! Ils disent qu’ils n’en veulent tout simplement plus chez eux, que les militaires français soient 5 ou 1000000. Ils n’en veulent tout simplement pas parce que leurs pays ne sont pas la France ; exactement tout comme un Etat ne voudrait pas d’un étranger sur son sol ; ou tout comme les USA n’ont pas voulu de ballons chinois au-dessus de leur territoire. Au nom du principe de souveraineté. Point…

Pharmaciens et médecins le savent : un remède peut être en temps un poison ! Et la quantité n’a pas beaucoup à voir avec la nocivité d’un poison ou l’efficacité d’un bon médicament. Les armées françaises en Afrique sont de plus en plus perçues et subies par les Africains comme un poison, quoi que la France en dise de leurs bienfaits et exploits !

Or, quand il s’agit d’un poison, une petite quantité ou portion toxique peut tuer ou nuire : donc, en diminuant réduire des effectifs militaires en Afrique, le président Macron ne change rien de la nature intrinsèque du poison pour les Africains ; beaucoup ou peu, la capacité de nuisance de ces armées n’en est pas réduite ou supprimée. Un bon poison (si l’on doit le dire) n’a pas besoin de remplir un tonneau pour tuer…

Les philosophes lecteurs de Derrida savent de quoi nous parlons : pharmakon, en grec, est le mot qui dit en même temps remède et poison. Dans la pharmacie de Macron qu’ouvre son discours du 27 février 2023 sur le nouveau partenariat à venir entre la France et l’Afrique, tous les remèdes sont autant de poisons pour les Africains ; les mêmes produits qui sont des remèdes aux maux de l’Afrique pour la France sont de subtils poisons dont les Africains n’en finissent pas de souffrir la nocivité et la nuisance. Ils le vocifèrent de plus en plus dans les rues…

Autre chose : la « diminution visible de nos effectifs » militaires ne signifie pas pour la France un début d’invisibilité en Afrique ! Une présence invisible qui serait une crypto-présence, secrète, cachée, n’intéresse pas vraiment la France qui se veut une « puissance » : car la puissance de conception française se montre, se sent (il faut que les Africains la sentent), se voit et voit (elle ne voit pas depuis Paris, mais depuis l’Afrique, sur place).

L’essence de la puissance n’est pas de se cacher face aux dominés sur lesquels elle s’exerce, des dominés par ailleurs amis intimes (entre amis on ne se cache pas !), mais d’être visible. Quand elle est invisible c’est pour espionner des puissances rivales. Des uniformes, des chasseurs, des blindés, des drapeaux suffisent à sa visibilité. Voilà pourquoi la présence russe en Afrique est pour la France un vrai cauchemar : elle s’y voit, même si on n’y voit pas un seul Russe ; cette puissance russe se voit par les seuls drapeaux que les Africains agitent dans les rues pour chasser les armées françaises. Si la présence française était invisible, les Africains pourraient ne pas la reconnaître pour la distinguer d’autres puissances. Or la France a visiblement besoin que les Africains la reconnaissent comme leur puissance tutélaire…

Mais finalement, à la fin de ce discours du président Macron, les peuples africains n’ont pas grand ’chose à craindre : le nouveau partenariat de la France est destiné aux Etats africains, à leurs chefs et élites auxquels seuls s’est adressé le président français. On aura remarqué en effet que le président Macron ne s’est plus adressé aux forces vives africaines, notamment à la jeunesse, comme en 2017 à Ouagadougou ! Car c’est cette même jeunesse qui, cinq ans après Ouagadougou, brandit des drapeaux russes dans les rues pour exiger le départ des armées françaises d’Afrique. Macron ne s’adresse plus à des jeunes devenus dangereux pour la France en Afrique…

Justement : Ouagadougou 2017 est mort à… Ouagadougou 2023, lorsque le pays de Thomas Sankara a demandé aux forces françaises de quitter son territoire, sans toutefois tomber dans les bras de Wagner, ce qui est impensable pour la France, car la chasser en Afrique suppose de la remplacer forcément par les Russes, Wagner ou les Chinois et autres puissances non occidentales, comme au Mali.

A cet égard, au passage, ce n’est pas le Mali qui est le modèle du Burkina qui serait en train de l’imiter, comme on le dit ou pense souvent, puisque le Mali n’a pas toujours avoué la présence de Wagner sur son sol, comme s’il ne voulait pas assumer son propre choix, déniant et se refusant, ce faisant, sa propre souveraineté (une souveraineté plus fortement et plus ouvertement affirmée du côté du Burkina). S’il s’agit d’un choix vraiment libre et souverain, pourquoi le cacher ? Pourquoi commencer par nier que Wagner est au Mali, alors qu’il y est effectivement, comme si sa présence avait été imposée au Mali contre sa volonté et sa souveraineté ?...

Bref, ceux qui décideront un jour de la présence française en Afrique ne sont donc pas les chefs d’Etat et les élites auxquels s’est adressé le président Macron, lesquels ne sortiront certainement pas dans les rues pour chasser les troupes françaises d’Afrique. Ce sont les peuples, la jeunesse notamment, qui ont le dernier mot. Les chefs d’Etat et leurs élites eux-mêmes le savent.

Mais si la non-présence militaire de la France en Afrique est un principe de souveraineté pour les Africains, ces derniers doivent pouvoir l’inscrire en noir et blanc dans leurs Constitutions pour que n’importe quel prétendant au pouvoir suprême en Afrique, militaire ou civil, par les urnes ou par la rue, s’y soumette comme à la volonté de son peuple.

Nous ne pouvons pas terminer cette réflexion sans revenir sur le plus grave : le président français Macron a beau rompre avec la Françafrique pour proposer un partenariat renouvelé avec le « continent africain », il ne reste pas moins dépendant d’un même fondement qui, comme une évidence et un préjugé, mais tacites, tus et implicites, donc secrets, jamais dits, même pas dicibles, d’un unique fondement récurrent qui seul empêche la France de rompre réellement avec sa domination de l’Afrique, et qui transparaît dans ce que la France appelle « continent africain » dans sa politique. Car la continentalité de ce « continent » fait problème et pose questions :

Il semble évident qu’il ne s’agit jamais du continent géographique de l’Afrique, mais d’un continent ethnique, nègre. En effet, on ne voit pas quel autre pourrait être le critère commun entre les Etats africains que la France ne cesse de maintenir sous sa domination si ce n’est pas la négrité de peau, dès lors que tout le monde s’accorde, en France surtout, pour dire que la colonisation est terminée depuis longtemps. Car chacun sait au moins deux choses :

1/ les Etats africains sont politiquement et économiquement disparates, et donc les intérêts français n’y sont pas d’égal poids (le Sénégal n’est pas le Burkina, la Côte d’Ivoire n’est pas le Mali, etc) : alors pourquoi les amalgamer toujours aussi vite et facilement depuis la France ?

2/ Le Maghreb s’excepte toujours de ce « continent africain » sous domination française : personne ne parle de « tournée africaine » quand le président français se rend en Algérie ; on préfère parler de « relations bilatérales » entre la France et l’Algérie, ce qui est de droit : pourquoi la France ne pourrait-elle pas aussi se contenter de simples relations bilatérales avec les Etats d’Afrique noire, surtout ceux qui servent le mieux ses intérêts, au lieu de toujours masquer une réalité ethnique sous l’appellation d’un « continent africain » supposé uniforme ?

Le président Macron s’agace lui-même, dans son discours, contre les entreprises françaises qui ne proposeraient ou vendraient pas des produits de même qualité aux Africains qu’aux autres clients du monde. Pourquoi les Africains n’auraient-ils pas droit à de la qualité alors qu’ils peuvent même davantage payer que les autres ? Ce n’est donc pas parce qu’ils sont pauvres, ou colonisés : c’est parce qu’ils sont nègres…

Montesquieu écrivait, à propos justement de commerce avec les Africains : « La plupart des peuples des côtes de l’Afrique sont sauvages et barbares (…). Ils ont en abondance des métaux précieux qu’ils tiennent immédiatement des mains de la nature. Tous les peuples policés sont donc en état de négocier avec eux avec avantage ; ils peuvent leur faire estimer beaucoup de choses de nulle valeur, et en recevoir un très grand prix » !..
Il semble bien que nous en sommes encore là aujourd’hui…

Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE

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