Actualités :: Handicap au Burkina : « Fermer la porte d’une école à un enfant parce qu’il est (...)

Le handicap n’est pas une fatalité, a-t-on coutume d’entendre. Plutôt que de se laisser abattre du fait qu’il leur manque une partie du corps, certains font de leur handicap une opportunité pour mieux s’affirmer et aider d’autres handicapés. Tel est le cas de Abdoulaye Traoré, handicapé visuel, président de la Coordination régionale des associations pour la promotion des personnes handicapées des Hauts-Bassins (CORAH/HBS), acteur clé en matière de promotion et d’épanouissement des personnes handicapées dans les Hauts-Bassins qui nous fait part de son parcours social et professionnel à travers cet entretien.

Lefaso.net : Comment avez-vous contracté votre handicap visuel ?

Abdoulaye Traoré : J’ai contracté mon handicap visuel dans les années 1987. A Bobo-Dioulasso, il y avait un moment où les enfants contractaient une maladie des yeux communément appelée Apollo qu’on soignait de façon traditionnelle en mettant du sucre dans les yeux et ça passait. Donc j’ai piqué cette maladie et malheureusement pour moi, quand on m’a soigné de cette façon traditionnelle, ça a passé, mais j’avais un œil qui voyait flou. Personnellement je ne m’en rendais vraiment pas compte. Ce sont les autres qui ont constaté qu’en fait je ne voyais pas parce que lorsque nous jouons aux billes ou au baby-foot, il m’arrivait souvent de chercher les billes ou les boules de baby-foot alors qu’elles étaient justes devant moi. Je ne voyais plus les objets ou les personnes qui étaient proches de l’œil droit.

Un jour mon père, en voulant me tendre directement un gobelet, a vu que je ne réagissais pas. A partir de là, il s’est rendu compte qu’effectivement j’avais de sérieux problèmes de vue. C’est alors qu’on a commencé les démarches dans les hôpitaux à savoir Sourou Sanou de Bobo-Dioulasso, le Centre ophtalmologique de Nouna puis à l’hôpital Yalgado de Ouagadougou. C’est à Yalgado qu’ils ont dit qu’il faut qu’on m’opère des yeux. J’ai été hospitalisé en décembre 1989 et janvier 1990 pour l’opération des deux yeux. Malheureusement ces deux opérations n’ont rien donné. J’ai continué les traitements jusqu’en 2002 où un ami m’a amené à Bamako pour me soigner.

C’est là-bas qu’on m’a dit concrètement que je souffrais du glaucome et on m’a proposé d’opérer, en me prévenant que les chances étaient minimes et que soit ils arrivent à arrêter l’évolution en cas de succès, soit je deviens totalement aveugle au cas où l’opération échoue. J’ai préféré ne pas prendre de risques et je suis resté comme ça. Donc je souffre de glaucome des deux yeux et je ne vois plus du tout.

Quel a été l’impact de ce handicap visuel avant et maintenant ?

Avant, sincèrement je souffrais beaucoup. Imaginez-vous un jeune de 12 ans qui a des soucis de vue… A l’école, des camardes, et même certains enseignants, se moquaient de moi en m’appelant l’aveugle, c’était difficile pour moi. Quand on écrivait au tableau et que moi je devais regarder pour reproduire dans mon cahier, j’avais d’énormes difficultés. J’étais obligé de regarder dans le cahier de mon voisin pour écrire la même chose dans mon cahier. Je me suis débrouillé jusqu’à obtenir le BEPC à Orodara avant de revenir à Bobo Dioulasso. Nous avons été les premiers élèves du lycée Bon Berger où j’ai fait deux ans en seconde AB3 et 1ère G2. Là-bas, c’était compliqué et j’étais obligé d’arrêter après deux ans d’études de comptabilité. En son temps, je réfléchissais beaucoup et souvent je pleurais seul dans la maison parce que je n’ai pas vu en son temps une personne handicapée qui avait persévéré. Quand je voyais un aveugle, c’était un mendiant ou une personne à qui on venait beaucoup en aide. Moi, en tant que jeune garçon, je voyais que ma vie était déjà fichue et ça me mettait beaucoup mal à l’aise. Mais je me suis battu en menant diverses activités et je ne sens plus ce poids aujourd’hui.

Quel est votre parcours professionnel ?

Je me suis aventuré dans beaucoup d’activités, surtout commercial, aux côtés de mon papa qui, après sa retraite, avait ouvert un magasin de vente de sacs et de cartons au petit marché de fruits de fruits et légumes d’Accart-Ville. Etant à ses côtés, je me suis formé petit à petit en techniques de vente et avec mes deux ans de formation en comptabilité et gestion, j’étais un peu aguerri en matière de commerce. Je me suis lancé dans le commerce à mon propre compte et je vendais du pétrole, de l’anti-moustique, des céréales... J’ai par la suite ouvert une boutique dans le quartier pour vendre des articles divers. Mais ce n’était pas du tout simple parce que les enfants qui savaient que le boutiquier que je suis ne voyait pas, me refilaient tous de la fausse monnaie.

Donc quand j’ai vu que c’était compliqué parce qu’au fur et à mesure je perdais la vue, j’ai essayé d’orienter mon activité vers le moulin à grains. J’ai ouvert un premier moulin vers le boulevard à Accart-Ville que je gérais moi-même après m’être formé dans le domaine. Après, j’ai recruté des jeunes qui m’accompagnaient. Puis j’ai ouvert un 2e, un 3e puis un 4e moulin. Avec les revenus de ces moulins, j’étais un peu plus autonome et je pouvais aussi aider mes autres frères qui croyaient que le handicap est une fatalité, qu’avec le handicap on ne pouvait rien faire.

J’ai aussi cherché à adhérer à une association de personnes handicapées visuels pour y apporter ma contribution. Donc en 2001, les services de l’action sociale m’ont référé à l’Association des aveugles et malvoyants espérance de Bobo que j’ai vite intégré. En 2002 on m’a intégré dans leur bureau comme trésorier adjoint, en 2006 j’étais trésorier général, en 2010 secrétaire général pour assurer l’intérim et en 2011 j’ai été élu le président. En 2015, nous avons changé la dénomination du centre pour donner le nom Association burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants Espérance de Bobo. J’y ai travaillé jusqu’en 2018 où j’ai cédé ma place à quelqu’un d’autre qui continue toujours les activités là-bas.

L’ABPAM Esperance de Bobo, est un centre de ressources qui comprend l’Ecole des jeunes aveugles, le centre d’alphabétisation et d’éducation non formelle, un centre de formation professionnelle. A l’ABPAM, on sensibilise beaucoup les personnes handicapées à accepter leur handicap. L’ABPAM, en plus d’alphabétiser les jeunes, forme de façon professionnelle aussi les jeunes qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école et ceux déscolarisés avec pour objectif d’autonomiser les personnes handicapées. Depuis 2016, je suis au service de la CORAH/HBS dont je suis le président. Au niveau de la CORAH/HBS, depuis 2018, nous mettons en œuvre dans les Hauts-Bassins le projet PADI avec un consortium d’acteurs que sont l’ACF, CBM et AGED pour la prise en compte des besoins spécifiques des personnes handicapées dans tous les projets et programmes que le projet va mettre en œuvre pendant cinq ans. Le projet finit le 30 avril 2023.

Présentez-nous la Coordination régionale des associations pour la promotion des personnes handicapées des Hauts-Bassins

La CORAH/HBS a été créé en 2008 au Centre de formation des personnes handicapées où le siège la coordination. Le premier président s’appelait Jean-Pierre Traoré. Il est toujours là, à mes côtés, comme personne ressource pour m’appuyer dans toutes les activités que nous menons au profit des personnes handicapées de la région des Hauts-Bassins.

Au sein de la CORAH/HBS, nous avons 43 associations dont 28 à Bobo, 13 dans le Kénédougou et deux à Houndé. Nous travaillons à ce que la personne handicapée puisse jouir de ses droits, participer dignement à la vie de sa communauté, de sa famille et ainsi contribuer au développement de notre cher Burkina Faso. Nous travaillons avec des structures privées ou publiques : le gouvernorat, le conseil régional, les directions régionales déconcentrées des différents ministères, la commune et les différents arrondissements, les hauts- commissariats, les ONG… qui interviennent dans le domaine du handicap au niveau de la région. Nous travaillons à sensibiliser tous les acteurs à prendre en compte dans leurs projets, programmes de développement les questions de handicap.

Nous travaillons aussi à renforcer les Organisations des personnes handicapées (OPH) de la région des Haut-Bassins, à mettre en œuvre leurs propres projets, à être autonomes, à participer dignement à toutes les rencontres. Nous faisons des échanges d’expériences pour pouvoir maîtriser la vie associative, renforcer leur leadership, renforcer aussi leur participation citoyenne, etc. Nous accompagnons aussi les projets individuels des personnes handicapées avec des financements pour faciliter leur autonomie et éviter la mendicité. Il y a des centres de formation aussi qui renforcent les connaissances de ces personnes à travers l’apprentissage d’un métier dans les secteurs agro sylvo pastoral, les métiers à tisser, le pagne traditionnel, l’élevage, le jardinage… au profit de nos membres.

Ce centre est un centre de formation par excellence, mais malheureusement qui manque de moyens matériels, de ressources humaines et financières pour fonctionner efficacement au bonheur et au profit des personnes handicapées et non handicapées de la région des Hauts-Bassins. Il est vrai que c’est un centre de formation des personnes handicapées, mais lorsque les personnes non handicapées viennent et veulent apprendre ce que nous faisons, elles sont les bienvenues.

Quel est l’apport de la CORAH/HBS pour ses membres et les personnes handicapées du Burkina ?

La CORAH/HBS participe à plusieurs rencontres sur le plan national et international et est membre du Comid handicap (Conseil national multisectoriel pour la protection des droits des personnes handicapées). Nous donnons nos idées pour le développement de l’inclusion du handicap sur le plan national, souvent même au plan international. Nous contribuons aussi à accompagner les ONG dans la mise en œuvre de leurs projets sur le plan national ou international. Aujourd’hui, c’est un centre de formation par excellence de la région des Hauts-Bassins mais ouvert à toutes les personnes handicapées du Burkina Faso même de l’extérieur.

Mais comme je l’ai dit, il manque un accompagnement adéquat pour l’équipement du centre en matériels de formation, financier et ressources humaines. Avec nos structures de base, je peux dire que la région des Hauts-Bassins est par excellence un centre de ressources avec des centres de façon spécifique pour les différents handicaps. Les Hauts-Bassins regorgent de personnes ressources, de centres de formations ressources, d’écoles inclusives qui prennent en compte toutes ces questions.

Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes handicapées des Hauts-Bassins ?

Il y a beaucoup de difficultés en ce qui concerne même la loi 012 du 1er avril 2010 portant promotion et protection des droits des personnes handicapées qui voit sa mise en application très difficile, surtout quand on fait un focus sur la carte d’invalidité. Aujourd’hui dans le domaine de la santé, de l’éducation, du transport, de l’emploi et de la formation professionnelle, les décrets d’applications sont adoptés, mais nous constatons que cela n’est pas effectif à 100% sur le terrain. Aujourd’hui, quand on parle de l’éducation, de la santé, de la formation professionnelle de l’emploi et du transport au niveau des grandes villes comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, on se rend compte qu’il n y a pas assez de problèmes. Mais quand on va un peu en profondeur, dans les localités assez éloignées, on se rend compte que les personnes handicapées de ces localités souffrent énormément alors que la loi 012 est une loi qui donne des droits à toutes les personnes handicapées du Burkina Faso.

Pourquoi ce sont seulement les personnes handicapées des grandes villes souvent qui bénéficient de ces droits ? Un enfant handicapé d’une localité lointaine, comment fait-il pour aller à l’école s’il est non voyant ou handicapé auditif ? Les enseignants qui sont dans ces localités ne sont pas formés, l’école n’est pas équipée de matériel adapté pour permettre à ces enfants d’aller à l’école. Du coup, ces enfants sont abandonnés à eux-mêmes et restent en famille alors que nous savons aujourd’hui que la santé est un droit pour tous et l’éducation la clé de toutes les opportunités. Lorsque nous fermons la porte d’une école à un enfant parce que l’enfant est handicapé, ça veut dire qu’on a fermé la porte de toutes les opportunités à cet enfant. Donc celui qui a fait ça, en réalité a fait du mal à cet enfant, à la famille de l’enfant, à la communauté de l’enfant parce que cet enfant s’il était éduqué, il pouvait apporter sa contribution pour le développement de sa famille, sa communauté et pourquoi pas de son pays ? Donc c’est aujourd’hui mon cri de cœur aux autorités

Quel est votre message à l’endroit des autorités et de la population pour l’épanouissement des personnes en situation de handicap ?

Je pense avoir beaucoup sensibilisé, beaucoup fait de plaidoyers et aujourd’hui je demande aux autorités de commencer à faire de la répression pour ceux qui vont refuser de faire respecter la loi 012. On dit que nul n’est censé ignorer la loi et moi je veux souhaiter que l’enseignant qui refuse un enfant handicapé visuel ou auditif ou un enfant handicapé de façon général dans sa classe, qu’il soit sanctionné. Sur quelle base il refuse à l’enfant d’intégrer sa classe ? S’il n’est pas formé pour prendre en charge cet enfant est-ce la faute à l’enfant ? Ceux qui ont construit l’école, ceux qui ont pris cet enseignant pour enseigner, c’est eux qui ont dit que l’éducation est un droit pour tous les enfants. S’il n’a pas les compétences, qu’il se réfère à son directeur qui pourra peut-être trouver des solutions ou se référer à son tour à l’inspecteur et ainsi de suite.

Et en tant que président de la Coordination régionale, j’invite tous les parents des personnes handicapées et les personnes handicapées elles-mêmes, à signaler les cas de violation de leurs droits pour qu’on puisse se plaindre là où il se doit, qu’on puisse réellement commencer à vraiment sanctionner ceux qui vont commettre ces actes. Nous tenons vraiment à bannir cela au niveau de notre pays.

Je voudrai également demander aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école. Le handicap aujourd’hui n’est pas une fatalité. Les enfants non handicapés ont le droit d’aller à l’école, ont le droit d’être en bonne santé, d’être bien nourris. Ils ont les mêmes droits que les enfants non handicapés. Ils ont d’autres droits spécifiques qu’on doit prendre en compte dans tout ce que nous faisons. Lorsque nous voulons construire une terrasse, il faut qu’on s’assure qu’il y a des rampes. Lorsqu’on veut faire des toilettes, il faut qu’on s’assure que la personne handicapée qui traîne à terre puisse utiliser ces toilettes sans se salir ! Que les parents croient en leurs enfants, accompagnent leurs enfants. Qu’ils ne s’asseyent pas pour dire que ce sont les partenaires qui doivent s’occuper de leurs enfants. Par ailleurs lorsqu’ils amènent ces enfants dans les centres de prise en charge des personnes handicapées, ne pas les abandonner parce qu’on constate que les parents en profitent souvent pour abandonner les enfants dans ces centres.

Il y a des parents aussi qui croient que quand tu as un enfant handicapé, c’est une marchandise et que les partenaires sont là pour les aider. Ils profitent de ces aides pour s’enrichir. Parfois, ils prennent ces financements pour investir sur les autres enfants qui ne sont pas handicapés et c’est dommage.

Quel est votre message à l’endroit des personnes handicapées qui se sentent complexées ou qui mendient ?

Je dis aux personnes handicapées que le handicap c’est dans la tête et le handicap n’est pas une fatalité. Le handicap n’est rien d’autre qu’avoir une partie de son corps qui ne fonctionne pas. Et lorsque nous croyons en nous, on accepte notre handicap. Les autres sens qui fonctionnent vont se développer pour compenser ce vide et on devient une personne extraordinaire. Souvent, on devient une star parce que tout le monde a envie de vous approcher, d’échanger avec vous, de savoir comment vous vous débrouillez. Vous devenez aussi une école pour les autres personnes handicapées et les personnes non handicapées qui ne savaient pas qu’une personne handicapée pouvait être comme ça, agir de cette façon, réfléchir de cette façon, être à la première place comme si elle n’avait rien. Aux personnes handicapées, je dis de croire en elles et de s’accrocher à la vie et participer au développement de leur famille, leur communauté et le pays.

Haoua Touré
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