Actualités :: Burkina : « On ne peut pas mobiliser toutes les forces, en imposant une (...)

Responsable chargé du mouvement associatif et des organisations de la société civile du CDP, organe issu du congrès de mai 2018, Alpha Yago, ex-directeur de la communication du dernier Chef de file de l’opposition politique, aborde dans cette interview réalisée le 27 octobre 2022, la crise qui secoue son parti et porte son analyse sur l’actualité politique nationale. Interview !

Lefaso.net : Quelle est l’analyse que l’on doit se faire de la situation actuelle au CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès) et quelle est la position de Alpha Yago par rapport aux clans en présence ?

Alpha Yago : La crise que traverse le CDP depuis 2020 s’explique par des querelles de leadership, mais aussi et surtout par la volonté de Eddie Komboïgo de supprimer les dispositions statutaires qui donnent des prérogatives au président d’honneur du parti.
Comme dans tout grand parti, il y a souvent des courants. Toutefois, cela ne doit pas porter atteinte au bon fonctionnement du parti. Bien au contraire, cela concourt au dynamisme et à l’animation de la vie du parti et montre sa capacité à être résilient et à faire face aux défis nouveaux.

Le CDP étant un grand parti, il est normal donc qu’il puisse y avoir de telles contradictions. Des contradictions internes qui, parfois, peuvent être importantes et profondes. Ceci dit, la crise actuelle est inédite et puise ses origines de l’organisation du VIIIe Congrès très querellé tenu par Eddie Komboïgo et son groupe les 18 et 19 décembre 2021. Il vous souviendra que lors des préparatifs, il y a eu beaucoup de divergences quant à l’opportunité de le tenir en décembre.

Une majorité des membres du Bureau exécutif national (BEN), du Secrétariat permanent (SP), dont la quasi-totalité des vice-présidents en activités, pour ne pas dire tous, étaient contre l’organisation du congrès. Par ailleurs, le fondateur du parti et président d’honneur a adressé une correspondance à Eddie Komboïgo pour lui demander de surseoir à l’organisation du congrès, de le reporter à une date ultérieure. Contre vents et marées, Eddie Komboïgo a tenu à organiser son congrès que d’aucuns qualifient de foire, avec ses partisans et en l’absence des caciques, des militants historiques, les plus engagés au sein du parti.

C’est le point de départ de la crise qui perdure jusqu’aujourd’hui, parce que, bien entendu, les conclusions du congrès ont été contestées par l’aile qui est restée loyale au fondateur, tandis que Eddie Komboïgo et ses camarades ont déposé au niveau du ministère en charge de l’administration territoriale les documents issus de leur congrès. Congrès illégal car organisé en violation de nos textes et en foulant au pied les prérogatives statutaires du président d’honneur.

Dans les statuts, il est clairement écrit que pour qu’un congrès puisse se tenir, il faut l’aval du fondateur. Il n’a pas eu ce quitus. En outre, une fois le congrès organisé et que le président est désigné, le fondateur doit également valider l’élection du nouveau président. Ce fut le cas lors de la présidentielle de novembre 2020. Eddie Komboïgo a été adoubé à travers une correspondance du fondateur pour qu’il puisse être candidat du parti. Donc, en réalité, l’agitation du groupe de Eddie Komboïgo se fait essentiellement dans les médias pour essayer d’embrouiller l’opinion, nos militants et nos sympathisants.

En résumé, il s’est rendu coupable de violation de nos textes et, partant de là, ne saurait aujourd’hui se prévaloir du titre de président, encore moins prétendre avoir le récépissé. Je précise au passage qu’il a été suspendu pour six mois, renouvelés par le BEN dirigé par le président par intérim, Achille Tapsoba (intérim confirmé par le fondateur et président d’honneur). Donc, Achille Tapsoba assume aujourd’hui la plénitude de la direction du parti en tant qu’intérimaire, jusqu’au prochain congrès, le VIIIe qui sera organisé de manière légale, suivant nos textes (que nous avons librement votés lors du VIIe congrès) et en y associant tous les militants.

Les textes prévoient la tenue des congrès chaque trois ans, délai que Eddie Komboïgo dit avoir rattrapé en décembre 2021. Ne pensez-vous pas que votre congrès en perspective soit caduc, synonyme de consolidation de la position de Eddie Komboïgo ?

Vous savez qu’en la matière le respect des délais n’est pas du fétichisme, surtout quand il s’agit d’un parti politique comme le CDP. Il y a toujours des aménagements possibles. Le ministère de l’Administration territoriale peut faire preuve de tolérance pour permettre au parti d’organiser un congrès dans les conditions optimales. En pleine tempête, en pleine crise interne, le ministère de l’Administration territoriale peut parfaitement comprendre qu’on ait besoin de plus de temps pour être à jour.

Pourquoi Eddie Komboïgo s’est précipité pour avoir son récépissé ? Je pense que cela cache mal des vices de forme liés à sa démarche. Le CDP n’est pas un parti clandestin. Il fallait prendre le soin d’informer le ministère de tutelle des difficultés internes, qui ne permettaient pas la tenue du congrès dans un climat apaisé. Sa précipitation nous a amené où, dix mois après ?

Dans l’impasse. Cela montre que lui-même a des limites objectives en termes de capacités managériales. On aurait pu se donner trois mois maximum pour gérer la crise à l’interne, trouver un consensus, de manière concertée, arrondir les angles et aller au congrès. Le ministère de tutelle aurait pu comprendre, d’autant plus que pratiquement dans la même période c’est-à-dire dans les jours qui ont suivi l’organisation du congrès illégal, plus précisément, le 24 janvier est survenu le coup d’État du MPSR.

On vous a connu avec le bureau de Eddie Komboïgo, avant que vous ne claquiez la porte en avril 2022. C’est quoi la principale raison ?

Vous observerez que je n’ai pas quitté le CDP. La crise sévissait entre les deux blocs et au même moment, j’étais directeur de la communication du CFOP-BF, que Eddie Komboïgo dirigeait en tant que président du CDP, première force politique de l’opposition. Donc, j’avais des responsabilités administratives. Quant à mon appartenance à l’aile historique, je n’ai pas besoin de la démontrer aujourd’hui. Ce que d’aucuns qualifient d’aile historique regroupe les principaux cadres du parti, chez les anciens, les femmes et les jeunes.

Je suis en phase avec leur vision politique sur de nombreux points, je suis un "Blaisiste" comme eux et surtout j’apprends beaucoup à leurs côtés. Donc, il y a des affinités et une proximité en termes de vision politique, au niveau national et au plan international. Et quand vous observez le courant dit historique, tous les militants aguerris y sont.

Anciens, jeunes, femmes, il suffit de regarder la liste du BEN. Comparez-la avec ceux qui sont restés de l’autre côté (aile futuriste : ndlr) et vous verrez la différence. En travaillant avec Eddie Komboïgo, je n’ai jamais fait de mystère du fait que mon rôle était d’être un trait d’union entre les deux blocs. C’est pourquoi, durant toute cette période, je n’ai jamais pris position. Je discutais en toute intelligence avec les membres des deux blocs. Je ne pensais pas que la crise allait atteindre un tel niveau de gravité.

Justement, considérez-vous les positions désormais inconciliables ?

En politique, il ne faut jamais dire jamais. Mais je veux dire que le fossé s’est agrandi. C’est certain.

Pourtant, tous les deux blocs se réclament, chacun, de Blaise Compaoré ! Ne peut-on pas admettre qu’il y ait un dénominateur commun, sauf s’il y a manque de sincérité d’un des blocs !

Blaise Compaoré est le plus petit dénominateur commun. Le président Compaoré a reçu les deux blocs, plus des personnes-ressources, à Abidjan. A l’issue de cette rencontre, il a adressé un courrier aux protagonistes et aux personnes-ressources ayant participé aux concertations à Abidjan, dans lequel il a donné ses orientations en vue d’une sortie de crise. Eddie et ses partisans ont rejeté la proposition de sortie de crise pleine de sagesse du fondateur. Dès lors, on connaît très clairement le camp qui manque de sincérité et qui s’oppose à une sortie de crise apaisée.

Le fait que le CDP soit arrimé à un leader naturel n’est-il pas la tare conjugale ?

Ce n’est pas une tare congénitale pour nous. Si c’était une tare, le CDP ne serait pas en vie aujourd’hui, huit ans après le départ de son fondateur, le président Blaise Compaoré.

Faut-il parler du CDP comme une vraie organisation politique, s’il faut à chaque fois se référer à une personne ?

L’ANC en Afrique du Sud fait référence aujourd’hui encore à Nelson Mandela et à bien d’autres leaders historiques. Le RHDP en Côte d’Ivoire, et de nombreux partis, même les plus farouches opposants du président Houphouët, se revendiquent comme étant des Houphouëtistes. Nous au CDP, nous avons le président Blaise Compaoré.

Avec son départ, beaucoup ont parié sur la disparition du CDP. Huit ans après, les gens peuvent constater que le CDP est bel et bien présent. L’essentiel des cadres et militants sont encore au CDP. Cela montre la solidité, la résilience de ce parti et l’attachement que les militants, les sympathisants et les cadres ont vis-à-vis du parti. Blaise Compaoré est une figure qui nous inspire, il a fait ses preuves pendant 27 ans à la tête de ce pays.

Depuis son départ (on n’a pas besoin de rappeler dans quel état il a laissé le pays en partant), le pays n’est pas au mieux de sa forme. Et personne ne s’en réjouit d’ailleurs. Mais au moins il faut reconnaître que sous le président Compaoré, le pays se portait mieux qu’aujourd’hui. On aurait souhaité dire qu’après le départ de Blaise Compaoré, ses successeurs ont ajouté la pierre à la pierre et que le pays va beaucoup mieux, qu’ils ont renforcé les acquis que le président Compaoré a durement obtenus avec d’autres camarades.

Mais on se rend compte qu’on a dilapidé une bonne partie des acquis que le président Compaoré a laissés à la postérité en partant en 2014. C’est dire que nous nous reconnaissons en lui, il est notre référence et notre plus grand souhait, est qu’il puisse retrouver la mère-patrie le plus tôt possible pour profiter de sa retraite, de sa famille et de ses camarades avec qui il a cheminé.

Parlant de la vie du parti proprement dite, lors d’une interview que vous avez accordée en avril 2018 à un média de la place, vous affirmiez que le CDP a besoin d’un président loyal, qui a une bonne connaissance du parti, de ses acteurs et de ses pratiques. Un président qui est rassembleur et qui peut, en vrai général, vous amener à la victoire en 2020. Une aspiration qui prévaut, toujours ?

Vous faites bien de faire cette référence, parce que vous aurez remarqué qu’à cette époque-là, en l’absence du leader charismatique du parti, le président Blaise Compaoré, cela allait être difficile d’espérer faire un bon score aux élections. Ce n’est pas inhérent au CDP uniquement. Tous les grands partis ont des difficultés après le départ de la figure tutélaire.

Surtout avec la perte du pouvoir, cela laisse beaucoup de traces et de séquelles. Au regard des persécutions dont les cadres du parti ont été victimes (sous la transition et même quelques temps après), le CDP était programmé pour disparaître. Il eût fallu un leadership avéré pour pouvoir tenir la baraque jusqu’à 2020 pour que le CDP puisse vraiment être uni derrière une seule personne et aller à l’essentiel. Je ne suis pas dans une logique de dire que Eddie Komboïgo n’a rien fait à la tête du CDP, le dire ce serait peu sérieux de ma part.

En 2015, c’était des circonstances exceptionnelles (nos leaders étaient persécutés, traqués, emprisonnés et d’autres en exil, le président Compaoré en tête). C’était donc difficile pour les leaders qui étaient sur place ici et pleinement engagés à la tête du parti. Il fallait donc une figure moins exposée. Eddie Komboïgo apparaissait donc en ce moment-là comme un recours. Il a fait ce qu’il pouvait, avec ses qualités et ses défauts. Mais force est de reconnaître qu’il a péché dans sa gouvernance.

Le CDP est un grand parti avec de nombreux cadres de premier plan, avec des compétences et de l’expérience politique. Ce qui n’est pas forcément le cas pour Eddie Komboïgo en termes d’expérience politique et de légitimité. Quand il prenait le parti en 2015, il n’était pas le plus légitime ni le plus expérimenté. Mais ceci dit, à cette période-là, il apparaissait comme un recours potentiel. Il a fait ce qu’il pouvait.

Le coup d’Etat de septembre 2015 est survenu, il a abandonné le parti pendant plus de 25 mois.
Il faut rendre hommage à Léonce Koné qui a géré le parti pendant de nombreux mois, il a été président du directoire pour la relance du parti de janvier 2015 au congrès de mai 2015. Autrement dit, il a fait preuve de courage, lui et les camarades qui se sont affichés et ont défendu le parti. Puis, Achille Tapsoba a assuré l’intérim après le coup d’État manqué de septembre 2015. Et pour cause, Eddie a pris la poudre d’escampette, sans aucun contact avec la direction du parti pendant plus deux ans.

Le CDP est allé aux élections en son absence et a obtenu 18 députés. C’est Juliette Bonkoungou, une grande femme de valeur, pétrie d’expérience politique et compétente, qui avait courageusement dirigé la campagne.
Au congrès de 2018, deux candidats étaient en lice pour la présidence du parti, à savoir les camarades Boureima Badini et Eddie Komboïgo. Eddie est finalement élu après une courte victoire (six voix de différence). Un bureau consensuel a été mis en place, jusqu’aux élections présidentielle et législatives de 2020 où il s’est présenté. Le CDP a obtenu 20 députés.

Au regard des contextes de 2015 et de 2020, on dira qu’on n’a pas évolué. Le contexte de 2020 était moins complexe que celui de 2015 où les comptes du parti étaient bloqués, de nombreux cadres en exil, d’autres en prisons. Et par-dessus tout, la loi d’exclusion dite « loi Chériff » qui a recalé les derniers cadres susceptibles d’influencer le scrutin.

Lors du double scrutin de 2020, de nombreux obstacles de 2015 n’existaient plus. En plus, le parti a présenté un candidat en la personne de Eddie Komboïgo. Malheureusement, il n’a pas réussi à mobiliser les ressources financières à même de permettre au parti d’espérer remporter la victoire.

Bref, Eddie Komboïgo a eu deux mandats, on l’a vu à l’œuvre, on a vu comment il a géré le parti, on estime qu’il faut passer à autre chose. Aujourd’hui, la situation du pays exige qu’on se mette en ordre de bataille pour préparer les élections à l’issue de la transition, et de nombreux militants estiment qu’il faut revoir le leadership à la tête du parti. Il faut un leader plus consensuel. Quelqu’un qui a une meilleure connaissance du parti, qui a de meilleures qualités relationnelles et humaines pour pouvoir réunir et même faire revenir ceux qui sont partis.

Autre fait marquant de la gouvernance Eddie Komboïgo, ce sont les nombreux départs d’acteurs politiques de premier plan. Ce qui est paradoxal, c’est que les départs concernent les anciens, tout comme les jeunes. Tout cela est dû à la mauvaise gouvernance de Eddie Komboïgo. Je peux citer Salam Dermé (qui était le responsable à la jeunesse quand Eddie Komboïgo arrivait), Salifou Tahita, Aly Badra Ouédraogo, Boubacar Bouda…, pour ne citer que ces jeunes les plus en vue. Au niveau des anciens, on peut citer Mahamadi Kouanda, Zambendé Théodore Sawadogo, Léonce Koné, Daniel Rasmané Sawadogo, Salia Sanou, Luc Adolphe Tiao, Fatou Ziba, Adama Zongo…

Tous ces noms sont des hommes pétris d’expérience, de qualités, des hommes et femmes de grande valeur. Et la liste est loin d’être exhaustive. Quand on dirige un grand parti comme le CDP, et qu’on aspire à briguer la magistrature suprême, la première qualité, c’est d’être capable de gérer son parti de manière efficace. Quand on n’est pas en mesure de gérer son parti, on ne peut pas prétendre passer à l’échelon supérieur.

Pensez-vous qu’un changement peut ramener nombre de départs que votre parti a enregistrés ?

C’est même la condition sine qua non. C’est pourquoi, aujourd’hui, la grande majorité des cadres et militants estime qu’il ne peut pas être la seule personne indexée par tout le monde comme étant le problème, sans motifs réels. Il y a forcément un problème de fond. Même ceux qui l’ont soutenu pour qu’il soit président du parti en 2018 et ensuite candidat à la présidentielle de 2020, ses principaux soutiens, se sont aujourd’hui démarqués de lui. Je peux citer le coordonnateur du Haut conseil du parti, Mélégué Traoré, Luc Adolphe Tiao qui lui a carrément quitté le CDP, donc un ancien président d’Assemblée nationale et un ancien Premier ministre.
Voilà l’atmosphère dans laquelle se trouve aujourd’hui le parti. Ce n’est pas un problème personnel, il s’agit de notre instrument politique, d’un outil pour renouer avec le peuple en vue de redonner au Burkina son lustre d’antan.

Le CDP, le parti, pour lequel on a fait des sacrifices pendant huit ans, avec tout ce que cela peut impliquer comme brimades, injustices, persécutions, etc. Malgré cela, les gens sont restés. Et s’ils sont restés, ce n’est pas à cause de Eddie Komboïgo, il ne faut pas que les gens se leurrent. La grande majorité des cadres, militants et sympathisants sont restés à cause de la ligne politique du parti et du président-fondateur, président d’honneur, Blaise Compaoré, et de l’héritage politique qu’il nous a légué et dont nous sommes fiers.

Alors que de nombreux observateurs pensaient que le contexte de la gouvernance post-insurrection lui était favorable, le CDP se retrouve face à un défi colossal et préalable de cohésion interne. N’est-ce pas, pour vous, un gâchis !

Il y a plusieurs façons d’appréhender les choses. De toutes les façons, pour nous, le dénouement de la crise est connu depuis le 17 octobre (2022). Il y a eu le procès en référé intenté par Eddie Komboïgo contre Achille Tapsoba. Un dossier jugé après six reports.

Pour nous, le délibéré est sans équivoque et sans appel : Eddie Komboïgo a été condamné aux dépens et l’objet de ses revendications a été rejeté (sa demande que Achille Tapsoba n’ait pas le droit d’utiliser le logo du parti, qu’il ne puisse pas se prévaloir du titre de président du CDP, que son congrès soit reconnu et les conclusions issues de son congrès dont le principal est que lui, il soit le président reconnu du parti).

C’était ses revendications, et toutes ont été rejetées. Pire, le juge a précisé dans sa décision que Eddie Komboïgo n’a pas réussi à démontrer le fait que Achille Tapsoba n’a pas été désigné président par intérim du parti. Deuxièmement, il n’a pas démontré le mal-fondé de la sanction interne du parti (et même renouvelée) contre lui. Et que par conséquent, il ne peut pas remettre en cause le titre de président par intérim de Achille Tapsoba car, il a été condamné aux dépens. Quand on est autant contesté, décrié, à un moment donné, il faut avoir l’humilité de se retirer pour préserver l’essentiel.

C’est cela aussi avoir la culture politique nécessaire pour écouter les conseils, et avoir l’humilité de se retirer. Ainsi, le parti pourra mieux s’organiser, et trouver un candidat compétent, légitime et consensuel.
Aux dernières nouvelles, Eddie Komboïgo aurait interjeté appel de la décision du tribunal de grande instance de Ouaga I. Ce qui nous conforte dans le fait qu’il a perdu le procès. Il n’est plus le président du CDP, car c’est celui qui a fait appel qui a perdu le procès. C’est indéniable.

La communication existe-t-elle toujours entre les deux blocs ?

De manière informelle, et au niveau de la base, les militants se parlent. Au sommet, je ne pense pas. Personnellement, je parle avec des militants qui ne partagent pas la même vision que moi. Ce n’est pas la guerre entre nous. C’est cela aussi le jeu politique, les clivages font partie, parfois, de la vie des grands partis.

Quand une grande partie des militants, surtout le BEN, ne partage pas votre manière de diriger, il faut avoir le courage de partir la tête haute. Il ne faut pas faire comme si on avait une vocation messianique. Ça devient une forme d’affront aux militants. Tous les militants ont vocation à diriger le CDP, pourvu qu’on remplisse les conditions requises par nos textes.

Quelles sont les conditions pour que l’unité soit retrouvée au CDP ?

Cela commence d’abord par le retrait de Eddie Komboïgo de la présidence du parti. A l’étape où nous sommes, ce n’est plus qu’il accepte, puisque la justice a tranché, mais qu’il arrête l’agitation médiatique. Les médias sont importants pour essayer d’influencer l’opinion, mais l’opinion n’est pas dupe. Il y a une décision judiciaire, qu’il en tire simplement les conséquences.

D’aucuns, et au regard de certaines attitudes en votre sein, voient en l’avènement du MPSR II, une victoire du camp futuriste sur celui dit historique. Votre commentaire ?

J’évite de me prononcer sur les rumeurs. Mais, j’observe comme beaucoup d’autres sur les réseaux sociaux, que les gens qui sont proches de Eddie Komboïgo se réjouissent de manière ostentatoire de la nouvelle donne politique.

Par rapport au MPSR, l’avènement du MPSR II vous inquiète-t-il, vous du bloc historique ?

Je ne vois pas pourquoi le MPSR II nous inquiéterait par rapport au MPSR I ; puisque ce sont les mêmes acteurs ! Ce sont des contradictions internes entre militaires qui se sont résolues en interne et une tendance a pris le dessus sur une autre. Nous, civils, ne pouvons que prendre acte. Nous sommes préoccupés parce que le pays allait très mal quand le MPSR I arrivait aux affaires. Donc, le second coup de force, est une autre source d’inquiétude supplémentaire. Mais, Dieu merci, grâce au concours des personnes-ressources, notamment des leaders coutumiers et religieux, et le sens de retenue des principaux acteurs des deux MPSR, le pire a été évité.

En tant que politique, je me réjouis de ce dénouement (le pire a été évité, les institutions ont été remises en place rapidement et la transition se poursuit avec le même délai). Un Premier ministre a été nommé, un nouveau gouvernement a été mis en place. En tant que citoyen, patriote, je ne peux que leur souhaiter plein succès pour le bonheur de tous. Ce qui suppose qu’on a récupéré notre territoire, les déplacés sont rentrés chez eux, que tous les Burkinabè peuvent aller dans leurs villages quand et comme ils veulent.

Vous nous introduisez dans l’actualité nationale ... Avec le MPSR II, il semble avoir un regain du discours révolutionnaire. Pensez-vous que ce peut être un élément de mobilisation populaire ?

D’abord, je tiens à la liberté d’expression et d’opinion. Pour qu’on ait des idées pertinentes, il faut le débat contradictoire. D’ailleurs, pour moi, en tant qu’homme politique, j’estime que pour qu’un débat soit enrichissant, ce n’est pas en causant avec ceux qui ont la même vision que moi, mais plutôt avec ceux qui ont des idées différentes.

Comme on le dit souvent, c’est de la contradiction que jaillit la lumière. Mais à condition que cette contradiction soit saine, organisée et se fasse dans le respect et qu’elle soit civilisée. Partant de là, j’espère que l’idéologie que le Premier ministre prône pourra sortir le pays de l’ornière. Si c’est le cas, je ne pourrais qu’être satisfait. Mais pour moi, une transition est à priori neutre. C’est sa neutralité qui peut mobiliser toutes les forces.

Maintenant, les leaders du pays peuvent avoir une couleur ou préférence idéologique. Mais à partir du moment où ils sont responsables de la gestion nationale, ils doivent gérer dans un canevas bien précis, à même de mobiliser toutes les forces, toutes les compétences qui peuvent concourir à sortir le pays des difficultés dans lesquelles il se trouve actuellement. C’est ce qui importe. Donc, je ne rentre pas dans les joutes idéologiques, pour le moment. On observe une sorte de trêve politique qui a été demandée ou même imposée aux hommes politiques pour s’occuper de l’essentiel : la question sécuritaire.

Personnellement, je pense qu’on ne peut pas mobiliser toutes les forces en imposant une idéologie parce qu’il y a forcément des gens qui y seront réfractaires. Lorsqu’on parle de volontaire pour la défense de la patrie, on n’a pas besoin d’être révolutionnaire pour aller s’enrôler, on a simplement besoin d’être patriote. C’est cela qui nous importe le plus chaque jour. Je ne peux pas suivre un discours, si cela ne va pas dans l’intérêt du pays. Par contre, si le discours correspond aux objectifs que la transition s’est fixés, il n’y a pas de souci, cela n’a pas besoin de coloration politique.

Aujourd’hui, on ne peut enlever dans l’esprit de certains citoyens que le CDP est une organisation politique née de la rupture avec la révolution. N’est-ce pas une charge pour votre parti ?

Un parti politique, c’est un héritage. Nous qui avons fait le choix de rester dans le parti et d’assumer l’héritage, nous assumons l’ensemble ; les aspects positifs comme négatifs. Il ne faut pas faire comme certains, qui veulent tout ce qui est positif et qui rejettent en bloc tout ce qui est négatif, alors qu’ils ont été les plus grands bénéficiaires du régime CDP.

Moi, je suis arrivé au BEN en 2012. Les évènements de 2014 se sont produits, deux ans après. Je suis resté dans l’opposition jusqu’ aujourd’hui. Si on veut faire le bilan entre ceux qui étaient aux affaires pendant plus de 25 ans (sur les 27 ans du pouvoir Compaoré) et moi, qui en a été bénéficiaire ? Mais cela n’enlève rien à ma conviction, à mon engagement.

C’est cela aussi qui fait la force du CDP et moi, je ne suis qu’un des milliers, voire des millions, de militants et sympathisants du parti. Et aujourd’hui, nous recevons les encouragements à travers le monde. Les gens sont fiers de nous voir porter le parti dans ses moments difficiles. C’est bien de défendre un parti au pouvoir, mais c’est encore mieux de le faire dans les moments difficiles, notamment quand il est dans l’opposition. Nous le faisons dans l’adversité, mais c’est naturel et c’est en phase avec nos convictions.

C’est sur la base des insuffisances et des défis en face que s’est opéré le changement au sein du MPSR. Nous avons donc un nouvel épisode avec de nouvelles autorités. Les premiers pas du MPSR II vous rassurent-ils ?

La nomination du Premier ministre est une surprise. Il a un profil original. Son profil sort des sentiers battus. On sait qu’il a un franc-parler, un penchant révolutionnaire. C’est un avocat, ce qui est différent de ce qu’on voit habituellement en termes de profils des Premiers ministres qui sont le plus souvent des économistes. A travers ses passages sur les plateaux télé, je remarque qu’il a une grande culture générale et semble être perméable aux avis contraires.

Le gouvernement comprend cinq ministres issus du MPSR I, ce qui marque une volonté de ne pas tout remettre en cause. Mon premier critère pour juger un gouvernement, c’est la compétence. Je ne connais pas tous les ministres, mais je constate qu’il n’y a pas de visages très connus en dehors de Bassolma Bazié, Emmanuel Ouédraogo et quelques anciens ministres qui ont été reconduits. Je préfère les juger sur les actes et je ne peux que leur souhaiter plein succès dans leurs missions et dans l’intérêt du pays.

Au moment où nous réalisons cet entretien, il y a des manifestations contre certains ministres à qui il est reproché des actes immoraux. Votre commentaire sur cette actualité ?

Aucun gouvernement au monde n’est parfait, aucune œuvre humaine n’étant parfaite. Choisir, c’est éliminer et quand on élimine, on fait forcement des mécontents. Et parmi ceux qu’on choisit, il y en a qui sont pour et d’autres sont contre, c’est humain. Si on cherche à tout prix le gouvernement parfait, j’ai bien peur qu’on n’en trouve pas.

Je reviens donc à mes critères : la compétence et un minimum d’intégrité et de probité morale. S’il y a des éléments qui sont soulevés contre certains, il appartient au gouvernement d’évaluer la pertinence des griefs qui sont portés contre eux. S’il estime que les griefs sont suffisamment graves, il lui appartient d’en tirer les conséquences. Mais, je ne suis pas favorable au fait que la rue dicte sa loi, de manière systématique. C’est très dangereux pour un pays. Je veux bien qu’on tienne compte de la probité des ministres.

Toutefois, si la personne n’est pas poursuivie, ou mise en examen, je suis réservé. Il faut rester vraiment attaché à la loi : est-ce que les griefs qui leur sont reprochés ont été l’objet de plainte ? Ont-ils été jugés, condamnés ? C’est cela vraiment les éléments déterminants. Je suis partisan du respect de la loi. En outre, il faut faire attention. Il y a la manipulation. Si on doit aller dans cette logique, cela veut dire que si un individu est nommé, et sa tête ne plaît pas à un groupe, ce dernier va organiser des manifestations pour exiger le départ de la personnalité nommée ? On ne peut pas gouverner ainsi.

Toujours dans ce nouveau gouvernement, on voit que le volet réconciliation est fondu dans un autre département. Cela ne vous inquiète-t-il pas, vous (CDP) qui avez fait de la question une des priorités ?

A priori, c’est peut-être une source d’inquiétude. Mais, il faut écouter l’opinion. Le mot réconciliation a été galvaudé. Pour moi, il a été vidé de son sens premier. Pourtant, c’est un sujet noble à la base. Donc, pour moi, il eût fallu quitter même le cadre de la réconciliation pour parler d’unité nationale et de cohésion sociale. On pouvait donc garder l’intitulé unité nationale et cohésion sociale et procéder différemment pour moins heurter les sensibilités. J’ai fait partie du comité de pilotage en charge de l’élaboration des textes sur la réconciliation nationale. On en a parlé en long et en large, en commissions et en plénière.

A toutes ces rencontres, on a toujours mis l’accent sur la nécessité de privilégier les victimes. Et cela a été accepté à l’unanimité. Les victimes devaient toujours être au cœur du processus et en plus, il fallait un travail de fond, de mobilisation sociale pour préparer les mentalités à l’acceptation de la réconciliation. D’aucuns pensent que sous Roch Kaboré, le processus était trop lent, d’autres, par contre, estiment que lors de la transition du MPSR I, certaines étapes ont été brûlées. On a voulu aller vite en besogne. Donc, dans les deux cas, il y a des insuffisances. Le MPP a été trop lent, alors que les attentes étaient trop fortes.

Le MPSR, voulant rattraper cela, est allé trop vite, en brûlant certaines étapes. Espérons qu’avec cette reconfiguration, le MPSR II va corriger les insuffisances des deux régimes (Kaboré et Damiba). Autrement dit, le fait que la réconciliation soit ramenée dans un ministère toujours important, dirigé par une personne d’expérience, qui jouit d’une bonne réputation, est une bonne chose. Je pense donc que ce n’est pas le rang qui compte, mais plutôt ce qui va y être fait. J’espère vraiment qu’un travail de fond soit fait, pour que la réconciliation aboutisse de manière naturelle. C’est cela le plus important.

Qu’on n’ait pas de politiques dans le gouvernement n’est-il pas une insuffisance, au regard de la situation ?

Le MPSR avait tenté cette expérience. A mon sens, sous le MPSR II on aurait pu avoir une dose de politique, mais à minima. Ce qui allait également trancher d’avec la transition de 2014-2015 où la coloration politique était forte. Un quota aurait pu être attribué aux différents blocs politiques. Quand on n’est pas impliqué, on ne peut pas donner le meilleur de soi. C’est cela la réalité. Or, il se trouve que les réformes en vue sont destinées aux politiques qui vont les mettre en œuvre à l’issue de la transition …

Un recrutement populaire de VDP est lancé, pensez-vous qu’il aura l’engouement escompté ?

Je l’espère. La guerre populaire généralisée est une demande qui date de longtemps. Donc, si on tend vers cela aujourd’hui, et que les autorités ont pris les dispositions nécessaires pour maîtriser et encadrer le processus (c’est cela aussi un autre aspect de la question), je ne peux que souhaiter que ce soit un grand succès pour libérer notre pays. Rien n’est au-dessus de la patrie.

En mots de conclusion ?

Merci à vos lecteurs, surtout à vos internautes, que je salue pour leur activisme ; aussi bien ceux qui seront favorables à mes idées que ceux qui ne le seront pas. C’est cela aussi le débat contradictoire, pourvu que cela se fasse dans la courtoisie et le respect mutuel, c’est ce qui enrichit le débat. Je souhaite vivement que le pays puisse se porter mieux, afin que chaque Burkinabè ait la possibilité de recouvrer sa quiétude d’antan et vaquer librement à ses occupations.

Que le Burkina puisse occuper à nouveau la place qui était la sienne dans le concert des nations. Et pour cela, il a besoin aussi d’un CDP fort et combatif avec un leadership consensuel. Merci à vous et au Lefaso.net de m’avoir donné l’opportunité de me prononcer sur la situation nationale. Que Dieu bénisse le Burkina !

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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