Actualités :: Burkina : « On est au 9e coup d’Etat, mais ça n’a rien donné. On fait les (...)

Sur initiative de plusieurs organisations civiles et citoyennes, et dans le cadre du huitième anniversaire de l’insurrection populaire, Pr Mahamadé Savadogo, enseignant-chercheur de philosophie à l’Université Joseph-Ki-Zerbo, par ailleurs coordonnateur du mouvement du Manifeste des intellectuels pour la liberté, et André Tioro, consultant et président du MBDHP (Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples), section du Houet, ont animé un panel public, ce samedi 12 novembre 2022 à la Bourse du travail de Ouagadougou. Les communications, qui se sont déroulées dans une grande mobilisation, ont porté sur « la situation nationale : enjeux et perspectives ».

Selon Pr Mahamadé Savadogo, la situation que traverse le Burkina renvoie à un stade particulièrement compliqué, qu’on peut caractériser de crise aigüe, marquée par une déstabilisation affligeante. « Une situation passée, il y a quelques années, de complexité à l’aiguisement de la crise, si fait que certains Burkinabè sont exposés à la tentation du découragement ; jusqu’à s’interroger si une autre issue que l’effondrement est possible », décrit l’enseignant-chercheur.

Abordant ce qu’il appelle « traits saillants d’une crise exacerbée », le panéliste se dit frappé par la multiplication des signes de malheur. Elle s’incarne par la multiplication des attaques qui, au fil du temps, semblent se diffuser à travers tout le territoire (aucune région n’est complètement épargnée par ces attaques). « Les conséquences sont les victimes directes, les déplacés internes et surtout un terrain particulièrement affecté par le phénomène des attaques : l’éducation. Rien que cette semaine, les chiffres des écoles qui sont fermées ont été actualisés. Malheureusement, il faut constater qu’ils sont en nette augmentation. Aujourd’hui, on parle de 4 992 écoles primaires fermées, de 643 établissements du post-primaire fermés, et on considère qu’il y a au moins 1 000 837 élèves qui sont concernés par cette situation de fermeture. Et ce qui est particulièrement significatif, c’est qu’il y a eu d’abord des fermetures au niveau du primaire, ensuite au secondaire et aujourd’hui, on a atteint un point où des établissements supérieurs privés sont concernés par ces fermetures », présente Pr Mahamadé, qui relève également l’exacerbation de la violence, le massacre des populations.

Pr Mahamadé Savadogo (au milieu) avec à sa gauche, André Tioro et à sa droite, le modérateur, Moussa Diallo (secrétaire général de la Confédération générale du travail du Burkina)

« Une souffrance qui trouve des exaspérations à travers des épreuves que subissent les structures mêmes de l’Etat. Au niveau des structures de l’Etat, on enregistre deux coups d’Etat en huit mois. L’intervention même du coup d’Etat est un signe d’aiguisement de la crise ; parce que le coup d’Etat entraîne en lui-même une manipulation des institutions, une désorganisation de l’ordre légal », poursuit le panéliste, s’interrogeant donc sur l’apport des coups d’Etat.

Dans la deuxième partie de sa communication, Pr Mahamadé Savadogo a planché sur ce qu’il a qualifié de « réorientation de la contre-insurrection », rappelant que les deux coups d’Etat ont été perpétrés par un même mouvement appelé MPSR, qui se préoccupe de « sauvegarde » et de « restauration ». « Il est quand même curieux de constater que le deuxième coup d’Etat a gardé les mêmes sigles que le premier. Ce qui montre clairement que du point de vue des acteurs, c’est le même mouvement. Si c’est le même mouvement, on peut se demander ce qu’il y a de nouveau », tâte l’enseignant-chercheur. Il constate cependant que le même mouvement s’est scindé en deux temps. Le premier temps animé par la préoccupation essentielle d’une réconciliation « pressée », freinée par le deuxième coup d’Etat, avec la ‘‘suppression’’ du département en charge du volet.

Le deuxième coup d’Etat a amené l’annonce d’un vaste recrutement de combattants, aussi bien de militaires que de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). « Il s’agit d’un recrutement de combattants, il ne s’agit pas d’une stratégie d’organisation d’une résistance au niveau même de la population à la base. Il ne s’agit pas d’essayer d’identifier les initiatives de résistance déjà existantes et d’encourager l’apparition d’autres initiatives (telles que les choses sont prévues, il est surtout question de recruter des combattants). Et également, le deuxième coup d’Etat a amené une remise en cause de certaines mesures particulièrement décriées du premier coup d’Etat (augmentation des salaires des membres du gouvernement) ; il nous a été dit que cet élément sera remis en question, nous attendons de voir exactement la mesure de ce changement-là. On peut parler d’une réorientation de la dynamique purement contre-insurrection dans laquelle s’était engagé le premier coup d’Etat, mais il ne s’agit pas d’un changement fondamental. La preuve est que les animateurs eux-mêmes du second coup d’Etat insistent pour dire que c’est le même mouvement qui reste à la direction des choses. Et surtout, on peut montrer que face à une préoccupation fondamentale des masses comme l’augmentation des prix des produits de base, pour le moment, nous n’avons rien enregistré comme changement de ce côté-là. Au contraire, certains responsables de ce nouveau mouvement avaient laissé entendre qu’ils pouvaient revenir sur cette augmentation des prix, mais pour le moment, rien n’a été confirmé, on cherche plutôt à patienter de ce côté », soulève Pr Savadogo, qui observe que jusque-là, et de façon globale, le changement apporté n’est pas profond.

Le panel a été organisé par une quinzaine d’organisations (ici énumérées).

D’où la légitimité de s’interroger s’il est vraiment possible de surmonter la situation de détresse à laquelle les populations sont confrontées. Pour répondre à la préoccupation, il convoque ici ce qu’il appelle « résistance des partisans du vrai changement ». En effet, jauge-t-il, lorsqu’on observe les éléments en présence et les mesures annoncées pour le moment par les autorités, on peut dire que le changement espéré n’est pas encore à l’horizon.

« Ceux qui croient que l’insurrection a été un incident de l’histoire doivent réviser leur prévision… »

« Beaucoup d’acteurs interviennent dans l’évolution de cette société et ont chacun un rôle à jouer dans son changement. La question du véritable changement doit prendre en compte toutes les forces qui animent la vie de ce pays et qui cherchent à amener une transformation de la société. Dès lors, on est obligé de reconnaître que depuis longtemps, il y a des forces qui se battent pour le changement véritable dans le pays et qui, à chaque tournant important, attirent l’attention du peuple sur les enjeux, sur ce qui a été atteint et ce qui reste à faire. C’est ce qui permet d’éviter les illusions. Ce qui fait qu’au premier coup d’Etat, les gens ont observé une forme de prudence. Au deuxième coup d’Etat, les gens sont sortis parce qu’on leur a dit qu’il y a une menace d’immixtion étrangère dans la situation. Et beaucoup sont sortis pour protester contre cela. Mais au-delà de cette protestation, on se demande qu’est-ce que les nouvelles autorités vont être capables de nous proposer », fait ressortir le panéliste, pour qui, autant la détresse s’acerbe, autant l’aspiration au changement se renforce.

« On assiste donc à un renforcement des positions démocratiques et révolutionnaires, se traduisant par un développement des revendications, par une volonté des différents secteurs de s’organiser et de ne pas subir la situation. Cette résistance pointe en général vers quelque chose qu’on peut appeler alternative, c’est-à-dire un changement radical, qui va permettre de prendre un autre élan complètement différent et de pouvoir pousser à une transformation en profondeur de la société, mettant fin à l’exploitation, à la domination extérieure et aux pillages des ressources. Cette demande de changement va au-delà d’une simple demande de révision des institutions de la transition. Il s’agit de réfléchir sur une transformation en profondeur de la société, qui va permettre de vaincre les forces barbares et, au-delà, construire une nouvelle société à même de répondre aux besoins fondamentaux des populations. C’est l’enjeu aujourd’hui vers lequel beaucoup tournent la tête. La conquête de cet objectif se prépare, beaucoup de signes s’accumulent face à l’exacerbation de la crise (l’exemple de la revendication de plus en plus ouverte du patrimoine insurrectionnel du peuple). Ceux qui croient que l’insurrection a été un incident de l’histoire doivent réviser leur prévision, car elle est devenue une trace profonde et a tracé des voies pour une transformation radicale de la société », a, sous fond d’espérance, projeté le coordonnateur du mouvement du Manifeste des intellectuels pour la liberté.

André Tioro pense effectivement que la résistance de plus en plus organisée des populations face aux attaques donne une raison d’espérer. Mais avant, il pointe un système qu’il faut travailler à déraciner. « Les racines de la guerre actuelle sont à rechercher dans la domination néocoloniale de notre pays par la France et d’autres puissances », indique le président de la section MBDHP du Houet.

André Tioro est passé de modérateur au départ à panéliste.

Ces puissances sont aidées par des classes sociales au plan national (classe dirigeante : ndlr), qui constituent ainsi des relais et qui ont, durant 60 ans, développé le clientélisme, la corruption, la mal gouvernance…, charge M. Tioro. Pour lui, ce n’est donc pas une surprise qu’on assiste à une guerre telle qu’évoquée aujourd’hui.

Le consultant qualifie d’ailleurs la situation du Burkina de « guerre civile et réactionnaire ».

Civile parce que, justifie-t-il, c’est une fraction de la population qui s’est soulevée contre l’Etat et qui veut le renverser. « C’est cela son objectif. On les appelle improprement des HANI (hommes armés non identifiés), ce n’est pas vrai. Mais à Djibo, est-ce qu’on discute avec des fantômes ? En 2020, on a discuté avec les gens. On se propose de faire des dialogues, est-ce qu’on le fait avec des fantômes ? Non ! Donc, ils sont connus », bat-il en brèche, prenant à témoin des propos de l’ancien du ministre de la Défense, le général Barthélémy Simporé, selon lesquels, ceux qui attaquent le pays sont des Burkinabè.

André Tioro dit partager sur ce point, mais sans tirer la même conclusion, les affirmations de l’ambassadeur de France, lorsqu’il dit que la situation au Burkina est une guerre civile.

Guerre réactionnaire également car, dans son contenu, c’est une guerre de régression sociale (destruction d’écoles, de pylônes, d’hôpitaux… ), poursuit M. Tioro. « Dans ces conditions, il n’y a aucun projet viable, c’est cela qui donne son contenu réactionnaire et d’agression (ils empêchent les paysans de produire) », insiste-t-il.

Malgré le temps qu’a duré le panel, plus de trois heures, le public est resté mobilisé et attentif.

Le président du MBDHP, section du Houet, déplore en outre une armée nationale divisée, articulée autour des intérêts particuliers, pointée de commettre des exactions sur les populations civiles (massacre de Kaïn) sans que la lumière soit faite (malgré les promesses). « C’est cela la réalité. Dans ces conditions, l’impérialisme et l’Etat ont le même comportement d’agression. (…). Ce qui fait que l’armée est perçue comme celle qui fait aussi des agressions et cela participe à la crise de confiance entre armée et populations », note André Tioro, constatant également une faillite des institutions. L’image de l’Etat est dégradée auprès de certaines populations, et même de certains de ses propres agents.

« Il y a beaucoup de contrebandiers de l’histoire de notre pays »

« Les facteurs qui ont favorisé cette guerre sont entre autres que le système est dans l’impasse politique, militaire, stratégique (…). Vous avez suivi à moment donné, en France, tout le monde tombait à bras raccourcis sur Macron pour dire voilà comment ses comportements infantiles ont amené la situation au Sahel. Et que tout le monde savait que l’armée française ne gagnerait jamais cette guerre-là en se déportant ici. Mais à quelque chose malheur est bon, cela nous a amenés à comprendre que la domination impérialiste est quelque chose de physique, de présent, que tout le monde voit désormais. Confère le jeune qui, avec son lance-pierres, a détruit le drone ; pour lui, c’est clair, on n’a pas besoin de lui faire la théorie, il a vu qu’à Kaya, l’impérialisme français était là et il a descendu le drone. Lui, il a lutté à sa manière. Impasse politique pourquoi ? On est à notre neuvième coup d’Etat, mais ça n’a rien donné. On fait les élections depuis 1960 également, mais ça n’a rien donné. Cela veut donc dire qu’on est au bout du rouleau… C’est la forme que l’Etat néocolonial s’est toujours donné (si ce n’est pas coup à d’Etat, c’est élection, si ce n’est pas élection, c’est coup d’Etat). Mais ça ne marche plus. Bien plus, la classe politique est aujourd’hui, elle-même, décriée, de sorte qu’ils sortent eux-mêmes (les membres de cette classe politique : ndlr) pour dire qu’ils s’excusent d’avoir amené ces politiques qui nous ont conduits dans l’impasse. Dans ces conditions, c’est une constance : c’est lié à la nature de l’Etat néocolonial, de son animation et comment il gère les intérêts de notre peuple. Impasse militaire…, la preuve, on est dans le tâtonnement jusqu’à présent. C’est cela qui inquiète le peuple », fouine le consultant.

Des nombreux intervenants au sein du public ont insisté également sur la nécessité d’une gestion plus transparente et rationnelle des ressources nationales, notamment l’or.

Outre l’ethnicisme, le régionalisme, la mauvaise gouvernance, M. Tioro retient certaines actions des pays arabes et du Golfe comme un des facteurs de la crise que traverse le Burkina. « Il faut voir, à un moment donné, la prolifération de construction de mosquées. Ce n’est pas mauvais en soi, parce qu’il y a des gens qui croient et qui sont des musulmans. Mais si c’est pour prêcher la division dans nos mosquées, voilà ce que ça nous a amené. Dans ces conditions, ces financements ont été nocifs, ils n’ont pas contribué au développement du pays », examine le panéliste Tioro.

A l’en croire, le Burkina est à la croisée des chemins et la question est donc de savoir si on va s’en sortir. « Oui, on s’en sortira. Ce n’est pas un vœu pieux, parce qu’il faut interroger notre histoire et aller puiser dans cette résistance que nos ancêtres ont développée déjà face aux colonisateurs. Nos ancêtres, dans tous les coins de ce pays, ont accueilli le colonisateur avec des flèches, des fusils de fortune…, mais ils n’ont jamais accepté la domination », galvanise-t-il en substance, en soutenant avec quelques grands évènements lointains et récents qui ont mobilisé les Burkinabè dans leur ensemble, sans considérations.

L’esprit de résistance et de lutte qui anime le peuple et les « ressources extrêmement importantes » dont recèle le peuple pour prendre sa défense (il cite le cas de Ladji Yôrô) sont, pour André Tioro, des motifs d’espérer.

« Cette crise a mis en exergue un sentiment anti-impérialiste important qui est en train de gagner en largeur. Mais il faut qu’elle gagne en conscience. Il y a peut-être 20, 30 ans, quand on parlait de la domination impérialiste, il y a des esprits bien pensés (il y en a qui ne sont pas encore morts, je donne des noms : Basile Guissou, Roch Marc Christian Kaboré et j’en passe) qui disaient que l’impérialiste était lointain et fictif. C’était cela le cœur du débat qui animait le mouvement étudiant (ce ne sont pas des questions de personnes, c’était l’analyse concrète de la situation du pays qui a déterminé la fracture). Et ceux-là qui sont partis, qu’on a appelés les liquidateurs (ils se sont auto-liquidés parce qu’il n’y a pas de perspectives). Il n’y a pas eu de perspective parce qu’ils ont été des putschistes, ils ont aidé la bourgeoisie à s’installer, à réprimer le peuple, quel que soit le manteau sous lequel ils se sont présentés.

L’imposante salle de conférences n’a pas pu contenir les participants au panel

C’est cela la réalité et on ne va pas cacher cela parce que souvent le débat est mené sans aller jusqu’au bout, sans connaître aussi l’histoire. Ecoutez par exemple le Premier ministre, il dit qu’il a milité dans les organisations estudiantines. Faux, j’y étais dans la même période. Il dit qu’il a milité dans l’UNEF (Union nationale des étudiants du Faso), mais ce n’est pas une organisation estudiantine burkinabè. Si c’est cela, il n’a rien fait du tout, il ne peut pas se prévaloir de cela. Or, il revendique d’avoir milité dans les organisations estudiantines. Mais en contrebande, c’est comme s’il avait milité dans les organisations estudiantines voltaïques à l’époque. Ce n’est pas vrai ! Il y a beaucoup de contrebandiers comme cela de l’histoire de notre pays. C’est pourquoi il faut les démasquer un à un. Ça commence à bien faire. Il faut énormément faire l’articulation entre le mouvement anti-impérialiste qui se développe et la question de la révolution ; si on ne le fait pas, ça va se transformer en eau de boudin et tôt ou tard, les gens vont se fatiguer, se décourager et partir », a signé le consultant et défenseur des droits humains, André Tioro.

Oumar L. Ouédraogo
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