ActualitésDOSSIERS :: Burkina : « On ne chante qu’un seul couplet de notre hymne national, une (...)

Il y a 62 ans, les Voltaïques accédaient à l’indépendance. A cette date historique, se succèdent le 4 août 1983, déclenchement de la Révolution démocratique et populaire (RDP) et le 2 août 1984, la rebaptisation du nom du pays suivie d’autres importants actes. Pour une certaine génération de Burkinabè, le 5 août 2022 (outre l’indépendance) rappelle bien également ces « moments cardinaux » de l’histoire du pays qui ne semblent pas servir au présent, encore moins, à des perspectives.

Le 4 août 1983, un groupe d’officiers prenaient le pouvoir. Une année plus tard, précisément le 2 août 1984, le capitaine Thomas Sankara, un des leaders du coup de force de 83, dans sa volonté de tourner la page d’un « passé réactionnaire et néo-colonial », rebaptisait la Haute-Volta en Burkina Faso : Pays des Hommes intègres. Cette date a également consacré la transformation de l’hymne national. Ainsi, de « fière Volta », l’hymne national devient le « ditanyè » (chant de la victoire, en langue nationale Lobiri). La devise passe, elle, de « Unité-Travail-Justice » à la « La Patrie ou la mort, nous vaincrons ! ».

Cette nouvelle dynamique est célébrée plus tard le 4 août, au premier anniversaire de la Révolution démocratique et populaire (4 août 84). Le 5 août (référence à la proclamation de l’indépendance) est certes, la date retenue et consacrée jour férié, chômé et payé, mais rappelle pour une certaine génération de Burkinabè, les 2 et 4 août (en références à ce qui s’est passé en 83 et 84). Pour des contemporains de cette époque, qui ont requis l’anonymat, ces dates porteuses de valeurs et de sacrifices sont aujourd’hui ignorées.

Concrètement, que représentent ces journées des 4 et 5 août, quel engagement concret pour marquer la commémoration ? Comment des contemporains de ces moments-clés du pays vivent-ils cette célébration ?

Thomas Sankara, père de la Révolution.

« Ce que je constate, c’est que ces dates que vous évoquez ne représentent rien aujourd’hui, à part que le 5 août est décrété jour férié, chômé et payé. Quel est l’engagement concret qu’on pose les 4 et 5 août ? Rien ! Aujourd’hui, toutes ces dates, surtout le 4 août, servent à ne pas travailler, à manger et à boire, aucun engagement sur les valeurs qu’elles ont défendues. Quelle est la symbolique forte qu’on donne à tous ces moments qui constituent le socle de notre nation ? Toutes ces organisations et ces individus qui se réclament sankaristes n’ont même pas le réflexe de poser un acte concret à l’occasion de cette commémoration », évoque un témoin de la proclamation de l’indépendance et animateur de la Révolution.

Il poursuit en interpellant : « Même le plus simple, on n’a pas pu faire. Savez-vous qu’on ne chante qu’un seul couplet de notre hymne national ? Alors que l’hymne a cinq couplets. Chaque couplet est en rapport avec une situation. Nous ne chantons qu’un couplet et un refrain.

Le reste n’est pas connu. Alors que c’est un ensemble. Ce n’est pas normal. L’hymne de la victoire devrait être connu dans son entièreté. Chaque couplet est lié à une situation du pays. Lisez l’entièreté, vous saurez ce qu’on perd, en ne le chantant pas. Il ne faut pas faire semblant. Pour écrire l’hymne national, c’est une série de nuits blanches.

L’hymne devrait refléter exactement ce qu’il faut à un Voltaïque, devenu Burkinabè, pour rester Burkinabè. C’est cela l’hymne de la victoire. Il y a des réalités dans lesquelles le peuple est contraint physiquement, dans ses moyens de mobilisation, d’existence, ses moyens culturels. Mais nous, comme on cherche la facilité, on a manqué tout.

Quand vous entendez ‘’Sankara partout et Sankara nulle part-là’’, c’est bien cela. Même le plus simple des engagements, on n’a pas pu. Le simple fait de chercher à savoir ce que renferme l’hymne national dans son entièreté, on n’a pas pu. Si on ne peut pas chanter tout parce qu’on estime que c’est long, on devrait forcement trouver le moyen de faire connaître l’entierté à tout le monde, sinon ça n’a pas de sens !

Les pionniers de la Révolution

Mais, que voulez-vous, moi qui suis assis devant vous, je représente quoi dans ce pays pour aborder certaines questions ? Je n’ai pas d’argent, je ne connais pas de grands types, je n’ai pas la grande gueule. Même les quelques jeunes qui venaient causer avec moi ici sous cet hangar ne viennent plus, parce que je n’ai pas d’argent à leur donner. C’est cela la triste réalité, c’est la déchéance. (...).

On en veut à Damiba (président du Faso, ndlr) aujourd’hui, mais les plus avisés savent ce qui se passe. Le MPSR est la fin d’un cycle infernal qui a commencé en 80, qui s’est scindé et reconstitué en cinq groupes. Observez bien, vous verrez que dans le gouvernement actuel, il y a de vrais PCRVistes (référence au Parti communiste révolutionnaire voltaïque : ndlr).

Toutes ces agitations qui se constatent aujourd’hui ne sont pas fortuites, seulement, vous les jeunes, vous ne pouvez pas comprendre, ça vous dépasse. Les acteurs..., nous autres-là, on se connaît. Ceux qui sont à la manoeuvre, ce sont des éléments de ceux qui ont embarqué en 80-là, ils savent où ils veulent aller. Le MPSR est en réalité la fin d’un cycle infernal, qui a commencé en 80, et qui a connu cinq évolutions (cinq groupes). Chaque groupe a eu sa part de gestion. Maintenant, il y a des éléments qui sont en train de se réorganiser pour revenir, s’ils réussissent, c’est réparti pour un autre cycle infernal », a démontré ce septuagénaire, des noms, organisations et bien d’autres indices à l’appui.

C’est dans des propos et voix tristes que le doyen poursuit dans l’actualité nationale. « Toutes les coalitions qui se créent-là, personne n’a en souci d’aller sur ces questions essentielles, primordiales pour le pays. Il y a des préalables, tant qu’on ne les résout pas, on ira de difficulté en difficulté. Il suffit de toucher certains fonds pour régler beaucoup de problèmes qui nous assaillent aujourd’hui. Au lieu de poser le vrai diagnostic, les gens s’agrippent à des questions d’intérêts personnels. Tous ces regroupements que vous voyez-là, c’est comment se partager un gâteau ou pour pousser l’autre tomber afin d’arriver aussi sur la marmite. (...). C’est avec les éléments de l’hymne national qu’on devait mobiliser, former nos cadres à l’ENAM, à l’ENAREF, dans les écoles de formation des enseignants, nos écoles de santé, etc. Pourquoi on cherche loin pour les solutions qui sont simples et à notre portée ? Nos hommes dits leaders politiques et leaders de la société civile, ce sont juste des chercheurs de places. Il y avait une place sur l’échiquier à prendre et ils sont entrés, sinon ils ne savent pas où aller. C’est ce qui fait qu’on dehors de leur argent, ils ne peuvent pas mobiliser. Ce pays fait pitié. Il n’a pas les hommes qu’il mérite. Quand dans un pays, vos responsables politiques, vos dirigeants de la société civile ne voient pas au-delà du bout de leur nez, vous êtes mal barrés », dépeint-il.

Maurice Yaméogo, père de l’indépendance.

Un autre acteur de l’indépendance et de la Révolution, même ressentiment. « Que voulez-vous que je dise de ces dates ? Il y a longtemps que nous avons tout perdu ! Tout est faux. On navigue à vue. Moi j’ai quitté mon parti d’origine pour me retrouver dans un autre en 2014, à sa création, parce que j’avais naïvement cru à un certain nombre de valeurs qu’on allait retrouver. Malheureusement, aujourd’hui, je n’ai que mes yeux pour pleurer. Je me considère comme une personne indigne de porter la parole publique, si je me place dans ce que ma société, ma communauté ethnique m’a enseigné comme valeurs. Parce que j’ai perdu le pouvoir de la façon la plus immorale. Tout ce que nous vivons, c’est nous qui l’avons semé. Quand je dis ‘’nous’’, je veux parler des gens de ma génération. Au sein du parti, quand nous autres abordions certaines questions avec une certaine hauteur de vue dans l’intérêt national, on trouvait des camarades, des jeunes, des enfants, pour nous insulter : ‘’vieux aigris, vieux cons’’, etc.

Mais tout cela est dû à quoi ? A l’irresponsabilité de nous, aînés. Nous n’avons pas donné au pays ce que nous avons reçu de lui. On avait une obligation de former et d’éduquer nos successeurs. Au lieu de cela, on a passé le temps à jouir de ce que le pays nous a offert et à nous combattre. Sans même nous sourciller de l’avenir. Malgré tout cela, et non satisfaits, vous trouvez toujours des gens parmi nous pour se comporter comme si le Burkina Faso ne doit pas exister en dehors de eux. Ce n’est pas de ce pays-là, de ces Burkinabè que nous avions rêvés en 83. En tout cas, pas moi », se confie, avec regret, cet acteur politique.

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Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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