Actualités :: L’humiliation de Blaise Compaoré

Blaise Compaoré était censé de retour au Burkina, mais sa présence à Kosyam a surtout révélé une étrange absence (qui était là au juste ?). Une présence humainement gênante, voire obscène, qui sert davantage la cause de ses adversaires et même du Burkina Faso que celle des présidents Ouattara et Damiba.

Le premier est le grand marionnettiste qui, depuis Abidjan, a ordonné (à tous les sens du mot) ce « retour » qui, finalement, ne se distingue en rien, et ne rattrape rien, quant à l’humiliation, de son départ en 2014. Le second (Damiba) est le metteur en scène local qui confond, en temps de guerre pourtant, la politique avec du buzz réseau-social.
Ce « retour » de l’ex-président burkinabè est un acte manqué qui nous intéresse, parce que dans son manquement même quelque chose a été réussi et atteint ou gagné qui n’est pas ce à quoi les organisateurs du spectacle s’attendaient, ni même la demande accrue de justice

Terrorisme, Blaise à Ouaga, réconciliation, anciens chefs d’Etat burkinabè : quel rapport ?

Dès lors que l’on a commencé par (im)poser et aussi accepter au Burkina le postulat de la nécessité d’une réconciliation nationale comme condition de toutes les solutions aux problèmes sociaux et politiques du pays, il ne faut pas s’étonner que tout, y compris l’inacceptable, puisse servir à justifier cette nécessité absolue.

Tous ceux qui protestent et demandent justice ont évidemment raison ; mais il leur faut d’abord rejeter et combattre le postulat de la nécessité de la réconciliation pour ne pas s’enfermer eux-mêmes dans le piège : car si la réconciliation est d’emblée admise comme nécessaire et incontournable il faut s’attendre à ce que la justice elle aussi lui soit sacrifiée. Dire « on veut la réconciliation, mais la justice d’abord », c’est déjà renoncer à la justice…

Au nom de la nécessaire réconciliation :
1/ On confond tout bonnement l’unité et l’union nationales face aux attaques jihadistes (comme toute nation en guerre en a besoin) avec l’organisation en règle d’une réconciliation nationale ; comme si toutes unité et union nationales étaient données par de la réconciliation, ou devaient passer par elle. La solidarité face au danger commun, se serrer les coudes entre citoyens d’une même nation en guerre, cela s’appelle PATRIOTISME, pas réconciliation nationale. Ce patriotisme consiste en une mobilisation spontanée et horizontale des citoyens entre eux, sans l’intervention de l’Etat, ou en une mobilisation verticale des citoyens par l’Etat, ou les deux en même temps.

Or, en dehors des forces de l’ordre et des VDP, où voit-on de vraies mobilisations patriotiques anti-terroristes au Burkina ? On voit plutôt partout et chaque jour pousser des OSC qui ne font que de la politique, pour ou contre les gouvernements en place…
Les Ukrainiens en ce moment ont besoin d’être unis (ils le font de plusieurs manières) pour résister face aux Russes, mais ils n’ont pas besoin d’organiser d’abord une réconciliation nationale qui leur fournirait cette union pour résister et survivre comme nation ; de leur côté les Russes n’ont pas besoin de se réconcilier d’abord entre eux avant de faire la guerre à l’Ukraine et la gagner. Ce qui serait moins ridicule, en revanche, ce serait une réconciliation entre Russes et Ukrainiens un jour, peut-être, donc pas nécessairement…

2/ On fait un coup d’Etat contre ceux qui aussi voulaient réconcilier ; le camp de la réconciliation (s’il y en a même d’autres que celui-là) n’est donc pas uni et pas réconcilié lui-même…

3/ On prétend doctement que ce n’est pas la justice mais la nation qui est au-dessus de tout, comme si, paradoxalement, il pouvait exister une nation désincarnée de tous principes et valeurs qui cimentent le lien social et le vivre-ensemble ; on voudrait donc une nation pour la nation, éthérée, idéalisée, platonisée, sans les individus citoyens qui la composent (la nation allemande d’Hitler en est le pire prototype) ; et on le professe tout tranquillement au nom de la cohésion entre ces mêmes individus qui sont des citoyens.

Selon cette (il)logique, la nation pourrait aussi bien être, pourquoi pas, au-dessus de la paix que l’on recherche, celle-ci étant la paix entre citoyens ; ou au-dessus de la liberté et de l’égalité : c’est aussi bien la nation sans principes ni valeurs des lieutenants-colonels, sans justice dans un Etat de droit, sans laïcité dans un Etat laïc (au fait, les prières ordonnées par le président et son ministre des religions et coutumes n’ont pas été entendues à Seytenga), sans sécurité donc, puisque les individus citoyens importent peu. Que souffrent, s’indignent et périssent individus, valeurs et principes, pourvu qu’existe, que dure et perdure la nation éternelle…

4/ L’on prétexte du coup d’Etat des lieutenants-colonels pour évoquer un problème de constitutionnalité et de légalité quand il s’agit de défendre Blaise Compaoré devant le tribunal, mais en même temps, pour le retour de Blaise Compaoré au Burkina au nom de la réconciliation, on applaudit le même coup d’Etat et son auteur Lieutenant-colonel en lequel on voit un nouveau…Mandela. Insulter ainsi tout ce que l’Afrique a de digne pour des sous d’avocat suffit à convaincre que Blaise Compaoré, utilisé et manipulé tous azimuts, est plus utile et nécessaire à quelques individus malintentionnés et/ou intéressés qu’utile au Burkina Faso…

Une réconciliation qui autorise tous ces délires n’est pas seulement inopportune, elle est dangereuse d’être imposée comme nécessaire ; elle est dangereuse quand sa nécessité même la pousse à diviser.

Cette division épouse quasiment aujourd’hui la même ligne de démarcation, la même frontière que celles qui séparaient hier les jusqu’au-boutistes de la modification de l’article 37 des démocrates de l’alternance, avec déjà le même Blaise Compaoré au centre du jeu.

Il faut coûte que coûte aller à la réconciliation comme on allait vaille que vaille à la modification du 37. Avec le même entêtement, le même aveuglement, et la même conviction d’y trouver le salut supposé du Burkina. Au fond, ce que prétendent restaurer les lieutenants-colonels n’est ni plus ni moins que cette même frontière. mais refonder une nation sur une frontière qui divise, c’est creuser un fossé pour l’enterrer.

La restauration est la répétition d’une division autour du seul et même individu, ce qui confirme que Blaise Compaoré, hier comme aujourd’hui, reste LE problème du Burkina Faso, pas la solution miraculeuse à laquelle se ramèneraient insécurité et réconciliation.
Tout le Burkina Faso, à l’exception de la parenthèse décisive de la seule vraie Transition de 2014-2016, est tourne inutilement et dangereusement en rond, depuis trop longtemps, autour du seul Blaise Compaoré. Est-ce raisonnable ? est-ce intelligent ?

Est-ce digne ?

Mais, de la même manière que le caractère nécessaire de cette réconciliation est seulement postulé et non démontré, de même son lien avec l’invasion non seulement du Burkina, il ne faut pas l’oublier, mais du sahel et au-delà par les terroristes jihadistes n’est pas démontré et ne le sera jamais (que ceux qui le peuvent le fassent publiquement).

Les jihadistes n’ont jamais dit à quelqu’un qu’ils voulaient conquérir le sahel et l’Afrique de l’Ouest parce que les Etats et les citoyens étaient divisés et non réconciliés, ils n’ont jamais exigé des réconciliations nationales pour arrêter d’attaquer et tuer (que ceux à qui ils l’ont dit nous le disent) : les Maliens sont réconciliés avec et autour de leurs dirigeants politiques passés et présents, ils ont même chassé les Français de chez eux, mais ne continuent pas moins de subir l’insécurité terroriste.

Encore moins n’est démontré un quelconque lien entre, d’une part, un retour de Blaise Compaoré à Ouaga, de l’autre une rencontre faussement « historique », buzzée, d’anciens chefs d’Etat du Burkina et l’insécurité terroriste. Lier ce « retour » de l’ancien président à la question de la paix confirme bien plutôt que Blaise Compaoré est impliqué dans le terrorisme et l’insécurité qui frappent le pays, ce que lui-même et Diendéré ont toujours nié. Si l’on pense, là encore, que les jihadistes vont subitement cesser d’attaquer le Burkina parce que Blaise Compaoré a remis les pieds à Ouaga, on manque de sérieux et de lucidité…

Le buzz ne marche que sur les réseaux sociaux, pas en politique. Le buzz ne fait pas l’Histoire, sauf pour ceux qui veulent qu’on leur raconte des histoires, et pour ceux qui eux-mêmes en racontent d’ineptes.

Un spectacle obscène

Autour de ce « retour » de Blaise Compaoré au Burkina il y avait en réalité deux scènes (une grande et une petite) de l’obscène que l’on donnait en spectacle, à voir :

1) Sur la grande scène géopolitique, tout du retour de Blaise Compaoré rappelle son départ de Ouaga après l’insurrection : exfiltré par la France en 2014, il est transporté et déposé à Ouaga par Abidjan ce 7 juillet 2022. Président d’un pays indépendant mais tenu et soutenu à bout de bras par l’extérieur, Blaise Compaoré est, en langage décolonial, dans cette dépendance et ce manque d’autonomie, la figure même du colonisé qui ne fait jamais rien d’important (y compris l’abject, l’assassinat pour lequel il est condamné à vie) sans l’intervention de l’extérieur dont il dépend : l’anti-Sankara par excellence !...

La différence radicale entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara nous saute aux yeux avec encore plus d’évidence à l’occasion de ce « retour » à Ouaga, au point où l’on peut se demander comment ils pouvaient survivre tous les deux comme frères et camarades. De même trouvons-nous maintenant sous les yeux l’explication de la relative stabilité du Burkina de Blaise Compaoré : un Etat qui est ami avec tout le monde et n’importe qui, donc avec les terroristes, un Etat dont le président est soumis à l’extérieur dont il dépend dans ses faits et gestes, un extérieur dont il satisfait les desiderata, ne sera évidemment jamais déstabilisé depuis cet extérieur…

Convoyé par le colon d’hier pour fuir le Burkina en 2014, il est escorté et transporté comme un handicapé à Ouaga en 2022 par le sous-colon Alassane Ouattara. Le président ivoirien n’a jamais montré de considération et d’égards à l’endroit du Burkina Faso dont il n’a que l’image méprisante d’un pays « très pauvre » qui dépend de la Côte-d’Ivoire, comme il le disait après le coup d’Etat de Diendéré en 2015 et les appels téléphoniques entre Bassolet et Soro qu’il défendait encore à l’époque…

Du Burkina Faso dont ses adversaires l’avaient rapproché afin de nier son ivoirité, Alassane Ouattara a toujours tenu à s’en éloigner pour mieux prouver qu’il est bien ivoirien. La preuve de son ivoirité tient dans son mépris du Burkina. Plus il s’éloigne du Burkina et plus il est ivoirien. Le président d’un pays riche ne peut pas venir d’un pays très pauvre : pas d’humiliation.

Alassane Ouattara n’a de dette qu’envers Blaise Compaoré qui l’a protégé et soutenu lors des crises ivoiriennes, pas envers le Burkina Faso. Aussi fait-il fi de la dette plus colossale que Blaise Compaoré lui-même doit payer au Burkina : la justice. Mais il est peu probable que le président ivoirien eût accueilli à Abidjan, si c’était le cas, un Gbagbo condamné par la CPI à la perpétuité, même au nom de la réconciliation. Peu probable encore que Soro Guillaume rentre en Côte-d’Ivoire aujourd’hui en sautant par-dessus la barrière de la justice…

2) Sur la petite scène de Kosyam, devant le monde entier : Blaise Compaoré est debout face à un micro et des caméras, on s’attend à ce qu’il parle, dise un mot, en moré, en français, non, il ne dira rien, c’est le lieutenant-colonel Damiba qui est annoncé, arrive , et fait reculer Blaise Compaoré en arrière, auquel il fait écran, perdu, ne sachant pas où se placer, sa place que personne apparemment ne lui a désignée auparavant, comme s’il se trouvait en un lieu inconnu alors même qu’il y a dirigé le pays, inconfortable comme s’il risquait de perdre l’autonomie de la station debout, comme une marionnette…

Quelle humiliation de revenir ainsi au Burkina Faso, dans cet état ! Même sans l’arrestation et la prison, le fait d’exhiber devant le monde entier l’homme Blaise Compaoré comme une prise de guerre, comme un otage, comme une dépouille muette est humiliant en soi, indécent. Ceux qui l’aiment vraiment, ses proches, dont Alassane Ouattara, devraient l’en avoir épargné. Visiblement non : ils pensent sincèrement au contraire qu’ils sont en train de présenter le sauveur du Burkina au monde entier…

L’humiliation est pourtant ce que le président ivoirien a toujours voulu éviter à son frère et ami Blaise Compaoré, en l’ivoirisant pour le soustraire à la justice burkinabè. Un acte manqué. Que ce soit avec Soro Guillaume ou avec Blaise Compaoré, les protections du président Alassane Ouattara finissent toujours par se renverser en leur contraire, en une exposition qui humilie : exposition à la fuite et à la clandestinité (Soro), ou exhibition publique sécurisée et protégée mais obscène (Blaise)…

A quoi a servi ce « retour » de Blaise Compaoré à Ouaga ? A absolument rien. A part ceci : ce retour a prouvé à tout le Burkina Faso que ce Blaise Compaoré-là, que les présidents Damiba et Ouattara ont utilisé et manipulé à Ouaga comme une marionnette, ne peut définitivement pas être le héros et le sauveur dont dépendraient l’avenir et le destin du pays de Thomas Sankara. C’est en cela que ce « retour », s’il est humainement obscène, est politiquement réussi. Au lieu d’un retour il s’est agi du passage de Blaise Compaoré : à Ouagadougou Blaise Compaoré est bien passé. C’est-à-dire fini…

Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE

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