Actualités :: Burkina Faso : La Réconciliation n’est pas un spectacle de télévision

Lors des travaux du Collège de Sages, j’ai eu l’honneur de conduire, en tant que Président du Conseil d’Administration du SPONG, de l’époque, une légère délégation pour être auditionné.

M’accompagnaient, entre autre, le Vice-président, Monsieur Norbert Zongo (de Daguilma de la Commune de Loumbila), Monsieur Ouédraogo Benoît de la Fonades, tous deux de regrettée et de vénérable mémoire, Madame Clémentine Ouédraogo, de Promo Femmes, Développement et Sport.

Nous avions transmis au Collège, notre mémorandum qui suggérait entre autre une célébration nationale du pardon et de la réconciliation, un engagement à prendre, le : ’’ plus jamais ça’’, ainsi qu’un monument à bâtir.

En tant que membre de la Commission de la Réconciliation Nationale et des Réformes (CRNR) et ensuite membre du Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale (HCRUN), ma conviction personnelle est que la Réconciliation s’accommode mal du spectacle. Pour qu’elle soit efficace, apaisante, pérenne, elle se doit d’être discrète, loin de tout faisceau de lumière.

J’ai toujours défendu que la Réconciliation n’a pas forcément besoin de deux soeurs jumelles (la vérité et la justice). Une soeur, la première, est primordiale et pourrait lui suffire.

Ma conviction procédait de mes expériences antérieures en tant que médiateur dans de multiples crises dont un assassinat dans un village. L’écoute de certaines victimes lors des auditions à la CRNR, en tant que membre de la sous commission vérité justice et réconciliation a renforcé ma conviction. Le tryptique Vérité-Justice-Réconciliation n’est pas un processus cyclique ou linéaire, global et globalisant. Mieux et pour sûr, la véritable réconciliation est un triangle et l’on peut atteindre la Réconciliation sans passer la case justice, du moins celle classique et même transitionnelle. Mais c’est ici la grosse entourloupe de ’’notre’’ réconciliation. Chaque cas qui appelle réconciliation est unique. Le traitement de ce cas doit s’opérer au cas par cas. Cela relève tout simplement du bon sens. Maintenant, le bon sens est-il la chose la mieux partagée ? Descartes répondra.

Lors des auditions des victimes à la CRNR, certaines victimes ont réclamé simplement la vérité des faits. Je me rappelle cette victime, mutilée dans son intégrité physique, qui a coché ’’RIEN’’ à la case ’’que souhaitez-vous comme réparation’’ ? Et d’annoter. ’’Je connais celui qui m’a fait ça (la personne responsable de sa mutilation). Je souhaite le rencontrer, face à face, devant témoin, et lui poser une seule et unique question. Pourquoi tu m’as fait ça. S’il me répond, la vérité me suffit. Je ne souhaite ni dédommagement ni procès’’.

Je présente mes excuses aux autres membres de la sous commission car je dois confesser que nous avons pleuré de douleurs avec des victimes à leur audition. A la fin d’une audition, une victime, nous a même confié, dans une totale sérénité dans la voix : ’’A partir d’aujourd’hui, je peux mourir en paix par le fait que des officiels m’ont écouté. Je suis prêt au pardon’’.

Une autre expérience : ayant été un des médiateurs, dans une crise entre deux villages, suite à une bagarre qui a abouti au meurtre d’un des protagonistes, la médiation a duré plus de six mois. Elle était discrète. Elle se menait la nuit. Et nous nous déplacions a bicyclette pour n’éveiller aucun soupçon. Avant l’officielle poignée de mains, chez le chef du village, garant de la réconciliation, les familles se sont rencontrées trois fois. Lors de la première rencontre, l’on peut imaginer, la tension était vive et la Vendetta annoncée. Les familles ne se sont pas salué ni au début ni à la fin de la rencontre. Et nous médiateurs, nous avons respecté leur attitude. A la deuxième rencontre, les visages se sont décrispées. Mais il n’y a pas eu non plus de poignée de main même si les échanges étaient plus apaisés que la première fois. C’est à la troisième rencontre, tenu en pleine journée, cette fois ci, que l’enfant de 3 ans, désigné comme notre réconciliateur en chef, par ailleurs neveu de la famille agressée a partagé une cola blanche entre ses oncles maternels et ses parents du village après mordu chaque partie de la cola. Auparavant, il avait changé de camp en s’asseyant sur les jambes du plus vieux de ses oncles qui d’ailleurs l’a accueilli avec un geste plein d’émotion. Il avait ouvert la voie, ainsi, à la fin, aux chaudes poignées de mains. Par la suite, pour la beauté du dénouement de la crise, l’enfant a remis une de ses sœurs (du village) à ses oncles, qui sera désormais sa maman, dans le village agressé ’’pour lui donner de l’eau quand il reviendra voir ses oncles et accomplir les travaux que le défunt ne pourra plus accomplir’’.

Pour une réconciliation, les médiateurs n’ont pas utilisé le glaive de la justice pour trancher mais une aiguille pour recoudre. La poignée de mains des deux représentants des familles a d’abord été officieuse avant d’être officielle. La négociation a été longue et discrète.

Une autre crise, dont j’ai été un acteur pour apaiser les coeurs, a été celle de la Mairie de Saponé. Oui, ’’nous’’ avons brûlé notre Mairie, (gare à un sorcier de Manga, s’il met sa bouche dedans) sûr, ’’nous’’ avons érigé des barricades sur les voies, mais que Dieu soit béni et gloire à Naaba Kuuda et aux ancêtres, il n’y a pas eu mort d’homme, bien que la tension fut très grande et même si l’on a frôlé plusieurs fois le pire. La négociation pour la paix a été dure, serrée. Grâce à la qualité, à l’entregent et à la patience de l’ancienne Médiateur du Faso, Madame Saran Serémé, qui d’ailleurs nous traitait de ’’vauriens, d’esclaves, de pauvres Mosse qui ne savent même pas lutter mais sont toujours prêts pour la bagarre’’, (mais ne vous inquiétez pas, nous avons pris notre revanche en faisant un rapt et en la mariant au chef de Saponé), nous avons réussi la réconciliation.

Parfois, dans les villages, nous avions rompu la palabre à trois heures du matin, si bien qu’un jeune frère, dans une boutade dont il a le secret, nous a dit que la date pour que sa femme tombe enceinte a été dépassée et périmée. Mais la grande tension retomba entre les villages. Les coeurs se sont apaisés. Et la boutade du jeune frère est restée comme un cri de ralliement.

Ainsi, je tiens pour certitude que la mère, la femme et les enfants, la famille de Norbert Zongo (de Koudougou) pardonneraient, si les bourreaux s’étaient déclarés avec humilité, se confessaient avec sincérité, empruntaient la bonne voie, choisissaient les bonnes personnes et donnaient du temps à la négociation. Je tiens toujours pour certitude que le papa Joseph et la maman Marguerite, Mariam, Philippe et Auguste, si je ne m’abuse des noms, la famille de Sankara et toutes les familles des autres victimes, auraient pardonné, si les bourreaux s’étaient déclarés avec humilité, emprunté la bonne voie, choisi les bonnes personnes et donné du temps à la négociation. Je tiens pour certitude que tous les crimes de sang, et tous les autres crimes, de notre nation, peuvent être pardonnés. Je tiens pour vérité suprême qu’il n’y a pas d’offense, de crime qui ne puisse pas être pardonné par notre génération et celle d’avant.Tout dépend de la démarche, de la méthode, de l’attitude de l’offenseur et de la qualité du médiateur.

Le spectacle actuel de la supposée réconciliation n’honore personne et n’est pas digne de nos communes douleurs.

Dieu ! que, par la supplication de nos ancêtres, tu tiennes les âmes de nos suppliciés et que par leurs médiations tu apaises les coeurs.

André Eugène ILBOUDO ( A andere izen yilbuudo)

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