Actualités :: Crise à Béguédo : De la responsabilité collective à la faute des (...)

Réflexion d’un citoyen sur les évènements malheureux survenus à Béguédo dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2022.

A l’instar de la situation sécuritaire de notre cher pays, marquée par des attaques terroristes, la destruction de la quasi-totalité des débits de boisson, communément appelés maquis et des auberges de Béguédo, dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2022, a constitué un des faits majeurs au début du mois de jeûne musulman au Burkina Faso. Ainsi, après leur ultimatum du 30 mars 2022 aux jeunes filles des maquis et auberges de quitter Béguédo, un groupe de jeunes, passera aux actions fortes en saccageant, pillant et brûlant pas moins de neuf (9) maquis et auberges cette nuit.

Dès le lendemain, les réseaux sociaux et la presse feront de ces actes de vandalisme leurs choux gras et l’information à la Une. La toile a été inondée, les réseaux sociaux continuent d’en faire leurs sujets du moment avec une condamnation quasi unanime. Comment en ces temps d’insécurité, d’avancée de l’hydre terroriste sur la quasi-totalité du territoire national, de tels actes peuvent être posés ? Cet évènement n’est-il pas le signe d’une radicalisation d’une partie de la population dans cette partie du pays ?

Comme certains l’on dit sur leurs pages Facebook, un groupe de fondamentaliste, de radicaux musulmans serait-il en train de s’installer à Béguédo ?
Le chef du gouvernement a, lors de la présentation de la feuille de route de la Transition le lundi 04 avril 2022 à l’Assemblée législative de la Transition (ALT), déploré ces actes et indiqué que leurs auteurs répondront devant les juridictions compétentes conformément aux textes en vigueur. Il était indispensable de donner des signes clairs de l’autorité de l’Etat, mais aussi et surtout d’appeler au calme pour éviter que la situation ne s’envenime.

C’est ainsi que le 05 avril 2022, le Procureur du Faso près le Tribunal de Grande Instance de Tenkodogo indiquera dans un communiqué : « Une enquête a immédiatement été ouverte par mon parquet en vue d’élucider les faits et situer les responsabilités. A cet effet, instruction a été donnée à la Police nationale de procéder à l’interpellation des personnes suspectées. Sur la cinquantaine de personnes recherchées, trente et une (31) ont pu être interpellées et l’enquête suit son cours.

Toute personne victime ou témoin des incidents intervenus peut se rendre spontanément au Commissariat central de police de la ville de Tenkodogo aux fins de se faire auditionner. Tout en saluant le professionnalisme des Forces de défense et de sécurité qui ont conduit cette opération, le parquet de Tenkodogo tient à rassurer la population de son engagement ferme à faire respecter l’ordre et la loi. ». Il appela par ailleurs au calme et invitera la population à recourir aux autorités compétentes pour le règlement de leurs différends.

Passé cette phase d’émoi et de consternation collective, il convient d’analyser froidement ces évènements de Béguédo ; d’analyser ses causes profondes et de donner des pistes de réflexions pour une prise en charge globale de la question. Dans l’immédiat, notre souhait est de voir une réconciliation réelle des fils et filles de la localité, car ils le méritent. Dans le moyen et long terme, que ces évènements servent de leçon à l’ensemble des fils et filles de notre chère nation pour l’enracinement du caractère laïc de l’Etat, d’un réel vivre ensemble et pour son développement économique, social et culturel.

La ville de Béguédo est située à une cinquantaine de kilomètres de Tenkodogo dans la région du Centre-Est. La Route nationale 17 (RN17) traverse la ville et c’est dans le cadre du projet de Bitumage de cette route que j’ai pu visiter et séjourner dans la localité, les Bissa étant mes parents à plaisanterie, j’y étais dans mon assiette. Au cours de ce séjour, j’ai pu constater des faits marquants de cette ville et de l’ensemble des autres villes de la localité dominée par les Bissa. Le Boussanga, comme on l’appelle couramment, est généralement un vrai battant, de ses petites activités de subsistance, tels de cireurs de chaussure, il deviendra presqu’à coup sûr un expatrié en Italie, en Allemagne ou aux Etats-Unis d’Amérique (USA).

Mais soyez sûrs et convaincus d’une chose, le Boussanga ne devient jamais un « Pawéogo », quelqu’un qui reste à l’étranger, qui oublie son village, ses parents et ses racines. L’enfant Boussanga, même né aux USA, parlera le bissa et chaque aventurier est pressé de revenir construire chez lui. Et si en partant à l’aventure il ne s’était pas marié, il reviendra prendre une cousine ou une fille d’un village voisin qui sans doute le rejoindra sous peu pour continuer l’aventure.

C’est en cela que vous constaterez que la quasi-totalité des villages bissa sont presque des cités modernes à l’africaine. Vous y trouverez des villas cossues comme dans les grandes villes. Béguédo remplit l’ensemble des caractéristiques qui viennent d’être énumérées. Par ailleurs, Béguédo est une ville très islamisée et dans une époque pas si lointaine, ce n’est que parmi les fonctionnaires qu’on trouvait des membres d’autres confessions religieuses et il était quasi impossible d’y trouver une auberge ou un débit de boissons alcoolisées.

En plus de permettre l’amélioration du niveau de vie du village, l’argent généré par l’aventure a eu un effet pervers, celui de la cherté de la vie mais pas seulement que ça. Le phénomène de l’aventure laisse sur place beaucoup de jeunes femmes sans maris et leur garde est aussi une des conséquences de l’émigration. Par ailleurs des rivalités réelles existent entre fils et filles de Béguédo et aussi avec sa voisine et rivale Niagho.

Après ce préliminaire sur les aspects socioéconomiques et culturels de la localité, revenons sur notre sujet et sur le fond. Ce que ces jeunes, auteurs des casses, reprochent aux jeunes filles, aux tenanciers des débits de boisson et des auberges, c’est le développement de la prostitution, le plus vieux métier au monde, parait-il, et ainsi de la perversion des mœurs dans la ville.

L’on se rappelle de la tentative en 2008 du maire de Ouagadougou de l’époque, Simon Compaoré, de fermer les maisons closes. Des concertations entre les autorités municipales et les gérants des auberges avaient permis de repousser l’entrée en vigueur de la mesure, d’une année ; mais les acteurs ont su s’adapter et le phénomène est hors de contrôle.

Yvonne Clémence Bambara, dans son Mémoire de Maîtrise à Université Laval, en 2011, avec pour thème « La prostitution des jeunes filles mineures à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso » rappelait (page 27) que la loi du 13 avril 1946, toujours en vigueur au Burkina Faso stipule en son article 3 : « Seront punis d’un emprisonnement de 6 mois et d’une amende de 200 000 FCFA ceux qui par gestes, paroles, écrits, ou par tout autre moyen, procéderaient publiquement ou tenteraient de procéder au racolage de personnel de l’un ou l’autre sexe en vue de provoquer la débauche ». Cette disposition laisse entendre que le proxénétisme exercé par un individu, un hôtel, un pourvoyeur de local privé ou chambres de passe est passible de cette peine (Soré, 2009).

Malgré cette loi, force est de constater que les retombées financières de la prostitution des jeunes filles, souvent mineures profitent toujours à certains propriétaires de maisons closes. Des auberges, des maisons closes et des hôtels d’un autre genre foisonnent dans presque toutes les villes. Des gérants de certaines maisons closes se sont regroupés en association demandant la légalisation de la prostitution, car on note des gains pouvant atteindre 4 millions de francs CFA par mois suite à la location de locaux pour la prostitution (Drabo, 2009). »

Mais qu’en est-il de l’activité de vente de boisson alcoolisée ?

L’article 9 de la loi n°9/79/AN du 7 juin 1979 régissant les débits de boisson au Burkina Faso stipule clairement que : « Aucun débit de boissons ne peut être ouvert sans l’autorisation préalable du préfet ou du maire, délivrée après avis du comité local de salubrité publique et du service des impôts ».

A l’article 10 on peut lire : « Il est fixé un ratio d’un débit de boisson pour 2 000 habitants dans les agglomérations de plus de 10 000 habitants. Dans les villes moyennes où le nombre d’habitants est compris entre 1000 à 10 000, ce ratio est d’un débit de boisson pour 1 000 habitants, puis un seul pour les villes de moins de 1000 habitants. »

Selon cette loi, il ne devrait pas avoir de maquis à moins de 400 mètres des écoles, centres de santé (hôpitaux, dispensaires, maternités), édifices culturels, cimetières, centres sociaux et organismes publics créés en vue du développement physique et moral de la jeunesse. Mais le constat est tout autre. A Ouagadougou comme dans les autres villes du pays, nous avons des débits de boisson adossés aux murs des établissements d’enseignement, aux hôpitaux, aux stades, etc.

Est-ce que l’ensemble de ces mesures ont été respectées pour l’ouverture des débits de boissons et surtout l’ouverture des maisons closes à Béguédo ? Et comme partout, ces deux activités qui vont de paires sont très lucratives, beaucoup de jeunes s’y adonnent. Investir avec l’argent généré par l’aventure dans ces activités très rentables est une aubaine.

Les lois qui régissent le fonctionnement de toute société, qu’elles soient dures ou pas, leur application ne devrait souffrir d’aucune ambigüité et devraient permettre un meilleur développement dans un vivre ensemble sans équivoque. Malheureusement le non-respect de celles-ci engendre sans doute des dysfonctionnements et des frustrations. Sans doute que le groupe de jeunes de Béguédo a voulu mettre fin au développement de ces deux activités dans leur cité et lutter contre la dépravation des mœurs.

En voulant se rendre justice eux- mêmes, ces jeunes ont commis un crime puni par la loi et un péché du point de vue de l’islam. En effet, selon l’imam Abou Hamid Al GHZALI : « la préservation des biens est l’un des principes sacrés dans la loi islamique ». Ainsi, la destruction, le vol des biens d’autrui sont des actes punis par la loi islamique. En tout état de cause, cette faute des jeunes est imputable à toute la société et de façon particulière, à nos leaders religieux et à nos familles qui ont failli à leur mission d’éducation.

Comment expliquer qu’une ville fortement islamisée où les parents, par crainte de la débauche, refusaient de construire des résidences hôtelières, soit aussi vite rattrapée par la dure réalité ? Un des tenanciers de bar de Béguédo ne disait-il pas que la plupart des jeunes qui ont saccagé ses installations étaient ses clients ? Sans doute on nous rétorquera que nous sommes sur un terrain de l’offre et de la demande ; s’il n’y a pas de demande il n’y aura pas d’offre.

Un fils de la localité écrivait sur sa page Facebook : « De l’opération zéro prostituée, on a abouti à l’opération zéro maquis à Béguédo. Les choses ont véritablement pris d’autres tournures et on est allé loin et même très très loin avec des dégâts énormes. Sûrement qu’au départ beaucoup se sont laissés aller sans forcément mesurer les conséquences qui pourront en découler pourtant dans une ville comme Béguédo où ce n’est pas la grande entente entre les populations, mobiliser une foule pour une telle chose c’est prendre d’énormes risques puisque chacun vient avec ses intentions (autres considérations) et cela conduit forcément au désordre qu’on a constaté sur les différents sites. Résultat, le vin est tiré avec plein d’asticots à l’intérieur mais il faudra bien le boire. » En cette période de carême chrétien et de jeûne musulman, nous devrions plutôt boire du bissap !!!

Sans rentrer dans le débat de l’œuf et de la poule, nous pensons qu’il y a urgence à se ressaisir ! En droit islamique, ne dit-on pas que « là où se trouve l’intérêt de l’être humain, se trouve la loi de Dieu » ? Laisser développer la perversion des mœurs, des us et coutumes n’est dans l’intérêt de personne. La loi a règlementé l’ouverture des débits de boisson et l’activité de prostitution, sans être interdite au Burkina Faso est encadrée. Les professionnels du secteur de l’hôtellerie et des loisirs sont interpellés afin que ces activités ne viennent porter atteinte au vivre ensemble et surtout rouvrir des vieilles querelles entre populations.

Nous pensons que tous les fils et filles de Béguédo doivent prendre cette affaire à bras le corps pour refermer aussi vite qu’ouverte, cette brèche afin qu’elle ne se mue en plaie béante et purulente et sape tout ce qui a été construit par leurs pères. Il serait juste qu’une indemnisation à la hauteur des préjudices subis soit accordée à tous ceux qui ont été victimes de ces actes de vandalisme, mais aussi que ces activités soient recadrées ou encadrées conformément aux lois et règlements.

Peut-être faut-il aussi déjà penser à une reconversion dans d’autres activités ? Aussi, la Fédération des Associations Islamiques du Burkina (FAIB) est interpellée pour jouer aux bons offices et recadrer certains des prédicateurs, adeptes des positions dures, sinon extrémistes. En effet, dans le climat actuel d’insécurité due à la percée des terroristes dont certains se réclament de l’islam, ces genres de situations constituent un terreau fertile à l’installation de groupes terroristes dans la région.

Voici, mon humble contribution pour une meilleure résolution des évènements tragiques survenus à Béguédo dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2022 afin qu’ils ne constituent un tournent de basculement dans la vie de ces braves populations.

Mahamoudou SAWADOGO, économiste gestionnaire ; sawmah29@hotmail.fr

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