Actualités :: Réconciliation nationale au Burkina Faso : Si j’étais un bourreau ou une (...)

« Même si nous empruntons des chemins modernes pour résoudre nos difficultés, il est important que nous nous appuyions fortement sur nos valeurs endogènes pour marcher surement vers la construction d’une nation prospère et durable ». Telle est la conviction de Télé Issa Sanou, analyste - expert GIRE en mobilisation communautaire et spécialiste en gestion des conflits endogènes. Il s’en explique dans la tribune qui suit.

Après des débats acharnés sur le « pour » et le « contre » de la pertinence d’une réconciliation nationale au Burkina Faso, il ressort de nos jours qu’une unanimité se dégage autour de cette question. Aujourd’hui, il convient de dire que la majorité ou l’ensemble du peuple burkinabè est d’accord pour une réconciliation nationale. Mais la manière d’y parvenir reste encore le point d’échauffement entre les idéalistes. De notre avis, nous pensons que notre peuple parle le même langage sans toutefois prendre le temps de s’écouter et de se comprendre. Le triptyque Vérité – Justice – Réconciliation dans un cas ou dans l’autre est un socle vertueux sur lequel le peuple burkinabè est à même de bâtir une nation avec un modèle social durable. Que l’on soit bourreau ou que l’on soit victime, il convient que chaque partie sache s’approprier ses devoirs et ses droits afin que la justice profite à chacun et à tous.

Si j’étais un bourreau

Faire du tort à autrui, consciemment ou inconsciemment, arrive à chacun d’entre nous pauvres mortels. Si la mort est le summum de la vie terrestre, il arrive que certains de nos actes nous survivent pour blesser, hanter et torturer ceux qui vivront sur plusieurs générations. Ne dit-on pas chez nous que « si le sorcier oubli toujours, les parents de la victime n’oublient jamais » ? Ce dicton à lui seul indique la profondeur et la douleur des blessures que l’on pourrait causer à autrui. Cela m’interpelle moi bourreau pour que je sache que « les victimes pourront me pardonner mes fautes mais qu’elles ne pourront jamais oublier ces mêmes fautes ». Beaucoup de bourreaux pensent naïvement ou sciemment que le temps « effacera » ses fautes pour que le pardon comme par magie envahisse les victimes.

Dommage, mille fois dommage, cela ne peut pas arriver au sein des mortels que nous sommes. La seule leçon connue de cet acabit nous provient de la sainte Bible où Jésus a demandé pardon pour nous mortels. Moi bourreau, pauvre mortel, je laverai ma conscience en allant reconnaitre auprès de mes victimes toutes les fautes que j’ai pu commettre (consciemment ou inconsciemment) pour que mon âme puisse trouver le repos éternel lorsque je quitterai se monde et pour que la damnation ou la malédiction épargne ma descendance et mes filiations. Je n’attendrai point un hypothétique cérémonial à cors et cris pour prendre conscience de ce devoir sacré. Reconnaître ses fautes est un acte de bravoure incommensurable auprès de nos ancêtres tout comme accepter ou donner le pardon.

Dans la pratique des faits, le rôle de notre Etat est de créer l’environnement pour que cela puisse se réaliser dans les conditions de sécurité et de conservation de la dignité humaine. A cette condition, la justice dont, moi bourreau, je suis redevable depuis longtemps pourra se faire car je la partage avec mes victimes. J’aurais été juste envers elles, en révélant mes raisons puis en leur demandant d’expier les conséquences sur ma communauté et elles auraient été juste envers moi, en m’accordant leur pardon et en me signifiant les réparations que je dois à elles et leurs communautés.

Si j’étais une victime

La victime assume et transmet dans l’inconscience familiale la douleur des torts qu’elle a connue ou qu’elle continue de subir. Certes le temps cicatrisera certaines blessures mais la mémoire familiale ou des proches sera marquée du fer rouge de ces blessures. Ainsi, même cicatrisée, la plaie restera toujours fraiche sous la croute de la peau. Moi victime, j’ai l’impression que je ne pourrai jamais pardonner à mon bourreau et je lui en voudrai pour tous les torts que je subirai même si ce dernier n’y est pour rien.

Je le maudirai chaque seconde de ma vie, peut-être même que je perdrai la vie à cause des torts que j’ai subis ? Même dans ce cas, je graverai dans la conscience de ma filiation et de ma descendance la douleur indescriptible que j’aurai supporté jusqu’au dernier souffle. Mais ma force en tant que mortel est que j’attends fermement et jalousement une « solution par le mortel ». Je me répéterai sans cesse cette phrase : si celui et ceux qui m’ont fait ça reconnaissaient au moins leurs torts ? Bien que tourmenté par mes propres démons ou esprits, je reste convaincu dans mon tréfonds que je pourrai pardonner si jamais, quelqu’un me faisait savoir la cause de cet acharnement. Peut-être suis-je plus monstre que l’autre ? J’ai peur d’être comme l’autre donc j’accepterai qu’il me donne ses raisons intimes pour que je soupèse, suivant ma capacité intrinsèque, l’effort à fournir pour lui pardonner.

Accorder le pardon est un acte de bravoure incommensurable auprès de nos ancêtres tout comme reconnaitre ses fautes. Moi une victime, mon devoir est d’accorder le pardon car je suis un mortel et je ne serai jamais infaillible. Mais pour que je puisse accorder mon pardon j’ai besoin du fonds de mon âme, de ma conscience et de celle de mes proches de connaître la vérité de mon bourreau. Cette boule qui viendra du fonds de son âme a lui, pour m’exploser à la figure et asperger tout mon être. C’est la condition ultime ! Pour entendre cette vérité, je suis prêt à me rendre devant n’importe qu’elle instance ou recevoir n’importe qu’elle envoyé capable de me donner la garantie que ce que j’entendrai est la vérité de celui qui m’a effectivement causé du tort.

A cette condition, la justice que j’attends depuis longtemps pourra se faire car je la partage avec mon bourreau. Il aurait été juste envers ma personne ; en me révélant ses raisons et j’aurai été juste envers lui, en lui accordant mon pardon et en lui signifiant les réparations que moi et ma communauté attendons.

Etre bourreau ou victime n’est pas une damnation ou une malédiction éternelle : c’est être un humain affaiblit et mortel de surcroît. Mais, c’est le refus de reconnaître ou celui de rester dans le déni de ce que l’on a fait ou subit qui attise la flamme de la haine et de la vengeance entre nous. Nous avons assez d’intelligences pour suivre et valoriser des solutions endogènes séculaires. A cet effet, dans la suite des comités locaux de dialogue pour la restauration de la paix (CLDRP) il serait opportun d’ériger des tribunaux populaires de médiation et conciliation social pour la paix (TPMCS) ; pour recueillir et traiter les dépositions de reconnaissance de fautes graves (crimes économiques, assassinats, crimes politiques, attentats, complots, etc.). Ce tribunal populaire qui n’a pas vocation de statuer comme une juridiction pénale doit avoir force de protection et d’analyse des propositions des requérants. Le Juste ou l’Injuste ne tiennent que sur le fil de la reconnaissance des torts et celui de l’acceptation du pardon.

La vérité du bourreau et la vérité de la victime peuvent ne pas coïncider mais le résultat que les communautés obtiennent est la réconciliation des cœurs meurtries et des âmes brisées. Nous ne pensons point détenir la vérité sur le sujet, mais nous restons convaincus que si toutes les parties entreprennent d’agir dans le bon sens, sans aucunes pressions extérieures quelconque, cela favorisera la Justice et nous conduira tout droit à la Réconciliation qui est et reste avant toute chose la paix du cœur et des âmes. Même si nous empruntons des chemins modernes pour résoudre nos difficultés, il est important que nous nous appuyions fortement sur nos valeurs endogènes pour marcher surement vers la construction d’une nation prospère et durable. Alors bourreau ou victime n’attendons plus, nous pouvons agir dès maintenant.

Télé Issa SANOU ; analyste - expert GIRE en mobilisation communautaire et spécialiste en gestion des conflits endogènes. issanou2001@gmail.com .

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