Actualités :: Tiémoko Meyliet Koné, Vice-président de la République de Côte d’Ivoire

Qui se souvenait encore qu’il y avait, constitutionnellement, en Côte d’Ivoire, un vice-président ? Et que cette République n’en n’avait plus depuis le 27 février 2020 quand le titulaire de la fonction, Daniel Kablan Duncan, en avait démissionné ! Revoilà donc un vice-président en la personne de Tiémoko Meyliet Koné, gouverneur de la BCEAO (un job autrefois exercé par Alassane D. Ouattara avant qu’il ne se lance à l’assaut du pouvoir). C’est dire qu’en Côte d’Ivoire, banquiers centraux et financiers occupent toujours, et de plus en plus – bien plus que les hommes politiques stricto sensu – le pouvoir… politique

Le titre est significatif : vice-président de la République de Côte d’Ivoire. Une fonction que Félix Houphouët-Boigny avait instituée, avant de la supprimer et sans jamais y nommer un titulaire. Mais la Constitution du 8 novembre 2016, qui l’a remise au goût du jour, ne lui consacre que deux articles : le 78 et le 79 (le 80 stipule que le vice-président est élu en même temps que le président, ce qui n’a jamais été le cas !) alors que plus d’une vingtaine sont consacrés au président de la République.

Le vice-président de la République « agit sur délégation », « supplée » et peut se voir « déléguer la présidence du Conseil des ministres sur un ordre du jour ». Autant dire pas grand-chose. Si ce n’est qu’il est le numéro deux du régime et, de ce fait, en réserve de la République. L’article 62 de la Constitution stipule ainsi que le vice-président devient président de « plein droit » lorsqu’il y a vacance du pouvoir ; il achève le mandat en cours lors du décès, de la démission ou de « l’empêchement absolu » du chef de l’Etat !

Daniel Kablan Duncan, qui a été le premier titulaire de la fonction, en a démissionné le 8 février 2020. Démission acceptée par le chef de l’Etat le 8 juillet 2020. Kablan Duncan évoquait des « raisons de convenance personnelle ». Mais des commentateurs n’avaient pas manqué de faire remarquer que sa lettre de démission coïncidait avec la décision du chef de l’Etat de faire du Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, son successeur à la présidence de la République, quand celle-ci, pensaient certains, devait être cette fois réservée à un PDCI.

A la fin de l’année 2020, la mort brutale de Amadou Gon Coulibaly va propulser, contre toute attente, Ouattara à la présidence de la République pour un nouveau mandat. Mais sans pour autant qu’il désigne un vice-président. C’est désormais chose faite depuis le 19 avril 2022 !

Les BCEAO boys !

Le who’s who politique de la République de Côte d’Ivoire plonge ses racines à… Dakar, ville où se trouve le siège la BCEAO, la banque centrale de l’Afrique de l’Ouest. C’est son premier gouverneur africain, Abdoulaye Fadiga (1975-1988), qui a été le « parrain » ivoirien de Alassane D. Ouattara auprès de Félix Houphouët-Boigny ; Ouattara sera gouverneur de 1988 à 1993 tout en assumant la responsabilité de premier ministre de 1990 à 1993.

Le successeur qu’il aura désigné, Charles Konan Banny, sera gouverneur de 1990 à 2005 (par intérim jusqu’en 1994) ; en 2005, Konan Banny accédera au poste de premier ministre. Ensuite, un intérimaire sera nommé et, compte tenu de la situation politico-militaire que connaissait alors la Côte d’Ivoire, ce sera un burkinabé : Justin Damo Baro (2006-2008).

Philippe-Henri Dacoury-Tabley prendra sa suite ; mais cet homme de main de Laurent Gbagbo, alors à la tête de la Côte d’Ivoire, sera démissionné le 22 janvier 2011 tandis que « la guerre de chefs » faisait rage à Abidjan. Il faudra attendre le 28 juillet 2011 pour que Tiémoko Meyliet Koné accède au gouvernorat de la BCEAO (après que Jean-Baptiste Compaoré ait assuré un intérim de quelques mois). Il sera reconduit dans cette fonction (mandat de six ans) en 2014 et en 2020.

Le fait que le principe de rotation (entre les pays membres) au poste de gouverneur, pourtant inscrit dans les textes, n’ait jamais été appliqué, permettant aux Ivoiriens de monopoliser le job (à l’exception de l’intérim de Damo Baro et de Compaoré), a facilité le rôle de « pôle emploi » de la BCEAO. Car si les gouverneurs font carrière au sein de la classe politique ivoirienne, ils ne sont pas les seuls ; des premiers ministres, des ministres, des directeurs de cabinet, etc. ont été recrutés au sein des cadres dirigeants de la BCEAO, tout particulièrement depuis l’accession à la primature de Ouattara.

La BCEAO et pas grand-chose d’autre !

Tiémoko Meyliet Koné est un pur produit BCEAO. Il aura 73 ans le 26 avril prochain et c’est au sein de la banque centrale qu’il a finalisé sa formation (1973-1975) et mené toute sa carrière : adjoint au directeur national de la BCEAO pour la Côte d’Ivoire ; directeur central de l’émission et des opérations financières à Dakar et, à ce titre, membre du Comité d’analyse de la conjoncture interne et internationale ; directeur national de la BCEAO pour la Côte d’Ivoire et gouverneur suppléant au FMI ; conseiller du gouverneur de la BCEAO et directeur du département de l’administration générale et de la formation ; contrôleur général, chargé de la supervision des directions opérationnelles de l’inspection, de l’audit interne, du contrôle de gestion et de la prévention des risques ; conseiller spécial et membre du gouvernement de la Banque ; gouverneur enfin !

Ses incursions dans le domaine politique sont rares. Le 7 avril 2007, au lendemain de l’Accord politique de Ouagadougou (APO), il sera le directeur de cabinet, avec rang de ministre (2007-2010), du Premier ministre, Guillaume Kigbafory Soro (à ce poste, il remplaçait Jean-Claude Kouassi). Trois ans plus tard, en 2010, Koné sera nommé ministre de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat (sous l’étiquette Forces nouvelles/FN) dans le gouvernement Soro II. Quand Alassane D. Ouattara accédera, effectivement, en 2011, à la présidence de la République, Koné deviendra son conseiller spécial, chargé des affaires économiques et monétaires. Pour peu de temps : le 30 mai 2011, il décrochera le gouvernorat de la BCEAO

Evoluer en fonction des besoins

« Professionnalisme », « responsabilité », « détermination », « humilité », « respect de la chose publique », « sens du devoir », « recherche de l’excellence » sont les valeurs revendiquées par Tiémoko Meyliet Koné. On le dit « travailleur acharné », « pragmatique », « discret ». Ce père de cinq enfants, originaire de la région de Ferkessédougou (tout comme Guillaume Soro), « fermier » à Tafiré, non loin de Ferké, a eu la rude tâche de gérer la BCEAO au lendemain de la « guerre des chefs » alors que la banque centrale de l’Afrique de l’Ouest, sur réquisition du pouvoir en place à Abidjan, s’était impliquée financièrement dans le soutien à Laurent Gbagbo.
Koné avait évoqué une « atmosphère particulièrement délétère » et des « préjudices matériels, financiers et moraux ».

S’ajoutait à cela la situation de la Guinée Bissau et du Mali. Il lui faudra aussi expliquer « les vertus de la politique monétaire en vigueur dans l’UEMoa » dès lors que le franc CFA était dénoncé comme une atteinte à la souveraineté des Etats africains. « Le franc CFA est une monnaie africaine, gérée par des Africains. Il faut arrêter de voir les relations entre la France et les pays de l’UEMoa comme celles d’un colonisateur avec ses colonisés. Les Africains ne devraient plus nourrir ce genre de complexe », affirmera Koné dans un de ses rares entretiens avec la presse (Jeune Afrique – 6-12 novembre 2016).

Son leitmotiv en tant que patron de la BCEAO était que les « évolutions doivent être commandées par les besoins » ; nul doute qu’il appliquera également cette règle dans sa gestion de la vice-présidence. Koné est nommé à cette fonction dans le même temps où Patrick Achi qui avait officiellement annoncé sa démission de la tête du gouvernement (13 avril 2022) a été reconduit à son poste et a nommé (20 avril 2022) un gouvernement « resserré » (faiblement : 32 ministres contre 37 !) au sein duquel les têtes d’affiche restent en place.

Le seul fait notable du congrès convoqué à Yamoussoukro par Alassane D. Ouattara aura donc été la nomination d’un vice-président. Plus encore d’un vice-président qui, a l’instar du président, est un ancien gouverneur de la BCEAO. C’est dire qu’une fois encore, l’économique s’impose ; ce qui ne saurait surprendre de la part de Alassane D. Ouattara qui a toujours été dans le déni de la chose politique. Mais qui peu surprendre dès lors qu’un politique, Laurent Gbagbo, est désormais sur le terrain et n’entend pas, malgré l’âge qui est le sien (77 ans cette année), se contenter de faire de la figuration.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
21 avril 2022

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