Actualités :: Burkina : Faut-il rémunérer les députés et les membres du gouvernement de la (...)

Économiste gestionnaire et conseiller en archivistique, Adama Wendlassida Rodrigue Soré rame à contre-courant d’une certaine opinion publique qui prône la gratuité du mandat des députés et il s’en explique dans cette tribune.

En précisant en son article 19 que « Un décret présidentiel fixera un taux unique de rémunération des membres du gouvernement » et en son article 23 que « un décret du président fixera les émoluments et indemnités dus aux membres de l’Assemblée législative de la transition », la charte de la transition du 1er mars 2022 octroie ainsi une rémunération aux membres du gouvernement et aux députés, alors que le projet de la charte de la transition proposait plutôt la gratuité des mandats.

Aussi des voix s’élèvent pour critiquer ces dispositions de la charte tout en demandant la gratuité des mandats. Ces derniers sont en contradiction avec celles des forces vives qui ont bien voulu prévoir un salaire pour le travail gigantesque et de qualité, attendu de ces autorités par le peuple (la restauration de l’intégrité du territoire).

Ces contradictions, nous amènent à poser la question de savoir s’il convient de rendre gratuit ou à un strict minimum le mandat des députés.

Dans la suite de cet article, nous allons démontrer que certains arguments qui soutiennent la gratuité ne tiennent pas la route, puis nous terminerons par des recommandations pour une rémunération équitable non entachée de discrimination.
Le premier argument de ceux qui suggèrent la gratuité des mandats est relatif à la crise sécuritaire. Ils soutiennent, entre autres, que la situation sécuritaire a entraîné des déplacés internes, rendu beaucoup de personnes vulnérables et rend nécessaire l’augmentation des dépenses militaires. Et que par conséquent, il faut rendre le mandat des autorités de la transition gratuit afin de faire des économies qui seront utilisées pour s’occuper des déplacés internes et des personnes vulnérables, aussi équiper nos forces de défense et de sécurité.

Si le problème qu’ils posent est réel, c’est la solution proposée qui est inapproprié et empreinte de discrimination.

En effet, le budget de l’Assemblée nationale dissoute a doublé en pleine crise sécuritaire ; certains membres du gouvernement passé ont été rémunérés au-delà des montants prévus par les textes en pleine crise sécuritaire.

De plus, une partie des fonctionnaires ont obtenu une augmentation de leur rémunération en pleine crise sécuritaire ; et aucun fonctionnaire, même ceux ayant les plus gros salaires, ne souhaite que l’on diminue sa rémunération en pleine crise sécuritaire, en témoignent les sorties et manifestations lors de la soi-disant volonté (car nous sommes rendus compte qu’ils jouaient avec les sentiments des agents publics ayant les plus basses rémunérations) de remise à plat des salaires.

Aucun commerçant, agriculteur, éleveur, entrepreneur ne souhaite que ses bénéfices diminuent au nom de l’effort de guerre. En témoigne les prix des biens et services de la commande publique qui n’ont pas connu une baisse, par ces acteurs, pour tenir compte de la situation sécuritaire. Au contraire certains profitent de la crise pour faire la surenchère et augmenter leur marge bénéficiaire. Et cela a été médiatisé lors des périodes de manque de ravitaillement de certaines localités.

Cette proposition de gratuité des mandats des autorités manque de logique, puisque pendant que personne ne souhaite voir sa rémunération diminuée, pour rétablir une équité ou pour tenir compte de la situation sécuritaire, certains souhaitent qu’on diminue la rémunération du poste de travail pour d’autres. Elle est aussi discriminatoire parce qu’elle permet que pour des personnes qui ont occupé les mêmes postes, certaines soient rémunérées et d’autres non. En d’autres termes, le politicien est considéré comme ayant un statut qui lui donne droit à un gros salaire et les autres couches (OSC, structures professionnelles) pas.

Pire encore, cette discrimination cache une autre. Il s’agit du fait que le cercle ayant gouverné le pays pendant les vingt-sept ans de règne du président Compaoré, et pendant les six ans de règne du président Kaboré, sont ceux que certains semblent considérer comme ayant le droit d’être rémunérés selon les textes ou au-delà. Ceux qui ne sont pas issus de ce milieu, s’ils prennent les affaires, des voix s’élèvent toujours pour réclamer à ce qu’ils soient moins rémunérés. On se demande souvent si ces voix ne sont pas soufflées par ceux qui sont issus de ce cercle des habituées du pouvoir.

Il convient donc de poser le problème autrement c’est-à-dire de demander à ce que l’on augmente les budgets de la prise en charge des déplacés internes et des forces de défense et de sécurité, y compris les VDP.

Le deuxième argument est celui qui consiste à dire que le gouvernement et les députés de la transition n’ont pas été élus, ils n’ont pas fourni d’efforts allant dans ce sens, et pour cette raison ne méritent pas d’être rémunérés comme des autorités élus. Il faut souligner à ces personnes que ce n’est ni l’effort physique et moral ni les efforts financiers qui sont rémunérés. C’est plutôt les postes de travail qui sont rémunérés en contrepartie d’un travail effectué. Et c’est le même salaire qui doit être versé à toute personne occupant ce poste sans discrimination aucune.

D’ailleurs le travail attendu des membres du gouvernement et des députés de la transition semble être énorme puisqu’ils sont venus pour corriger un mauvais travail effectué par leurs prédécesseurs, et qui a eu pour conséquence l’aggravation de la crise sécuritaire, l’iniquité sans précédent dans la rémunération des agents publics, et j’en passe. De plus, ils bénéficient, pour la plupart d’une présomption d’innocence, et de ce fait sont considérés comme ayant une moralité plus vertueuse que leurs prédécesseurs. Comment alors souhaiter que l’on ne rémunère pas une personne qui aura à travailler plus et plus honnêtement ? Alors qu’on a accepté rémunérer une autre personne, que beaucoup considèrent comme n’ayant pas été suffisamment honnête, et de surcroît a mal exécuté son travail ?

Aussi la manière d’accéder à un emploi n’est pas un critère de rémunération. Nous prenons l’exemple de la fonction publique d’État, où la plupart est passé par un concours pour y accéder. Cependant, il existe des agents qui ont été recrutés sur sélection de dossier, mais occupent des postes souvent plus rémunérés que ceux qui sont passés par voie de concours. Ils sont rémunérés en fonction niveau de recrutement qu’exige le poste et aussi malheureusement en fonction du ministère et ou de la structure où il exerce, mais non en fonction de la voie par laquelle ils sont passés pour accéder à la fonction publique.

Le troisième argument est relatif au statut social d’origine de certains députés de la transition. Certains semblent considérer que d’autres n’étaient pas nantis. Et de ce fait vont passer de rien à des millions. Certains de ceux qui prônent ces arguments ont souvent le même statut social. Ils ignorent même que la défense de cette position constitue une auto discrimination, puisqu’eux-mêmes sans changer de statut social peuvent par la chance ou par le mérite ou par le hasard des choses occuper ces postes. Nous, nous considérons que ces députés sont d’abord des Burkinabè, et de ce fait disposent des mêmes droits que les richards du pays. Et le statut social n’est pas un critère objectif qu’il faille prendre en compte dans la fixation des salaires de plusieurs personnes effectuant un même travail.

Après l’analyse de ces trois arguments, nous affirmons que les arguments avancés par ceux qui prônent la gratuité des mandats des députés et du gouvernement ne sont pas solides et sont entachés d’une discrimination. Nous, nous défendons que tout travail mérite salaire et qu’il ne doit pas y avoir de discrimination fondée sur le statut social, le militantisme politique, le cercle d’appartenance dans la rémunération des agents publics en général et des autorités en particulier.

Pour cela, nous avons des recommandations à l’endroit de ces autorités dans la fixation de leur rémunération.

Afin d’éviter toute discrimination par rapport aux députés de l’Assemblée nationale dissoute, les députés de l’Assemblée législative de la transition peuvent garder les mêmes émoluments et indemnités des députés de l’Assemblée nationale dissoute, qui ne sont pas plus méritants. Il ne faut pas seulement qu’ils soient rémunérés au-delà. Si la situation sécuritaire nécessite une baisse des rémunérations, alors cette baisse doit être observée par l’ensemble des agents publics. Toutefois, ils peuvent diminuer leur rémunération lorsque débutera la phase de réduction des iniquités de rémunération des agents publics (prévu dans la charte de la transition), pour donner l’exemple.

Au niveau du gouvernement, étant donné qu’il existait une discrimination dans la rémunération des membres du gouvernement passé, il convient d’adopter la rémunération annuelle moyenne des membres du gouvernement précédent pour les membres du gouvernement actuel. Afin d’éviter qu’il y ait une discrimination entre les membres du gouvernement actuel, les ministres actuels ne doivent pas percevoir individuellement les autres avantages liés à leur ministère (comme par exemple la prime de motivation et autres ristournes s’ils y ont droit). Toutefois, ces avantages liés aux ministères s’ils en existent peuvent être mis dans un panier commun et distribués à l’ensemble des ministres. Ces ministres aussi peuvent attendre la phase de réduction des iniquités des rémunérations des agents publics pour donner l’exemple.

Une autre suggestion est l’adoption d’une loi pour encadrer les rémunérations des hautes autorités afin d’éviter qu’ils ne puissent s’octroyer des rémunérations selon leurs désirs. Et il faut lier leur rémunération au salaire des fonctionnaires de telle sorte qu’ils ne puissent augmenter leur rémunération sans que la rémunération des autres agents publics ne soit augmentée. Nous avons trouvé dans nos lectures que la rémunération annuelle des autorités dans certains pays est fixée sur la base de la rémunération annuelle du dernier échelon de la dernière classe des cadres supérieurs de la fonction publique, en ce sens qu’elle peut être supérieure à la rémunération annuelle de ces derniers dans une certaine limite.

Cependant, Il ne faut pas non plus faire la confusion dans le cas du troisième pouvoir en mettant tous les magistrats dans la catégorie des hautes autorités. C’est plutôt certains d’entre eux, comme le président de la Cour de cassation, le président du Conseil d’État qui peuvent être placés au même rang que les membres du gouvernement et les députés. Les autres sont classés au même rang que les autres cadres supérieurs de la fonction publique selon l’équivalence de leur position (agent, chef de service, directeur, inspecteur général, secrétaire général, etc.), leur niveau de recrutement et leur ancienneté.

SORE Adama Wendlassida Rodrigue
Économiste gestionnaire, Conseiller en archivistique, DESS en Analyse statistique appliquée au développement

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