Actualités :: Terrorisme : Nommons les choses !

Cet écrit n’a pas pour but de dénoncer quelqu’un. Il ne s’agit pas de désigner et stigmatiser un responsable. Depuis les indépendances, nous avons joué à ce jeu. Il s’est montré vain. Chercher le responsable de nos maux a été vain. Vain dans ses résultats, vain à combler les attentes de nos populations, vain à trouver une explication et une solution opérantes.

Trouver et accabler un coupable, pourquoi s’acharner à répéter un exercice inefficace ? Il s’agit d’interroger des faits. De nous regarder nous-mêmes dans le miroir. D’observer froidement nos faillites et nos incapacités à en guérir. Nous devons dire qui nous sommes. Nous avons le devoir impérieux de regarder notre vivre ensemble. Comment il fonctionne à broyer l’homme. Cette négation du citoyen, ne pouvant entraîner l’éclosion d’une société de paix. Nous avons le devoir de dire le vrai. Sans accommodement aucun avec le réel. Tricher dans l’interprétation des faits, cela conduira inévitablement à la perpétuation de nos maux.

Pourquoi cette tâche est incontournable ? Et pourquoi nous ? Pourquoi nous ? A la vérité, la réponse tient en peu de choses. Nos nations ont été et sont faiblement scolarisées. Et même là, les chanceux qui ont bénéficié de l’instruction se sont trompés sur leur rôle. L’école ne donne pas le savoir. L’école donne les moyens de chercher, traquer et débusquer le savoir. Il se trouve que le savoir seul permet à une société de s’affranchir.

Nos parents ont accepté mille peines pour nous scolariser. Ce qui induit un devoir de reconnaissance, et un devoir de restitution. Nous devons être utiles. Autant que chacun le peut. Voilà pourquoi il nous revient d’interpréter les faits. Il faut bien se garder de toute prétention. On ne nous demande pas de dire le vrai. L’humain en est incapable. On nous demande d’initier et d’impulser un mouvement. Ce qui n’exclut pas la rigueur.

Le terrorisme djihadiste agit comme un révélateur. Comme un virus, il a besoin d’une porte d’entrée. Et même avec une porte d’entrée, pour perdurer, il a besoin d’un terreau fertile. Voilà pourquoi la tâche est incontournable de regarder nos béances, et de situer les modes d’ancrage de l’idéologie djihadiste. Il est indiqué de connaître son ennemi et ses habitudes d’action, afin de trouver comment le contrer avec une chance de réussite. On ne pourra pas faire l’économie de cette réflexion. Ce n’est plus une question académique qu’on peut se donner le loisir d’examiner en temps voulu. C’est une question d’actualité. Une actualité brûlante qui oblige à forcer la marche.

A la question « qui nous sommes ? », la réponse fait appel à de multiples aspects. Nous avons le vieux fond culturel africain. A la décolonisation, l’Homme Blanc est parti sans partir. Parce qu’il nous a laissé sa culture dans la tête. On a le religieux qui prend plusieurs formes. La religion chrétienne dans ses églises. La religion musulmane avec ses imams et ses disciples. En regardant sur la carte, nous sommes une terre d’influences culturelles. Nous sommes un enjeu, et nous nous rêvons acteur. Cette illusion d’être un acteur, convient bien à ceux qui avancent masqués. Voyons cela de plus près !

Enfant, on vous envoie à l’école publique. Et le soir, on vous envoie au catéchisme ou à l’école coranique. Dans la vie quotidienne, tout, absolument tout, vous rappelle que vous n’êtes pas Européen, et que vous n’êtes pas Moyen-Oriental. Et chacun doit construire sa personnalité avec ce magma. Ainsi fait, le chef traditionnel tient votre famille sous son autorité. L’instituteur tente de vous expliquer le monde. Le religieux bâtit patiemment le futur disciple qu’il se chargera de diriger. A la vérité, il s’agit d’une violence déguisée. Car on vous apprend à supporter votre sort. A ne pas poser de question. Donc à accepter une domination. Tout cela se fait sous la photo en grande tenue d’un Président lointain. On vous dit que vous faites partie d’une nation. Une nation dont vous avez de la peine à percevoir le plus petit bienfait. Toutes ces personnalités à qui vous devez faire confiance vous enseignent la soumission. Surtout ne pas réfléchir. Ne pas s’interroger. Ne pas chercher à comprendre.

Un citoyen modèle, c’est un esprit qui proscrit toute idée de révolte. Adulte, on est coincé entre les mâchoires d’une machine impitoyable. On a oublié votre région ? On se rappelle subitement votre existence lorsque le politicien a besoin de votre suffrage ? Quand vous rencontrez l’Etat, c’est souvent la matraque du policier ? Tout cela devient normal. Pour les partages, on vous demande de patienter. Pour les prélèvements et les corvées, votre nom vient en première position. Vous avez des difficultés à comprendre ce qui se passe ? Le religieux sort de son silence et vient vous expliquer les desseins secrets du Créateur. Cette connivence entre le pouvoir politique, la chefferie traditionnelle, les guides religieux, ce n’est pas une alliance de circonstance. Ce n’est pas une alliance contre-nature. Ce sont les différentes facettes d’une même médaille. C’est ainsi que les ponctions trouvent une justification. Et c’est face à une société poreuse de toutes parts, que se dresse le djihadisme.

Ce nouvel acteur est en terrain connu. Il n’est qu’une fraction de la religion venue de l’Orient dans les caravanes des conquérants et des marchands d’esclaves. Et il a beau jeu, puisqu’il vient prêcher le bien. N’oublions pas ce parcours étudié pour vous empêcher de penser par vous-même. Ce savoir qui pourrait vous ouvrir les yeux et vous inciter à la lutte de libération, ce savoir ennemi est regardé comme impie. Chercher à comprendre devient un grave péché. Il y a mieux. On vous explique que ce qui vous arrive est une punition à cause de vos péchés. Et qui vous a enseigné ce péché ? Soit c’est le responsable de la religion chrétienne, donc un adversaire du djihadisme. Soit c’est un savant européen, et c’est la pire chose. Cette femme ou cet homme vient vous expliquer la science. Quel crime ! Chercher à comprendre ce que Dieu lui-même a créé, interdit ! Il n’y a pas mieux pour fossiliser la pensée. Et on joue sur du velours.

Venir dire à un homme que tout ce qui lui arrive est la faute de quelqu’un d’autre, voilà du bon miel ! Dans toutes les sociétés humaines, et sur tous les continents, la technique du bouc émissaire fonctionne. Un exemple. Dans la bouche de tous les politiques en Europe, il est entendu que tous les problèmes de la société viennent de l’immigration. Et la population gobe ça. Pourtant, l’immigré vient vendre sa force de travail. Il ne vient pas percer un coffre. Il ne vient pas piquer les richesses minières d’un pays. Malgré cette évidence, tout le monde est persuadé que l’immigré, c’est le problème. Allons sur d’autres continents ! Des Européens ont pris tout leur temps pour décimer les populations amérindiennes et dresser la fière Amérique. Ensuite de quoi, on a envoyé des bateaux chercher des noirs en Afrique. Regardez sur la carte, c’est juste en face. Vous n’allez pas me croire. Un jour, des politiciens sont montés sur une estrade pour théoriser « le problème noir ». D’autres ont dit « la question noire ». Et bien évidemment, cette entourloupe politicienne a fonctionné à plein tube. Dire, « c’est la faute à autrui », c’est le gros lot assuré.

On a parlé de faillite de la démocratie européenne dans nos pays africains. Et cette idée a trouvé des foules d’adeptes. Faut-il être fou ! La démocratie, c’est juste une technique politique. Et le découvreur d’une technique ne peut s’en prévaloir de toute éternité. De toute façon, ce n’est pas la population d’une nation qui se rassemble pour inventer quelque chose. C’est un chercheur assez fou pour y croire, et qui travaille seul dans un atelier sordide. Tout le monde utilise internet. Je n’ai toujours pas trouvé quelqu’un pour rejeter cette technique occidentale. Je n’ai jamais entendu quelqu’un enseigner que la Charia proscrit l’utilisation de la kalachnikov. Pourtant, cette arme est un pur produit du communisme athée. Ce communisme qui dit avec ferveur « Ni Dieu, ni maître ! ».

Ce n’est donc pas la technologie le problème. Ce n’est pas la science le problème. Le problème, c’est que la science, le savoir, tous ces produits de l’esprit permettent de comprendre les trucages. Et donc de rejeter les truqueurs. Et là, ça ne passe pas !

Le djihadisme nous connaît. Il épouse nos modes de pensée. Tout commence par là. Il connaît nos lâchetés. Et il vient proposer des fausses solutions censées combler l’absence d’Etat. Le djihadisme a des mentors sur la scène internationale. Ce qui lui procure des financements et des moyens matériels. Il peut donc faire des actions de bienfaisance très ciblées. Le djihadisme a l’argent, et il arrive dans des contrées accablées par la pauvreté. C’est bien connu : celui qui paie commande. Il recrute donc à tour de bras. Bref, le djihadisme a l’idéologie qui explique tout, il connaît notre société, et il a les moyens de sa guerre.

Le combat doit donc être multiforme. Il y a le plus urgent. Et là, il faut que les armes parlent. Et il y a le long terme. Les guides religieux, toutes obédiences confondues, doivent sortir de leur silence. Dire que ce que le djihadisme véhicule n’a strictement rien à voir avec l’enseignement de la religion. L’Etat doit arrêter de faire le mort. On ne peut plus abandonner des populations entières à leur sort. La République, c’est légalité des droits et l’égalité des devoirs. Il ne peut pas y avoir des privilégiés et des délaissés. Cultiver les frustrations ne nous mettra jamais à l’abri des désagréments. Bien au contraire !

La diplomatie doit également intervenir dans cette affaire. Si des confréries religieuses peuvent développer une action diplomatique efficace, qu’est-ce qui handicape le bras de nos Etats sur la scène internationale ? Il faut que nous ayons le courage d’aller dire aux pétro-monarchies de faire leurs querelles chez eux. Ce n’est pas fraternel, ce n’est pas humain de venir faire des tueries chez nous, sous prétexte de religion. Nous sommes souverains. C’est ce qui est dit dans les papiers officiels. Cette souveraineté internationale nous donne le droit de dire qui et quoi nous voulons accepter dans nos territoires.

Cet écrit est une esquisse. Il n’a pas pour but d’aborder tous les aspects de la question. De toutes façons, on ne peut pas demander un tel exercice à un cerveau humain. Nul ne peut se dresser, et prétendre qu’il a appréhendé à lui tout seul la totalité de cette problématique. Toutefois, cet écrit appelle à la réflexion. Donc aux contributions. C’est ensemble que nous réussirons un échange enrichissant pour tous. En tout cas, c’est ma conviction.

Sayouba Traoré
Journaliste, écrivain.

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