Actualités :: Se passer du gaz russe : Un danger supplémentaire pour les pays du G5 Sahel (...)

La guerre russo-ukrainienne fait peser une menace sur l’approvisionnement en gaz des pays du G5 Sahel, selon Ulrich Landry Compaoré, enseignant-chercheur en génie de l’énergie et des matériaux résidant au Canada.

Situation

En 2020, la production mondiale de gaz naturel a été estimée à 3853,7 milliards de m3 dont les principaux grands producteurs sont les États-Unis (environ 960 milliards de m3), la Russie (environ 650 milliards de m3) et l’Iran (environ 300 milliards de m3). On note que 3822,8 milliards de m3 de gaz sont consommés dans le monde.

On observe une forte consommation par ces mêmes pays producteurs en plus de la Chine qui consomme plus de gaz qu’il en produit (200 millions de m3 de gaz produit contre 380 millions de m3 de gaz consommé). l’Europe dépend à plus de 40% du gaz Russe (soit environ 30 milliards de m3 ou par équivalence plus de 1,15 millions de TJ ), et cette situation de guerre Russie-Ukraine entraine donc une crainte d’approvisionnement du gaz vers certains pays Européens. Ces pays européens qui seront perturbés devront certainement trouver une alternative pour maintenir leurs besoins en gaz.

On se demande si ces pays vont se tourner encore plus vers les producteurs africains afin de combler leur besoin en cas de déficit moyennant un coût d’achat préférentiel. Des mesures pour s’affranchir de cette dépendance à la Russie sont déjà examinées, parmi lesquelles la recherche de sources alternatives de fourniture en se tournant vers l’Algérie ou le Nigeria. Si tel est le cas alors quelles seront les conséquences pour les pays du sahel déjà envahis par les affres du terrorisme et dépendant fortement du gaz produit en Afrique ?

Les chiffres clés [AIE ]

L’Afrique joue un rôle important dans l’exploration, l’exportation et la fourniture de gaz naturel au niveau mondial, avec une production en 2019 d’environ 8,7 millions de TJ sur un total mondial de 142 millions de TJ, soit une part de marché mondial de 6% [AFREC ].

Le gaz est actuellement produit dans 18 pays africains, mais il reste très concentré en Afrique du Nord, où est produit un peu plus de 70% de tout le gaz africain, suivi de 23% en Afrique de l’Ouest, le reste de la production provenant des autres régions africaines. Les trois premiers producteurs (une production par pays allant de 1900000 TJ à 4000000 TJ), l’Algérie, l’Égypte et le Nigeria, représentent 87% de la production totale de gaz. Les cinq moyens producteurs de gaz (soit de 100000 TJ à 400000 TJ) sont la Libye, l’Angola, le Mozambique, la Tunisie et la Côte d’Ivoire.

Ces huit pays représentent 98% de la totalité du gaz produit en Afrique. Le reste de la production de gaz provient des plus petits producteurs qui sont respectivement l’Afrique du Sud, le Gabon, le Ghana, le Cameroun, la Guinée équatoriale, le Sénégal, le Congo Brazzaville, la Tanzanie, le Maroc, la république démocratique du Congo. La production de ces derniers varie de 5000 TJ à moins de 60000 TJ. On peut donc remarquer qu’aucun pays du sahel ne possède une usine de gaz pouvant assurer ses propres besoins, ils sont donc tributaires des autres pays producteurs.

Sur une production totale de gaz naturel en 2019 d’environ 8,7 millions de TJ, l’Afrique a exporté environ 5 millions de TJ de gaz naturel (soit plus de 57% de sa production). Ainsi, les exportations de gaz en Afrique sont toujours supérieures à la consommation des pays producteurs ; cela est dû à un avantage majeur sur le plan économique. Sur les 3,7 millions de TJ (soit 96 milliards de m3) de gaz naturel restant en Afrique, un tiers est utilisé pour la production d’électricité, le reste concerne la consommation finale au sein des entreprises et des foyers. On attend ici par consommation finale, le gaz utilisé pour la cuisson, le chauffage, le transport et d’autres usages. L’utilisation du gaz dans les pays du Sahel est en majorité attribuer à la consommation finale.

Risque d’approvisionnement du gaz pour les pays du sahel en proie au terrorisme
Le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ne produisent pas de gaz naturel et importent la totalité de leur besoin en gaz principalement auprès du Ghana, de la Cote d’Ivoire, de l’Algérie, du Nigeria et du Cameroun.

La capacité globale de stockage sécuritaire du gaz dans ces pays importateurs est quasiment inferieur à deux mois de consommation. Ces pays ont une dépendance accrue d’approvisionnement en gaz naturel. On observe aussi une forte croissance de la demande en gaz car il commence à être utilisé de plus en plus comme combustible pour la demande finale notamment dans l’industrie, les ménages, le transport, les restaurants jusqu’au commerçant de rue.

Selon l’actualité du moment, l’Algérie désirant accroitre sa part de marché à la faveur de la guerre en Ukraine, annonce déjà pouvoir fournir du gaz à l’Europe. Cependant, il sera difficile à elle seule de combler 30 milliards de m3 de déficit à l’Europe. Si le Nigeria, l’Égypte, le Ghana, la Cote d’ivoire se lancent dans cette même cadence alors bienvenue les dégâts pour les pays du sahel.

En effet, considérons le pire scenario suivant : le peu de gaz utilisé par les pays du sahel est exporté intégralement en Europe à cause de la compétitivité sur le marché dû à la situation de guerre entre la Russie et l’Ukraine. Le danger serait très grand pour les pays du sahel. On pourrait penser à une fermeture des entreprises de fourniture de gaz (risque de chômage), une déforestation accrue car retour au bois de chauffe ou du charbon de bois dans les foyers, une rupture de stock avec son corollaire l’augmentation du prix du gaz pouvant entrainer une grogne sociale etc. Il y’a donc un intérêt pour ces pays du sahel à anticiper sur une éventuelle rupture totale de gaz.

Les alternatives pour les pays du sahel

Le recours au bois de chauffe et du charbon doit être minimisé dans les pays du sahel qui sont déjà fortement impactés par le changement climatique (baisse de rendement des cultures de mil, sorgho, diminution drastique du niveau d’eau des lacs et des mares etc.). Les grands producteurs (Algérie, Nigeria, Égypte) devraient donc accroitre leur production de gaz en puisant dans leurs réserves.

Les réserves prouvées en milliards de m3 dans ces pays sont énormes [1] (respectivement de 4300, 5300 et 2186). Cependant, cela risque d’accélérer l’épuisement de la ressource en gaz et entrainer la flambée de prix à long terme. Cette alternative est corrélée à un enjeu géopolitique et géostratégique que l’on ne peut maitriser. Ainsi, les pays du sahel devraient mener des investigations pour la recherche de leur propre gisement gazière.

Avec les progrès technologiques, il est possible de cerner les horizons géologiques et d’accéder à des réserves de gaz naturel qui ne pouvaient être atteintes auparavant. On peut citer en particulier les techniques de prospection sismique, d’imagerie, de calcul d’évaluations, de forages horizontaux ou encore de systèmes de mesure, qui sont d’ailleurs communes à celles utilisées pour la prospection du pétrole. Néanmoins, dans l’immédiat, ces pays du sahel doivent accroitre rapidement leurs stocks de réserve de gaz pour au moins 04 mois supplémentaires.

Le développement du gaz naturel renouvelable ou biogaz est en pleine croissance. Bien que la production de biogaz soit moins significative dans la zone du sahel, une étude sur l’optimisation de la production de ce bioproduit par les plans de mélanges de déchets agro-industriels, des ordures ménagers, les matières végétales ainsi que les boues de stations d’épurations des eaux usées serait aussi une voie intéressante à explorer.

En conclusion : Étant donné que les pays du sahel font partie d’un même ensemble avec les pays africains producteurs de gaz, il faudrait d’ores et déjà mettre en place un accord politique ou un mécanisme stratégique afin de sécuriser un grand volume de gaz destiné prioritairement à l’Afrique. »

Références
[1] C. by fuel type-Exajoules et C. D. Emissions, "bp Statistical Review of World Energy June 2020," 2006.

Ulrich Landry Compaoré
Enseignant/chercheur (génie de l’énergie et des matériaux)
Article rédigé le 05/03/2022
ulrich-landry.compaore@polymtl.ca

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