Actualités :: Yéro Boly, cohésion et réconciliation au Burkina Faso

Il a été une des figures majeures – bien que discrète – des « années Compaoré ». Au début de l’année 2015, Yéro Boly avait définitivement quitté son poste d’ambassadeur du Burkina Faso auprès du Royaume du Maroc, « ayant atteint l’âge de la retraite » m’avait-il écrit alors.

On pouvait penser qu’il y avait d’autres raisons à son départ alors que le pays avait connu une « insurrection populaire », la chute du régime en place depuis près de trois décennies ; puis, enfin, une transition qui avait évité le pire, marquée par une tentative de coup de force militaire et une présidentielle guère convaincante. Le Burkina Faso semblait alors avoir disparu des cartes de géographie (et des scènes politique et diplomatique africaines), grignoté – et parfois même dévoré – par un « terrorisme islamique » dont la composante anti-mondialisation n’est sans doute pas négligeable bien que socialement inconsciente.

« Le pays des hommes intègres » a aujourd’hui largement dépassé le stade de la désintégration. Et si les raisons d’espérer étaient jusqu’à présent absentes, il manquait aussi une raison de ne pas désespérer totalement.

Voici un an, le 10 janvier 2021, Roch Marc Christian Kaboré avait institué la fonction, auprès de la présidence du Faso, de ministre d’Etat chargé de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale et l’avait confiée à une figure de l’opposition au régime de Blaise Compaoré : Zéphirin Diabré. Diabré aura été le « spectateur engagé », dans les rangs de l’opposition, de la vie burkinabè après en avoir été un acteur significatif, au plan politique comme entrepreneurial.

« L’insurrection populaire » en 2014, la « transition » en 2014-2015, la résistance à la tentative de coup de force militaire en 2015, les présidentielles de 2015 (il fait deuxième avec environ 30 % des voix) et de 2020 (il fait troisième avec environ 12 % des voix) ne lui permettront pas d’accéder aux premiers rôles institutionnels qu’il ambitionnait.

Exit Kaboré (Président de la République), Dabiré (Premier ministre) et Diabré (ministre d’Etat) le 23 janvier 2022. Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba dégage tout le monde en touche. Mais, ayant accédé formellement au pouvoir, il a décidé de conserver auprès de la présidence du Faso la fonction de ministre d’Etat chargé de la Cohésion sociale et de la réconciliation nationale. Et de la confier à Yéro Boly.

C’est le retour sur la scène politique burkinabè d’une personnalité de « l’ancien régime ». Une première ! Certes, il y a eu, ces derniers mois, notamment, les coups de gueule de Mohamed Sanné Topan – pourtant peu enclin aux exubérances politiques (c’est pour cela qu’il est un des dépositaires des secrets d’Etat des « années Compaoré ») – contre la gestion du CDP (ex-parti présidentiel) par Eddie Komboïgo ; mais aussi l’émergence de Luc Adolphe Tiao, Premier ministre du chaos (celui de 2011 à la suite des mutineries au sein de la troupe) au KO (celui d’octobre 2014 qui a vu la chute brutale du régime Compaoré), qui, tirant un trait sur le CDP, a créé son propre parti : le Rassemblement patriotique pour le développement (RDP).

Yéro Boly n’est pas nommé au gouvernement, au poste qui est le sien, par choix. Encore moins par ambition personnelle. Je l’avais écrit, déjà, il y a plus de dix ans : « C’est d’abord un administrateur civil. Et pour ceux de sa génération, cela signifie quelque chose qui ressemble au sens de l’Etat, au service de la Nation… ».

Au lendemain de sa nomination comme ministre d’Etat, il me rappelle d’ailleurs la nécessité de « restituer aux générations futures la vraie histoire de nos pays ».
C’est que la réconciliation nationale, au Burkina Faso comme ailleurs (et tout particulièrement en Côte d’Ivoire et au Mali, deux pays voisins durement impactés par les crises politiques), passe par la réconciliation avec l’histoire du pays, ses succès et ses échecs. Encore faut-il la raconter.

Le Burkina Faso est un mille feuilles. 1ère République (1959-1965), régime militaire (1966-1971), IIè République (1971-1974), régime militaire (1974-1978), IIIè République (1978-1980), régime militaire sous l’autorité du Comité militaire de redressement pour le progrès national/CMRPN (1980-1982), régime militaire sous l’autorité du Conseil du salut du peuple/CSP (1982-1983), régime militaire sous l’autorité du Conseil national de la révolution/CNR (1983-1987), régime militaire sous l’autorité du Front populaire/FP (1987-1989). La IVè République, instituée en 1991 à la suite de la « rectification », connaîtra bien des péripéties. Le président Kaboré ambitionnait, quant à lui, de susciter l’émergence d’une Vè République ; mais une fois encore, les lois de l’Histoire ont été plus fortes que les appareils bureaucratiques !

Alternance, au Burkina Faso, rime avec violence. Et même la violence de la rue, violence sociale qui peut être justifiée, a toujours débouché sur l’accession des militaires au pouvoir (tout au moins partielle comme en 2014). Ce qui laisse penser que les oppositions politiques n’ont cessé de faillir. Du même coup, chaque feuille du mille feuilles politique dénie la précédente – d’où l’exclusion de tous ceux qui ont inscrit leur nom sur cette feuille – tout en redoutant ceux qui pourraient inscrire leur nom sur une nouvelle feuille.

« Du passé, faisons table rase », dit la chanson. C’est vite dit. Thomas Sankara a cru réinventer la Haute-Volta en la rebaptisant Burkina Faso – ce qui était une bonne intuition ; la meilleure preuve en est que la dénomination est restée – et en reprenant le décompte historique à partir de 1983 : An I, An II, An III, An IV, An V – ce qui était une mauvaise intuition : imagine-t-on aujourd’hui la publication au journal officiel d’un kiti An XXXIX ?

Peut-on partager les mêmes valeurs si, tout au long d’une vie humaine, il n’y a – socialement – ni partenariat ni consensus et que les jours d’aujourd’hui refusent de prendre en compte les jours d’hier et, plus encore, les aspirations qui devraient être celles des jours de demain ? Or comment instaurer le partenariat et le consensus (sinon politique tout au moins social) si ceux qui gouvernent aujourd’hui se refusent à prendre en compte ceux qui gouvernaient hier ?

Je ne sais pas qui a institué le binôme « cohésion sociale » et « réconciliation nationale ». Mais je note que, entre Kaboré et Damiba, il y a eu inversion de l’ordre des concepts : Yéro Boly est ministre chargé de la Cohésion sociale et de la réconciliation nationale. C’est sans doute que le président Damiba et son premier ministre, Albert Ouédraogo, pensent que la « cohésion sociale » est la condition nécessaire (mais hélas pas suffisante) à la « réconciliation nationale ».

Ils ont raison. La Côte d’Ivoire en a fait par deux fois la démonstration en pensant, à tort, que la « réconciliation » devait permettre de tourner une page alors qu’il s’agit, justement, d’en écrire des nouvelles en prenant en compte les anciennes.

Et c’est là tout l’objet de la « cohésion sociale » qui est un objectif et donc un « processus continu » fondé sur l’émergence et le développement « de valeurs partagées, de défis partagés et de chances égales ». Ce processus doit donc être « fondé sur un sentiment de confiance, d’espoir et de réciprocité ». Pas simple quand la conjoncture nationale, régionale et internationale est celle que l’on connaît et que depuis plus de soixante ans la rupture politique a été érigée en mode de production géré à chaque fois par les militaires.

Que l’on veuille écrire une nouvelle page de l’Histoire du Burkina Faso sans oublier les pages précédentes et, plus encore, que « l’encadrement » de cette séance d’écriture soit confié à un homme qui n’est pas partie prenante dans le changement de régime, est une raison de ne pas désespérer totalement. Reste à ce que la « cohésion sociale » ne soit pas qu’un concept cache-misère et que la « réconciliation nationale » ne se limite pas à solder les comptes entre acteurs politiques passés et présents.

Jean-Pierre Béjot
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