Actualités :: Quand l’Afrique n’aura plus peur de l’Occident : l’Ethiopie

Qui même a encore peur de l’Occident aujourd’hui ? L’Occident a dû très habilement se baptiser « communauté internationale » pour se faire aimer sinon, du moins pour se légitimer et se faire accepter. Mais la méfiance et la défiance croissent. La dernière en date est cette démonstration de force de la Russie qui entre en guerre contre l’Ukraine malgré les menaces de sanctions militaires, économiques et financières brandies par l’Occident contre elle et ses dirigeants.

La peur des pauvres

Battu militairement là, chassé ici, haï ailleurs, l’Occident reste une puissance certes, mais il n’y a plus grand monde qu’il fait trembler. L’Afrique encore, sûrement, quand elle endosse le statut du plus pauvre des continents dont elle est affublée et dont elle se complaît, oubliant qu’elle en est au contraire le plus riche. L’Afrique, à force d’intérioriser le préjugé mondial de sa pauvreté, a encore peur : quand elle se demande ce qu’elle va devenir si l’Occident lui coupe en quelque sorte les vivres, quand elle en attend aides diverses, armes pour la protéger, et même les idées qu’elle copie

Le silence ou l’embarras de l’Afrique sur l’invasion russe de l’Ukraine en dit long sur sa peur : comment approuver l’invasion sans se mettre à dos l’Occident ? Mais comment la condamner aussi avec l’Occident quand on attend l’assistance de la Russie ?...

Le pays des empereurs Ménélik et Hailé Sélassié, l’Ethiopie, est le contre-exemple, hier comme aujourd’hui, d’une Afrique qui a peur de l’Occident. Hier, en battant les colonisateurs ; aujourd’hui, en surmontant militairement un conflit interne sans céder aux pressions et menaces de l’Occident qui, convaincue que l’Ethiopie allait sombrer dans la guerre sans son assistance, l’a abandonnée et fuie quand les guerriers du Front de Libération du Peuple du Tigray (TPLF en anglais) étaient à une centaine de kilomètres d’Addis-Ababa la capitale.

Abiy Ahmed n’est pas Mengistu Hailé Mariam

Les guerriers du même TPLF du même Tigray, conduits par les Meles Zenawi et Issaias Afeworki encore camarades marxistes de lutte, avaient réussi à renverser « L’empereur rouge » Mengistu en 1991. Les Occidentaux ont donc pensé que les mêmes causes allaient produire les mêmes effets.

Américains et Européens ont alors invité leurs diplomates et ressortissants à quitter sans délai l’Ethiopie (exactement comme ils le feront dans la crise russo-ukrainienne, avec raison cette fois-ci).
Ils n’ont pas compris ni surtout accepté qu’un Prix Nobel en 2019 (le premier ministre Abiy Ahmed qui a signé la paix avec l’Erythréen Issaias Afeworki) fasse la guerre en 2020, en réponse à l’agression militaire des Tigréens du TPLF.

L’Occident qui fabrique et vend des armes au monde entier, y compris à des régimes non démocratiques (ex la France à l’Egypte), a brandi le pacifisme. Alors devant la détermination et l’intransigeance du gouvernement éthiopien contre les élans sécessionnistes et nostalgiques du TPLF (il a dirigé le pays depuis la chute de Mengistu), l’Occident a cru abandonner le pays au pire (la France a ainsi suspendu ses projets d’accords militaires avec l’Ethiopie, et ce même si elle vend des armes aux Emirats qui soutiennent l’Ethiopie !)

Un peuple fier qui aime son pays

Mais alors que tout le monde craignait en effet le pire pour l’Ethiopie, les guerriers tigréens du TPLF étant presque aux portes de la capitale Addis, renforcés en plus par les autres nationalistes et sécessionnistes du Front de Libération Oromo (OLF), les Ethiopiens étaient les seuls à jurer que les assaillants ne pouvaient pas atteindre leur capitale pour renverser leur gouvernement. La suite leur a donné raison, elle est connue :

Pendant que les diasporas éthiopiennes manifestaient massivement et bruyamment dans les capitales occidentales (New York, Londres, Paris…) contre toute ingérence étrangère dans la crise intérieure du pays, et contre les postures colonialistes, le premier ministre Abiy Ahmed, qui est militaire, a porté l’uniforme et s’est rendu au front pour diriger en personne les combats et repousser les assaillants loin d’Addis. En se tournant vers des partenaires non occidentaux (Emirats Arabes Unis, Turquie, Israël)…

Où sont les panafricanistes ?

Il n’y a sans doute pas de peuple africain plus fier et plus patriote que les Ethiopiens. Ils aiment réellement leur pays comme leurs propres familles. En comparaison, on n’a pas vu de Maliens manifester en Occident pour soutenir leur pays dans sa bravade contre la France. La peur…

Mais les Ethiopiens étaient bien seuls dans leur résistance face aux injonctions occidentales dans cette crise. Dans la capitale américaine même, la diaspora éthiopienne manifestait avec des pancartes où l’on pouvait lire « Ethiopia is not George Floyd », l’Ethiopie n’est pas George Floyd. L’Afrique non plus !..

Aucune manifestation de soutien dans les capitales africaines cependant, aucune solidarité panafricaniste et anticolonialiste avec le peuple éthiopien ; alors même que l’occasion s’y prêtait ; alors même que l’on dit aussi être contre les coups de force (le TPLF, la « junta » comme l’appellent les Ethiopiens, ne jure que par le coup d’Etat)
Et alors même que, chose incroyable, les médias éthiopiens évoquaient, rappelaient et analysaient, dans cette crise avec le TPLF et avec l’Occident, ce que voulait et représentait…

Thomas Sankara pour le Burkina et l’Afrique. Leurs analyse et point de vue étaient que l’insécurité terroriste qui frappe le pays de Sankara n’aurait pas été possible sous le capitaine burkinabè panafricain : si nous, dirigeants et peuples, n’aimons pas nos pays africains, et si nous ne comptons pas sur nos propres forces mais attendons que tout nous vienne de l’extérieur, nous ne serons jamais capables de nous défendre contre n’importe quelle agression intérieure ou extérieure.

Pour les Ethiopiens, la junta TPLF n’aime pas l’Ethiopie. Elle est terroriste : juntawu meshebt (sombre/sale temps pour la junte terroriste)…

Le paradoxe éthiopien

Les Ethiopiens aiment vraiment leur pays, c’est un fait. Mais en même temps, dira-t-on, ils s’entretuent dans des affrontements communautaires interminables. D’aucuns dénieront même à l’Ethiopie d’être le pays du panafricanisme et de l’unité africaine, à cause de ces divisions communautaires. Cette apparence de paradoxe repose sur beaucoup de préjugés et d’ignorance

La vérité est que le communautarisme en Ethiopie a été précisément inspiré, entretenu, conforté et officialisé, sous couvert de fédéralisme, par les leaders du même TPLF qui a renversé le communiste Mengistu en 1991 et a dirigé le pays pendant une trentaine d’années jusqu’à Abiy Ahmed. La Constitution éthiopienne de 1994, rédigée sous le pouvoir transitionnel du dirigeant TPLF Meles Zenawi stipule ainsi, en son article 39-1 que :
« Chaque Nation, Nationalité et Peuple en Ethiopie a un droit inconditionnel à l’auto-détermination, y compris à la sécession ».

C’est dans cet esprit que l’Erythrée d’Issaias Afeworki qui faisait encore partie de l’Ethiopie s’en était séparée en 1993 pour devenir un Etat indépendant (séparation politique qui a aussi été à l’origine de l’autre séparation plus « personnelle » entre les ex-camarades Zenawi et Afeworki dont l’inimitié a plongé l’Ethiopie et l’Erythrée dans une longue guerre fratricide que justement Abiy Ahmed est venu réconcilier en 2018 : d’où le Nobel de la Paix)…

L’exemple éthiopien

Le fait que les Occidentaux (y compris des « chercheurs spécialistes de l’Ethiopie ») soutiennent souvent des sécessionnistes contre leurs Etats africains (d’où la thèse selon laquelle l’Occident entretiendrait et armerait le terrorisme en Afrique) , mais n’admettent pas que des Etats Africains eux-mêmes se libèrent de la domination occidentale doit donner à penser.

L’exemple éthiopien nous montre qu’il ne suffit pas de construire la démocratie et l’unité de son pays africain pour avoir les faveurs et la reconnaissance de l’Occident si cela ne se fait pas avec son accord et ses recommandations. En dernière instance, ce qui se joue dans les rapports entre l’Occident et l’Afrique comme source des crises et tensions n’est rien d’autre qu’identitaire (bien avant les intérêts) : si l’Occident ne SE reconnaît pas dans ce que vous faites, quel que soit ce que vous faites (démocratie ou pas), il ne VOUS reconnaîtra jamais…

Mais l’Ethiopie est aussi bien un exemple africain en plusieurs points (quelques-uns) :
1. On peut mesurer l’amour d’un peuple pour son pays à l’amour du dirigeant/des dirigeants pour ce pays. Des dirigeants qui aiment réellement leur pays, et le montrent, ne peuvent que susciter et incruster le même amour dans leur peuple. Les Ethiopiens aimaient déjà leur pays, ils ont eu la chance de rencontrer un dirigeant jeune, intelligent, patriote et moderne : c’est cette rencontre, cette communion dans l’amour de l’Ethiopie entre Abiy Ahmed et les Ethiopiens qui fait la popularité du premier ministre que les Occidentaux ont sous-estimée, ou qu’ils n’ont pas prise en compte.

Les Ethiopiens adorent leur premier ministre qui ne parle que de l’unité de l’Ethiopie comme une seule nation. Un gigantesque espace très moderne est construit à Addis qui rassemble toute l’histoire et tous les peuples de l’Ethiopie : Unity Park ou Parc de l’Unité…

2. L’Ethiopie n’attend pas que des idées lui viennent de l’étranger ou de l’Occident pour assurer sa sécurité : tous les adultes, femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, sont tenus de participer à la Community Police (police de la communauté) pour assurer la sécurité de leurs quartiers, sans tenues ni armes. Elle consiste en une veille citoyenne faite de patrouilles de proximité, en plus des forces de l’ordre fédérales

3. L’Ethiopie est un pays qui tire profit de partenaires variés pour construire des infrastructures modernes, amour du pays oblige. Sa flotte, la première en Afrique, et panafricaine en ce sens, permet à tous les Africains de voyager partout en Afrique et hors d’Afrique, avec un sécurité et un confort qui n’ont rien à envier aux compagnies occidentales.

4. Chaque Ethiopien a mis la main à la poche pour participer très modestement mais très symboliquement à la construction du Grand Barrage de la Renaissance (GERD) qui fait la fierté de tout un peuple : un précieux bien collectif, commun et personnel (protégé par des missiles air-sol israéliens contre d’éventuelles frappes égyptiennes)…

5.Le premier ministre Abiy Ahmed n’est pas arrivé au pouvoir par un coup d’Etat, mais c’est un militaire (eh oui) qui aime son pays et son peuple : les débats (si même il y en a) au Burkina Faso autour de la question de savoir si ce sont des militaires ou des civils qui sont le plus capables de refonder et changer le pays sont insignifiants et creux. L’amour vrai de son pays, avec tout ce que cela implique, y suffit…

Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE

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