Actualités :: Burkina : De la politisation de l’administration, parlons-en (...)

Cette tribune, Ousmane Djiguemde revient sur la politisation de l’administration burkinabè

Dans l’agenda politique évoquée par le président Damiba, figure en bonne place la question de la dépolitisation de l’administration. Il s’en est suivi une polémique sur sa nécessité et/ou sa faisabilité ! Pourtant, il nous souviendra que c’est un débat évacué depuis plus de deux décennies. Et pour cause !

I. De la nécessité de dépolitiser l’administration publique

La nécessité de dépolitiser l’administration publique a été reconnue au Faso, dès 1999 à la suite de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, par le Collège des Sages, dans son rapport qui fait autorité jusqu’à ce jour. En effet, ledit rapport en ses points 2-1-6, 7, 9 et 10, dénonçait :

-  La politisation des institutions républicaines traditionnellement neutres (Administration, Armée, Justice) ;

-  Le contrôle effectif de l’appareil d’État par un seul parti ;

-  La politisation des organisations de la société civile ;

-  La politisation à outrance des opérateurs économiques.

Comme solutions, le Collège avait proposé, entre autres, au point 2-2-3 de son rapport de remettre principalement en œuvre la neutralité politique de l’administration, de l’armée et de la justice, des organisations de la société civile (syndicats, mouvements des droits de l’Homme et Organisations non gouvernementales (ONG).

Mieux, cette position a été renforcée par les rapports du MAEP (2008) et du CGD (2010) qui consacrent, d’une manière ou d’une autre, cette nécessité.

II. Une politisation méthodique de l’administration et de l’État

Lorsque le Collège des Sages recommandait la neutralité politique, c’était en connaissance de cause de la construction méthodique, mais aussi de l’impact sur la dégradation du vivre-ensemble. Celle-ci a connu trois étapes :

a. L’organisation d’un électorat autour des « secteurs structurés »

S’il y a un mécanisme bien huilé qui a été entretenu dans la vie publique c’est bien celui-ci : les secteurs structurés ! Voici ce qu’en disait le président du CDP à l’époque, lorsqu’on accusait son parti de procéder à la politisation de l’administration :

« Sur ce point, je voudrais être clair. Le CDP n’est pas un parti-État et, faut-il le rappeler, nous sommes dans un État de droit. Cependant, on ne peut pas nous reprocher d’organiser nos militants qui sont dans l’administration et le secteur privé afin qu’ils participent activement et efficacement à l’animation de la vie du parti et au développement du Burkina Faso. Il ne s’agit donc pas d’une politisation de l’Administration mais d’un élargissement et d’une consolidation de la base sociale de notre parti » .

Question de sémantique donc et de subtilité de langage ! C’est une méthode qui a consisté à fabriquer des militants de fait dans tous les secteurs de la vie nationale, de gré ou de force, avec un système de référencement des militants et de cotisations régulières. Elle a fait beaucoup de mal à la neutralité de l’Administration à l’époque.

b. L’arme de l’emploi public

Une autre arme manipulée aux fins de la politisation de l’administration, et régulièrement dénoncée par le SYNAGRH a fini par affiner ses costumes de légalité. Il s’agit du « recrutement sur mesures nouvelles. Ce type de recrutement, qui était exclusivement « sur simple sélection des dossiers », a fini par associer l’accès par voie de concours. Voici la récrimination du SYNAGRH :

« Cette disposition [le recrutement sur mesures nouvelles] est soupçonnée de partialité car étant une circonstance d’insertion dans l’Administration publique d’agents à très forte connotation politique. Cette mesure est interprétée comme un élément de la stratégie de redistribution clientéliste du parti au pouvoir [le CDP à l’époque] pour récompenser des individus pour leur militantisme politique et raviver leur loyauté à l’égard du régime » (Natielsé, 2013 : 251).

c. L’arme de la promotion dans l’administration publique

Sur cette question, Tahirou Barry, ancien ministre de la culture, enfonce le clou dans une interview accordée au journal l’Observateur Paalga :

« (…) je peux vous dire que j’ai été à plusieurs reprises interpellé par les premiers responsables du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP - parti au pouvoir) sur la nomination de certains cadres de mon ministère simplement pour des raisons partisanes. Où se trouve la neutralité de l’Administration ? Avons-nous rejeté oui ou non la politisation de l’Administration ? Le parti au pouvoir signifie-t-il le pouvoir du parti dans l’appareil d’État ? »

Enfin, il y a eu le mauvais usage de dispositions règlementaires comme celles de l’article Article 11 du Décret N°2016-027/PRES/PM/SGGCM du 23 février 2016 portant organisation-type Des départements ministériels :

« Les chargés de mission sont des hauts cadres de l’Administration publique, ayant occupé de hautes fonctions politiques et/ou administratives et qui sont en fin de mission. Ils dépendent directement du Ministre et exécutent toutes missions qu’il leur confie.

Les chargés de mission sont nommés par décret pris en Conseil des Ministres sur proposition du Ministre et sont placés hors hiérarchie.
Ils bénéficient des mêmes indemnités que les chargés de mission du Premier Ministère »

III. Conséquence : naissance d’un faux modèle de redevabilité et dynamitage de la solidité du vivre-ensemble

Comme on peut aisément le constater, une fois au contact de l’Administration publique, cette démarche a introduit un faux modèle de redevabilité qui induit plusieurs autres phénomènes au sein des structures publiques : sectarisme, démarcation, régionalisation, népotisme, puisqu’elle est basée sur la préférence partisane et, si affinités, ethnique, religieuse, amicale, etc.

La mise en œuvre des politiques publiques en a pris un coup avec pour impact évident la mauvaise distribution des investissements et services publics par zones et par citoyens, malgré une égalité constitutionnelle des citoyens en droits et en devoirs.

La politisation, comme les rapports l’ont indiquée, a touché tous les secteurs y compris l’armée. C’est donc à tous les niveaux qu’il faut appliquer la dépolitisation pour asseoir une saine gouvernance. Que faut-il faire ?

IV. La solution

Tout dépend du degré d’intégrité et de l’exemplarité des pilotes politiques du moment pour pouvoir impulser une cure de désintoxication à l’État, comme le disait Ibn Khaldoun :

« Si le gouvernement voulait agir avec franchise, éviter la partialité, renoncer à la corruption et à la fraude ; s’il marchait droit sans s’écarter du sentier de la rectitude, l’or pur et l’argent de bon aloi (en fait de science) auraient une valeur réelle sur son marché ; mais s’il se laisse conduire par ses intérêts personnels et par ses préjugés, s’il se remue au gré d’intrigants qui se font les courtiers de l’injustice et de la déloyauté, alors les marchandises falsifiées et la fausse monnaie (de l’érudition) y auront seules du cours. Pour en apprécier la valeur, le juge clairvoyant doit porter en lui-même la balance de l’examen, la mesure de l’investigation et de la recherche »

Ousmane DJIGUEMDE
oustehit@hotmail.fr

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